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23/10/2014 | FRANCE | N°12/02691

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 23 octobre 2014, 12/02691


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRÊT DU 23 Octobre 2014

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/02691 - CM



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Janvier 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section industrie RG n° 10/15633



APPELANT

Monsieur [Q] [I] [V] [P]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Ju

lie PLEUVRET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0022



INTIMEE

SA GRDF

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Romain ZANNOU, avocat au barreau de PARIS, toque : J029
...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRÊT DU 23 Octobre 2014

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/02691 - CM

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Janvier 2012 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section industrie RG n° 10/15633

APPELANT

Monsieur [Q] [I] [V] [P]

[Adresse 1]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Julie PLEUVRET, avocat au barreau de PARIS, toque : P0022

INTIMEE

SA GRDF

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée par Me Romain ZANNOU, avocat au barreau de PARIS, toque : J029

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 25 Septembre 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Catherine MÉTADIEU, Présidente de chambre

Mme Marthe-Elisabeth OPPELT-RÉVENEAU, Conseillère

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

[Q] [P] a été engagé par les sociétés Edf et Gdf au sein de leur direction commune Edf-Gdf Services devenue Egd, à compter du 1er juin 1999, en qualité de chauffeur de direction. Il a été en dernier lieu le chauffeur du directeur d'Egd.

Le 18 octobre 2005, il a été décidé de restreindre le bénéfice des chauffeurs aux seuls membres du comité exécutif-comex.

Le 3 janvier 2006, [Q] [P] a été informé de cette décision, le directeur d'Egd n'appartenant pas au comex.

Après avoir fait un bilan de compétence et s'être vu proposé une prime 'bénévole' et exceptionnelle de 21 500 € destinée à compenser la perte des rémunérations complémentaires liées à son emploi de chauffeur, Edwin de la Tribouille a été transféré au sein de Grdf en janvier 2008 dans le cadre d'une mutation d'office au sein de la délégation des ressources humaines.

Après avoir effectué plusieurs immersions dans différents services, [Q] [P] a, le 1er juillet 2009, été affecté à un poste d'appui administratif au sein du secrétariat général de la délégation juridique, sa classification fonctionnelle (Gf5-Nr85) étant conservée.

Estimant que depuis janvier 2006, il a fait l'objet de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie, qu'aucun poste répondant à ses qualifications professionnelles ne lui avait été proposé, qu'aucune fonction ni mission de travail ne lui a pas été confiée du 9 janvier 2008 au 21 août 2008.

C'est dans ces conditions que le 7 décembre 2010, [Q] [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris afin d'obtenir le paiement d'un rappel de salaires de janvier 2006 à juin 2009, d'un rappel d'heures supplémentaires, d'indemnité de repas, de rappel de primes de mutation, de dommages-intérêts pour préjudice moral.

Il a sollicité en outre la redéfinition du poste d'appui administratif, la remis de bulletins de salaires conformes et une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Reconventionnellement, la Sa Grdf a demandé une indemnité sur ce même dernier fondement.

Par jugement en date du 19 janvier 2012, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté [Q] [P] de l'ensemble de ses demandes et la Sa Grdf de sa demande reconventionnelle.

Appelant de cette décision, [Q] [P] demande à la cour de :

- Sur les heures supplémentaires,

A titre principal,

- condamner la Sa Grdf à lui payer les sommes de :

' 321 569,92 € à titre de rappel d'heures supplémentaires

' 32 156 € de congés payés afférents

A titre subsidiaire

- juger qu'il a été victime d'une inégalité de traitement au regard de l'indemnisation octroyée à Monsieur [W] au titre de la perte des heures supplémentaires

- juger qu'il doit être indemnisé selon la même méthode de calcul

En conséquence

- condamner la Sa Grdf à lui payer :

' 155 820 €

' 15 580 € de congés payés afférents

' 74 000 € à titre de prime exceptionnelle

' 7 400 € de congés payés afférents

- ordonner pour l'avenir le versement mensuel par la Sa Grdf d'une prime de 1 000 €

- Sur l'aide individualisé au logement

A titre principal

- condamner la Sa Grdf à lui verser les sommes de :

'44 937,44 € bruts à titre de rappel de salaire

' 4 493 € de congés payés afférents

- ordonner pour l'avenir le versement mensuel par la Sa Grdf d'une prime de 814,73 €

A titre subsidiaire,

- condamner la Sa Grdf à lui verser les sommes de :

' 39 107,04 € à titre d'indemnité de mobilité fonctionnelle

' 3 910,70 € de congés payés afférents

' 3 421,92 € au titre de la suppression de l'A.i.l avant la date de la nouvelle affectation

' 342 € de congés payés afférents

- Sur les heures supplémentaires réalisées en 2006

- condamner la Sa Grdf à lui payer les sommes de :

' 1 559,05 € d'heures supplémentaires

' 155,90 € de congés payés afférents

' 1 080,47 € de frais de repas

' 38 268 € au titre du travail dissimulé

- Sur les dommages-intérêts

- condamner la Sa Grdf à lui verser la somme de 40 000 € de dommages-intérêts en réparation des préjudices subis

- condamner la Sa Grdf au paiement de la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Sa Grdf sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a débouté [Q] [P] de ses demandes, fins et prétentions.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour l'exposé des faits, prétentions et moyens des parties, aux conclusions respectives des parties déposées à l'audience, visées par le greffier et soutenues oralement.

MOTIVATION

Sur les demandes de rappels de salaires :

La durée légale du travail effectif prévue à l'article L.3121-10 du code du travail constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires payées à un taux majoré dans les conditions de l'article L.3121-22 du code.

Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

1/ sur l'intégration dans le salaire de base des heures supplémentaires

[Q] [P] sollicite l'intégration des heures supplémentaires dans son salaire de base ce à quoi s'oppose la Sa Grdf.

Il fait valoir qu'il importe de se référer aux conditions d'exercice des fonctions de chauffeur, qu'il a réalisé un nombre très important d'heures supplémentaires entre 1999 et 2 005 représentant un total de 11 352,97 heures pour une rémunération de 132 698,32 €, qu'il est manifeste, tant au vu de leur importance que de leur régularité, que la durée de travail mensuelle n'a jamais été de 151,67 heures, que la réalisation d'un si grand nombre d'heures supplémentaires est intrinsèquement liée à la nature des fonctions, que ces heures se sont intégrées au contrat de travail.

Force est de constater que la Sa Grdf dans la lettre d'engagement de Edwin de la Tribouille ne s'est pas engagé à lui garantir un nombre précis d'heures supplémentaires.

A défaut d'un tel engagement, il n'existe pas de droit acquis à l'exécution d'heures supplémentaires, rien ne permettant de constater qu'en l'espèce la Sa Grdf a commis un abus dans l'exercice de son pouvoir de direction lequel ne pourrait en tout état de cause n'ouvrir qu'un droit à indemnisation.

Il convient par conséquent de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande tendant à voir intégrer les heures supplémentaires qu'il a effectuées et qui lui ont été régulièrement payées, dans son salaire de base.

2/ sur l'inégalité de traitement

A titre subsidiaire, [Q] [P] invoque une inégalité de traitement.

Il résulte du principe «à travail égal, salaire égal», dont s'inspirent les articles L.1242-14, L.1242-15, L.2261-22.9, L.2271-1-8° et L.3221-2 du code du travail que tout employeur est tenu d'assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.

Sont considérés comme ayant une valeur égale par l'article L.3221-4 du code du travail les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.

En application de l'article 1315 du code civil, s'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe «à travail égal, salaire égal» de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.

[Q] [P] invoque le fait qu'il a subi la disparition d'une partie très substantielle de sa rémunération et que l'attribution d'une prime dite «bénévole» d'un montant de 21 000 € est insuffisante au regard de celle de 72 252 € versée à M. [W], également chauffeur et des autres mesures et indemnité dont il a en outre bénéficié.

Il communique :

- une pièce intitulée «Dossier [U] [W]» comportant un exposé de sa situation à la date du 31/12/2007, une projection de sa situation à compter du 01/01/2007, le calcul des écarts, le rattrapage des écarts sur les 3 années avant un départ possible en inactivité, soit une indemnisation de 72 252 €, l'attribution de 4 Nr,

- la convention signée le 25 mai 2008 à effet au 1er juin suivant par les parties mettant en application ces différentes mesures, avec cette précision qu'en contrepartie l'intéressé ferait valoir ses droits à sa mise en inactivité par anticipation à la date du 1er janvier 2011,

- les bulletins de salaires des années 2008, 2009, 2010 de [U] [W].

Ces éléments sont susceptibles de caractériser une différence de traitement.

La Sa Grdf fait valoir qu'elle a retenu les mêmes modalités de calcul pour le calcul du montant de l'indemnisation liée à la perte d'heures supplémentaires à savoir:

- pour [Q] [P] : taux horaire au 31/12/2005 : 10,79 €, nombre d'heures supplémentaires effectuées pour l'année de référence 2 004 : 1 368,56, le paiement de la somme de 26 932,57 € pour l'année de référence

- pour [U] [W] : taux horaire au 31/12/2007 : 15,59 €, nombre d'heures supplémentaires réalisées pour l'année de référence 2007 : 1 448, le paiement des heures supplémentaires pour l'année 2007 : 37 510 €

La Sa Grdf justifie bien avoir appliqué la même méthode de calcul pour la détermination du montant de l'indemnité destinée à compenser la perte de rémunération complémentaire subie par ces deux chauffeurs.

La différence résultant du fait que le capital versé in fine à [U] [W] s'élevait à 72 252 € s'inscrit dans le cadre d'une convention particulière entre ce dernier et l'employeur aux termes de laquelle, en contrepartie, l'intéressé s'engageait à faire valoir ses droits à mise en inactivité par anticipation à la date du 1er janvier 2011, alors même qu'en 2008 il n'était âgé que de 53 ans.

La différence de traitement n'est pas établie.

3/ sur le rappel d'heures supplémentaires et des frais de repas 2006

[Q] [P] expose que du mois d'avril jusqu'au 7 juillet 2006, il a remplacé le chauffeur de M. [D] au sein de la Sa Grdf et qu'il a effectué des heures supplémentaires.

Il réclame le paiement de ces heures et des frais de repas afférents.

Il produit aux débats le relevé des heures accomplies pendant cette période, contresigné par M. [R].

Le salarié produit ainsi des éléments préalables qui peuvent être discutés par l'employeur et qui sont de nature à étayer sa demande.

L'employeur fait valoir que [Q] [P] fait une lecture erronée du relevé produit, qu'il a additionné l'ensemble des heures supplémentaires effectuées à la journée qu'il a ensuite pondéré sur la période concernée, qu'elles ne correspondant pas au nombre d'heures supplémentaires réellement effectué, qu'il a accompli 90,66 heures supplémentaires et non 144 comme il le prétend.

Selon le relevé produit, le total des heures supplémentaires apparaît en gras dans une rubrique -Total- sous laquelle figure une sous-rubrique à valeur explicative, en caractères réduits 'heures hebdomadaires pondérées', correspondant selon l'employeur, au total des heures ayant donné lieu à majoration de 150 et 200 %, ce que confirme l'examen des mêmes relevés produits les années précédentes, établis sur le même modèle, sans que Edwin de la Tribouille ne les remette en cause pour la période non soumise à la prescription quinquennale alors applicable.

Il résulte de plus des bulletins de salaires que la Sa Grdf verse aux débats pour l'année 2005 que cette dernière a effectivement payé à Edwin de la Tribouille des heures supplémentaires majorées pour la période concernée.

Au vu des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la cour a la conviction que [Q] [P] n'a pas effectué les heures supplémentaires alléguées.

Sa demande relative aux heures supplémentaires doit par conséquent être rejetée.

Le jugement est confirmé sur ce point.

Il convient dès lors que la demande en paiement d'heures supplémentaires est rejetée de débouter Edwin de la Tribouille de sa demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, rien ne permettant de constater que l'employeur aurait mentionné sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli et encore moins qu'il a agi de manière intentionnelle.

