Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 7
ARRÊT DU 24 JUIN 2015
(n° 19 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/12232
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Juin 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 13/00384
APPELANT
Monsieur [D] [C]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représenté par Me Jean-Loup PEYTAVI, avocat au barreau de PARIS, toque : B1106, avocat postulant
Représenté par Me Dan HAZAN, avocat au barreau de PARIS, toque : G0258, avocat plaidant
INTIMES
Madame [U] [M]
[Adresse 5]
[Localité 1]
Représentée par Me Florence BOURG, avocat au barreau de PARIS, toque : B0904
Monsieur [L] [F]
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représenté par Me Florence BOURG, avocat au barreau de PARIS, toque : B0904
Monsieur [X] [I]
[Adresse 4]
[Localité 4]
Représenté par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055, avocat postulant
Représenté par Me Laurence DAUXIN-NEDELEC, avocat au barreau de PARIS, toque : D0294, avocat plaidant
SARL EDITIONS DU MOMENT agissant poursuites et diligences de son gérant domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055, avocat postulant
Représentée par Me Laurence DAUXIN-NEDELEC, avocat au barreau de PARIS, toque : D0294, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 25 Mars 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Sophie PORTIER, Présidente de chambre
M. Pierre DILLANGE, Conseiller
Mme Sophie- Hélène CHATEAU, Conseillère
qui en ont délibéré sur le rapport de Pierre DILLANGE
Greffier, lors des débats : Mme Maria IBNOU TOUZI TAZI
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'ordonnance au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Mme Sophie PORTIER, président et par M. Guillaume LE FORESTIER, greffier présent lors du prononcé.
**********
Rappel des faits et de la procédure,
Par actes des 22 novembre 2012 et 21 février 2013, [D] [C] a fait assigner devant la 17eme chambre du tribunal de grande instance de PARIS, [U] [M], [L] [F], la société les Editions du Moment et son gérant, [X] [I], pour y répondre de faits de diffamation publique à son encontre, à raison de la publication par cet éditeur sous les signatures des deux auteurs précités, le 11 octobre 2012 d'un livre intitulé « la Frondeuse ».
Le tribunal a rappelé qu'[U] [M] et [L] [F] ont publié aux Éditions du Moment en octobre 2012 un ouvrage, consacré à [R] [E], journaliste et compagne du nouveau président de la République, intitulé « La Frondeuse » et ainsi présenté par la quatrième de couverture : "Ce premier portrait biographique consacré à la First Lady, depuis son enfance modeste jusqu 'aux rencontres avec les grands de ce monde, prend tout son sens dans l'intrication des intrigues amoureuses et politiques au sommet de l'État."; que figurent aux pages 42 à 44, les propos suivants reproduits dans l'assignation délivrée à la requête de [D] [C] qu'il a demandé de juger diffamatoires :
« [R] [E] méprise [V] [G] pour une seconde raison, plus personnelle. Si elle fait barrage de son corps à l'entrée du QG, c'est aussi parce qu 'elle le soupçonne d'alimenter depuis les années 2000 des rumeurs sur son prétendu goût pour les hommes de pouvoir, ses amants supposés, y compris à droite, [G] ferait circuler un racontar : elle aurait été la maîtresse de [D] [C], un ancien ministre de [Y] [H] ! Cette hypothétique liaison est dévoilée pour la première fois le 27 juin 2012 par le site satirique Le Canard acharné :
« [R] [E], l'actuelle campagne de [N] [W], aurait été la maîtresse de [D] [C], président du conseil général des Hauts-de-Seine (92). De 1999, et ce jusqu'en 2002, la journaliste de Paris Match aurait eu cette liaison cachée avec l'ancien ministre de l'UMP. Pour le moment, cette information ne peut être appuyée de preuves solides, mais le fait reste, lui avéré. Et ça, le Canard acharné le sait ! »
Cette révélation n 'a jamais été démentie par les principaux intéressés.« Pourquoi donner de l'importance à ces conneries ' On s'en fout ! Internet, c 'est la loi de la jungle. Avant de gagner un procès... » balaie d'un revers de phrase [D] [C], l'actuel président du conseil général des Hauts de Seine. Il pointe, à juste titre, la domiciliation aux Seychelles de ce site qui serait en outre animé par ses détracteurs au sein du conseil général. [C] vise notamment [Q] [A], sénateur des Hauts de Seine. Cette adresse « offshore » rendrait compliquée toute action en justice. [P] [K], son ancienne directrice de cabinet, démissionnée à la suite de la publication d'un roman pamphlétaire sur le conseil général, n 'a pas reculé devant cette difficulté : elle a attaqué en diffamation. Le Canard acharné lui prête aussi une liaison avec [D] [C], « Sur [R] et moi, c'est vraiment écrit comme ça sur Internet ' » semble néanmoins s'inquiéter [D] [C] en fin de discussion. Avant de reconnaître : « Je la connais, elle. Mais non, je ne sais pas d'où ça sort ».
Qu'en est-il de la réalité de cette liaison de plusieurs années avec celui qui deviendra le ministre de la Relance de [Y] [H] ' « [D] [C] est un grand séducteur; raconte un proche de l'actuel président des Hauts- de-Seine. Beaucoup d'hommes politiques ont une immense faille, ils ont besoin d'être aimés. Il y a deux façons pour trouver de l 'amour; on pourrait dire de l'adhésion, au sens électoral. II y a des gens qui votent pour vous, et il y a des femmes qui se donnent à vous. Ce sont les deux preuves que vous plaisez. Mais il y a deux types d'hommes politiques, poursuit ce fin connaisseur du milieu, ceux qui aiment le sexe et les séducteurs, les Don Juan, les Casanova. [D] [C] est dans cette catégorie. Il aime faire tomber la barrière de la femme. Il aime que la femme ait envie de lui mais lui, à la limite, il n 'a pas envie de passer à l'acte » résume-t-il.Y a-t-il eu une cour assidue de [D] [C] à l'égard de [R] [E] ' « Oui, affirme-t-il. Car, comme Don Juan, [D] [C] est devenu éperdument amoureux de cette Elvire qui lui résistait, » Y-at-il eu passage à l'acte '
« Cela leur appartient » conclut-il.
Toujours est-il que cette relation intime entre [D] [C] et [R] [E] aurait duré plusieurs années, sans doute de 1998 à 2004. A cette époque, l'un et l 'autre sont mariés et ont des enfants. Aller plus loin dans leur engagement faire le grand saut A plusieurs reprises, ils l'ont envisagé mais sans jamais s'y résoudre. [R] [E] n 'aime ni les compromis, ni la compromission. [D] [C], lui, se fait désirer... si bien que, entre 2000 et 2004, la journaliste se laisse courtiser par un deuxième homme d'un autre bord politique, [N]
[W]. Elle l'a rencontré en 1998 « mais nous avions noué une grande complicité à partir de 2000 » explique-t-elle le 7 mai 2012 à un journaliste de l'AFP. Il faudra attendre 2004 pour que les résistances cèdent Après avoir été divisée, écartelée entre ces deux prétendants, l'un de droite l'autre de gauche, elle laisse la relation qui la lie à [N] [W] prendre peu à peu le pas sur l'autre. Elle avertit même [D] [C]. Si tu ne fais rien, je vais dire oui à [W],
lui aurait-elle dit en substance, selon un proche de son ancien soupirant. En 2004, [R] [E] mettra un clap de fin à son Jules et Jim. En bien plus de cent deux minutes, la durée du film de [N] [B], elle finit par choisir [N] - Jules - et délaisse [D] - Jim. Pour
le réalisateur français, Jules et Jim reste « un démonstration de l'impossibilité de toute combinaison amoureuse en dehors du couple ». Mais les similitudes avec « ce tourbillon de la vie», tourné en 1962, s'arrêtent là. Dans la fiction, les deux amants de Catherine, incarnée par [T] [Z], sont avant tout des amis qui se résolvent à se partager la même héroïne. Dans l'arène politique, elle, bien réelle, [N] [W] et [D] [C] sont deux rivaux qui
deviendront... alliés, après que la femme qu'ils aiment ait fait son choix.
Les deux hommes ont en effet conservé de cette histoire, un profond respect l'un envers l'autre. »
Par jugement du 5 juin 2013, le tribunal a rejeté une exception de nullité soulevée par les défendeurs, relativement à l'imprécision supposée de la citation, contraire aux dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, en ce que la longueur du texte visé induit un doute sur l'étendue de la poursuite. Estimant que le texte se rapportait à la simple allégation d'un comportement adultère du demandeur, que celui-ci considère comme attentatoire à son honneur et à sa considération, le premier juge a considéré que son action se résumait à ce seul fait était dépourvu de toute ambigüité.
Au fond, le tribunal a jugé que ces mêmes propos n'étaient pas diffamatoires dans la mesure où l'évolution des moeurs et de la loi sont telles qu'une imputation d'adultère n'est plus considérée comme attentatoire à l'honneur et à la considération de la personne à qui l'on prête un tel comportement et que, peu importait, dès lors, que les parties s'opposent sur le caractère plus ou moins affirmatif à ce titre du texte incriminé.
Le demandeur, débouté de sa demande principale a encore été condamné à payer une somme de 1500 € à chacun des défendeurs (l'éditeur et son gérant étant confondus) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
[D] [C] a relevé appel de cette décision. Dans le dernier état de ses écritures il demande la confirmation de celle-ci en ce qu'elle a rejeté l'exception de nullité soulevée, son infirmation quant à son propre débouté, que soit constaté le caractère diffamatoire des propos à l'origine de son action, que les défendeurs soient solidairement à ce titre condamnés à lui payer une somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts, que soient ordonnées diverses mesures de publication, qu'enfin les défendeurs soient solidairement condamnés à lui payer une somme de 5000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Les auteurs sollicitent la confirmation du jugement déféré en ce qui les concerne, sauf en ce qu'a été écarté le moyen de nullité qu'ils ont soulevé.
Ils demandent encore que l'appelant soit condamné à leur payer à chacun une somme de 4000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société éditrice et son gérant ont conclu de façon similaire, sauf en ce qu'ils demandent l'octroi d'une somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE,
Sur l'exception de nullité de la citation,
Les intimés font valoir que le passage visé comprend plusieurs faits et allégations qui ne sont pas distingués par la citation de l'appelant, ce qui contrairement aux dispositions de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881, ne leur permettrait pas de connaître avec précision l'objet de la poursuite. Ils distinguent ainsi, la rumeur d'une liaison relayée par un journal satirique, une relation intime entre l'appelant et [R] [E], un portrait de l'appelant présenté comme un « don Juan », un parallèle avec le film Jules et Jim et les conséquences de cette relation sur un lien créé entre [D] [C] et [N] [W].
L'appelant fait sienne la motivation du tribunal dans la présente espèce, rappelant encore une autre décision du même tribunal en date du 28 janvier 2013, visant le même passage du livre, mais à la demande de [R] [E].
La cour adoptera également cette motivation, en constatant que le découpage du propos par les intimés est artificiel, s'agissant de la déclinaison d'un fait unique visé par la citation, soit la relation adultère supposée de [D] [C]. L'exception soulevée sera donc à nouveau rejetée.
Au fond,
Sur la nature du propos poursuivi,
Les intimés, à leur tour, s'appuient sur la motivation du premier juge pour exclure que le propos ait un caractère diffamatoire en raison de l'évolution des moeurs et du regard porté par notre société sur l'adultère. Il font valoir, en outre, de façon peu convaincante ,que leur texte ne mentionne pas expressément les mots « adultère » ou « double vie », alors que quel que soit le terme employé, c'est bien de l'existence de liaisons hors mariage dont il est fait état dans le texte en cause ;
[D] [C] rappelle la distinction qu'en1819, [J] proposait entre l'atteinte à la considération, qui serait objective et l'atteinte à l'honneur qui pourrait être subjective. Indépendamment d'une référence qui n'est pas d'une actualité brûlante, il fait encore valoir que la dépénalisation déjà ancienne de l'adultère ,qui en 1975 n'intéressait plus que l'épouse ,observera la cour, est indifférente au fait que le texte litigieux lui prête non seulement d'avoir eu une relation extra conjugale, mais encore situe celle-ci dans une durée qui fait de lui un époux menteur et dissimulateur, ce qu'il considère comme particulièrement attentatoire à son honneur et à sa considération.
Le caractère précis des allégations en cause n'est pas contestable. Cependant, contrairement aux affirmations de l'appelant, les notions d'honneur et de considération au sens de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 ne sont pas appréciées distinctement, mais solidairement. Par ailleurs, les atteintes à celles-ci, au sens du même texte, relèvent d'une acception commune et non de l'appréciation personnelle du plaignant. Le caractère relatif et contingent, de notions qui relèvent de la morale ou du consensus social doit nécessairement être pris en compte par le juge au temps où il statue. En l'espèce, il convient de rappeler que l'absence du caractère diffamatoire de la notion d'adultère a été jugé par cette chambre, au titre du même ouvrage, dont une partie du texte litigieux a été reproduit dans un hebdomadaire. Tel est le sens de son arrêt du 24 septembre 2014.
L'idée soutenue par [D] [C] selon laquelle ce même texte lui imputerait mensonge et dissimulation à l'égard de sa famille, ne résulte nullement des propos litigieux qui se limitent à faire état de ce qu'il était marié et père de famille pendant cette prétendue liaison sans évoquer un quelconque comportement de dissimulation ;
Aussi la cour ne saurait remettre en cause l'appréciation du premier juge, conforme à sa propre analyse. Le jugement déféré sera en conséquence confirmé.
En équité, l'appelant sera condamné à payer à chacun des intimés une somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, les Editions du Moment et [X] [I] étant comme en première instance pris ensemble.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du 5 juin 2013,
Y ajoutant,
Condamne [D] [C] à payer à [U] [M], [L] [F], chacun, les Editions du Moment et [X] [I] pris ensemble, la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT