Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 5
ARRÊT DU 02 DÉCEMBRE 2014
(n°2014/ , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/14318
Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Juin 2012 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 11/10838
APPELANTE
SNC FRANCE FINANCE INFORMATIONS prise en la personne de son gérant domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentée par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753
Assistée par Me Pierre GENON CATALOT, avocat au barreau de PARIS, toque : B0096
INTIMÉE
Madame [J] [O] [L]
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentée par Me Frédéric BURET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1998
Assistée par Me Jean-pierre VERSINI CAMPINCHI de la SCP VERSINI CAMPINCHI ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0454
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 14 Octobre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Catherine LE FRANÇOIS, Présidente de chambre, entendue en son rapport
Monsieur Christian BYK, Conseiller
Mme Patricia LEFEVRE, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Madame Aouali BENNABI
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Catherine LE FRANÇOIS, présidente et par Madame Aouali BENNABI, greffier présente lors de la mise à disposition .
Le 13 juillet 2006, Madame [F] [D] a souscrit auprès de la société d'assurance ASPECTA, par l'intermédiaire de la société FRANCE FINANCE INFORMATIONS, un contrat d'assurance-vie LUXAVENIR libellé en unités de compte, sur lequel Madame [D] a versé la somme de 620.000 euros.
Le 31 mars 2010, la société d'assurance ASPECTA a adressé à Madame [D] la situation de son compte arrêté au 31 décembre 2009 dont le solde s'élevait à 49.546,48 euros. Elle a réglé une échéance complémentaire de 10.000 euros pour la période du 1er septembre 2010 au 31 août 2011.
A la date du 31 décembre 2010, le contrat était valorisé pour la somme de 64.307,02 euros pour un total de versements de 630.000 euros.
Par acte du 8 juillet 2011, Madame [D] a assigné la SNC FRANCE FINANCE INFORMATIONS, L'EURL LA FINANCIERE, la SA FINANCIERE DE FRANCE et Monsieur [K], en qualité de dirigeant de ces trois sociétés, afin d'obtenir leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 565 693 euros en réparation, à titre principal du dol par réticence et dissimulation dont elle dit avoir été victime et à titre subsidiaire au titre du manquement aux obligations de conseil et d'information, outre celle de 100 000 euros à titre de préjudice moral.
Par jugement du 27 juin 2012, le Tribunal de Grande Instance de Paris a condamné, avec exécution provisoire, la société FRANCE FINANCE INFORMATIONS à payer à Madame [F] [D] la somme de 361.800 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel avec intérêt au taux légal à compter du 27 juin 2012, a débouté Madame [D] pour le surplus de ses prétentions à l'encontre de la société FRANCE FINANCE INFORMATIONS et contre Monsieur [K], pris en son nom personnel, la société LA FINANCIERE et la société LA FINANCIERE DE FRANCE et a condamné la société FRANCE FINANCE INFORMATIONS au paiement d'une somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration du 26 juillet 2012, la société FRANCE FINANCE INFORMATIONS a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 15 janvier 2013, la société FRANCE FINANCE INFORMATIONS demande l'infirmation du jugement entrepris, le débouté de Madame [D] de l'ensemble de ses demandes et sa condamnation au paiement d'une somme de 10.000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Par dernières conclusions signifiées le 22 novembre 2012, Madame [D] demande la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu pour faute un manquement de l'appelante à son devoir de conseil et l'a condamnée au paiement de la somme de 361800 euros en réparation de son préjudice matériel, de réformer le jugement pour le surplus, de la recevoir en son appel incident, et au principal de retenir que la société FRANCE FINANCE INFORMATIONS a engagé sa responsabilité quasi délictuelle le 13 juillet 2006 en la trompant sur les conditions financières de la souscription du contrat Aspecta-Luxavenir, de la condamner au paiement de la somme de 565.693 euros au titre de son préjudice matériel, avec intérêts au taux légal à compter du 13 juillet 2006 et capitalisation de ceux-ci dans les conditions de l'article 1154 du code civil, de celle de 100.000 euros au titre du préjudice moral, à titre subsidiaire de retenir que la société FRANCE FINANCE INFORMATIONS a engagé sa responsabilité professionnelle au titre du manquement à ses obligations de conseil et d'information à son égard, de la condamner en conséquence au paiement des sommes de 565.693 euros au titre de son préjudice matériel global et 100.000 euros au titre de son préjudice moral et en tout état de cause, de la condamner au paiement de la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 septembre 2014.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le dol
Considérant que la société FRANCE FINANCE INFORMATIONS affirme qu'aucune manoeuvre dolosive n'est démontrée, que Madame [D] se contente de critiquer les clauses d'un contrat qu'elle a dûment lues et approuvées avant de les signer, que le dol ne peut résulter du contenu de la rédaction d'un contrat et que Monsieur [K] n'a pas pu cacher le montant des frais du contrat LUXAVENIR, lequel montant est évoqué dans l'article 8.1 des conditions générales, l'article 2.7 de la note d'information et le paragraphe 2, page 2 des conditions particulières, que Madame [D] était en mesure de vérifier le montant des frais, que Madame [D] ne peut pas reporter sur son courtier les conséquences de sa propre négligence ;
Considérant que Madame [D] répond que le courtier a commis un dol caractérisé en dissimulant volontairement l'élément fondamental du contrat LUXAVENIR à savoir son coût qui était vingt fois celui des trois autres contrats de même nature conclus avec MMA, AXA et GENERALI, que la manoeuvre a consisté à faire signer à Madame [D] trois contrats à 0.5% de frais en soulignant qu'il s'agissait de rabais considérables au regard des conditions de rémunération écrites des propositions de souscription mais en omettant purement et simplement de l'avertir que pour le contrat LUXAVENIR, le coût allait être vingt fois supérieur, c'est-à-dire égal à 10% des sommes versées par l'assurée ;
Considérant que la victime de manoeuvres dolosives peut exercer une action en responsabilité délictuelle pour obtenir de leur auteur réparation du préjudice qu'elle a subi sur le fondement de l'article 1382 du code civil ;
Considérant qu'il résulte de la production des contrats antérieurement souscrits et du rapport confidentiel d'attestation de provenance des fonds, destiné à la société ASPECTA, que la société FRANCE FINANCE INFORMATIONS, représentée par son gérant , Monsieur [K], a entretenu , en qualité de courtier, avec Madame [D] des relations suivies et portant sur l'investissement de son épargne depuis 1998 ;
Considérant que le 30 juin 2006, Madame [D] a cédé à la société OPALE les titres sociaux qu'elle détenait dans la société CNN pour un prix de 26 250 000 euros sur lequel il est suffisamment établi par les pièces produites qu'il lui restait un capital de 8 300 000 à investir, après déduction des impôts, des investissements qu'elle a effectués dans la société OPALE concomitamment à la cession, des donations et des projets immobiliers ;
Considérant que le 13 juillet 2006, Madame [D] a souscrit quatre contrats par l'intermédiaire de son courtier : un contrat Coralis auprès de la société AXA, pour lequel elle a versé la somme de 4 millions d'euros, et sur le bulletin de souscription duquel il apparaît que la mention imprimée concernant les frais de souscription de 4,5% a été rayée pour être remplacée par la mention manuscrite : '0,5% de frais de souscription', un contrat Multistratégie 2000 auprès des MMA, pour lequel elle a versé 1,5 millions d'euros, et sur le bulletin de souscription duquel il apparaît que la mention imprimée concernant les frais de souscription de 4,9 % a été rayée pour être remplacée par la mention manuscrite : '0,5% de frais de souscription', un contrat GENERALI, pour lequel elle a versé la somme de 2,2 millions d'euros , et sur lequel il était indiqué de manière manuscrite par le courtier 'frais 0,5%' et le contrat litigieux LUXAVENIR, sur le bulletin de souscription duquel n'apparaît aucune mention concernant les frais ;
Considérant que sur ce bulletin de souscription apparaît certes la mention aux termes de laquelle Madame [D] reconnaît avoir reçu les conditions générales du contrat sur lesquelles aucun chiffre précis concernant les frais du contrat ne figure et la note d'information sur laquelle apparaissent l'ensemble des frais du contrat : des frais de souscription de 4% et 2% précomptés, des frais d'encaissement de 4% et des frais de gestion de 6% ;
Considérant que nonobstant la remise de la notice, alors que Madame [D] s'est adressée au courtier qu'elle chargeait habituellement, depuis plusieurs années, de ses opérations financières, ce dont il résulte qu'une relation de confiance s'était nécessairement établie, impliquant que celui-ci lui présente les produits les plus conformes à ses intérêts, il apparaît qu'en faisant signer, le même jour, trois premiers contrats prévoyant des frais à taux très faible et dont il est établi, pour deux d'entre eux, qu'ils avaient fait l'objet d'une réduction très importante qui n'a pu qu'être mise en avant par le courtier qui a porté les mentions manuscrites sur les bulletins de souscription, et un quatrième contrat, dont le bulletin de souscription ne contient aucune mention sur le montant des frais, dont les frais sont beaucoup plus importants que ceux concernant les trois premiers contrats souscrits et qui ne s'explique pas suffisamment sur les conséquences d'un mécanisme qui aboutit à prélever l'ensemble des frais générés par des versements sur 20 années sur les trois premières années alors que tant les conditions générales du contrat que la notice d'information prévoient la possibilité pour l'assuré de modifier librement ou de suspendre les versements des primes périodiques, le courtier qui a attiré l'attention de l'assurée sur la faiblesse des frais de souscription des autres contrats et a passé sous silence l'un des éléments essentiels du contrat LUXAVENIR à savoir son coût global, particulièrement important s'agissant de frais précomptés, s'est rendu coupable d'une manoeuvre dolosive provoquant chez Madame [D] une erreur sur les conditions du contrat LUXAVENIR sans laquelle elle n'aurait pas souscrit celui-ci ;
Sur les préjudices allégués par Madame [D]
Considérant que la société FRANCE FINANCE INFORMATIONS fait valoir que Madame [D] ne justifie pas du préjudice qu'elle invoque, qu'elle n'a pas perdu le capital versé puisqu'elle n'a pas procédé au rachat, et que le préjudice qu'elle avance avoir subi n'est qu'hypothétique, que la pénalité financière prévue contractuellement en cas de rachat anticipé est la contrepartie normale de la faculté exorbitante offerte à l'assuré de se libérer complètement de son engagement sans avoir à justifier d'un quelconque motif ;
Considérant que Madame [D] répond qu'outre le préjudice matériel, elle a souffert d'une humiliation telle que pendant plusieurs mois, elle a hésité à engager son procès conséquence de l'abus de confiance dont elle a été victime et est fondée à demander la condamnation de la société FRANCE FINANCE INFORMATIONS à la somme de 100.000 euros à ce titre.
Considérant que sans la manoeuvre dolosive du courtier, Madame [D] n'aurait pas souscrit le contrat LUXAVENIR, ce dont il résulte qu'elle n'aurait pas réglé l'ensemble des frais que le courtier sera en conséquence condamné à réparer le préjudice subi par l'intimée et consistant en la différence entre la somme versée et le solde du contrat à savoir la somme de 565 693 euros, que s'agissant d'une créance indemnitaire, cette somme ne portera intérêts au taux légal qu'à compter de la présente décision qui en fixe le montant ;
Considérant que Madame [D] n'établit pas le préjudice moral qui résulterait pour elle de l'humiliation qu'elle invoque, qu'elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts complémentaire ;
Sur les frais irrépétibles
Considérant qu'il paraît équitable d'allouer à Madame [D] la somme de 8000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel et de débouter la société FRANCE FINANCE INFORMATIONS de sa demande à ce titre ;
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Statuant dans les limites de l'appel,
Infirme partiellement le jugement entrepris et statuant à nouveau sur le tout,
Condamne la société FRANCE FINANCE INFORMATIONS à payer à Madame [F] [D] :
- la somme de 565 693 euros avec intérêts au taux légal et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du code civil à compter de ce jour,
- la somme de 8000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
Déboute les parties de leurs autres demandes,
Condamne la société FRANCE FINANCE INFORMATIONS aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE