Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 8
ARRET DU 27 MAI 2014
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/03627
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Décembre 2012 -Tribunal de Commerce de BOBIGNY - RG n° 2010F01335
APPELANTE
SA ARKEMA FRANCE agissant poursuites et diligences de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Maître Alain FISSELIER de la SCP SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044
Représentée par Maître Clément DUPOIRIER de la SDE HERBERT SMITH FREEHILLS PARIS LLP, avocat au barreau de PARIS, toque : J025
INTIMEE
SASU RHODIA CHIMIE agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Maître Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
Représentée par Maître Frédérique CHAILLOU de la SCP LPA, avocat au barreau de Paris, toque : P238
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 17 Mars 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Marie HIRIGOYEN, Présidente
Madame Evelyne DELBÈS, Conseillère
Monsieur Joël BOYER, Conseiller
qui en ont délibéré
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Patricia DARDAS
MINISTERE PUBLIC :
L'affaire a été communiquée au ministère public.
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie HIRIGOYEN, présidente et par Mme Céline LITTERI, greffière présente lors du prononcé.
La société Pechiney Saint-Gobain était spécialisée dans la fabrication, la transformation et le commerce de produits chimiques et de leurs dérivés. Par un arrêté préfectoral du 18 octobre 1965, elle a été autorisée à exploiter un atelier de fabrication de chlorure de vinyle monomère (CVM) dans son usine de [Localité 3] dans le département du Rhône. Le CVM a été fabriqué dans un atelier, dit Vinyle III, situé dans le secteur nord de ce site durant sept ans. Cette fabrication, qui a cessé en 1972, impliquait l'emploi d'un mélange d'éthylène et d'acétylène et la mise en oeuvre d'un procédé laissant des résidus chlorés.
En 1972, les sociétés Pechiney Saint-Gobain et Progil ont fusionné en une société Rhône Progil qui est devenue, en 1975, la société Rhône Progil Industries (RPI).
Les bâtiments de l'atelier Vinyle III ont été détruits en 1975, mais le site est resté en activité pour la fabrication d'autres produits chimiques.
Aux termes d'un traité d'apport en date du 20 octobre 1980, la société RPI a apporté une partie de ses activités chimiques à la société Activités Chimiques Chloe, spécialisée, notamment, dans la recherche, la fabrication, la transformation et la vente de produits chimiques.
A la suite de la signature de ce traité, la société Activités Chimiques Chloe est devenue Atochem, puis Elf-Atochem, Atofina et enfin Arkema France.
La société Rhône Poulenc Chimie est elle-même devenue la société Rhodia Chimie.
En 1993, la présence de résidus chlorés (trichloréthane 112 et dichloréthane) a été détectée dans la nappe phréatique du secteur sud du site de [Localité 3].
Par un arrêté du 10 janvier 1994, le préfet du Rhône a prescrit à Elf-Atochem de réaliser des études de nature à déterminer l'état de contamination du site, à quantifier l'impact des dépôts, à évaluer les risques à long terme et à déterminer les travaux préventifs et/ou curatifs nécessaires.
La société Elf-Atochem a réalisé une étude historique destinée à préciser la localisation, la date, l'importance et la nature des dépôts, mais aussi une étude documentaire précisant les caractéristiques géologiques et hydrogéologiques du milieu environnant, un diagnostic environnemental, une étude de modélisation des écoulements souterrains et une campagne de mesures géophysiques.
De juillet 1999 à février 2000, le Préfet du Rhône a pris :
- trois arrêtés enjoignant à Elf-Atochem d'achever le diagnostic de pollution et de proposer des travaux préventifs ou curatifs conformément à l'arrêté du 10 janvier 1994, a prononcé à l'encontre de l'intéressée une injonction de consignation de la somme de 200 000 francs et a émis un titre de perception de cette somme,
- trois arrêtés à l'encontre de Rhodia Chimie prescrivant la réalisation d'une évaluation des risques, prononçant une mise en demeure de réaliser cette étude et ordonnant la consignation de la somme de 20 000 francs.
La société Elf-Atochem a contesté les trois arrêtés la visant devant le tribunal administratif de Lyon estimant n'avoir aucune obligation au titre de la pollution détectée qui trouvait, selon elle, son origine dans l'enfouissement de résidus chlorés intervenu sur le site entre 1965 et 1972.
La société Rhodia Chimie a également saisi le tribunal administratif de Lyon pour contester les arrêtés la visant.
Par jugement du 12 juin 2002, le tribunal administratif a annulé les trois arrêtés visant la société Elf-Atochem mais a rejeté les requêtes de la société Rhodia Chimie.
Par arrêt du 6 juillet 2006, la cour administrative d'appel de Lyon a annulé ce jugement, d'une part, à la demande de la société Rhodia Chimie, en ce qu'il rejetait ses conclusions tendant à l'annulation des arrêtés préfectoraux la visant, d'autre part sur l'appel provoqué du Ministre de l'écologie et du développement durable, en ce qu'il annulait les arrêtés édictés à l'encontre d'Elf Atochem, a annulé les trois arrêtés pris à l'encontre de Rhodia Chimie et a rejeté la demande de la société Arkema France aux droits de Elf Atochem tendant à l'annulation des trois arrêtés pris à son encontre.
Par arrêt du 29 avril 2009, le Conseil d'Etat, sur le pourvoi formé par la société Arkema France, a annulé cet arrêt uniquement en ce que, accueillant l'appel provoqué du Ministre de l'écologie et du développement durable qui était irrecevable, il avait annulé l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Lyon annulant les trois arrêtés pris à l'encontre de la société Arkema France.
Le 14 mai 2007, le Préfet a pris un nouvel arrêté enjoignant à la société Arkema France de procéder à la surveillance de la qualité des eaux souterraines situées au droit et à proximité de son site, de réaliser un diagnostic approfondi sur les terrains du secteur sud du site de [Localité 3] et une interprétation de l'état des milieux correspondants et de proposer un plan de gestion de la pollution par les résidus chlorés.
Par jugement du 29 septembre 2011, le tribunal administratif de Lyon a rejeté le recours en annulation formé par la société Arkema France à l'encontre de cet arrêté. Par décision du 11 avril 2013, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté le recours formé par la société Arkema France à l'encontre de ce jugement.
C'est dans ces circonstances que, par acte du 5 août 2010, la société Arkema France a assigné la société Rhodia Chimie devant le tribunal de commerce de Bobigny afin d'obtenir la condamnation de l'intéressée à la relever et garantir de toutes condamnations, obligations et sommes qu'elle a dû ou sera amenée à supporter pour avoir été désignée débitrice unique de l'obligation administrative de surveillance et de remise en état du secteur sud du site de Saint-Fons pollué par les résidus de fabrication de CVM, soit à compter du 14 mai 2007.
Par jugement du 26 décembre 2012, le tribunal de commerce de Bobigny a dit l'action de la société Arkema France irrecevable comme prescrite, a débouté la société Rhodia Chimie de sa demande de dommages et intérêts et de toutes ses autres prétentions.
Par déclaration du 22 février 2013, la société Arkema France a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières écritures signifiées le 13 septembre 2013, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré son action irrecevable car prescrite et, statuant à nouveau, de constater que le secteur sud du site de [Localité 3] a été pollué par le déversement de résidus de fabrication de CVM par la société Pechiney Saint-Gobain, aux droits de laquelle vient la société Rhodia Chimie, entre 1965 et 1972 et qu'à la suite d'un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon du 6 juillet 2006, la société Arkema France a été désignée comme l'unique débiteur de l'obligation administrative de surveillance, en conséquence, à titre principal, de dire que, eu égard aux termes du traité d'apport conclu entre RPI et Activités Chimiques Chloe, le 20 octobre 1980, la société Rhodia Chimie a conservé la responsabilité de la pollution du secteur sud du site de [Localité 3] par des résidus de fabrication de CVM, subsidiairement, de dire que la société Rhodia Chimie, sur le fondement du paragraphe 19 du traité d'apport, doit garantir la société Arkema France au titre de la pollution du secteur en cause, plus subsidiairement, de dire que la même, venant aux droits de la société Pechiney Saint-Gobain et de la société RPI, doit répondre des fautes délictuelles de ces dernières et garantir la société Arkema France au titre de la pollution du site, en toute hypothèse, de condamner la société Rhodia Chimie à lui verser la somme de 362 349,99 euros sauf à parfaire, à la relever et garantir de l'intégralité des condamnations, obligations et sommes qui pourraient être mises à sa charge relativement à la surveillance ou au traitement de la pollution du site à la suite de l'arrêté du 14 mai 2007 et de ses suites, de débouter la société Rhodia Chimie de sa demande reconventionnelle et de condamner l'intéressée au paiement de la somme de 100.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 28 février 2014, la société Rhodia Chimie demande à la cour de confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a jugé prescrite l'action de la société Arkema France, à défaut, si cette action devait être jugée non prescrite, in limine litis, de constater que la chose jugée devant le juge administratif s'impose à la cour, en conséquence, de dire la société Arkema France irrecevable en son action, au fond, de constater que l'intéressée est l'ayant-droit du dernier exploitant à l'origine de la pollution en ce qu'elle s'est vue transmettre, dans le cadre du traité d'apport du 20 octobre 1980, l'ensemble des actifs et des passifs liés à la branche d'activité cédée, que l'apport partiel d'actif du 20 octobre 1980 ne prévoyait aucune dérogation en ce qui concerne les passifs environnementaux liés aux branches d'activité cédées, que la demande en garantie dont se prévaut subsidiairement l'appelante n'est pas fondée et que l'indemnisation sollicitée encore plus subsidiairement au titre de la responsabilité délictuelle n'est pas fondée non plus, de débouter en conséquence la société Arkema France de toutes ses demandes, à titre reconventionnel, de constater que les agissements de l'appelante lui ont occasionné un préjudice et de condamner l'intéressée à lui payer, à titre de dommages et intérêts, la somme de 50 000 euros, sauf à parfaire, en toute hypothèse, de condamner la société Arkema France à lui verser la somme de 100 000 euros en remboursement de ses frais non taxables.
SUR CE
Considérant que la société Rhodia Chimie argue de la prescription de l'action engagée le 5 août 2010 par la société Arkema France et ce, tant sur le plan de la responsabilité contractuelle, puisqu'introduite par l'intéressée plus de dix ans après la connaissance des faits lui permettant de l'exercer, à savoir la pollution de la nappe phréatique par des résidus chlorés, révélée dès 1993 et objet des arrêtés pris à son encontre en 1994 par le Préfet du Rhône, que sur le plan de la responsabilité délictuelle, puisque qu'introduite plus de dix ans après la manifestation du dommage matérialisée aussi par la découverte de la pollution ; qu'elle ajoute que l'arrêté du 14 mai 2007 ne permet pas à l'appelante de se prévaloir d'une aggravation ou de l'apparition d'un nouveau préjudice de nature à faire courir un nouveau délai de prescription ;
Considérant que la société Arkema France réplique que la prescription ne courant pas contre celui qui ne peut agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, le délai de prescription de son action ne peut avoir commencé à courir avant le 14 mai 2007, date à laquelle l'administration a édicté un arrêté de surveillance et de remise en état du site à son seul endroit, faisant d'elle l'unique débitrice de ces obligations, et avant laquelle, sa propre responsabilité n'avait pas été mise en jeu et son droit d'agir en garantie à l'encontre de la société Rhodia Chimie n'était pas né; qu'elle fait plaider qu'en toute hypothèse, l'arrêté du 14 mai 2007 constitue une aggravation du dommage qui a fait courir un nouveau délai de prescription ;
Considérant que l'article L 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction applicable en la cause, soit celle antérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, dispose que 'les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçants se prescrivent par dix ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes' ; que ce délai concerne toutes les actions en responsabilité que leur fondement soit contractuel ou délictuel ;
Considérant que la prescription court en matière de responsabilité contractuelle à compter de la connaissance du dommage et en matière délictuelle à compter de la manifestation de celui-ci ou de son aggravation ;
Considérant que la société Arkema France a eu connaissance de l'existence de la pollution des conséquences de laquelle elle demande réparation à la société Rhodia Chimie sur le fondement contractuel, dès 1993, et de son origine, dès 1994, à la suite de l'arrête du 10 janvier 1994 lui prescrivant de réaliser les études destinées à déterminer la nature et l'importance de la pollution ainsi que les travaux de nature à mettre le site en sécurité ;
Considérant que les mêmes faits caractérisent la manifestation du dommage, point de départ de l'action en responsabilité délictuelle ; que visée en 1994 par un premier arrêté préfectoral relatif à la pollution en cause, la société Arkema a su dès cette date que sa responsabilité était susceptible d'être recherchée ;
Considérant que l'appelante, visée en 1999 par trois nouveaux arrêtés préfectoraux, était donc à même, nonobstant le résultat des recours par elle introduits devant les juridictions administratives et les arrêtés également pris à l'égard de la société Rhodia Chimie, d'engager une action en responsabilité à l'encontre de cette dernière et d'attraire tous ses garants éventuels en justice à l'effet de voir réserver ses recours avant l'expiration du délai de dix ans ayant couru à compter de 1994 ; qu'elle ne peut prétendre à une aggravation de son dommage ou à l'apparition d'un nouveau préjudice, distinct du préjudice initial, du fait de la prise de l'arrêté du 14 mai 2007 qui vise la même pollution que les précédents ;
Considérant que son action introduite le 5 août 2010 est par conséquent prescrite et irrecevable, étant précisé que la prescription était acquise au jour de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ;
Considérant que la société Rhodia Chimie n'établit pas que la société Arkema France ait commis dans l'exercice de son droit d'ester en justice et dans sa résistance à prendre en charge les obligations à elle imposées dès la prise des premiers arrêtés préfectoraux, dont les juridictions administratives ont diversement apprécié le bien-fondé, une faute lui ayant causé un préjudice ; que sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts formée de ce chef doit, par suite, être rejetée ;
Considérant que le jugement déféré mérite donc confirmation ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société Rhodia Chimie la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Considérant que la société Arkema France, partie perdante, supportera les dépens et ne peut prétendre à l'indemnisation de ses propres frais irrépétibles ;
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré,
Y ajoutant,
Condamne la société Arkema France à payer à la société Rhodia Chimie la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toute autre demande,
Condamne la société Arkema France aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La GreffièreLa Présidente