Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 16 JANVIER 2015
(n° 2015- , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/15702
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Juin 2013 -Tribunal de Grande Instance de BOBIGNY - RG n° 10/01226
APPELANTS
Monsieur [C] [X]
agissant en qualité de représentant légal de [L] [X]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Madame [G] [X]
agissant en qualité de représentant légal de [L] [X]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentés par Me Frédéric LALLEMENT de la SCP SCP BOLLING - DURAND - LALLEMENT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
Assistés de Me Etienne RIONDET de la SELARL RIONDET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : R024
INTIMES
Monsieur [I] [J]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représenté par Me Diane ROUSSEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0124 substituant Me Hélène FABRE de l'Association Hélène FABRE, Carole SAVARY, Patricia FABBRO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0124
OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MÉDICAUX
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représenté par Me Luca DE MARIA de la SELARL SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Assisté de Me Sylvie WELSCH de la SCP UGGC AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0261
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA SEINE SAINT DENIS
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 3]
[Localité 2]
Défaillante. Régulièrement assignée.
COMPOSITION DE LA COUR :
Madame Anne VIDAL, présidente de chambre, ayant été préalablement entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 novembre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Anne VIDAL, présidente de chambre
Madame Marie-Sophie RICHARD, conseillère
Madame Isabelle CHESNOT, conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Monsieur Guillaume LE FORESTIER
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Anne VIDAL, présidente de chambre et par Monsieur Guillaume LE FORESTIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
L'enfant [L] [X], né prématurément le [Date naissance 1] 2000 au terme de 31 semaines d'aménorrhée et porteur d'un syndrome poly malformatif cardiaque associant une coarctation aortique (rétrécissement de la crosse aortique) et plusieurs communications inter ventriculaires, a subi, dans les semaines suivant sa naissance, plusieurs interventions cardio-vasculaires réparatrices à l'Institut cardio-vasculaire [K] [S] :
Une première intervention pratiquée par le Dr [I] [J] le 11 avril 2000 visant à réparer la coarctation aortique par dissection de l'aorte et du canal artériel à la suite de laquelle l'enfant a présenté une détresse respiratoire en raison d'un chylothorax (présence de lymphe dans le thorax) et le Dr [W] a pratiqué un cathétérisme diagnostique confirmant la recoarctation,
Une nouvelle intervention le 5 mai 2000 pratiquée par le Dr [I] [J] et le Dr [O] [R], en raison de l'échec des tentatives de traitement par dilatation percutanée, intervention ayant permis d'isoler une zone de l'aorte, d'inciser une sténose serrée et de poser un patch de Gore-tex,
Une troisième intervention pratiquée par le Dr [I] [J] le 10 mai 2000 en raison de la récidive du chylothorax.
L'enfant a été transféré à l'Hôpital de [Localité 4] le 12 mai 2000 où il a subi de nombreuses semaines de réanimation avec des séquelles de broncho dysplasie, avant d'être admis au centre hospitalier [2] le 16 octobre 2000, puis dans un centre pédiatrique de la [1], et de regagner le domicile familial le 10 avril 2001.
En raison de signes de recoarctation et après divers examens à l'hôpital [E] [V], l'enfant est adressé au Dr [I] [J] et réhospitalisé le 10 décembre 2001 à l'Institut cardio-vasculaire [K] [S] pour hypertension artérielle du membre supérieur droit liée à la présence d'une récidive serrée de la coarctation et une hypertrophie ventriculaire gauche. Le Dr [I] [J] a pratiqué une nouvelle intervention le 12 décembre 2012 et remplacé le patch de Gore-tex par un patch de péricadre hétérologue plus grand, complétée par une seconde intervention, palliative, le 13 décembre 2002 afin de mettre en place un tube de dacron de 12 mm entre la face latérale droite de l'aorte ascendante et l'aorte descendante sous le pédicule pulmonaire. Dès son réveil, l'enfant a présenté une paraplégie flasque accompagnée d'une incontinence urinaire et a été transféré au Centre hospitalier [E] [V] puis au centre de rééducation de [Localité 6] où il est resté une année.
M. et Mme [X], parents du jeune [L], ont saisi la CRCI d'Ile de France qui, en l'état du rapport d'expertise déposé le 12 juillet 2008 par les Dr [P] et [Z] retenant que le comportement de l'équipe médicale avait été conforme aux données acquises de la science et que la paraplégie de l'enfant était liée de façon directe et certaine à l'intervention du 13 décembre 2002 mais résultait d'un accident médical non fautif, a écarté l'existence de toute faute du Dr [I] [J] et du Dr [O] [R] mais ordonné une nouvelle expertise afin de mieux comprendre le mécanisme de la survenue des séquelles.
Les Dr [M] et [A] ont conclu le 10 juin 2009 en retenant, pour l'essentiel, que la stratégie chirurgicale était justifiée, que le défaut d'information sur le risque de paraplégie était lié au contexte de l'urgence de la réintervention du 13 décembre 2002 et ne constituait pas une perte de chance, que le risque de paraplégie inhérent à l'acte était de 0,5/1000 mais qu'en l'absence d'intervention l'enfant serait décédé en quelques mois ou années de myocardiopathie et d'hypertension maligne. Ils ont ajouté que l'état antérieur de l'enfant avait participé à la constitution du dommage dans la mesure où la ré-intervention avait été techniquement difficile avec un long temps de clampage aortique et un résultat imparfait mais qu'il ne s'agissait pas d'une complication prévisible. Ils ont retenu que les lésions étaient irréversibles et à l'origine d'un handicap définitif susceptible de donner lieu à un déficit fonctionnel permanent de l'ordre de 75% dont la consolidation ne serait acquise qu'à l'âge de 18 ans compte tenu de l'évolution de la croissance et de la maturation neuropsychologique de l'enfant.
Au vu de ce rapport d'expertise et par décision du 16 juillet 2009, la CRCI d'Ile de France a rejeté la demande d'indemnisation de M. et Mme [X] tant à l'égard du Dr [I] [J] et du Dr [O] [R] qu'à l'égard de l'institut cardio vasculaire [Localité 5] et qu'au titre de la solidarité nationale, estimant que les dommages ne pouvaient être considérés comme réellement anormaux au regard de l'état de l'enfant comme de son évolution prévisible.
C'est ainsi que M. et Mme [X], agissant tant en leur nom personnel qu'ès qualités de représentants légaux de leur fils mineur, [L], ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de Bobigny l'ONIAM et le Dr [I] [J] pour obtenir l'indemnisation des préjudices subis par l'enfant, au contradictoire de la CPAM de Seine Saint-Denis, invoquant à titre principal l'existence d'un accident médical non fautif devant être indemnisé au titre de la solidarité nationale pour réclamer la condamnation de l'ONIAM à leur verser une somme provisionnelle de 1.300.000 €, et à titre subsidiaire un manquement du Dr [I] [J] à son obligation d'information et l'existence d'une perte de chance pour réclamer sa condamnation à leur verser une provision de 300.000 €.
Par jugement en date du 28 juin 2013, le tribunal de grande instance de Bobigny a :
Dit que les conditions d'ouverture de l'indemnisation par l'ONIAM au titre de la solidarité nationale prévues par l'article L 1142-1 II du code de la santé publique ne sont pas réunies et débouté M. et Mme [X] de toutes leurs demandes à l'encontre de l'ONIAM,
Dit que Dr [I] [J] a commis un manquement à son devoir d'information en n'informant pas M. et Mme [X] du risque de paraplégie mais que les demandeurs ne justifiaient pas d'un préjudice indemnisable et débouté ceux-ci de toutes leurs demandes à l'encontre du Dr [I] [J],
Débouté le Dr [I] [J] de sa demande en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamné M. et Mme [X] aux dépens de l'instance.
M. et Mme [X] ont interjeté appel de cette décision suivant déclaration en date du 29 juillet 2013.
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M. et Mme [X], aux termes de leurs dernières conclusions signifiées le 17 février 2014 et rectifiées le 27 novembre 2014, demandent à la cour de :
- dire que la paraplégie sensitivo motrice dont souffre [L] est la conséquence d'un accident médical non fautif et que les dommages doivent être réparés au titre de la solidarité nationale et condamner en conséquence l'ONIAM à leur verser au titre de l'ensemble des préjudices physiques subis la somme de 1.500.000 € et ce à titre de provision,
- dire que le Dr [I] [J] n'a pas respecté l'obligation d'information du patient mise à sa charge, qu'il a opéré sans l'autorisation des parents et que ceux-ci doivent être indemnisés au titre du défaut d'information, et le condamner à verser à M. et Mme [X], représentants légaux de leur fils [L], la somme de 50.000 € au titre de leur préjudice moral,
- condamner les défendeurs à verser une somme de 7.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils font valoir, pour l'essentiel, l'argumentation suivante sur l'indemnisation par l'ONIAM :
il a été retenu par les deux collèges d'experts que la paraplégie était liée de façon directe et certaine à l'intervention chirurgicale des 12/13 décembre 2002 pratiquée par le Dr [I] [J] ;
la condition tenant au seuil de gravité est remplie puisque les experts ont retenu que le déficit fonctionnel permanent ne serait pas inférieur à 75% ;
les conséquences de cet acte sont tout à fait anormales au regard de l'état de santé de l'enfant et de son évolution prévisible : en effet, hormis ses antécédents cardiovasculaires justifiant l'acte chirurgical, l'enfant n'a jamais présenté d'état antérieur sur le plan neurologique et depuis l'intervention son état cardio vasculaire est rentré dans la normale ; le risque « spontané » de la maladie cardiovasculaire n'est absolument pas la paraplégie ; l'atteinte neurologique a des conséquences tout à fait anormales et indépendantes du suivi cardiovasculaire auquel on peut légitimement s'attendre ; la paraplégie survenue ne constituait pas une complication prévisible de son état cardio vasculaire antérieur, les seconds experts estimant le risque à 0,5/1000 et le Dr [I] [J] indiquant n'avoir jamais rencontré ce cas de figure dans sa carrière ; le risque de paraplégie est tout à fait anormal et hors de proportion avec son état de santé antérieur et son évolution prévisible.
Ils soutiennent par ailleurs que le caractère exceptionnel du risque n'exonère pas le chirurgien de son obligation d'information, que l'urgence mise en avant par les seconds experts n'est pas caractérisée, l'intervention du 12 décembre étant intervenue à la suite d'un long parcours médical et d'une prise en charge de l'enfant par le Dr [I] [J] depuis plusieurs années et celle du 13 décembre ayant été décidée plusieurs heures après la première. Ils rappellent que le Dr [I] [J] n'a jamais évoqué le risque de paraplégie ' ce qu'il a reconnu ' et que le droit à l'information est un droit personnel dont la lésion entraîne un préjudice moral résultant du défaut de préparation psychologique aux risques encourus et qui se sont réalisés ; que mieux informés des risques, ils n'auraient pas eu recours à cette intervention, la qualité de la vie de leur enfant ayant toujours supplanté leur désir de le voir survivre. Ils ajoutent qu'aucune pièce du dossier ne démontre que l'autorisation d'opérer a été donnée par les parents.
Ils indiquent que les différents postes de préjudice d'ores et déjà évoqués par les experts (DFP de l'ordre de 75%, pretium doloris de 6/7 et préjudice esthétique 5/7, outre un besoin en tierce personne important) justifient une indemnité de 1.500.000 € et que le préjudice moral subi par les parents pour le défaut d'information doit être réparé par une indemnité de 50.000 €.
L'ONIAM, suivant ses dernières conclusions signifiées le 22 octobre 2014, demande à la cour de :
A titre principal,
dire que les préjudices de [L] [X] n'ont pas eu pour lui des conséquences anormales au regard de son état de santé et de son évolution prévisible et que les conditions de l'indemnisation au titre de la solidarité nationale de l'article L 1142-1 II du code de la santé publique ne sont pas réunies,
en conséquence, confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. et Mme [X] de leurs demandes contre l'ONIAM,
A titre subsidiaire,
réduire à de plus justes proportions le montant de la provision réclamée au titre des préjudices de l'enfant [L],
rejeter la demande formulée par M. et Mme [X] au titre du préjudice moral,
En tout état de cause,
débouter M. et Mme [X] de leur demande en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il rappelle les trois conditions de l'indemnisation prévues par l'article L 1142-1 II du code de la santé publique, à savoir les préjudices directement en lien avec un acte de soins, les conséquences anormales de ceux-ci au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et un caractère de gravité fixé par décret au regard de la perte de capacités fonctionnelles. Il ajoute, concernant la condition tenant au caractère anormal des conséquences de l'acte médical, que le risque inhérent à l'évolution prévisible de l'affection traitée tient compte à la fois du pronostic spontané de la maladie et des données inhérentes aux traitements pouvant être opposés à cette pathologie qui comportent des chances d'amélioration, voire de guérison, mais aussi des risques prévisibles ; que dans le cas de pathologies nécessitant des thérapeutiques agressives comportant des risques élevés de complications, le niveau et la fréquence des risques, au regard de l'état antérieur et des difficultés anatomiques et techniques en rapport avec l'affection, doivent être considérés comme faisant partie intrinsèque de la maladie et de son évolution prévisible dans le cadre d'un pronostic global. Il fait état d'un arrêt de la Cour de cassation du 2 juillet 2014 écartant le caractère anormal du dommage dès lors qu'en l'absence d'intervention, l'évolution de la pathologie laissait présager de graves difficultés médicales, quand bien même celles-ci ne seraient pas de même nature que celles liées au risque qui s'est réalisé.
Il fait valoir qu'en l'espèce, [L] était particulièrement exposé au risque qui s'est réalisé en raison de son état antérieur mais que cette intervention, aussi risquée fut-elle, était néanmoins nécessaire en raison du pronostic vital de l'enfant engagé à court terme, de sorte que les préjudices subis par [L] ne constituent pas des conséquences anormales des actes de soins, quand bien même les conséquences ne sont pas de même nature que celles qui auraient été liée à l'évolution spontanée de la pathologie.
Il indique, concernant la réparation sollicitée, que l'indemnisation de l'ONIAM doit s'opérer déduction faite de la créance des organismes sociaux et que des indemnités ont été versées par la CPAM de la Seine Saint-Denis au titre de la tierce personne, de même que l'allocation d'éducation de l'Enfant Handicapé(AEEH). Il ajoute que c'est à tort que M. et Mme [X] réclament l'indemnisation de leur préjudice moral pour défaut d'information à l'ONIAM.
Le Dr [I] [J], en l'état de ses écritures signifiées le 19 décembre 2013 et portant appel incident de la décision, conclut à l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu qu'il avait commis une faute en n'informant pas M. et Mme [X] du risque de paraplégie avant l'opération du 12 décembre et avant celle du 13 décembre 2003 et demande à la cour de les débouter de toutes leurs demandes dirigées contre lui.
Il sollicite en tout état de cause que la cour retienne que l'intervention pratiquée le 12 décembre 2002 était indispensable dès lors que le pronostic vital de l'enfant était en jeu, que M. et Mme [X] ne rapportent pas la preuve que, dûment informés d'un risque totalement exceptionnel, imprévisible et très rare, ils auraient refusé les interventions et qu'ils n'ont subi aucun préjudice indemnisable ni en leur nom propre ni ès qualités. Il conclut en conséquence à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté les demandeurs de toutes leurs demandes dirigées contre lui et demande en outre la condamnation de M. et Mme [X] à lui verser la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Il rappelle que les experts ont tous retenu que ses interventions et le comportement de l'équipe médicale étaient parfaitement conformes aux données actuelles de la médecine et de la science et souligne qu'ils ont permis à l'enfant de survivre alors que l'évolution spontanée de la maladie de [L] n'était pas compatible avec la vie. Il indique que les parents n'avaient jamais jusqu'ici soutenu ne pas avoir consenti à l'intervention et que l'absence de consentement est inimaginable. Il ajoute que le risque de paraplégie est un risque très exceptionnel et imprévisible en l'espèce (les experts retenant un risque de 0,5/1000 et non prévisible car survenant plutôt sur des enfants de 7 à 10 ans), que l'urgence a dicté son comportement (les deux interventions ne s'étant pas déroulées dans les conditions prévues en raison des adhérences rencontrées et de l'ampleur de la zone rétrécie), que l'intervention était indispensable à la survie de l'enfant et que les parents avaient été informés des risques extrêmement graves de celle-ci qu'ils avaient accepté de prendre, même si le risque particulier de paraplégie n'a pas été évoqué ; qu'en effet, M. et Mme [X] savaient que chacune des interventions comportait des risques majeurs et, préalablement à l'intervention du 12 décembre 2002, le chirurgien les a avisés de l'aléa majeur qui planait sur la survie de leur enfant.
Il soutient en tout état de cause qu'il n'existe pas de préjudice réparable ; qu'un deuxième avis médical n'aurait pas été utile puisque tous les praticiens s'accordent à dire que l'intervention était indispensable ; que l'on ne peut croire, nonobstant les propos tenus par le père lors de la première réunion d'expertise, que les parents auraient refusé l'opération face à un risque totalement exceptionnel de paraplégie postopératoire ; il n'existe donc pas de perte de chance d'éviter le risque qui s'est réalisé. Il conteste l'existence d'un préjudice d'impréparation alors qu'avant chaque intervention les parents ont été informés des enjeux de la chirurgie cardiaque pratiquée sur leur jeune enfant et des risques de décès ou de handicap.
La CPAM de la Seine Saint-Denis, bien que régulièrement assignée à personne habilitée, n'a pas comparu.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 27 novembre 2014.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur les demandes au titre de la solidarité nationale :
Considérant que l'article L.1142-1 II du code de la santé publique dispose:
« Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire » ;
Que l'indemnisation au titre de la solidarité nationale servie par l'ONIAM suppose la réunion de trois conditions :
- un préjudice directement en lien avec un acte de soins non fautif,
- un caractère de gravité des dommages apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles,
- un préjudice ayant des conséquences anormales au regard de l'état de santé du patient comme de son évolution prévisible ;
Qu'il a été justement retenu par le tribunal, au regard des conclusions des deux rapports d'expertise, que les deux premières conditions étaient réunies puisque :
- les experts concluaient que la paraplégie dont est atteint [L] est liée de façon directe et certaine aux interventions chirurgicales des 12 et 13 décembre 2002 à la suite d'un accident médical non fautif, le comportement de l'équipe médicale ayant été conforme aux données de la médecine et de la science tant au niveau diagnostic qu'au niveau thérapeutique,
- le taux du déficit fonctionnel permanent de [L] ne devrait pas être inférieur à 75 % ;
Que c'est la condition tenant au caractère anormal des conséquences de l'intervention qui est l'objet de la discussion des parties ;