En revanche, s'agissant des frais de route, [Q] [P] fait observer à juste titre que mention est faite sur le même relevé ci-dessus analysé, de 32 repas et de 9 petits déjeuners.

Or la Sa Grdf ne justifie pas lui avoir versé le montant de ces repas tel que ressortant du barème en vigueur au sein de l'entreprise et correspondant à la somme de 1 080,47 € dont elle ne conteste pas expressément les modalités de calcul.

Sur l'aide individualisée au logement :

[Q] [P] invoque à la titre principal la nature contractuelle et permanente de l'aide individualisée au logement-A.i.l.

Il a été prévu, aux termes d'une convention A.i.l en date du 25/11/99, signé par les parties, qu'il est 'accordé à titre exceptionnel le bénéfice d'une aide individualisée au logement accordée sous forme d'une indemnité mensuelle', que cette aide est liée à l'affectation d'[Q] [P] comme chauffeur à Edf-Gdf services centraux état major et expressément indique à l'article 4 :

'Le présent contrat restera valable aussi tant que l'agent ne changera pas d'affectation. Il ne subira aucune modification ni révision'.

Il résulte, sans aucune ambiguïté, des dispositions claires et précises de cette convention que le versement de cette prime est subordonné à l'exercice par [Q] [P] des fonctions de chauffeur par l'intéressé, qu'accordée à titre exceptionnel et personnel, elle n'est pas d'application permanente, qu'elle ne rentre pas dans le champ d'application de la prime ayant le même intitulé prévue par les textes internes de la société et attribué aux seuls agents conduits à déménager dans le cadre d'une mobilité ouvrant droit au bénéfice de l'article 30 du statut.

[Q] [P] est donc mal fondé à solliciter que la suppression de l'A.i.l constitue une composante de sa rémunération contractuelle et que sa suppression est constitutive d'une modification unilatérale de sa rémunération contractuelle.

A titre subsidiaire, il soutient que l'aide individualisé au logement répond aux conditions de la note n°3 sur l'indemnisation de la perte de primes au titre des mobilités prioritaires.

Selon la note n°3, tout agent dont la mutation se traduit par la perte de primes et indemnités, liées à la fonction ayant un caractère permanent de salaire bénéficie d'une compensation.

Les primes et indemnités ayant le caractère de salaire et donnant lieu à compensation sont énumérées de manière limitative.

Or [Q] [P] ne justifie pas avoir perçu pendant l'exercice de ses fonctions de chauffeur une quelconque de ces primes.

Il a de plus été précisé précédemment que l'A.i.l n'a pas le caractère permanent de salaire.

[Q] [P] sera débouté ses demandes en paiement de la somme de 39 107,04 € à titre d'indemnité à la mobilité fonctionnelle.

Il est toutefois fondé à réclamer la somme de 3 421,92 € et celle de 342,19 de congés payés à titre de rappel de l'A.i.l qu'il aurait dû percevoir jusqu'au 1er juillet 2009, date de sa nouvelle affectation.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments de prouver, que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, [Q] [P] invoque les faits suivants :

- l'annonce brutale de la cessation de ses fonctions de chauffeurs le 3 janvier 2006, alors qu'il est prévu que les agents doivent être prévenus six mois à l'avance lorsque leur poste est susceptible d'être supprimé,

- la carence de l'employeur dans sa reconversion, l'employeur n'ayant pas anticipé son reclassement et ne lui ayant proposé aucune formation ni proposition de avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation,

- son abandon dans le tour Edf de la Défense

- le mépris pour sa situation financière et la résistance abusive au paiement de ses salaires

- un traitement discriminatoire, l'indemnisation bénévole qu'il a perçue étant de très loin inférieure à celle perçue par un autre chauffeur.

Il y a lieu de rappeler que la cour a précédemment débouté [Q] [P] de sa demande fondée sur l'inégalité de traitement alors qu'il n'invoque que la seule situation ci-dessus évoquée et ne fait pas état d'un fait susceptible de constituer une discrimination au sens de l'article L.1132-1 du code du travail.

S'agissant de l'annonce brutale de la cessation de son poste, la Sa Grdf admet dans ses conclusions que l'information concernant la décision du Président d'Edf de restreindre le bénéfice des chauffeurs aux seuls membres du Comex et de la suppression des postes de chauffeur a été portée à la connaissance des cadres dirigeants de la société le 18 octobre 2005 mais que ce n'est que le 3 janvier 2006 que cette décision a été répercutée à [Q] [P], confirmation écrite lui étant donnée un mois plus tard le 14 février 2006.

S'il est établi qu'une compensation financière lui a été octroyée, l'employeur ne justifie pas avoir mis en oeuvre une quelconque formation.

La Sa Grdf s'est bornée à proposer à [Q] [P] diverses «immersions» dont une impliquait des tâches de manutention, sans s'assurer que ces fonctions étaient compatibles avec son état de santé.

Sur les autres faits, [Q] [P] fait valoir qu'il n'a jamais fait preuve de mauvaise volonté et a pu très vite constater que les immersions proposées par la Sa Grdf n'étaient pas adaptées et que l'employeur n'apporte pas de justification concernant le retard apporté à la création de son poste ni le fait qu'il n'a pas été tenu compte de son projet professionnel et de ses compétences.

Force est de constater qu'à l'exception d'une mission temporaire de chauffeur remplaçant en 2006 et de quelques immersions, lesquelles ne constituent pas une véritable affectation, est resté sans travail et donc dans une totale incertitude pendant les six premiers mois de 2008, la seule résistance du salarié à poursuivre les immersions proposées ne pouvant dispenser l'employeur de son obligation de lui fournir un travail correspondant à ses compétences.

[Q] [P] verse aux débats la lettre du 14 mars 2008 aux termes de laquelle il réclamait une nouvelle affectation, et une réponse de l'employeur du 29 juillet suivant.

Il établit l'existence de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

La Sa Grdf n'apporte aucune explication concernant le fait :

- qu'elle a tardé à informe le salarié de la cessation de ses fonctions de chauffeur,

- qu'entre le 17 mars 2008, date à laquelle [Q] [P] a été convoqué à [Localité 3] pour une immersion-découverte du métier acheminement pendant une demi-journée, et le mois de juillet 2008, elle ne lui a, non seulement plus fait d'autres propositions mais l'a laissé sans aucune attribution, alors même que dès le mois le 14 mars 2008, [Q] [P] dénonçait déjà cette situation, 'je me considère comme appartenant aux fonctions centrales d'Egd à la tour Edf,PB6, sans poste et sans fonction, n'ayant signé aucune affectation'.

Cette carence de l'employeur qui a laissé le salarié dans l'incertitude, qui plus est sans travail pendant plusieurs mois, est constitutive de faits de harcèlement moral dont l'employeur échoue à démontrer qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le harcèlement moral est établi.

Compte tenu des circonstances du harcèlement subi, de sa durée, et des conséquences dommageables qui en sont résultées pour [Q] [P], telles qu'elles ressortent des pièces et des explications fournies, son préjudice doit être réparé par l'allocation de la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts.

Le jugement est infirmé sur ce point.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

L'équité commande qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de [Q] [P] et de lui allouer la somme de 2 000 € à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a débouté [Q] [P] de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents, de ses demandes de rappel de primes

Statuant à nouveau

Condamne la Sa Grdf à payer à [Q] [P]

- 1 080,47 € au titre des frais de repas de l'année 2006

- 3 421,92 € à titre de rappel de l'A.i.l qu'il aurait dû percevoir jusqu'au 1er juillet 2009,

- 342,19 de congés payés afférents

- 10 000 € de dommages-intérêts pour harcèlement moral

- 2 000 € en application l'article 700 du code de procédure civile

Déboute [Q] [P] du surplus de leurs demandes

Condamne la Sa Grdf aux entiers dépens.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 12/02691
Date de la décision : 23/10/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°12/02691 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-10-23;12.02691 ?
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