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22/05/2014 | FRANCE | N°12/08039

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 22 mai 2014, 12/08039


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRÊT DU 22 Mai 2014

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/08039 - MEO



Décision déférée à la Cour : Après Cassation le 11 juillet 2012 suite à arrêt rendu le8 mars 2011 par la 6ème Chambre de la Cour d'Appel de VERSAILLES, sur appel d'un jugement du Conseil de prud'hommes de VERSAILLES, section encadrement, en date du 14 octobre 2009 - RG n° 09/04352 et 08/00718
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APPELANTE

Madame [V] [W]

[Adresse 2]

[Localité 2]

comparante en personne, assistée de Me Florence LAUSSUCQ-CASTON, avocat au barreau de PARIS, ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRÊT DU 22 Mai 2014

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 12/08039 - MEO

Décision déférée à la Cour : Après Cassation le 11 juillet 2012 suite à arrêt rendu le8 mars 2011 par la 6ème Chambre de la Cour d'Appel de VERSAILLES, sur appel d'un jugement du Conseil de prud'hommes de VERSAILLES, section encadrement, en date du 14 octobre 2009 - RG n° 09/04352 et 08/00718

APPELANTE

Madame [V] [W]

[Adresse 2]

[Localité 2]

comparante en personne, assistée de Me Florence LAUSSUCQ-CASTON, avocat au barreau de PARIS, toque : E2034

INTIMEE

SAS ALCATEL LUCENT INTERNATIONAL

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Catherine DAVICO-HOARAU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0053

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 Avril 2014, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Catherine MÉTADIEU, Présidente

Mme Marthe-Elisabeth OPPELT-RÉVENEAU, Conseillère

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :

Mme [V] [W] a été engagée par la société Alcatel CIT par un contrat de travail à durée indéterminée le 20 mars 2000.

Le 1er mars 2002, Mme [W] a été mutée auprès de la société Alcatel ITS Europe en qualité d'ingénieur position II, indice 100 puis le 1er avril 2004, au sein de la société Alcatel CIT en qualité d'ingénieur, position 3A, indice 135. Elle a exercé la fonction de contrôleur de gestion au sein de MCG avec un salaire mensuel brut de 4 880 €. Elle était éligible au bonus annuel.

Du 17 au 30 juin 2007, Mme [W] s'est trouvée en arrêt pour maladie, suivi d'un congé de maternité du 1er juillet 2007 au 20 octobre 2007, à la suite duquel elle a pris ses congés RTT et ses congés payés. Elle a repris son activité le 11 février 2008. Sa rémunération mensuelle brute moyenne s'est établie en dernier lieu à 5 956 €.

A la suite de la fusion entre les sociétés Alcatel et Lucent, un PSE a été élaboré prévoyant 219 départs à Vélizy où travaillait Mme [W] .

Du 11 au 26 février 2008, Mme [W] a bénéficié de l'accord sur le télétravail. Elle a postulé à plusieurs fonctions.

Le 9 juillet 2008, Mme [W] a saisi le conseil des Prud'Hommes de Versailles d'une demande de résiliation de son contrat de travail, assortie de diverses réclamations d'ordre pécuniaire.

A compter du 31 octobre 2008, elle ne s'est plus présentée sur son lieux de travail. Son employeur l'a convoquée, le 12 novembre 2008, à un entretien préalable fixé au 26 novembre suivant, puis l'a licenciée pour faute grave le 8 décembre 2008.

Par décision en date du 14 octobre 2009, le conseil des Prud'Hommes, confirmé en appel par arrêt du 8 mars 2011, a débouté Mme [W] de toutes ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Sur pourvoi formé par Mme [W] , la cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d'appel de Versailles et a renvoyé les parties devant la cour d'appel de Paris.

Sur quoi, Mme [W] a saisi la présente juridiction à laquelle elle demande d'infirmer le jugement déféré. Elle sollicite de la cour qu'elle accueille sa demande de résiliation de son contrat de travail en disant qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et qu'elle condamne la Sas Alcatel Lucent à lui payer les sommes suivantes, augmentées de sintérêts au taux légal capitalisés :

- 7 213,70 € à titre de rappel de salaires non réglés depuis le1er novembre 2008 jusqu'au 9 décembre 2008

- 721,37 € au titre des congés payés afférents

- 107 208 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 14 771 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

- 16 647 € à titre d'indemnité compensatrice de licenciement

- 1 664,70 € au titre des congés payés afférents

Mme [W] réclame en outre le paiement de la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'employeur soutient l'irrecevabilité de la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail formée par Mme [W] , au motif que celle-ci y a renoncé devant la cour d'appel de Versailles. Il en déduit que la cour est saisie de la seule question du licenciement de Mme [W] . Sur ce point, la Sas Alcatel Lucent conclut à la confirmation du jugement déféré, en conséquence au débouté de Mme [W] et à sa condamnation à lui payer la somme de 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier le 3 avril 2014, reprises et complétées à l'audience.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail par Mme [W] :

En application de l'article R1452-7 du code du travail, 'les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel'.

La demande de Mme [W] au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail ne constitue pas même une demande nouvelle dès lors qu'elle a été portée devant le conseil des Prud'Hommes, dont le jugement est déféré, peu important qu'elle ait été ensuite abandonnée devant la cour de Versailles, dont l'arrêt a été anéanti par la cassation survenue.

L'employeur n'articule aucun moyen de droit au soutien de l'irrecevabilité soulevée alors que la présente cour de renvoi se trouve liée par l'ensemble des demandes soumises à son examen.

Il résulte de ce qui précède que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail formée par Mme [W] est recevable.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

En présence d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et d'un licenciement prononcé postérieurement, il convient en premier lieu d'examiner le bien fondé des griefs invoqués au soutien de cette demande. Si ces griefs sont fondés, la rupture comporte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et rend sans objet l'examen des griefs invoqués par l'employeur au soutien du licenciement qu'il a lui-même prononcé.

En l'espèce, Mme [W] fait grief à la Sas Alcatel Lucent d'avoir contrevenu aux dispositions de l'article L1225-4 selon lesquelles il est interdit à l'employeur de licencier sa salariée enceinte comme de prendre à son égard des mesures préparatoires à une telle décision, et de l'article L1225-25 du code du travail qui prévoit qu' 'à l'issue de son congé maternité, la salariée retrouve son précédent emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente.'

Elle fait valoir, en premier lieu, que sa fonction occupée depuis avril 2006 (responsabilité administrative et financière des projets 'intégration & services') au sein du Business Group Services n'a pas été supprimée mais que son poste a été transféré, en juin 2007, vers une nouvelle organisation, appelée PMO. Mme [L], qui a été désignée pour remplacer Mme [W] pendant son congé de maternité, a, à la suite d'une nouvelle réorganisation, intégré la même organisation hiérarchique que celle de Mme [W] avant son congé maternité, et dirigée par M. [R], le N+1 de Mme [W] en 2007, avant son départ en congé de maternité. Recueillant les fonctions qui étaient alors les siennes, Mme [L] a animé une équipe de contrôleurs de gestion et exercé des fonctions de management. Mme [W] en déduit que la désignation de Mme [L] en remplacement durant son congé de maternité a eu pour objet de pourvoir à son remplacement définitif alors qu'elle était enceinte, ce qui constitue une mesure illicite préparatoire à son licenciement.

Mme [W] ajoute que les trois postes proposés, qu'elle a refusés, n'étaient pas similaires à ceux exercés avant son congé maternité, comportant des fonctions de direction et de management.

L'employeur conteste les allégations de Mme [W] et fait valoir qu'à la suite de son retour de congé de maternité, sept postes, en adéquation avec ses compétences et les fonctions exercées antérieurement à son départ en congé de maternité, ont été proposés à Mme [W] qui les a tous abusivement refusés. Il estime s'être conformé aux dispositions dont se prévaut la salariée.

Il ressort des débats et en particulier de l'offre d'emploi émise par Alcatel le 19 janvier 2006, relative à un poste de responsable Gestion d'Affaires ISD France et du courriel adressé le 30 mai 2008 par Mme [W] à son employeur (en la personne de Mme [F]), qui ne l'a pas contredit, qu'au moment de son départ en congé de maternité le 1er juillet 2007, Mme [W] occupait le poste de responsable Gestion d'Affaires ISD France dont les fonctions étaient les suivantes : rattachée à la direction des Opérations ISD, elle était responsable du suivi administratif, comptable et de la gestion financière des projets ISD France. Pour ce faire, elle coordonnait les actions des gestionnaires de la direction des opérations, au nombre de 6 à 7 selon l'offre d'emploi et 8 selon la salariée. Elle assurait ainsi notamment :

- le support opérationnel aux directeurs de projets, comportant des problématiques juridiques, fiscales et comptables selon les pays,

- le pilotage des revues opérationnelles et financières trimestrielles avec le management

- les prévisions et le suivi de l'activité en lien avec les directeurs de projets

Il résulte de ce qui précède qu'à son départ pour son congé de maternité, Mme [W] exerçait une fonction support, comportant des responsabilités en termes de coordination, sinon de direction directe d'une équipe sous son autorité. Il s'agissait d'une fonction répondant à un besoin permanent de l'entreprise et à caractère sédentaire.

Il ressort par ailleurs des débats qu'à son retour de congé de maternité, en février 2008, Mme [W] a été affectée à une mission temporaire de 4 mois auprès de la directrice PMO CU France, Mme [G].

Selon l'offre d'emploi précitée, le responsable Gestion d'Affaires ISD France, assure 'par ailleurs' des missions particulières auprès du directeur des opérations pour l'amélioration des process financiers de la direction des opérations, de suivi du plan de réduction des coûts, ....', ce dont il résulte que la mission confiée à Mme [W] à son retour de congé de maternité ne recouvre que très partiellement le périmètre de la fonction quittée, ce que confirme encore le mail de Mme [G] daté du 1er juillet 2008 qui admet que cette mission n'a pas occupé à plein temps la salariée.

Il s'ensuit que s'il n'est pas contesté qu'à son retour de congé de maternité, Mme [W] a conservé sa classification et sa rémunération antérieures, elle a exercé des fonctions fortement réduites et temporaires. Elle n'a donc pas retrouvé un emploi similaire à celui qu'elle avait quitté.

Il résulte de cette constatation que l'employeur ne s'est pas conformé aux exigences de l'article L1225-25 du code du travail.

La reprise du travail dans ces conditions de Mme [W] après l'expiration de son congé de maternité témoigne de l'impréparation de son retour par l'employeur et de son manque d'anticipation, ce que l'employeur reconnaît lui-même dans ses écritures '...de sorte qu'elle [ Mme [W] ] n'a repris son travail que le 11 février 2008, date à laquelle elle a intégré en attente d'une affectation, l'équipe de Mme [P] [G]'.

Les autres propositions adressées à Mme [W] , seulement par des mails des 24 et 27 mars 2008 (postes de project controller RU India, contrôle de gestion, et d'analyste financier) témoignent encore de cette impréparation. La proposition du 10 mars 2008 à Mme [W] d'un poste de Finance Manager, retirée dès le lendemain, 11 mars, selon mail de l'employeur (en la personne de Mme [I]) caractérise le manque de sérieux de l'employeur. De même que la proposition de poste de contrôleur RU India dont l'une des caractéristiques essentielles consistait en des déplacements continuels à l'étranger, forte contrainte que ne comportait pas le poste quitté.

Au vu de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner plus avant les autres propositions de postes présentées à Mme [W] , il apparaît qu'à son retour de congé de maternité, au mois de février 2008, Mme [W] n'a pas retrouvé un emploi similaire à celui qui était le sien avant son départ, l'employeur n'ayant pas anticipé sérieusement son retour.

Contrevenant ainsi aux dispositions protectrices de la maternité issues de l'article L1225-25 du code du travail, l'employeur a ainsi commis un manquement grave à ses obligations découlant du contrat de travail.

Ce manquement grave aurait justifié pleinement la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur si le licenciement de Mme [W] n'était intervenu le 8 décembre 2008.

Cette situation, qui comporte les effets d'un licenciement nul, en application de l'article L1225-71 du code du travail donne droit à Mme [W] à percevoir son salaire sur la période du 1er novembre au 9 décembre 2008, soit la somme de 7 213,70 €, outre les congés payés afférents, selon le calcul de Mme [W] non sérieusement contesté par la partie adverse, d'une indemnité compensatrice de préavis, soit la somme, non sérieusement contestée par la Sas Alcatel Lucent, de 16 647 € représentant 3 mois de salaire, en application de la convention collective, d'une indemnité conventionnelle de licenciement évaluée à 14 771 € par la salariée qui n'est pas démentie par l'employeur.

Enfin, Mme [W] a droit à une indemnité, réparant le préjudice résultant de l'illicéité de son licenciement qui ne peut être inférieure à l'indemnité prévue à l'article L1235-3 du code du travail et que la cour, compte-tenu des éléments produits aux débats, notamment sur l'ancienneté de la salariée, est en mesure d'évaluer à la somme de 90 000 €.

Le jugement déféré est infirmé en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Déclare recevable la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail présentée par Mme [W]

Dit que la rupture de la relation de travail comporte les effets d'un licenciement nul

Condamne, en conséquence, la Sas Alcatel Lucent à payer à Mme [V] [W] les sommes suivantes :

- 7 213,70 € à titre de rappel de salaires non réglés depuis le1er novembre 2008 jusqu'au 9 décembre 2008

- 721,37 € au titre des congés payés afférents

- 14 771 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

- 16 647 € à titre d'indemnité compensatrice de licenciement

- 1 664,70 € au titre des congés payés afférents

ces sommes étant augmentées des intérêts au taux légal à compter de la convocation de la Sas Alcatel Lucent devant le bureau de conciliation du conseil des Prud'Hommes :

- 90 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre les intérêts au taux légal à compter de la présente décision

Dit que les intérêts échus depuis un an seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du code civil

Vu l'article 700 du code de procédure civile

Condamne la Sas Alcatel Lucent à payer à Mme [W] la somme de 4 500 €

- la déboute de sa demande de ce chef

Condamne la Sas Alcatel Lucent aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 12/08039
Date de la décision : 22/05/2014

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°12/08039 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2014-05-22;12.08039 ?
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