Considérant que le tribunal a justement rappelé que l'appréciation du caractère anormal des conséquences de l'acte de soins devait être portée en opérant une comparaison entre l'état du patient et son évolution prévisible, d'une part, et le risque survenu, d'autre part, en s'interrogeant sur le niveau de risque que présentait l'intervention et sur l'évolution de l'état de santé du patient à défaut de réalisation du geste médical ; que doivent être pris en compte, dans la détermination du caractère anormal des dommages subis, le caractère indispensable de l'acte chirurgical lié à l'espoir de l'amélioration de l'état de santé du malade et le niveau de risque de l'intervention au regard de l'état antérieur du patient et de son exposition particulière aux complications qui sont survenues ;
Qu'en l'espèce, il ressort des deux rapports d'expertise réalisés à la demande de la CRCI, que [L] était né prématurément, porteur d'un syndrome poly malformatif associant une coarctation aortique et plusieurs communications interventriculaires, anomalies qui ne sont pas compatibles avec la vie et qui ont nécessité, dans les premières semaines de vie de l'enfant, une angioplastie chirurgicale compliquée d'une récidive ; que les premiers experts expliquent que les vaisseaux sur lesquels le Dr [I] [J] a travaillé étaient filiformes et que le processus de cicatrisation hypertrophique a entraîné un phénomène de sténose et une recoarctation ;
Que la décision de réintervention était logique, [L] présentant des signes de souffrance cardiaque liée à son hypertension artérielle en amont de l'obstacle ; que le premier collège d'experts a indiqué que l'évolution spontanée de la maladie de [L] n'était pas compatible avec la vie et que sa coarctation devait être traitée à l'âge de deux ans, ajoutant que l'évolution spontanée de la pathologie de l'enfant était un décès dans les dix ans, compte tenu de la présence déjà d'une hypertrophie ventriculaire gauche ; que les seconds experts notent que la nécessité absolue de la réintervention sur la coarctation n'est pas discutée par les plaignants et leur conseil et précisent qu'en l'absence d'intervention, l'enfant serait décédé en quelques mois ou années de myocardiopathie et d'hypertension maligne ;
Que les deux collèges d'experts soulignent les conditions opératoires extrêmement délicates de cette réintervention, s'agissant du cinquième geste opératoire d'abord thoracique sur ce petit enfant et ayant nécessité un clampage aortique particulièrement prolongé, de 1h30, pour permettre la fermeture de l'aorte avec un fragment de péricarde hétérologue ; que le compte-rendu opératoire du Dr [I] [J] dont les indications sont précisément rappelées par les premiers juges retrace les difficultés rencontrées lors de l'intervention liées à l'état antérieur d'une particulière gravité de [L] (adhérences, fragilité des tissus à la face antérieure de la crosse, persistance d'une sténose résiduelle au milieu de la crosse après déclampage ayant nécessité un reclampage et un remplacement du patch de péricarde par un autre plus grand) ; que la persistance d'un gradient de pression majeur et de signes d'hypoperfusion dans les territoires vasculaires sous-stricturaux a conduit à la réintervention en urgence du 13 décembre pour mettre en place un tube palliatif synthétique efficace ;
Que les seconds experts expliquent que la paraplégie est survenue au décours immédiat des deux gestes opératoires ayant particulièrement compromis la vascularisation dans les territoires irrigués par les branches de l'aorte situées en aval de la zone de striction, en raison du défaut de vascularisation prolongé dans le territoire de l'artère d'Adamkiewicz du fait du clampage aortique d'1h30, le 12 décembre, et du caractère insuffisant de la réparation ayant nécessité la mise en place, en urgence, le 13 décembre, du tube synthétique ; qu'ils concluent que l'état antérieur de l'enfant, caractérisé par une intervention initiale chez un grand prématuré hypotrophe et par le caractère serré et étendu de la coarctation, a participé à la constitution du dommage ;
Considérant qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments que l'intervention chirurgicale réalisée les 12 et 13 décembre 2002 était d'une nécessité absolue compte tenu du pronostic vital qui était engagé et que le risque de cette réintervention était majeur au regard de l'état antérieur de l'enfant qui a rendu l'opération particulièrement délicate et contraint le chirurgien à modifier son plan opératoire ;
Que le tribunal a justement relevé que, si les experts [M] et [A] notaient que la paraplégie survenue ne constituait pas une complication 'prévisible', c'était au regard du caractère exceptionnel du risque de paraplégie (évalué à 0,5/1000), mais que les difficultés rencontrées en per-opératoire par le Dr [I] [J] n'étaient pas anormales et 'surprenantes' au regard des antécédents de l'enfant et de l'étendue de sa coarctation, de sorte que le risque de complication neurologique n'était pas improbable et imprévisible, même si sa survenance était exceptionnelle ;
Enfin que c'est en vain que M. et Mme [X] soutiennent que le risque spontané de la maladie de leur enfant était celui de complications cardiovasculaires mais n'était pas un risque neurologique et que [L] n'avait jamais présenté une quelconque prédisposition neurologique antérieure, de sorte que la paraplégie serait une conséquence anormale de l'accident médical ; qu'en effet, le risque d'atteinte neurologique qui s'est réalisé au décours de la réintervention chirurgicale ne constitue pas une conséquence anormale de l'acte chirurgical, dès lors que cette réintervention était nécessaire au regard de l'évolution prévisible de la pathologie et que ce risque, certes exceptionnel, n'était pas méconnu, quand bien même le dommage subi n'est pas de même nature que les complications spontanées prévisibles de la pathologie ;
Que dans ces conditions, c'est à juste titre et à bon droit que le tribunal a retenu, comme l'avait estimé la CRCI, que les préjudices subis par [L] à la suite de l'intervention chirurgicale des 12 et 13 décembre 2002 ne présentaient pas le caractère de conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et qu'il a débouté M. et Mme [X] de leur demande d'indemnisation au titre de la solidarité nationale ;
Sur les demandes au titre du défaut d'information :
Considérant qu'aux termes de l'article L 1111-2 du code de la santé publique, le médecin doit informer son patient des différentes investigations, traitements ou actes de soins qui lui sont proposés, de leur utilité, de leurs conséquences et des risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que des autres solutions possibles et des conséquences prévisibles en cas de refus ; que l'information donnée par le médecin à son patient doit être loyale, claire et appropriée et qu'elle doit l'être au cours d'un entretien individuel, sous une forme essentiellement orale ; que, pour les mineurs, l'information est donnée aux titulaires de l'autorité parentale ; que seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer le patient en raison de son état constituent des motifs de dispense de cette obligation ; que c'est au praticien qu'incombe la charge de prouver, par tous moyens, qu'il a rempli son obligation ;
Considérant que, dans leurs écritures devant la cour, M. et Mme [X] font grief au Dr [I] [J] de ne pas les avoir informés du risque de paraplégie que courait leur enfant lors de la réintervention pour recoarctation et soutiennent même ne pas avoir donné leur consentement écrit à cette intervention ;
Que, lors des opérations d'expertise menées par le premier collège d'experts, les parents de [L] reprochaient au Dr [I] [J] de ne pas les avoir informés du risque de paraplégie et du risque de récidive nécessitant une seconde intervention ; qu'au cours de la seconde expertise, la famille a demandé au Dr [I] [J] pourquoi il ne l'avait pas avisée de la deuxième intervention du 13 décembre ;
Que force est de constater, au regard des déclarations des parties devant les experts, que le Dr [I] [J] a bien informé les parents, lors de l'hospitalisation de leur enfant le 10 décembre 2002, de la nécessité d'intervenir en raison de la re-coarctation constatée par les services de l'hôpital [E] [V] et qu'il leur avait indiqué les risques graves, pouvant aller jusqu'au décès, liés à cette intervention ; que l'intervention du 12 décembre a eu lieu avec le consentement des parents, même si celui-ci n'a pas été matérialisé par écrit ; que, par contre, il est avéré, d'une part que le Dr [I] [J] n'a pas indiqué aux parents le risque de paraplégie lié à cette intervention, d'autre part qu'il ne les pas informés de la nécessité de réopérer le 13 décembre en raison du caractère insatisfaisant de l'intervention du 12 ;
Que, pour ce qui concerne l'intervention du 13 décembre, c'est à juste titre que le Dr [I] [J] invoque l'urgence, cette urgence ayant été retenue par les experts en considération de la rapidité avec laquelle la décision a dû être prise, puisque l'opération du 12 s'est terminée dans la soirée et que la réintervention palliative du lendemain a été décidée très vite en raison de la survenance, dans les suites immédiates de la première intervention, d'une diarrhée sanglante témoignant d'une hypoperfusion au dessous de la coarctation avec souffrance viscérale ayant contribué à l'atteinte neurologique qui s'est réalisée ;
Que, pour ce qui concerne l'intervention du 12 décembre, le Dr [I] [J] reconnaît ne pas avoir averti les parents de [L] du risque de paraplégie ; qu'il indique ainsi, lors de la réunion d'expertise du 4 juin 2008 organisée par le premier collège d'experts : 'J'ai toujours parlé des risques de l'intervention même après la première (...) Je n'ai pas insisté sur les risques de paraplégie. Sur plusieurs milliers d'interventions que j'ai pratiquées dans ma vie professionnelle, c'est la seule paraplégie que j'ai observée. Il s'agit d'une complication exceptionnelle. A cet âge on est dans une situation très particulière car la coarctation s'est développée sans circulation collatérale. La paraplégie survient chez des enfants plus tardivement de 7 à 10 ans.' ; que, lors de la réunion d'expertise du 3 mars 2009 organisée par le second collège d'experts, il déclare ne pas avoir informé les parents du risque de paraplégie 'car ce n'est pas dans ses habitudes, pour des raisons psychologiques.' ;
Que, pourtant, même si le risque est exceptionnel (puisque les experts s'accordent à retenir un risque de 0,5/1000), il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un risque grave dont la survenance était connue du Dr [I] [J] et n'était pas imprévisible, dès lors que les experts précisent qu'il est corrélé à la durée du clampage et aux réinterventions et que le Dr [I] [J] connaissait l'état de l'enfant pour l'avoir déjà opéré à plusieurs reprises et n'ignorait pas la difficulté de la réintervention et l'éventualité d'un clampage aortique prolongé ; que c'est donc à juste titre que le tribunal a considéré que le Dr [I] [J] aurait dû informer les parents de ce risque ;
Considérant que M. et Mme [X] réclament devant la cour la réparation de leur préjudice moral à raison du non-respect du devoir d'information en invoquant la jurisprudence de la Cour de cassation de 2012 et en soutenant que la lésion de leur droit personnel à l'information entraîne un préjudice qui ne peut rester sans réparation ;
Qu'ils ne sollicitent plus la réparation d'un préjudice lié à une perte de chance de l'enfant d'éviter l'intervention, mais qu'ils reformulent les mêmes griefs que ceux qu'ils avaient présentés devant les premiers juges, à savoir qu'ils ont été privés de la possibilité de prendre un deuxième avis, que, mieux informés, ils n'auraient pas eu recours à cette intervention et que le risque qui s'est réalisé a de lourdes conséquences physiques, morales et financières sur la vie de l'enfant et de sa famille; que, pourtant, c'est de manière claire, justement motivée et pertinente que le tribunal a écarté toute perte de chance de l'enfant d'échapper au préjudice qu'il a subi, l'intervention pratiquée étant la seule susceptible de sauver l'enfant et de lui éviter les souffrances liées à l'évolution spontanée de sa pathologie ;
Que dès lors doivent être écartés, dans l'appréciation du préjudice subi par M. et Mme [X], tous éléments faisant référence à la perte d'une possibilité de choix et aux conséquences physiques, morales et financières pour l'enfant et sa famille du handicap de celui-ci ;
Que seul sera réparé le préjudice moral résultant du défaut de préparation des parents aux conséquences du risque qui s'est réalisé lequel sera chiffré à la somme de 5.000 € ;
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne le Dr [I] [J] à payer à M. et Mme [X] une somme de 5.000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral d'impréparation résultant du défaut d'information sur le risque grave de paraplégie que comportait l'intervention chirurgicale du 12 décembre 2002 ;
Le condamne à leur verser une somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
Le condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE