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03/04/2015 | FRANCE | N°14/01521

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 03 avril 2015, 14/01521


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRÊT DU 03 AVRIL 2015



(n° 2015-94, 15 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 14/01521



Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Novembre 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 12/13183





APPELANTS



Monsieur [N] [I]

Né le [Date naissance 3] 1946 à [Localité 6]

[Adresse 3]>
[Localité 1]



Madame [O] [U] épouse [I]

Née le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 4] (KAZAKHSTAN)

[Adresse 3]

[Localité 1]



Représentés et assistés par Me Mounir AIDI de la SELARL DESSE-C...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2

ARRÊT DU 03 AVRIL 2015

(n° 2015-94, 15 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 14/01521

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Novembre 2013 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 12/13183

APPELANTS

Monsieur [N] [I]

Né le [Date naissance 3] 1946 à [Localité 6]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Madame [O] [U] épouse [I]

Née le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 4] (KAZAKHSTAN)

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentés et assistés par Me Mounir AIDI de la SELARL DESSE-CARMIGNAC, AIDI, avocat au barreau de PARIS, toque : D1708

INTIME

Monsieur [B] [W]

Né le [Date naissance 1] 1943 à [Localité 6]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représenté par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

Assisté de Me Anais FRANÇAIS, de l'AARPI BURGOT-CHAUVET et associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R 123

INTERVENANTE FORCÉE

CPAM DE PARIS

Prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 2]

Défaillante. Régulièrement assignée.

COMPOSITION DE LA COUR :

Madame Anne VIDAL, présidente de chambre, ayant préalablement été entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 26 février 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Anne VIDAL, présidente de chambre

Madame Marie-Sophie RICHARD, conseillère

Madame Isabelle CHESNOT, conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Madame Malika ARBOUCHE

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Anne VIDAL, présidente et par Monsieur Guillaume LE FORESTIER, greffier.

****

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

M. [N] [I], enseignant, qui avait été opéré en 1981 et 1982 par le Dr [B] [W] de kératoplastie transfixante (greffes de cornées), a consulté ce praticien le 31 mars 2005, à la demande du médecin du travail, pour se prononcer sur son état visuel et sur son aptitude à poursuivre ses activités professionnelles. A l'issue de son examen, le Dr [B] [W] s'est félicité de l'état des cornées greffées et des rétines de son patient mais a toutefois préconisé de limiter sa charge d'enseignant à 9 heures par semaine et prescrit une cornéo-topographie. Dans la soirée du 31 mars 2005, M. [N] [I] a ressenti une modification de sa vision et la présence à l''il droit d'une lunule noire en partie inférieure, ce qui l'a amené à téléphoner immédiatement au cabinet du Dr [B] [W] où il a obtenu un rendez-vous en urgence pour le 4 avril suivant. Le Dr [W] a alors diagnostiqué un décollement de rétine et l'a adressé au Dr [Y], chirugien, pour qu'il le reçoive immédiatement. Son état visuel s'étant aggravé, M. [N] [I] a été adressé, par l'intermédiaire d'une amie, au Pr [P], à l'Hôtel [1], qui l'a fait hospitaliser le 5 avril et a pratiqué le lendemain une vitrectomie.

Estimant que le Dr [B] [W] ne l'avait pas correctement pris en charge, M. [N] [I] a obtenu la désignation d'un expert en référé en la personne du Pr [A] [D] et cet expert a conclu à l'absence de symptôme d'alerte lors de la consultation du 31 mars mais à un dysfonctionnement du secrétariat téléphonique confié à un prestataire ayant amené à un retard de diagnostic. Cet expert, qui avait retenu un taux d'IPP de 10% susceptible d'être amélioré par une opération de la cataracte, a été redésigné à la demande de M. [N] [I] en décembre 2009, en raison d'une aggravation de son état, et a conclu qu'il n'y avait pas d'aggravation en lien avec les soins donnés et que le recours à une tierce personne était lié, non seulement à l'aggravation de l'état de l''il droit, mais à la perte d'acuité visuelle de l''il gauche

Suivant acte d'huissier en date du 7 août 2012, M. [N] [I] et Mme [O] [I], son épouse, ont fait assigner le Dr [B] [W], en présence de la CPAM de Paris, devant le tribunal de grande instance de Paris en déclaration de responsabilité et réparation de leurs préjudices.

Par jugement en date du 18 novembre 2013, le tribunal de grande instance de Paris a retenu que le Dr [B] [W] était responsable du retard de diagnostic entre le vendredi 1er avril et le lundi 4 avril, période pendant laquelle le décollement de rétine s'était aggravé, en raison de la réponse inappropriée apportée par la plate-forme téléphonique à laquelle le médecin avait confié son secrétariat, et que le taux de perte de chance du patient de retrouver sa vision antérieure était de 50%. Il a également retenu que le Dr [B] [W] avait manqué à son obligation de conseil lors de la consultation du 4 avril en n'ayant pas recommandé à son patient certaines précautions susceptibles d'éviter une aggravation de son état, et il a considéré que cette faute était à l'origine d'une perte de chance de 25% supplémentaire.

Le tribunal a fixé le préjudice subi par M. [N] [I] à la somme globale de 100.304,60 € et celui de son épouse au titre du préjudice d'accompagnement à la somme de 5.000 € et a donc condamné le Dr [B] [W] par application du taux de perte de chance de 75% à payer la somme de 75.228,45 € à M. [N] [I] et celle de 3.750 € à Mme [O] [I], outre les sommes de 4.000 € au premier et de 1.500 € à la seconde en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [N] [I] et Mme [O] [I] ont interjeté appel de cette décision suivant déclaration en date du 22 janvier 2014.

------------------

M. [N] [I] et Mme [O] [I], aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 20 janvier 2015, demandent à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions non contraires à leurs prétentions et de :

Débouter le Dr [B] [W] de l'ensemble de ses fins et conclusions,

Dire que le retard de diagnostic et les divers manquements du Dr [B] [W] à ses obligations d'information et de conseil lui ont fait perdre une chance de 90% de retrouver sa vision à l'état antérieur au 31 mars 2005,

Donner acte au concluant de ce qu'il a appelé en la cause la CPAM de Paris,

Condamner le Dr [B] [W] à lui payer les sommes suivantes en réparation de ses divers préjudices :

Frais de déplacement : 1.000 €,

Frais du Dr [V] : 900 €,

Tierce personne avant consolidation : 40.702,90 €,

Dépenses de santé futures : mémoire,

Pertes de gains professionnels futurs : 12.143,60 €,

Incidence professionnelle : 1.499.171 €,

Frais de logement adapté : 12.144 €,

Tierce personne échue au 5 juillet 2014 : 983.088 €,

Tierce personne après le 5 juillet 2014 : 109.232 € par an ou 1.560.597 € en capital,

Déficit fonctionnel temporaire ; 2.524 €

Souffrances endurées : 4.000 €,

Déficit fonctionnel permanent 10% : 28.000 €,

Préjudice d'agrément : 15.000 €,

Préjudice esthétique permanent : 5.000 €,

Préjudice sexuel : 10.000 €,

Condamner le Dr [B] [W] à payer à Mme [O] [I] une somme de 15.000 € au titre du préjudice d'accompagnement,

Pour le cas où la cour s'estimerait insuffisamment informée sur les besoins en adaptation du logement et en aide humaine, ordonner une mesure d'expertise confiée à un ergothérapeute et à un expert spécialisé en besoins en tierce personne afin de lui permettre de poursuivre ses importants travaux de recherche et d'élaboration d'un ouvrage,

Confirmer le jugement sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et y ajouter une somme de 5.000 € pour M. [N] [I] et une somme de 1.000 € pour Mme [O] [I].

M. [N] [I] soutient, sur la responsabilité du Dr [B] [W], qu'il appartient au médecin de rapporter la preuve, d'une part, qu'il n'aurait pas commis de faute dans l'organisation de son cabinet et lors de son examen du 4 avril 2005, d'autre part, qu'il ne serait survenu, entre le 31 mars et le 4 avril, aucun élément susceptible d'être à l'origine de son préjudice ; que la responsabilité du Dr [B] [W] résulte :

- d'un retard de diagnostic du fait de la carence du service téléphonique extérieur n'ayant aucune compétence médicale et ayant renvoyé le patient à consulter le lundi 4 avril - alors que le code de déontologie médicale énonce que le recours par le médecin à des tiers nécessite de veiller à la compétence des personnes qui apportent leur concours à la continuité des soins et que le médecin engage sa responsabilité au travers de sa secrétaire,

- de l'absence de tout conseil donné lors de cette consultation comme celui d'éviter de rester debout,

- enfin de toute initiative pour sa prise en charge immédiate par un chirurgien.

Il indique que le lien de causalité entre ces manquements et les préjudices est établi : en effet, la déchirure de la rétine constatée par le Pr [P] le 6 avril était de grande taille et s'est manifestement considérablement agrandie entre le jeudi 31 mars et le lundi 4 avril en fin de journée, ce qui a déterminé une perte de chance de recoller la rétine avec de bons résultats et l'expert a pu retenir qu'en l'absence d'autre étiologie, la baisse visuelle droite inférieure à 1/20ème Parinaud 14 et la cataracte droite étaient des séquelles directes des soins critiqués. Il en conclut que la cour confirmera le jugement en ce qu'il a retenu qu'il était résulté pour lui une perte de chance de 75% de récupérer sa vision antérieure, sauf à porter ce taux à 90%.

Sur son préjudice et ses besoins en tierce personne, il soutient que ses séquelles visuelles actuelles consistent en un déficit fonctionnel permanent qui est passé de 68% à 78%, se traduisant donc par un taux d'IPP de 10% imputable à la faute du Dr [B] [W], mais que cette différence a un retentissement majeur puisqu'il ne peut plus lire, ni travailler, ni donner ses conférences, ni poursuivre ses travaux de recherche ; que, lors de l'expertise de 2007, il avait rejeté l'idée d'une tierce personne en raison de son état d'anosognosie, mais qu'il se trouvait déjà dans un état de dépendance nécessitant l'aide de son entourage ; que, dans son second rapport, l'expert s'est trompé en estimant ses besoins en tierce personne à 3 heures par jour et en retenant que ce recours n'était dû qu'à l'aggravation de l'état de l''il gauche, alors qu'en réalité, c'est la perte de vision de l''il droit à la suite du décollement de rétine qui, mettant l''il gauche à rude épreuve, est à l'origine de la perte quasi-totale de l'acuité visuelle de l''il gauche en 6 ou 7 semaines seulement ; que l'expert, qui avait noté, en 2007, que l''il gauche était exempt de cataracte, n'indique pas, dans son second rapport, si « l'aggravation » de l'état de l''il gauche n'est pas en relation avec la dégradation de l''il droit ; que la Cour de cassation affirme le droit de la victime à obtenir l'indemnisation de son préjudice corporel sans déduction en raison d'une prédisposition pathologique lorsque l'affection qui en est issue n'a été provoquée ou révélée que par le fait dommageable ; qu'avant le 31 mars 2005, il était malvoyant catégorie 1 (déficience visuelle moyenne), alors que depuis, il est atteint de cécité de catégorie 3 (déficience visuelle profonde) ; que c'est donc à tort que le tribunal a rejeté sa demande fondée sur le besoin d'une assistance par tierce personne.

Il ajoute que les besoins en tierce personne ne doivent pas être circonscrits uniquement aux besoins de la vie quotidienne mais doivent être étendus à tout ce qui permet à la victime de maintenir sa vie sociale ; or, il poursuivait des travaux de recherche et de réalisation d'un ouvrage de Langue Française de grande ampleur ; il est donc justifié de retenir 6 heures par jour pour les actes de la vie quotidienne et 8 heures par jour pour l'activité intellectuelle.

Il sollicite par ailleurs l'indemnisation du poste incidence professionnelle en faisant valoir qu'il a perdu toute possibilité d'être reconnu à la hors classe des professeurs certifiés, voire au corps des professeurs agrégés, et qu'il était en situation d'obtenir un poste au ministère des Affaires Etrangères, soit une perte de chance de 90% de bénéficier d'un traitement supérieur de 251.866 € par an jusqu'à sa retraite (soit pendant 6 ans = 1.511.196 €). Il y ajoute une perte de chance de bénéficier d'une retraite supérieure de 10.000 € par an, soit après application du coefficient viager de la Gazette du Palais 2013 à 65 ans, un capital de 154.550 €.

Il réclame l'indemnisation de son déficit fonctionnel permanent en tenant compte de ce que le taux de 10% retenu par l'expert est venu aggraver un état antérieur, ce qui justifie la majoration du point à 2.800 €.

Mme [O] [I] justifie sa demande d'indemnisation de son préjudice d'accompagnement en soulignant l'état de dépendance de son époux qui fait qu'elle est devenue « une femme guide d'un malvoyant ».

Le Dr [B] [W], en l'état de ses écritures signifiées le 13 juin 2014, demande à la cour de recevoir son appel incident et de :

A titre principal,

Infirmer le jugement en ce qu'il a retenu des fautes de sa part et dire que M. [N] [I] n'établit pas le caractère fautif du retard dans le diagnostic et qu'aucun défaut d'information ne peut être reproché au concluant,

Débouter en conséquence M. [N] [I] de toutes ses demandes,

A titre subsidiaire,

Infirmer le jugement en ce qu'il a retenu une perte de chance et dire que M. [N] [I] n'établit pas l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre le retard de diagnostic et les préjudices allégués,

Débouter en conséquence M. [N] [I] de toutes ses demandes,

A défaut, ordonner une nouvelle expertise et donner pour mission à l'expert d'évaluer les préjudices en lien de causalité avec le retard de diagnostic,

A titre très subsidiaire,

Dire que le retard de diagnostic ne pourrait être à l'origine que d'une perte de chance dont le taux doit être apprécié en tenant compte de la faible probabilité d'aggravation du préjudice entre le 1er et le 4 avril 2005,

Confirmer le jugement dans l'évaluation des préjudices, à l'exception des pertes de gains professionnels futures, du préjudice professionnel, des souffrances endurées et du préjudice d'accompagnement de Mme [O] [I] qui doivent faire l'objet d'un rejet,

Débouter M. [N] [I] et Mme [O] [I] du surplus de leurs demandes et réduire à de plus justes proportions l'indemnité réclamée en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Il soutient pour l'essentiel :

Sur la faute : il n'a commis aucune faute lors de la consultation du 31 mars ; lors de l'appel téléphonique du 1er avril, il a été répondu à M. [N] [I], en l'absence du Dr [B] [W], de consulter rapidement, ce qui est une attitude conforme, et la preuve d'une réponse inappropriée n'a pas été rapportée ; le Dr [B] [W] a reçu son patient dès le 4 avril, a diagnostiqué le décollement de rétine et a adressé M. [N] [I] au Dr [Y] qui l'attendait le même jour ; le patient était parfaitement informé de l'urgence de la situation et il ne peut être fait grief au médecin de ne pas lui avoir remis une fiche d'information, cette fiche étant en principe remise par le chirurgien ;

Sur le lien de causalité : rien ne permet de retenir que les séquelles du décollement de rétine auraient été moins importantes si le diagnostic avait été posé plus précocement ; en effet, le Pr [A] [D] indique dans son rapport de 2007 que les soins opératoires et leurs suites n'ont pas été affectés par le retard et exclut, dans son rapport de 2010, tout lien entre l'aggravation des séquelles ophtalmologiques et le retard de diagnostic ; en outre, l'intervention ayant été réalisée moins de dix jours après le début du décollement, il n'y a pas eu de perte de chance de guérison et, en l'espèce, la perte d'acuité visuelle de l''il droit est liée à la déformation du greffon cornéen qui avait déjà entraîné une baisse d'acuité importante et évolutive et une cataracte de l''il droit ;

Sur la nécessité d'une nouvelle expertise : le rapport du Pr [A] [D] manque de clarté et comporte des incohérences puisqu'il retient l'existence d'un certain nombre de postes de préjudices et ne distingue pas les séquelles imputables exclusivement au retard de diagnostic de celles découlant du décollement de rétine ;

Sur les préjudices : M. [N] [I] ne peut prétendre à la prise en charge d'un état séquellaire imputable pour sa plus grande partie à un état antérieur conséquent (68% d'IPP) et à son évolution (dégradation de l''il gauche); sur la tierce personne : lors de la première expertise, M. [N] [I] a déclaré n'avoir eu recours à aucune tierce personne depuis sa consolidation et les devis établis en 2012 tiennent compte des conséquences de l'aggravation de sa cataracte ; en outre, M. [N] [I] ne peut réclamer plus de 2 heures par jour d'assistance dans les actes de la vie courante ; sur l'incidence professionnelle : aucune pièce n'établit la possibilité d'une nomination à l'ambassade de France en Afghanistan, M. [N] [I] n'exerçant plus aucune mission auprès des Nations Unies depuis 2002 ; sur le préjudice d'agrément : M. [N] [I] n'établit pas la pratique d'activités sportives avant l'accident et l'installation d'une cataracte bilatérale aurait en tout état de cause rendu cette pratique très hypothétique.

La CPAM de Paris, bien que régulièrement assignée à personne habilitée le 21 août 2014, n'a pas comparu.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 5 février 2015.

MOTIFS DE LA DECISION :

Considérant qu'il ressort des opérations d'expertise menées en 2007 par le Pr [A]-[D], au regard des déclarations des parties et des pièces du dossier médical, les éléments suivants :

M. [N] [I] a consulté le Dr [B] [W] le jeudi 31 mars 2005 à la demande de la médecine du travail pour statuer sur ses futures activités professionnelles, l'intéressé présentant depuis plusieurs années une baisse progressive de son acuité visuelle l'ayant amené, au cours de l'année 2004-2005, à un allégement de ses horaires de travail d'enseignant ; lors de cette consultation, le Dr [B] [W] relevait que l'acuité visuelle de l''il droit et de l''il gauche était inférieure ou égale à 1/10ème P12 et prescrivait une réduction de la charge horaire d'enseignement hebdomadaire à 9 heures ;

- M. [N] [I] rappelait le Dr [W] le soir même en raison de la survenance d'une lunule noire en partie inférieure de l''il droit mais ce dernier considérait que la difficulté signalée était dûe à la dilatation de la pupille ; devant la persistance de ce problème, le patient rappelait le cabinet du médecin à plusieurs reprises le vendredi 1er avril, mais, le Dr [B] [W] étant absent de son cabinet, il lui était répondu par le secrétariat téléphonique de « rappeler lundi », le Dr [B] [W], contacté par son secrétariat indiquant, quant à lui, avoir donné pour consigne de « consulter rapidement » ;

- lors de la consultation donnée en urgence le lundi 4 avril, le Dr [B] [W] diagnostiquait un décollement de rétine de l''il droit avec déchirure sur 12h et invitait son patient à consulter le Dr [Y], chirurgien, auquel il adressait un courrier ; les parties sont en opposition sur le fait que le Dr [W] aurait fait téléphoner par sa secrétaire au chirurgien pour qu'il reçoive M. [N] [I] le jour même ;

- M. [N] [I] a été hospitalisé à l'Hôtel [1] le mardi 5 avril, sur l'intervention du Dr [G], et opéré par le professeur [P] le mercredi 6 avril ; il était alors constaté une déchirure unique de grande taille sur le méridien de 12h et il était procédé à un traitement par vitrectomie, laser et gaz permettant une réapplication relative après repos mais laissant subsister un petit trou atrophique sur 6h ;

- A la suite des soins et traitements reçus, M. [N] [I], consolidé le 6 juillet 2005, présentait, lors de son examen par l'expert, le 17 juillet 2007, une baisse visuelle droite inférieure à 1/20ème Parinaud 14 ; son état antérieur correspondait à un taux d'IPP de 68%, son IPP lors de l'expertise de 2007 était fixée au taux de 78%, la différence, soit 10%, correspondant donc aux séquelles du décollement de rétine et de son traitement ;

Que lors de sa seconde expertise réalisée à la suite d'un examen du 6 avril 2010, l'expert a constaté une baisse de l'acuité visuelle des deux yeux résultant d'une aggravation de la cataracte bilatérale depuis la date du précédent rapport et a indiqué, d'une part que l'état du patient pourrait nécessiter des soins futurs (chirurgie de la cataracte), d'autre part qu'il justifiait le recours à une tierce personne à raison de 3 heures par jour ;

Sur la responsabilité du Dr [B] [W] dans l'aggravation de l'état visuel de M. [N] [I] depuis le 31 mars 2005 :

Considérant qu'en application de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les professionnels de santé, tenus d'apporter à leurs patients des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science à la date de leur intervention, sont responsables des conséquences dommageables de leurs actes de soins en cas de faute prouvée, la victime devant établir l'existence d'un manquement du praticien à son obligation de moyens en lien de causalité direct et certain avec le dommage subi ;

Qu'aux termes de l'article L 1112-1 du code de la santé publique, le médecin est tenu à l'égard de son patient d'une obligation d'information sur son état et sur les traitements qui sont envisagés et que la preuve, par tous moyens, du respect de cette obligation lui incombe ;

Considérant qu'il a été justement retenu par le tribunal qu'aucune faute ne pouvait être reprochée au Dr [B] [W] lors de la consultation du 31 mars 2005, l'expert ayant affirmé qu'il n'y avait alors aucun symptôme d'alerte à type de flash visuel, de corps flottant ou de modification du champ visuel permettant de suspecter un risque imminent de décollement de rétine chez le patient et que les moyens du diagnostic de cette pathologie avaient été mis en 'uvre par le médecin avec examen rétinien au verre à trois miroirs ; que cette disposition n'est pas discutée en appel ;

Considérant que c'est également à juste titre que les premiers juges ont considéré que le Dr [B] [W] devait être tenu pour responsable du retard de consultation et du retard de diagnostic du décollement de rétine en résultant entre le 1er avril et le 4 avril ; qu'en effet, l'expert indique : « la perception d'une lunule noire dans le champ visuel inférieur chez un myope fort, alors qu'il n'existait pas avant l'examen du 31 mars 2005, était un signe d'alarme nécessitant un nouvel examen. Il a d'ailleurs été reconnu comme tel par le défendeur lorsqu'il a été contacté par son secrétariat téléphonique le vendredi 1er avril puisqu'il a déclaré « le patient doit consulter ». ;

Que c'est en l'état de la réponse d'attente donnée le 31 mars par le Dr [W] (qui pensait que le problème rencontré par M. [N] [I] était dû à la dilatation de la pupille et qui n'a pas alerté son patient sur les suites à donner et les précautions à prendre en cas de persistance du phénomène) et de la réponse donnée le 1er avril par la plate-forme téléphonique de son cabinet (« Rappelez lundi »), que M. [N] [I] a attendu quatre jours avant d'être examiné, pendant lesquels il a vaqué à ses occupations professionnelles, sans aucune précaution particulière ; que l'expert écrit à cet égard : « Le manque de précision sur les modalités de cette consultation urgente, l'indisponibilité du défendeur ont conduit le demandeur à devoir attendre 4 jours supplémentaires avant que le bon diagnostic ne soit réalisé. Si le décollement de rétine avait été diagnostiqué le vendredi 1er avril 2005, il aurait pu être managé pour éviter son aggravation, avant le 5 avril.» ;

Que c'est en vain que le Dr [B] [W] se retranche derrière le fait qu'il aurait indiqué, interrogé le 1er avril par son standard téléphonique, que le patient devait consulter rapidement et qu'il émet, dans ses écritures, un doute sur la nature exacte de la réponse donnée par celui-ci à M. [N] [I], alors, d'une part, que toute autre réponse que celle énoncée par le patient l'aurait inévitablement amené à consulter en urgence un autre praticien et à ne pas attendre le lundi, comme il l'a fait, pour rappeler son cabinet, d'autre part, que le médecin est tenu, en application des dispositions de l'article 71 du code de déontologie médicale (reprises à l'article R 4127-71 du code de la santé publique), de veiller à la compétence des personnes qui lui apportent leur concours dans la continuité des soins et qu'il est responsable de la réponse inappropriée donnée à son patient  téléphoniquement par sa secrétaire ou le personnel lui en tenant lieu ;

Considérant que M. [N] [I] fait par ailleurs grief au Dr [B] [W] de ne pas l'avoir suffisamment informé sur son état, lors de la consultation du lundi 4 avril, de ne pas lui avoir donné les recommandations nécessaires pour éviter une aggravation de son état et de lui avoir laissé le soin de prendre lui-même contact avec le chirurgien, ce qui est à l'origine d'un retard supplémentaire dans sa prise en charge ;

Que force est de constater, en lecture du rapport d'expertise, que si le Dr [B] [W] a effectivement, lors de la consultation du 4 avril 2005, diagnostiqué immédiatement et sans défaut le décollement de rétine sur l''il droit en notant qu'il s'agissait d'une déchirure sur 12h, il l'a adressé au Dr [Y] en lui remettant une simple lettre, sans lui donner les conseils indispensables pour éviter une aggravation de son état et en le laissant repartir par ses propres moyens malgré l'état altéré de sa vision ; que, certes, le Dr [W] soutient avoir fait téléphoner au Dr [Y] par sa secrétaire, mais que cette affirmation est contestée par M. [N] [I] et qu'il n'est apporté aucun élément venant la conforter ; que l'état de M. [N] [I] justifiait en tout état de cause une prise en charge immédiate et des précautions particulières qui n'ont pas été prises par le Dr [W], l'expert indiquant en effet : « le décollement de rétine reghmatogène diagnostiqué le 4 avril 2005 nécessitait un traitement chirurgical urgent. » et précisant : « un décollement bulleux supérieur s'aggrave sous l'effet de la gravité chez un patient en position debout. C'est la raison pour laquelle, il convient de le positionner convenablement tête plus basse que les pieds avant l'intervention chirurgicale. » ;

Considérant que ces retards fautifs dans la prise en charge du décollement de rétine de M. [N] [I] ont généré pour ce dernier une perte de chance d'éviter une aggravation de son état et de recouvrer - grâce au traitement mis en place (vitrectomie, endolaser et injection de gaz C2F6) dont l'expert indique qu'il était parfaitement justifié - l'acuité visuelle de l''il droit qui était la sienne le 31 mars 2005, soit ème ;

Que l'expert judiciaire retient en effet : « Dans l'hypothèse où le décollement de rétine eût été diagnostiqué le vendredi 1er avril 2005, il aurait pu être managé pour éviter son aggravation par un positionnement tête plus basse que les pieds, comme cela a été réalisé à l'Hôtel [1] et ce avant le 5 avril 2005. » et qu'il précise à cet égard, en réponse à un dire : « le décollement de rétine s'est constitué et aggravé pendant quatre jours, responsable d'un effondrement de la vision de l''il droit (..) » mais également : « le taux de succès habituel d'une chirurgie du décollement de rétine sans état antérieur est élevé ; la fiche d'information SFO nous dit que ''les complications sévères sont rares''. L'expert considère que compte tenu de l'état antérieur du demandeur, ses chances de restitution de la vision (à l'état antérieur) après opération du décollement de rétine n'étaient pas inférieures à 75%. Un retard au traitement diminue les chances de restitution de la vision après la chirurgie. Si l'on considère que seul le retard au diagnostic est imputable au défendeur pour l'aggravation visuelle droite, l'expert évalue la perte de chance à cinquante pour cent. » ;

Qu'en l'état de ces éléments, il y a lieu de retenir que les fautes commises par le Dr [B] [W], directement à l'origine du retard de prise en charge de M. [N] [I] et de l'aggravation du décollement de rétine, lui ont fait perdre une chance de rétablissement de 50% par rapport à une prise en charge précoce et que la responsabilité du Dr [W] doit être retenue à hauteur de 50% du préjudice subi, sans qu'il puisse être distingué, comme l'ont fait les premiers juges entre la perte de chance résultant du retard de consultation et celle résultant du défaut d'information et de précautions au cours de cette consultation ;

Sur la réparation des préjudices :

Considérant que, dans son premier rapport, déposé à la suite de l'examen de M. [N] [I] réalisé le 17 juillet 2007, l'expert a retenu :

- une date de consolidation au 6 juillet 2005,

- un taux d'IPP de 10%, par différence entre le taux d'invalidité existant au 31 mars 2005 (68%) et celui constaté à la date de son examen (78%) en raison de l'acuité visuelle de l''il droit passée de 1/10ème à ème,

- l'absence de nécessité du recours à une tierce personne, bien que M. [N] [I] ait indiqué être dépendant de son entourage,

- une ITT de 90 jours correspondant aux suites de l'intervention,

- des souffrances endurées évaluées à 1,5/7 correspondant aux souffrances endurées par une chirurgie vitro-rétinienne et aux douleurs pendant 36 heures post-opératoires,

- l'absence de préjudice esthétique ;

Que l'expert a précisé que le demandeur avait déclaré l'arrêt des rapports sexuels dans son couple et avoir cessé le tennis depuis 2004 ; qu'il a indiqué que l'état de M. [N] [I] était susceptible d'aggravation en raison de l'évolution de la cataracte de l''il droit mais qu'une solution chirurgicale par phacoexérèse avec mise en place d'un implant cristallinien était possible ;

Que, dans son second rapport, rédigé après un nouvel examen de M. [N] [I] réalisé le 6 avril 2010, le Pr [A] [D], a constaté une aggravation de l'état visuel du patient ; qu'il a noté que l'aggravation de cet état était due, pour l'essentiel, à la dégradation de la vision de l''il gauche en lien avec son état antérieur (myopie forte sur un 'il opéré de kératoplastie transfixiante) et pour partie seulement à l'aggravation de la cataracte de l''il droit elle-même en lien avec l'état antérieur (myopie forte et opération de kératoplastie transfixiante) et avec la vitrectomie-gaz nécessaire pour le traitement du décollement de rétine, ajoutant « mais cette cataracte n'est pas à rapporter à un défaut ou à un retard au diagnostic de ce décollement de rétine droit. » et qu'il en a déduit : « il n'existe pas d'aggravation par rapport au précédent rapport », ce qui signifie que l'aggravation constatée n'est pas en lien avec l'intervention fautive du Dr [B] [W], objet du premier rapport ;

Considérant qu'il convient, avant d'examiner le préjudice de M. [N] [I] poste par poste, de rappeler que celui-ci ne peut prétendre, au titre de la perte de chance dont il a été victime, qu'à la réparation, dans la proportion de 50%, des séquelles de l'intervention résultant du retard de prise en charge, en écartant, d'une part l'état séquellaire imputable à son état antérieur - qui, contrairement à ce qui est soutenu par l'appelant n'était pas une simple prédisposition mais une véritable incapacité partielle chiffrée par l'expert à 68% et justifiant une réduction de son activité professionnelle - d'autre part les aggravations de son état visuel relevées en 2010 dès lors qu'elles ne sont pas en lien direct et certain avec le retard de diagnostic et de prise en charge du décollement de rétine ;

Considérant qu'au regard de ces éléments qui donneront lieu à des développements particuliers pour certains postes de préjudice, le préjudice de M. [N] [I] en lien de causalité avec le retard de diagnostic du décollement de rétine peut être évalué comme suit, étant considéré que la date de consolidation à retenir est celle du 6 juillet 2005 puisque l'expert a écarté toute aggravation postérieure de l'état de santé de M. [N] [I] en lien avec la prise en charge du décollement de rétine :

Préjudices à caractère patrimonial :

A/ Préjudices à caractère temporaire :

1°) frais divers :

Ces frais, autres que les frais médicaux restés à la charge de la victime, sont fixés en fonction des justificatifs produits. C'est à juste titre que le tribunal a alloué à M. [N] [I] une somme de 900 € correspondant aux honoraires du médecin conseil de la victime, le Dr [V], mais qu'il a rejeté, à défaut de tout justificatif, la somme de 1.000 € réclamée de manière forfaitaire au titre de frais de transport.

2°) tierce personne jusqu'à la consolidation :

Il s'agit de l'indemnisation de l'aide apportée à M. [N] [I] jusqu'au 6 juillet 2005, soit pendant 96 jours. L'indemnisation de ce poste de préjudice n'est pas subordonnée à la production de justificatifs et n'est pas réduite en cas d'assistance bénévole par un membre de la famille.

L'expert a retenu que la réapplication de la rétine avait nécessité du repos et qu'il doit en être déduit que l'état de santé de M. [N] [I] jusqu'à sa consolidation justifiait l'assistance d'une tierce personne pour les actes de la vie quotidienne qui peut être évaluée sur la base de 3 heures par jour 7 jour sur 7, soit pour la période de 96 jours ayant couru avant la consolidation, à 288 heures. Il sera donc alloué à M. [N] [I], en retenant un taux horaire de 16 €, une somme de 4.608 €.

3°) pertes de gains professionnels actuelles :

M. [N] [I] n'a subi aucune perte de salaire entre le 31 mars 2005 et le 6 juillet 2005 et ne réclame aucune indemnisation de ce chef.

B/ Préjudices permanents :

1°) pertes de gains professionnels futures :

Ce poste de prejudice correspond à la perte ou à la diminution des revenus consécutive à l'incapacité permanente à compter de la date de consolidation.

En l'espèce, il doit être retenu que M. [N] [I], fonctionnaire du Ministère des Affaires Etrangères, titularisé en 1987 au Ministère de l'Education Nationale dans le corps des adjoints d'enseignement puis dans le corps des professeurs certifiés, détaché pendant quelques années à l'ONU, âgé de 58 ans au moment de son accident de santé, occupait alors un poste de professeur certifié de lettres modernes au rectorat de [Localité 5]. Il a été placé à partir du 5 avril 2005 en congé longue maladie donnant lieu à sa rémunération à plein traitement jusqu'au 4 avril 2008, soit pendant 3 années, puis à mi-traitement jusqu'au 6 décembre 2008, date de son admission à la retraite, à l'âge de 62 ans. Il justifie, par la production de ses bulletins de salaire d'avril à décembre 2008, d'une perte de revenus pendant cette période correspondant au montant des traitements versés et calculés au taux de 50%, soit la somme de 11.679,21 €.

2°) Incidence professionnelle :

Ce poste de préjudice a pour objet d'indemniser, non la perte de revenus liée à l'invalidité, mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à l' obligation de devoir abandonner la profession qu'elle exerçait avant le dommage pour en exercer une autre ou prendre une retraite anticipée en raison de la survenance de son handicap. Il inclut la perte de chance de la victime de bénéficier d'une évolution de carrière plus favorable ou d'une meilleure retraite.

En l'espèce, M. [N] [I] sollicite la réparation, au titre de l'incidence professionnelle, du préjudice financier résultant de la perte de chance d'évolution professionnelle et du préjudice moral né de son exclusion du monde du travail. Il soutient qu'il aurait perdu toute chance de reprendre un poste en détachement à l'étranger et qu'il aurait ainsi été privé d'une augmentation de sa rémunération de l'ordre de 251.000 € par an. Mais il ne démontre pas l'existence d'une perte de chance sérieuse d'obtenir le poste de conseiller de coopération et d'action culturelle à l'ambassade de France en Afghanistan dont il fait état. En effet, les attestations de M. [C], secrétaire des affaires étrangères honoraire, et de M. [M] [S], ancien ambassadeur de France en Russie, indiquent seulement que M. [N] [I] possédait les qualités requises, au regard de son expérience et de ses connaissances, pour briguer ce poste mais ne suffisent pas à établir que celui-ci avait l'intention de candidater sur ce poste - qui n'a été pourvu qu'en octobre 2007 - alors que l'étude de son CV permet de noter que M. [N] [I] avait fait le choix de revenir en France en novembre 2002, date à laquelle il avait été placé en situation de mise en disponibilité pour convenance personnelle avant d'exercer comme professeur en quartier sensible jusqu'à la date de son accident, que sa vision bilatérale avait subi, depuis 1999 et jusqu'au 31 mars 2005, une dégradation progressive conséquente puisque son acuité visuelle n'était plus à cette date que de 1/10ème à chaque 'il, que cet état de santé avait justifié l'avis du Dr [B] [W], sur la sollicitation du médecin du travail, de réduire très sensiblement son activité professionnelle qui devait être limitée à 9 heures de cours hebdomadaire et enfin qu'en 2007 sa vision de l''il gauche s'était encore détériorée en raison de l'aggravation de la cataracte, sans lien retenu avec le décollement de rétine de l''il droit. Les autres attestations ajoutées au dossier devant la cour n'apportent pas d'éléments plus précis sur la perte de chance alléguée. Il ne pourra donc pas être fait droit à la demande chiffrée de M. [N] [I] calculée sur la base d'une perte de revenus de 251.000 € pendant 6 années et d'une incidence sur la retraite de 10.000 € par an.

C'est cependant à juste titre que le tribunal a admis que la baisse brutale d'acuité visuelle et l'impossibilité dans laquelle M. [N] [I] s'était trouvé, après le 31 mars 2005, de lire le journal, de travailler sur ordinateur et de donner des cours ou des conférences, avait provoqué un basculement de sa vie et l'avait empêché de poursuivre brillamment sa carrière - compte tenu des attestations extrêmement laudatives sur ses capacités professionnelles - jusqu'à l'âge normal de sa retraite, à quoi il convient d'ajouter l'impossibilité de mener à bien, au-delà même de cet âge, ses travaux de recherche et de rédaction d'un ouvrage sur la Langue Française.

Au regard de ces éléments, l'indemnisation du préjudice professionnel subi par M. [N] [I] doit être évalué à la somme de 100.000 €.

3°) frais de logement adapté :

M. [N] [I] produit deux devis de travaux, l'un du 25 février 2010 d'un montant de 1.899 € correspondant à la création d'une mezzanine en bois dans la cave et d'une étagère au 6ème étage, l'autre du 25 janvier 2012 d'un montant de 11.647,20 € correspondant à la transformation de la salle de bains et de la chambre. Mais, la cour note que ces devis concernent un appartement [Adresse 2], alors que l'adresse déclarée par l'appelant dans ses écritures est [Adresse 3]. Au demeurant, aucun élément ne permet de retenir que les lieux seraient inadaptés au handicap de M. [I] et que les travaux envisagés sont en lien direct avec celui-ci. La demande de M. [N] [I] sera donc rejetée.

4°) tierce personne après consolidation :

Dans son premier rapport, déposé en 2007, le Pr [A] [D] n'a pas retenu de besoin en tierce personne, précisant dans sa réponse aux dires des avocats que le recours à tierce avait été rejeté par le demandeur.

M. [N] [I] soutient que ce rejet aurait été le fait de son anosognosie et de son déni des troubles, alors que la réalité était, dit-il, toute autre et qu'il était totalement dépendant de son entourage. Ce déni aujourd'hui allégué est cependant contredit par les doléances présentées de manière très précise et très circonstanciée par le demandeur à l'expert qui écrivait ainsi : « Le demandeur se plaint actuellement du fait de sa mauvaise vision de ne plus pouvoir lire le journal, ne plus pouvoir travailler sur ordinateur, ne plus pouvoir donner de conférences et donc ne plus avoir de possibilités de reprendre son activité au sein du Ministère des Affaires Etrangères et n'avoir aucune possibilité de reconversion professionnelle. Il déclare également que cet état de malvoyance a bouleversé sa vie sociale (pièce 23), il ne reçoit plus, il a cessé depuis 3 ans toute activité sportive, en particulier le tennis. Ses relations familiales ont été altérées, il est devenu dépendant de son entourage, il a cessé ses relations sexuelles avec son épouse.'

En outre, l'expert a constaté lui-même, lors des opérations d'expertise, ainsi qu'il l'indique précisément dans sa réponse aux dires du 21 décembre 2007 : 'Le demandeur a pu se déplacer, se mouvoir, accomplir seul les actes de la vie quotidienne, certes avec difficultés, mais ne nécessitant pas le recours à une tierce personne. L'examen de la pièce 23 relève les difficultés mais pas d'impossibilité dans la vie quotidienne, hormis celle d'utiliser un ordinateur.'

Si, dans son second rapport d'expertise, déposé en fin de l'année 2010, le Pr [A] [D] a constaté que l'état de M. [N] [I] justifiait le recours à une tierce personne 3 heures par jour tous les jours pour l'assister dans les actes de la vie quotidienne, il a relié cette nécessité à l'aggravation de l'état visuel de l'oeil gauche en lien avec l'état antérieur (forte myopie sur oeil opéré de kératoplastie transfixiante). Il a, certes, imputé partiellement ce besoin en tierce personne à l'aggravation de l'état visuel de l'oeil droit mais il a précisé que cette aggravation n'était elle-même pas en lien avec la faute reprochée au Dr [B] [W] puisqu'il écrivait : 'La cataracte de l'oeil droit s'est également aggravée, elle est liée en partie à l'état antérieur avec myopie forte et la kératoplastie transfixiante et d'autre part à la vitrectomie-gaz pour traiter le décollement de rétine. Mais cette cataracte n'est pas à rapporter à un défaut ou à un retard au diagnostic de ce décollement de rétine droit.' et qu'il ajoutait, concernant le traitement par vitrectomie-gaz : 'Rien ne permet de dire que les moyens de l'intervention eussent été différents si M. [I] avait été vu plus tôt. Au contraire, la technique de vitrectomie-gaz est utilisée pour traiter un décollement de rétine bulleux supérieur chez un myope fort du fait des difficultés de positionner une indentation externe sur un globe long avec une sclère plus mince que la normale chez le myope fort.'

En l'état des constatations et des indications techniques très précises de l'expertise, il doit donc être retenu que la tierce personne dont M. [N] [I] a besoin à ce jour n'est pas en lien de causalité avec le retard de prise en charge du décollement de rétine par le Dr [B] [W] et il y a lieu de rejeter ses demandes sur ce poste de préjudice.

Préjudices à caractère extra-patrimonial :

A/ Préjudices à caractère temporaire :

1°) déficit fonctionnel temporaire :

L'expert a retenu que le déficit fonctionnel lié à l'intervention chirurgicale de décollement de rétine était de 90 jours. M. [N] [I] réclame l'indemnisation de ce préjudice à hauteur d'une somme de 2.524 € qui lui a été allouée par le tribunal. Le Dr [B] [W] ne conclut pas à la réformation sur ce poste de préjudice.

2°) souffrances endurées :

L'expert a estimé les souffrances résultant d'une chirurgie vitréo-rétinienne sous anesthésie loco-régionale et les douleurs pendant les 36 heures suivant l'intervention à 1,5 sur une échelle de 7 mais il doit être retenu que ces douleurs auraient été les mêmes indépendamment du retard de diagnostic, comme l'a indiqué l'expert dans sa réponse aux dires du 21 décembre 2007. Il y a lieu cependant de tenir compte des souffrances morales subies par M. [N] [I] du fait des conditions de l'intervention en urgence et de l'inquiétude générée par l'aggravation de la déchirure de la rétine. Il convient d'indemniser ce préjudice en allouant à M. [N] [I] une somme de 1.500 €, ainsi que justement évalué par le tribunal.

B/ Préjudices permanents :

1°) déficit fonctionnel permanent : 10%

Il s'agit, pour la période postérieure à la consolidation, de la perte de qualité de vie, des souffrances après consolidation et des troubles ressentis par la victime dans ses conditions d'existence (personnelles, familiales et sociales) du fait des séquelles tant physiques que mentales qu'elle conserve.

L'expert a chiffré à 10% le taux du déficit fonctionnel résultant de la baisse d'acuité visuelle de l''il droit qui s'est rajoutée au déficit dont souffrait déjà M. [N] [I] et qui, contrairement à ce que soutient son conseil, donnait déjà lieu à une inaptitude fonctionnelle évaluée à 68% et était à l'origine de difficultés dans la vie de la victime puisqu'elle l'avait amenée à envisager de réduire son activité professionnelle.

Il sera retenu, compte tenu de l'âge de M. [N] [I] à la date de sa consolidation (59 ans) et de l'impact du déficit visuel supplémentaire sur les conditions d'existence propres à la victime, une valeur du point de 1.400 €, soit une somme de 14.000 €.

2°) Préjudice d'agrément :

Ce poste de préjudice répare l'impossibilité ou la moindre possibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs.

L'expert a retenu que le déficit visuel de M. [N] [I] avait entraîné un repli social et l'arrêt du tennis.

Le tribunal a rejeté la demande de M. [N] [I] de ce chef à défaut de justificatif des activités spécifiques de la victime.

M. [N] [I] produit en cause d'appel des attestations de proches faisant état de ce qu'il pratiquait régulièrement le tennis et de ce que l'interruption de cette activité sportive, comme du ski, est intervenue en avril 2005, ce qui justifie l'indemnisation d'un préjudice d'agrément. Les autres activités dont il dit être privé (spectacles, cinéma, voyages) ressortissent aux troubles dans les conditions d'existence réparés dans le cadre du déficit fonctionnel permanent, pour la part imputable au déficit en lien avec le décollement de rétine.

L'indemnité due à M. [N] [I] du fait de l'interruption de ses activités sportives sera justement évaluée à la somme de 8.000 €.

3°) préjudice esthétique :

Ce poste de préjudice vise à indemniser, non seulement les cicatrices et mutilations mais également le fait pour une victime d'être obligée de se présenter avec une altération de son apparence ou de son expression.

L'expert n'a pas retenu de préjudice esthétique. M. [N] [I] met en avant le fait qu'il est obligé de porter des lunettes noires et de marcher avec une canne blanche. Mais ce n'est que dans son second rapport que l'expert note que le demandeur utilise une canne blanche et porte en permanence des verres teintés pour limiter la photophobie, indiquant que cette situation résulte de l'aggravation de sa cataracte bilatérale, devenue plus dense et survenue, et dont il a été vu plus haut qu'elle était sans rapport avec le retard de diagnostic.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement et de rejeter la demande de M. [N] [I] en réparation d'un préjudice esthétique.

4°) préjudice sexuel :

L'arrêt des rapports sexuels dans le couple rapporté par M. [N] [I] et par son épouse en raison du repli de l'intéressé sur lui-même et de l'impact de son handicap sur la vie conjugale justifie l'attribution d'une indemnité de 8.000 €.

Considérant ainsi que les préjudices subis par M. [N] [I] en lien avec les suites du décollement de rétine dont il a été victime peuvent être évalués à la somme totale de 151.211,21 € et que Dr [B] [W] sera condamné, au regard du taux de perte de chance de 50% retenu du fait du retard de diagnostic et de prise en charge, à lui verser la somme de 75.605,60 € ;

Considérant que le préjudice d'accompagnement souffert par Mme [O] [I] et décrit dans son attestation, constitué par l'inquiétude et le désarroi face à la gravité de l'affection dont était atteint son époux et aux répercussions du retard de prise en charge, a été justement évalué à la somme de 5.000 € par les premiers juges ; que, compte tenu du taux de perte de chance retenu à hauteur de 50%, il y a lieu de condamner Dr [B] [W] à indemniser Mme [O] [I] à hauteur de la somme de 2.500 € ;

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu l'article 696 du code de procédure civile,

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné le Dr [B] [W] à réparer le préjudice subi par M. [N] [I] du fait de la perte de chance de retrouver sa vision à l'état antérieur au 31 mars 2005 à la suite du décollement de rétine de l'oeil droit, sauf à dire que le retard de prise en charge fautif a occasionné à la victime une perte de chance de 50% ;

Le confirme en ce qu'il a fixé le préjudice d'accompagnement subi par Mme [O] [I] à la somme de 5.000 € ;

Le confirme également sur les dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

Le réformant pour le surplus et y ajoutant,

Fixe le préjudice subi par M. [N] [I] à la somme de 151.211,21 € et condamne le Dr [B] [W] à lui payer, après application du taux de perte de chance, une somme de 75.605,60 € ;

Condamne le Dr [B] [W] à payer à Mme [O] [I], après application du taux de perte de chance, une somme de 2.500 € en réparation de son préjudice d'affection ;

Condamne le Dr [B] [W] à payer à M. [N] [I] une somme de 2.500 € et à Mme [O] [I] une somme de 800 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Le condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 14/01521
Date de la décision : 03/04/2015

Références :

Cour d'appel de Paris C2, arrêt n°14/01521 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-04-03;14.01521 ?
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