La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

31/10/2014 | FRANCE | N°13/24211

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 31 octobre 2014, 13/24211


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRET DU 31 OCTOBRE 2014



(n° 2014- , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 13/24211



Sur renvoi après arrêt de la Cour de Cassation en date du 16 octobre 2013 (RG : 1121 F-D) emportant cassation d'un arrêt de la Cour d'Appel de VERSAILLES en date du 15 mars 2012 (RG : 09/5842) sur appel d'un jugement du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE en date d

u 12 juin 2009 (RG : 04/1371)





DEMANDEUR



Laboratoire GLAXOSMITHKLINE agissant en la personne de son représentant légal

[Adresse...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2

ARRET DU 31 OCTOBRE 2014

(n° 2014- , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 13/24211

Sur renvoi après arrêt de la Cour de Cassation en date du 16 octobre 2013 (RG : 1121 F-D) emportant cassation d'un arrêt de la Cour d'Appel de VERSAILLES en date du 15 mars 2012 (RG : 09/5842) sur appel d'un jugement du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE en date du 12 juin 2009 (RG : 04/1371)

DEMANDEUR

Laboratoire GLAXOSMITHKLINE agissant en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représenté par Me Pascale FLAURAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0090

Assisté de Me Jacques-Antoine ROBERT, avocat au barreau de PARIS, toque : J031

DÉFENDEURS

Mademoiselle [Z] [K] assistée de son curateur LA FONDATION CASIP COJASOR domiciliée [Adresse 3] (désigné par jugement du 29 juillet 2011)

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Martine LAUTREDOU, avocat au barreau de PARIS, toque : C2565

Assistée de Me Gisèle MOR, avocat au barreau du VAL D'OISE

Madame [U] [D]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Martine LAUTREDOU, avocat au barreau de PARIS, toque : C2565

Assistée de Me Gisèle MOR, avocat au barreau du VAL D'OISE

CPAM DE L'ESSONNE prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par Me Jean-Michel HOCQUARD de la SCP HOCQUARD ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0087

COMPOSITION DE LA COUR :

Madame [T] [J], présidente de chambre ayant été préalablement entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Septembre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame [T] [J], présidente de chambre

Madame Marie-Sophie RICHARD, conseillère

Madame Isabelle CHESNOT, conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Monsieur Guillaume LE FORESTIER

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame [T] [J], présidente de chambre et par Madame Deborah TOUPILLIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

****

FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Mlle [Z] [K], née le [Date naissance 1] 1982, après avoir reçu trois injections de vaccin contre l'hépatite B (GenHevac B le 4 juillet 1994, Engerix B 20 les 9 août et 7 novembre 1994), puis un rappel le 7 février 1997 (Engerix B 20), a été hospitalisée, à la suite de premiers troubles ressentis dès le mois de février 1997, du 1er au 7 avril 1997 en raison de troubles de l'équilibre et de la vision. Au cours de cette hospitalisation, divers troubles neurologiques sont apparus et un scanner cérébral réalisé le 1er avril 1997 puis une IRM encéphalique réalisée le 3 avril suivant ont permis de diagnostiquer une maladie inflammatoire démyélinisante multifocale du système nerveux central. Le diagnostic de la sclérose en plaques a été posé en janvier 1998 à la suite d'une nouvelle poussée.

Mme [U] [D], agissant tant en son personnel qu'ès qualités de représentant légal de sa fille mineure [Z], a fait assigner la Société SMITHKLINE BEECHAM, devenue la Société GLAXOSMITHKLINE, producteur du vaccin Engérix, en réparation de ses préjudices, au contradictoire de la CPAM de l'Essonne. La Société GLAXOSMITHKLINE a appelé à la procédure la société AVENTIS PASTEUR. Mme [Z] [K] a repris l'instance à sa majorité.

A la suite du dépôt du premier rapport d'expertise judiciaire du 25 septembre 2003 et du second rapport, étendu à la société AVENTIS PASTEUR, le 11 septembre 2008, le tribunal de grande instance de Nanterre a, par jugement en date du 12 juin 2009, déclaré la Société GLAXOSMITHKLINE entièrement responsable des conséquences dommageables résultant de la défectuosité du vaccin et l'a condamnée à payer à Mme [Z] [K] la somme de 396.939,59 € de dommages et intérêts, déduction faite de la créance de la CPAM, à Mme [U] [D] celle de 10.000 € à titre de dommages et intérêts et à la CPAM de l'Essonne une somme de 32.075,70 € en remboursement de ses débours provisoires. Il a débouté la CPAM de l'Essonne de sa demande à l'encontre de la société AVENTIS PASTEUR. Il a retenu qu'il existait un faisceau d'indices permettant d'imputer la pathologie de Mme [Z] [K] à l'injection du vaccin Engerix B le 7 février 1997, la jeune fille étant en excellente santé avant la vaccination et ne présentant aucune notion de problèmes neurologiques ni de facteur de risque personnel ou familial et les troubles neurologiques étant apparus quelques semaines après cette dernière injection du vaccin. Il a considéré que le vaccin Engerix B ne présentait pas la sécurité à laquelle Mme [Z] [K] pouvait légitimement s'attendre, le dictionnaire VIDAL mentionnant dès 1994, au titre des effets indésirables du vaccin, la survenue exceptionnelle de la sclérose en plaques alors que la notice ne mentionnait pas ce risque en 1997. Il a ajouté que, concernant Mme [Z] [K], le rapport bénéfice/risque n'était pas favorable en raison de l'absence de facteur d'exposition au risque de l'hépatite B.

Sur appel de la Société GLAXOSMITHKLINE et par arrêt en date du 15 mars 2012, la cour d'appel de Versailles a infirmé le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre et débouté Mme [Z] [K], Mme [U] [D] et la CPAM de l'Essonne de toutes leurs demandes, considérant que, si le lien existant entre le déclenchement de la sclérose en plaques et la vaccination de Mme [Z] [K] pouvait être retenu au regard d'un certain nombre de présomptions graves, précises et concordantes, le caractère défectueux du vaccin ou le manquement de la Société GLAXOSMITHKLINE à son obligation d'information n'étaient pas établis par les demanderesses, le rapport bénéfice/risque du vaccin devant s'apprécier au regard de la collectivité et les informations données en 1997 sur les effets indésirables et les précautions d'emploi étant suffisamment précises, complètes et circonstanciées. Elle a également débouté Mme [Z] [K] de sa demande au titre d'une perte de chance en retenant que la Société GLAXOSMITHKLINE avait satisfait à son obligation d'information. Elle a mis la société AVENTIS PASTEUR hors de cause et condamné la Société GLAXOSMITHKLINE aux dépens.

Sur le pourvoi formé par Mme [Z] [K], représentée par la fondation CASIP COJASOR en qualité de curatrice, et par Mme [U] [D], la Cour de cassation a cassé et annulé la décision de la cour d'appel de Versailles en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a mis la société AVENTIS PASTEUR hors de cause, et renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de PARIS. Elle a retenu que la cour avait statué postérieurement à l'ouverture de la mesure de protection prise par jugement en date du 12 juillet 2011 et exercée par la fondation CASIP COJASOR, et qu'il ne résultait d'aucune mention de l'arrêt ou pièce de la procédure que Mme [Z] [K] ait été assistée de son curateur.

La cour de céans a été saisie par déclaration de saisine de la Société GLAXOSMITHKLINE en date du 17 décembre 2013.

---------------------

La Société GLAXOSMITHKLINE, aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 3 septembre 2014, demande à la cour d'infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 12 juin 2009 et de :

A titre principal,

Débouter Mme [Z] [K], assistée de la fondation CASIP COJASOR, et Mme [U] [D], et toute autre partie le cas échéant, de l'ensemble de leurs demandes dirigées contre elle,

A titre subsidiaire,

Ordonner un complément d'expertise confiée à un collège d'experts composé d'un neurologue, un médecin spécialisé en médecine interne et un médecin légiste, aux frais avancés des intimées,

En tout état de cause,

Débouter Mme [Z] [K] , assistée de la fondation CASIP COJASOR, et Mme [U] [D] de leur demande de provision,

Ramener les montants sollicités à de plus justes proportions,

Condamner Mme [Z] [K] , assistée de la fondation CASIP COJASOR, et Mme [U] [D] à lui payer une somme de 10.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 

Elle fait valoir au principal que la preuve d'un lien de causalité entre la vaccination et la sclérose en plaques n'est pas rapportée par les demanderesses à qui incombe la charge de cette preuve et rappelle que la Cour de cassation refuse de retenir l'existence d'un lien de causalité fondé sur une simple éventualité ou sur l'impossibilité d'exclure un lien de causalité. Elle fait état de l'absence de consensus scientifique en faveur d'un lien entre la vaccination et les affections démyélinisantes et évoque les diverses études menées entre 2001 et 2009 sur la question, rappelant les critiques formulées à l'encontre de l'étude [E] par l'AFSSAPS, par le Comité Technique des Vaccinations et par l'OMS et faisant état du rapport de recommandations rédigé sous l'égide de l'ANRS et de l'AFEF et déposé en mai 2014.

Elle soutient que les éléments invoqués par Mme [Z] [K] comme constituant un faisceau d'indices ne sont pas pertinents :

- la proximité chronologique ne constitue pas un indice de causalité au regard de l'étude du Pr Confavreux qui met en évidence une désynchronisation entre les poussées cliniques et l'avancement anatomique de la maladie,

- l'absence de facteur de risque personnel ou familial et l'absence d'autres causes possibles de la maladie ne sont pas plus probantes dès lors que l'étiologie de la maladie reste inconnue,

- le fait que la survenue de la sclérose en plaques chez l'enfant soit rare n'est pas plus probant, les données scientifiques des études menées sur les enfants permettant au contraire de retenir qu'il n'existe aucune association entre la vaccination contre l'hépatite B et le risque de développer une sclérose en plaques,

- l'indemnisation des accidents vaccinaux dans le cadre de régimes légaux dérogatoires ne peut constituer un élément de présomption pertinent, la présomption d'imputabilité admise en matière d'accident du travail étant étrangère à la fixation des obligations incombant au tiers responsable de l'accident selon les règles du droit commun qui laissent au demandeur la charge de la preuve,

- la mention de poussées de sclérose en plaques dans les effets indésirables rapportés signalés dans le VIDAL n'est pas en faveur d'un lien de causalité, cette insertion ayant été décidée au regard d'évènements indésirables « rapportés » et non « démontrés ».

Elle fait valoir qu'il appartient ensuite à Mme [Z] [K] de prouver l'existence d'un défaut du produit, le défaut ne se présumant pas ; qu'il ne peut être retenu qu'un médicament est défectueux au motif qu'il est susceptible de provoquer des effets indésirables et qu'aux termes de la Directive du 25 juillet 1985, l'appréciation du caractère anormalement dangereux du produit se fait de manière abstraite, au regard de la sécurité à laquelle le grand public peut légitimement s'attendre, le producteur devant s'entourer de toutes les précautions pour informer le public sur ses conditions d'emploi et les dangers potentiels que peut entraîner son usage au regard des connaissance scientifiques de l'époque de la fabrication ou de la commercialisation du produit ; que les accusations portées par les intimées sur les conditions de mise en 'uvre des phases de développement, autorisation de mise sur le marché et commercialisation du produit ne sont pas étayées et qu'elles ne peuvent exiger du Laboratoire GLAXO qu'il verse aux débats l'ensemble des documents relevant de l'autorité de contrôle de l'AMM. Elle ajoute que le défaut du produit ne peut être retenu que s'il existe une inversion du rapport bénéfice/risque pour la collectivité en général, l'évaluation de ce rapport incombant aux autorités sanitaires autorisant la mise sur le marché du médicament qui ont jugé que le vaccin contre l'hépatite B présentait un niveau exceptionnel d'innocuité et d'efficacité alors que les risques d'infection par le virus de l'hépatite B sont incontestables et que les chiffres de la prévalence de la maladie n'ont pas été exagérés ; que l'analyse du rapport bénéfice/risque individuel relève du dialogue entre le médecin et son patient. Elle indique qu'il ne peut être retenu de défaut du produit dès lors que l'information donnée est suffisante et elle rappelle que, dès 1994, la sclérose en plaques figurait en qualité d'effet indésirable « rapporté » dans la monographie VIDAL du vaccin Engerix B, alors même qu'aucun lien de causalité n'était scientifiquement établi ; que la notice du produit n'avait pas à reprendre in extenso le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP) ; que les experts ont indiqué qu'au vu des connaissances de l'époque, les informations sur les effets indésirables et les précautions d'emploi des vaccins contenues dans la notice d'information étaient suffisamment précises, complètes et circonstanciées ; qu'au demeurant, un producteur ne pourrait être tenu responsable au regard de l'information fournie sur un risque qui n'a jamais été avéré, ni à l'époque, ni encore à l'heure actuelle, ce qui permet d'écarter la référence faite par les intimées à la jurisprudence relative au Distilbène.

Elle soutient enfin que Mme [Z] [K] ne démontre pas la matérialité de son préjudice, soulignant qu'en refusant de participer aux opérations d'expertise du 20 juin 2006, elle n'a pas permis aux experts de se prononcer sur les chefs de préjudice allégués ; qu'elle ne verse aux débats aucun élément sur son état de santé actuel et qu'elle doit donc être déboutée, comme Mme [U] [D], de ses demandes. Elle rejette également toute indemnisation au titre d'une perte de chance à défaut de lien de causalité entre la vaccination et l'apparition des troubles allégués et en l'absence d'un manquement à l'obligation d'information sur un risque qui n'est pas avéré. Elle conclut au rejet de la demande de complément d'expertise formée par les intimées et, en tout état de cause au rejet des demandes de provision comme se heurtant à des contestations sérieuses.

Mme [Z] [K], assistée de la fondation CASIP COJASOR, son curateur, et Mme [U] [D], aux termes de leurs dernières écritures signifiées le 17 septembre 2014, demandent à la cour de déclarer la Société GLAXOSMITHKLINE, venant aux droits de la Société SMITHKLINE BEECHAM, entièrement responsable du développement par Mme [Z] [K] d'une sclérose en plaques consécutivement à l'administration du vaccin Engerix B et, avant dire droit sur l'évaluation des préjudices, d'ordonner une mesure d'expertise médicale confiée à un médecin neurologue, un psychologue et un ergothérapeute, afin de décrire son état et de donner tous éléments sur les différents postes de préjudice et de condamner la Société GLAXOSMITHKLINE à payer les sommes provisionnelles de 450.000 € à Mme [Z] [K] et de 50.000 € à Mme [U] [D], outre celle de 30.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Elles rappellent les dates des vaccinations (entre juillet et novembre 1994) et du rappel (le 7 février 1997) et l'apparition des premiers troubles dès la mi-février 1997, suivie de son hospitalisation du 1er au 7 avril 1997 et de la révélation par une IRM médullaire d'un hypersignal, puis d'une seconde poussée en janvier 1998 justifiant une seconde hospitalisation au cours de laquelle les IRM médullaire et cérébrale montraient des lésions permettant de diagnostiquer une sclérose en plaques.

Elles soutiennent que le vaccin est un produit multi-défectueux qui n'offre pas la sécurité légitime qu'on en attend et mettent en cause la phase de développement (la recherche de posologie et la durée des études de sécurité) l'autorisation de mise sur le marché français ainsi que le suivi du produit. Elles indiquent que les rapporteurs de l'enquête de pharmacovigilance en 1994 retenaient un certain nombre d'effets indésirables graves et reprochaient au laboratoire GLAXO une 'absence d'investigation en terme de recherche expérimentale sur le risque de la sclérose en plaques post-vaccinal' ; que la seule étude entreprise par l'appelante sur le risque neurologique post-vaccinal (parue dans Nature en 1999) souffre d'insuffisances méthodologiques et de biais majeurs ; que, dans la promotion de l'Engerix B, le bénéfice attendu a été exagéré (au regard du nombre d'hépatites B et du risque de contamination interindividuelle) et les risques encourus ont été dissimulés (la notice destinée aux patients ne mentionnant pas le risque neurologique pourtant dûment mentionné dans le VIDAL). Elles ajoutent que ce n'est pas aux autorités sanitaires à évaluer le rapport bénéfice-risque, comme le soutient l'appelante, mais aux juges, sauf à constituer un véritable déni de justice.

Elles font valoir que le jugement a parfaitement caractérisé les présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir le lien de causalité entre la vaccination et le dommage, à savoir la chronologie d'apparition, l'absence de toute autre étiologie repérable, l'absence de tout antécédent neurologique dans la famille de l'intéressée, son âge et le caractère exceptionnel de la maladie chez l'enfant ; que la causalité iatrogène se conclut d'un ensemble de circonstances partielles dont aucune n'emporte la conviction à elle seule, mais dont la convergence a valeur de démonstration suffisante ; que le lien est établi entre le défaut du produit et le dommage en raison de l'erreur induite sur le bénéfice individuel de l'immunisation contre l'hépatite B et du défaut d'information sur les risques encourus ; que le rappel de 1997 a déclenché la maladie en raison d'un schéma d'immunisation trop lourd qui jusqu'à preuve contraire qui doit être rapportée par l'appelante, n'a reposé sur aucune étude sérieuse lors du développement du vaccin.

Elles critiquent l'argumentation développée par la Société GLAXOSMITHKLINE, mettant en avant les conflits d'intérêts permettant de douter de la crédibilité des études citées (celles du Dr [P] et du Pr [B] dont les études ont été financées par le fabricant ) et de l'avis des responsables de l'administration sanitaire, et soutiennent qu'une seule étude (celle du Dr [E]) a fait l'objet d'un financement indépendant des promoteurs de la vaccination. Elles mettent en cause la pharmacovigilance française en invoquant l'affaire du Médiator et évoquent une manipulation de l'OMS par GLAXO concernant le scandale de la « pandémie grippale » en 2009.

Elles évoquent les différentes poussées dont Mme [Z] [K] a été la victime et indiquent qu'il est indispensable d'ordonner une nouvelle expertise afin d'actualiser les préjudices de la jeune fille qui ont évolué depuis septembre 2000, date à laquelle s'est placé le tribunal pour statuer. Elles formulent leurs demandes provisionnelles en insistant sur l'importance des postes de préjudice patrimoniaux (tierce personne et préjudices professionnel et scolaire) et extra-patrimoniaux (souffrances endurées et déficit fonctionnel permanent évalué à 35%) et sur les pathologies réactionnelles de Mme [U] [D].

La CPAM de l'Essonne, suivant conclusions signifiées le 14 mai 2014, demande à la cour de confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 12 juin 2009, sauf à actualiser sa créance et en conséquence de :

condamner la Société GLAXOSMITHKLINE à lui verser la somme de 77.556,08 € au titre du remboursement des prestations versées par elle à Mme [Z] [K] et ce sous réserve des prestations non connues à ce jour et de celles qui pourraient être versées ultérieurement, avec intérêts au taux légal à compter de la première demande, sur le fondement de l'article 1153 du code civil avec capitalisation dans les conditions de l'article 1154,

condamner la Société GLAXOSMITHKLINE à lui payer une somme de 1.028 € au titre de l'indemnité forfaitaire prévue par l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale,

la condamner à lui régler la somme de 2.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. 

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 18 septembre 2014.

MOTIFS DE LA DECISION :

Considérant que la fondation CASIP COJASOR, désignée en qualité de curateur de Mme [Z] [K] par décision du tribunal d'instance de Paris du 29 juillet 2011, intervient à la procédure pour l'assister devant la cour ;

Considérant que Mme [Z] [K] et Mme [U] [D] recherchent, dans le dernier état de leurs écritures devant la cour, la responsabilité pleine et entière de la Société GLAXOSMITHKLINE en qualité de producteur, à raison du défaut du produit, abandonnant ainsi l'argumentation subsidiaire qu'elles avaient développée précédemment sur la perte de chance d'éviter le dommage à raison d'un défaut d'information sur le risque encouru ;

Que leur action est fondée sur les dispositions de l'article 1382 du code civil, interprétées à la lumière de la directive communautaire n°85/374 du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité des produits défectueux, dès lors que la vaccination incriminée a été administrée avant l'entrée en vigueur de la loi du 19 mai 1998 transposant en droit français la directive mais que la mise en circulation des produits est postérieure à la date fixée pour la transposition de cette directive, soit le 30 juillet 1988 ;

Que la mise en jeu de la responsabilité du producteur suppose que le demandeur prouve, d'une part l'administration du produit, l'existence du dommage et le lien de causalité entre celles-ci, d'autre part le défaut du produit défini comme n'offrant pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte tenu de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage du produit qui peut être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation, ainsi que le lien de causalité entre ce défaut et le dommage ;

Que les preuves mises à la charge du demandeur peuvent être apportées par présomptions, à la condition que celles-ci soient graves, précises et concordantes, le défaut du vaccin et l'imputabilité du dommage ne pouvant se déduire de l'absence de certitude scientifique sur l'innocuité du produit ;

Que la Cour de cassation retient que, si la responsabilité du fait des produits défectueux requiert que le demandeur prouve le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage, la participation du produit à la survenance du dommage est un préalable implicite, nécessaire à l'exclusion éventuelle d'autres causes possibles de la maladie, pour la recherche de la défectuosité du produit et du rôle causal de cette défectuosité, sans pour autant que sa simple implication dans la réalisation du dommage suffise à établir son défaut au sens de l'article 1386-4 du code civil ni le lien de causalité entre ce défaut de dommage ;

Que dès lors, il appartient aux demanderesses de démontrer dans un premier temps, dans les conditions sus-définies, l'imputabilité du dommage à la vaccination, avant que ne soient recherchées l'existence d'un défaut du produit et la preuve d'un lien de causalité avec le dommage subi par la jeune fille ;

Considérant que la vaccination d'[Z] [K] par GenHevac B le 4 juillet 1994 et Engerix B20 les 9 août et 7 novembre 1994, puis son rappel par Engerix B 20 le 7 février 1997 ne sont pas discutés ;

Qu'il ressort du rapport d'expertise des Dr [L], [G] et [A] qu'entre les trois premières injections en 1994 et le rappel en 1997, [Z] [K] n'a présenté aucune complication locale ou générale ; que la patiente, alors âgée de 15 ans, s'est plainte de la manifestation des premiers troubles à partir de la mi-février 1997, soit une ou deux semaines après le rappel, sous la forme de gêne à la marche et de fatigue ainsi que de faiblesses dans les membres inférieurs lors d'un entraînement de gymnastique ; que devant l'aggravation de ces troubles, la jeune fille a été hospitalisée le 1er avril 1997 et que des troubles neurologiques ont alors été objectivés par un scanner cérébral puis une IRM cérébrale révélant deux zones d'hypersignal ; qu'une seconde poussée évolutive est survenue en janvier 1998, l'IRM cérébrale révélant la présence d'hypersignaux en plus grand nombre que sur l'IRM d'avril 1997 ; qu'au regard des examens radiologiques réalisés entre 1997 et 2000, les experts ont conclu que le diagnostic d'affection démyélinisante du système nerveux central pouvait être posé et que, compte tenu de l'âge et de l'évolution par poussées celui de la sclérose en plaques pouvait être retenu ; qu'ils ont ajouté que Mme [Z] [K] n'avait aucun antécédent neurologique connu avant 1997 ;

Considérant qu'il appartient à Mme [Z] [K] de rapporter la preuve de l'imputabilité de la vaccination dans la survenance de la maladie ;

Que les experts ont précisé sur ce point que la cause de cette maladie reste inconnue, que les différentes études réalisées sur la question du rôle de la vaccination dans la survenue de manifestations neurologiques en rapport avec une démyélinisation multifocale du système nerveux central évoquant le diagnostic de la sclérose en plaques ne démontraient pas de relation certaine de causalité et qu'a contrario, l'existence d'un risque faible d'atteintes démyélinisantes associées au vaccin ne pouvait pas être exclue avec certitude, notamment chez des personnes présentant des facteurs de sensibilité particuliers ; qu'ils ont conclu qu'on ne pouvait, sur le seul argument chronologique, retenir une certitude du lien de causalité entre l'administration du vaccin et la pathologie dont souffre Mme [Z] [K] ;

Que le tribunal a considéré qu'il existait un faisceau d'indices permettant de retenir l'imputabilité du dommage au produit ; mais que les éléments pris en considération par les premiers juges ne constituent pas des présomptions graves, précises et concordantes, au regard des éléments du dossier et des données scientifiques évoquées par les parties ;

Qu'en effet, il doit être observé que l'étiologie de la sclérose en plaques est actuellement inconnue, qu'il s'agit d'une affection caractérisée au niveau physiopathologique par l'atteinte de la myéline du système nerveux central entraînant l'apparition de plaques de démyélinisation à la suite d'un processus immunologique méconnu, probablement très hétérogène ; qu'il est admis, à la suite du dernier éclairage donné par le Pr [B] (spécialiste de la sclérose en plaques dont les travaux ne sont pas sérieusement discutés par les demanderesses qui invoquent, sans l'établir, l'existence d'un conflit d'intérêt avec les fabricants du vaccin) dans une étude publiée en 2008, qu'il existe une dissociation entre les poussées cliniques et la date d'apparition des lésions observées à l'imagerie médicale, ses travaux concluant en effet que, lors de l'apparition des premiers symptômes de la maladie, le processus physiopathologique a probablement commencé plusieurs mois, voire plusieurs années auparavant ; qu'au regard de ces éléments, le critère de la proximité temporelle entre l'apparition des premiers symptômes décrits par Mme [Z] [K] et sa vaccination perd de sa pertinence et qu'il ne peut en être tiré d'argument sérieux en faveur d'un lien de causalité ;

Que les experts n'ont pas relevé de facteurs de risque particulier présenté par [Z] [K], mais que l'ignorance de l'étiologie de la sclérose en plaques empêche de considérer que l'absence de facteur de risque personnel ou familial et l'absence d'autres éventuelles causes de la maladie chez Mme [Z] [K] constitueraient des éléments de présomption graves, précis et concordants en faveur du lien de causalité avec la vaccination ;

Que la rareté de la survenance de la sclérose en plaques chez l'enfant ne permet pas plus de considérer que, pour le cas de la jeune [Z] [K], vaccinée à l'âge de 12 ans, avec un rappel à 15 ans, le vaccin aurait eu un rôle causal dans l'apparition de la maladie, dès lors que les experts citent dans leur rapport des études rétrospectives menées aux USA et au Canada en 1999 et en 2000 sur un large panel d'enfants permettant de constater une incidence d'affection démyélinisante moindre chez les sujets vaccinés que chez les sujets non vaccinés ; que, par ailleurs, les études du Pr [S] réalisées en 2007 et portant très spécifiquement sur la sclérose en plaques chez l'enfant ont conclu, d'une part qu'il n'existait aucune augmentation du risque de premier épisode de la sclérose en plaques pendant l'enfance associée à la vaccination contre l'hépatite B, d'autre part que la vaccination intervenue après un premier épisode de démyélinisation inflammatoire du système nerveux central pendant l'enfance n'augmentait pas le risque de récidive traduisant une sclérose en plaques ;

Que l'observation des experts judiciaires selon laquelle 'a contrario, l'existence d'un risque faible d'atteintes démyélinisantes associées au vaccin contre l'hépatite B ne pouvait être exclue avec certitude, notamment chez certaines personnes présentant des facteurs de sensibilité particuliers' a été considérée à tort par le tribunal comme pouvant constituer un élément de présomption en faveur de l'imputabilité de la vaccination dans l'apparition de la maladie présentée par la jeune [Z] [K] ; qu'en effet, la preuve, même établie par présomptions, ne peut reposer sur de simples hypothèses et ne peut se déduire de la seule impossibilité a contrario d'exclure tout lien entre la vaccination et la maladie ; qu'en outre, les experts n'ont pas caractérisé l'existence de facteurs de sensibilité particuliers chez la jeune fille susceptible de favoriser le développement des affections démyélinisantes ;

Qu'il convient d'ajouter, en l'état des nombreuses études nationales et internationales citées par la Société GLAXOSMITHKLINE et évoquées dans l'expertise judiciaire et au regard des diverses mesures d'enquêtes et de surveillance renforcée mises en 'uvre par les autorités sanitaires, qu'il n'existe aucun consensus scientifique en faveur d'un lien de causalité entre la vaccination contre l'hépatite B et la sclérose en plaques et que l'ensemble des autorités sanitaires nationales (Commission Nationale de Pharmacovigilance et Académie Nationale de Médecine) et internationales (Comité consultatif sur la Sécurité des vaccins de l'OMS et Institute of Medecine) ont écarté l'association entre un risque d'atteinte démyélinisante centrale ou périphérique et la vaccination contre l'hépatite B ; que la mention, dans la monographie Vidal, de poussées de sclérose en plaques au titre des effets indésirables du vaccin Engerix B ne constitue pas une reconnaissance d'un lien entre ces poussées et le vaccin mais répond uniquement à un souci d'information des praticiens sur l'existence d'effets indésirables dont il est précisé qu'ils sont 'rapportés' mais qui ne sont pas démontrés ;

Qu'il doit en être conclu que les éléments retenus par le tribunal et auxquels Mme [Z] [K] et Mme [U] [D] n'ajoutent, dans le dernier état de leurs écritures devant la cour, aucun élément nouveau, ne constituent pas, qu'ils soient pris isolément ou ensemble, des présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir l'imputabilité de la vaccination par Genevax B 20 dans la survenance de la sclérose en plaques présentée par Mme [Z] [K] ;

Considérant dès lors, sans qu'il soit besoin d'examiner la question de la défectuosité du produit développée par les intimées, que le jugement doit être infirmé en toutes ses dispositions et que Mme [Z] [K] , assistée de la fondation CASIP COJASOR, et Mme [U] [D] doivent être déboutées de toutes leurs demandes, de même que la CPAM de l'Essonne ;

Considérant que l'équité commande de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles ;

Que Mme [Z] [K] , assistée de la fondation CASIP COJASOR, et Mme [U] [D] seront condamnées aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement,

sur renvoi de la Cour de cassation,

Constate que Mme [Z] [K] est assistée à la procédure par la fondation CASIP COJASOR, son curateur ;

Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 12 juin 2009 en toutes ses dispositions hors celles concernant la Société SANOFI PASTEUR, devenues définitives ;

Déboute Mme [Z] [K], assistée de la fondation CASIP COJASOR, et Mme [U] [D] de toutes leurs demandes ;

Déboute la CPAM de l'Essonne de ses prétentions ;

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [Z] [K], assistée de la fondation CASIP COJASOR, et Mme [U] [D] aux dépens de première instance et aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 13/24211
Date de la décision : 31/10/2014

Références :

Cour d'appel de Paris C2, arrêt n°13/24211 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-10-31;13.24211 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award