Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 13 FÉVRIER 2015
(n° 2015- 41 , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 14/11102
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 09 Mai 2014 - Président du TGI de PARIS - RG n° 14/53139
APPELANTE
Madame [Y] [E]
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée et assisté par Me Alain SCHAFIR, avocat au barreau de PARIS, toque : D0186
INTIMÉ
GROUPE HOSPITALIER [2]
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représenté par Me Juliette VOGEL de la SCP HONIG METTETAL NDIAYE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0581
Assisté par Me Nicolas CHAUMIER de la SCP HMN et PARTNERS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0581
COMPOSITION DE LA COUR :
Madame Anne VIDAL, présidente de chambre, ayant été préalablement entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 janvier 2015, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Anne VIDAL, présidente de chambre
Madame Marie-Sophie RICHARD, conseillère
Madame Isabelle CHESNOT, conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Mme Malika ARBOUCHE
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Anne VIDAL, présidente et par Mme Malika ARBOUCHE, greffier présent lors du prononcé.
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Mme [Y] [E], compagne pacsée de [J] [N], décédé le [Date décès 1] 2013 à la suite d'une intervention pour hernie inguinale et d'une anesthésie pratiquées à l'Hôpital [2] le 16 juin précédent, se prévalant de sa qualité de légataire universelle de la quotité disponible de la succession de [J] [N], de sa vie maritale avec le défunt pendant plus de dix ans, a fait assigner le Groupe Hospitalier [2] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris suivant acte d'huissier en date du 11 mars 2014 aux fins d'obtenir, à défaut d'avoir reçu communication du dossier médical du défunt, la désignation d'un expert, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et subsidiairement de l'article 808 du même code, en vue de connaître les causes du décès et de déterminer les responsabilités. Le Groupe Hospitalier [2] a contesté l'intérêt et la qualité à agir de la demanderesse et lui a dénié la qualité d'ayant droit au sens successoral du terme tant que la succession ne serait pas réglée.
Par ordonnance en date du 9 mai 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris a rejeté la demande d'expertise médicale présentée par Mme [Y] [E] en retenant qu'elle est défaillante à démontrer qu'elle a la qualité pour obtenir les pièces médicales nécessaires à l'expert et couvertes par le secret médical et donc la qualité d'ayant-droit du défunt au sens successoral, c'est-à-dire la qualité de successeur légal de celui-ci, le testament olographe qu'elle produit étant à cet égard inopérant à défaut de connaître le règlement de la succession, en présence de deux enfants du testateur.
Mme [Y] [E] a interjeté appel de cette décision suivant déclaration en date du 23 mai 2014.
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Mme [Y] [E], suivant conclusions signifiées le 29 juillet 2014, sollicite l'infirmation de la décision déférée et demande à la cour de faire droit à sa demande d'expertise et de désigner tel médecin expert qu'il lui plaira avec mission de déterminer les causes du décès et apprécier les responsabilités.
Elle soutient qu'elle justifie d'un motif légitime pour demander une expertise sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ; que [J] [N] et elle se sont connus en 2003 et ont vécu ensemble dès 2004, ce qui est attesté par un certificat de concubinage du 16 septembre 2004, qu'ils se sont pacsés le 21 octobre 2009, qu'ils ont pris la décision de se marier et que les bans ont été publiés en décembre 2012 avec l'accord du procureur de la République et après avis du juge des tutelles ([J] [N] ayant été placé sous curatelle renforcée en septembre 2012), qu'ils ont opté pour un contrat de mariage et rédigé réciproquement un testament en faveur l'un de l'autre. Elle ajoute que malgré ce, elle n'a pu obtenir communication par le Groupe Hospitalier [2] du dossier médical de son compagnon et que seule la mesure d'expertise sollicitée lui permettra de connaître les causes du décès et d'obtenir réparation de ses préjudices.
Elle invoque la jurisprudence de la Cour de cassation prévoyant que l'atteinte au secret médical est justifiée pour permettre à chacun de faire valoir ses droits en justice et ajoute que le code de la santé publique prévoit dans son article L 1142-12 alinéa 5 que l'expert désigné en matière d'indemnisation amiable d'accidents médicaux peut obtenir communication de tout document, sans que puisse lui être opposé le secret médical. Elle soutient que la notion d'ayant-droit doit être appréciée au sens large, ainsi que le retient la CADA, et étendue au légataire universel ou à titre universel, sans que l'existence d'héritiers légaux fasse obstacle à la désignation d'héritiers testamentaires. Elle ajoute que les deux filles de [J] [N] ont introduit une instance en nullité du testament dont elle se prévaut et qu'il est inutile de les attraire à la présente procédure compte-tenu de leur hostilité à son égard ; qu'en tout état de cause, elles ont joint à leur assignation un certain nombre de pièces sorties du dossier médical de leur père, de sorte que le secret médical ne lui est plus opposable.
Le Groupe Hospitalier [2], en l'état de ses écritures signifiées le 9 septembre 2014, demande à la cour de :
A titre principal,
Confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
A titre subsidiaire,
Lui donner acte de ses protestations et réserves sur la mesure sollicitée,
Confier l'expertise à un anesthésiste réanimateur et ajouter divers points à la mission de l'expert concernant l'existence d'un risque accidentel inhérent à l'acte médical, la recherche d'éventuelles erreurs, imprudences, maladresses, manques de précaution en pré, per ou post opératoire, à l'origine du décès, la détermination d'une perte de chance d'avoir évité le dommage et l'évaluation du dommage en tenant compte des conséquences normalement prévisibles de la pathologie initiale du patient, à l'exclusion de tout état antérieur et de toute cause étrangère,
Dire que la consignation pour l'expertise sera à la charge de Mme [Y] [E],
Débouter Mme [Y] [E] de toutes ses autres demandes et la condamner à lui verser la somme de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il soutient à titre principal que la notion d'ayant droit du de cujus, au sens de l'article L 1110-4 du code de la santé publique, s'attache au lien juridique et non affectif , qu'il ne peut s'agir que des successeurs légaux du défunt et que la seule qualité de personne liée par un PACS ne donne pas de vocation successorale ; que la production d'un écrit présenté comme un testament olographe du défunt, daté du 9 février 2013 alors que l'intéressé était sous curatelle renforcée depuis novembre 2012 et au surplus contesté par les héritiers légaux, ne suffit pas à établir la qualité d'ayant droit de la demanderesse. Il ajoute que la circonstance que les filles du défunt aient pris l'initiative de produire, dans l'instance en contestation du testament, tout ou partie du dossier médical, ne permet pas de s'affranchir du secret médical dans la présente instance, le Groupe Hospitalier [2] étant lié par le respect du secret médical qui constitue un empêchement légitime opposable aux tiers.
MOTIFS DE LA DECISION :
Considérant qu'il est établi que [J] [N] et Mme [Y] [E] ont vécu en concubinage, ainsi qu'il résulte d'un certificat de concubinage du 16 septembre 2004, avant de conclure un pacte civil de solidarité le 21 octobre 2009 ;
Que [J] [N] a subi une première intervention chirurgicale à la clinique [1] pour une cure de hernie inguinale, le 4 novembre 2011, mais qu'à la suite d'un accident cardiaque, il a été hospitalisé en service de réanimation, transféré à l'Hôpital [2] jusqu'au 28 novembre 2011 puis admis à l'Hôpital de [Localité 3] jusqu'au 5 octobre 2012 en raison des séquelles cognitives et locomotrices de l'encéphalopathie post-anoxique subie le 4 novembre 2011 ;
Que par jugement en date du 29 novembre 2012, le juge des tutelles du tribunal d'instance de Paris 15ème a placé [J] [N] sous curatelle renforcée en retenant que l'intéressé présentait des troubles linguistiques, une mémoire immédiate fragile et des difficultés à la gestion et au traitement d'informations simultanément, suite à son accident cardio-vasculaire, Mme [Y] [E] étant désignée en qualité de curatrice ;
Que [J] [N] a été ré-hospitalisé au Groupe Hospitalier [2] le 16 juin 2013 pour y subir l'intervention de cure de hernie inguinale qui n'avait pu être réalisée en novembre 2011 et qu'il est décédé dans les suites immédiates de cette intervention, le [Date décès 1] 2013 ;
Considérant que Mme [Y] [E] a réclamé au Groupe Hospitalier [2] la communication du dossier médical de [J] [N] mais s'est vu opposer un refus fondé sur les dispositions de l'article L 1110-4 du code de la santé publique ;
Que c'est dans ces circonstances que, se prévalant de sa qualité de concubine et de conjoint pacsé du défunt ainsi que de sa qualité de légataire à titre universel par l'effet d'un testament olographe établi par [J] [N] à son profit le 9 février 2013, Mme [Y] [E] a fait assigner le Groupe Hospitalier [2] devant le juge des référés pour obtenir la désignation d'un expert sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et subsidiairement de l'article 808 de ce code, afin que puissent être recherchées, après communication du dossier médical du défunt, les causes de sa mort et les éventuelles responsabilités ;
Considérant qu'en application de l'article 145 du code de procédure civile qui a seul vocation à s'appliquer au regard de la demande formulée par Mme [Y] [E], à l'exclusion de l'article 808 qui vise les mesures urgentes que justifie l'existence d'un différend, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées par le juge des référés s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir, avant tout procès, la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ;
Que si Mme [Y] [E] justifie d'un intérêt à agir, en sa qualité de concubine pacsée du défunt, la mesure d'instruction dont elle sollicite la mise en place n'est légalement admissible, en ce qu'elle demande que l'expert judiciaire se fasse communiquer l'entier dossier médical de [J] [N], que si la communication de ce dossier ne se heurte pas aux dispositions de l'article L 1110-4 du code de la santé publique ;
Considérant qu'aux termes de l'article L 1110-4 du code de la santé publique, toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant ; que le dernier alinéa de cet article dispose toutefois : « Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès. » ;
Que l'arrêté du 3 janvier 2007 portant modification de l'arrêté du 5 mars 2004 homologuant les recommandations de bonnes pratiques relatives à l'accès aux informations concernant la santé d'une personne précise dans son article 1er, s'agissant de la qualité d'ayant droit, qu'il s'agit des successeurs légaux du défunt, conformément au code civil ; que n'ont ainsi la qualité pour obtenir communication du dossier médical que les personnes désignées par les articles 731 et suivants du code civil comme héritiers ;
Que Mme [Y] [E] se prévaut des avis de la Commission d'Accès aux Documents Administratifs (la CADA) - dont il convient de préciser qu'il s'agit d'avis rendus en matière de communication de documents administratifs opposables aux établissements publics et non aux établissements privés de santé - qui a admis que les personnes susceptibles d'obtenir le dossier médical du défunt, étaient, aux termes de l'article L 1110-4 du code de la santé publique, les ayants droit de la personne décédée, dans la mesure où ces informations leur étaient nécessaires pour connaître les causes de la mort et faire valoir leurs droits, et a considéré, dans un avis du 27 mars 2014, que les personnes bénéficiant de la qualité d'ayants droit sont, en premier lieu, les successeurs légaux du défunt au sens des articles 731 et suivants du code civil mais également, en second lieu, les légataires universels ou à titre universels du défunt désignés par testament, même en présence d'héritiers légaux ;
Qu'il convient toutefois de relever que Mme [Y] [E] ne peut se prévaloir de la qualité d'héritier légal de [J] [N], l'existence de liens affectifs résultant d'un concubinage prolongé et la conclusion d'un pacte civil de solidarité n'emportant aucun droit pour le partenaire dans la succession du défunt ; que par ailleurs, si elle produit un testament en date du 9 février 2013 l'instituant légataire à titre universel de [J] [N], il existe une contestation sérieuse sur sa qualité de légataire au regard, d'une part de la date de rédaction de ce testament, alors que [J] [N] était placé sous curatelle renforcée depuis plusieurs mois, d'autre part la procédure introduite devant le tribunal de grande instance de Paris par les deux filles de [J] [N], Mme [T] [N] épouse [I] et Mme [D] [N] épouse [O], qui sollicitent la nullité de ce testament sur le fondement des articles 470 et 901 du code civil ;
Que dès lors, la mesure d'expertise médicale réclamée par Mme [Y] [E] et comportant au premier chef la communication du dossier médical de [J] [N] ne peut être mise en place que sous réserve de l'autorisation préalable des ayants droit de ce dernier, à savoir ses filles, Mme [T] [N] épouse [I] et Mme [D] [N] épouse [O], lesquelles n'ont pas été sollicitées par la demanderesse et n'ont, volontairement, pas été mises en cause dans la présente instance, en raison du conflit existant entre elles ;
Considérant que c'est en vain que Mme [Y] [E] invoque l'article L 1142-12 alinéa 5 du code de la santé publique qui prévoit la possibilité pour l'expert ou le collège d'experts d'effectuer toute investigation et de demander aux parties et aux tiers la communication de tout document sans que puisse lui être opposé le secret médical ou professionnel, ce texte étant applicable de manière tout à fait dérogatoire dans le seul cadre des expertises ordonnées par les commissions régionales d'indemnisation en matière d'accidents médicaux et n'ayant pas vocation à s'appliquer en l'espèce, s'agissant d'une demande d'expertise judiciaire ;
Considérant que c'est également en vain que Mme [Y] [E] invoque la production par Mme [T] [N] épouse [I] et Mme [D] [N] épouse [O], dans le cadre de la procédure en contestation du testament, de certaines pièces du dossier médical de [J] [N], une telle communication dans une instance distincte n'étant pas de nature à affranchir le Groupe Hospitalier [2] de son obligation légale de respecter le secret médical dû au défunt ;
Considérant que l'ordonnance déférée sera donc confirmée et Mme [Y] [E] déboutée de ses demandes ;
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement,
Confirme l'ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Paris déférée en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [Y] [E] aux dépens d'appel lesquels seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE