Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 07 FÉVRIER 2014
(n°2014- , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 13/00369
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Novembre 2012 -Tribunal de Commerce de CRETEIL - RG n° 2006F00767
APPELANTES
SA COMPAGNIE ALLIANZ IARD, anciennement dénommée ASSURANCES AGF
agissant en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Pascal TRILLAT de l'Association TRILLAT MAGERAND BELTRAMINI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0524
Assistée de Me Alexandra JAILLANT CORCOS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0524
SAS KUEHNE + NAGEL
agissant en la personne de son représentant légal
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN-DE MARIA-GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Assistée par Me Jean-Louis PANNEQUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : A0272
INTIMÉES
SAS HEWLETT-PACKARD FRANCE
agissant en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Chantal-Rodene BODIN CASALIS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0066
Assistée de Me François VUILLET de la SELARL DIXYS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : L0120
SA COMPAGNIE ALLIANZ IARD, anciennement dénommée ASSURANCES AGF
agissant en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Pascal TRILLAT de l'Association TRILLAT MAGERAND BELTRAMINI, avocat au barreau de PARIS, toque : P0524
Assistée de Me Alexandra JAILLANT CORCOS, avocat au barreau de PARIS: toque : P0524
SAS KUEHNE + NAGEL
agissant en la personne de son représentant légal
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représenté par Me Luca DE MARIA de la SELARL PELLERIN-DE MARIA-GUERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : L0018
Assistée par Me Jean-Louis PANNEQUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : A0272
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 décembre 2013, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Françoise MARTINI, conseillère, chargée d'instruire l'affaire.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de procédure civile.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Madame Anne VIDAL, présidente de chambre
Madame Françoise MARTINI, conseillère
Madame Marie-Sophie RICHARD, conseillère
Greffier, lors des débats : Monsieur Guillaume LE FORESTIER
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- Signé par Madame Anne VIDAL, présidente de chambre et par Monsieur François LE FÈVRE, greffier placé.
***
Les 23 et 25 septembre 2003, la société Hewlett Packard France a vendu à la société Ingram, distributeur de matériels informatiques, 744 ordinateurs pour un montant total de 1 059 329,25 euros. La société Kuehne & Nagel a été chargée du transport de ces marchandises depuis ses locaux jusqu'au site de la société Ingram. Le 1er octobre 2003 à 5h, un chauffeur routier s'est présenté sur le quai de chargement de la société Kuehne & Nagel à [Adresse 3]), muni d'une lettre de voiture conforme à celles utilisées dans la société et a pris livraison des 744 ordinateurs. Une plainte pour vol a été déposée lorsqu'un second camion s'est présenté dans l'après-midi pour charger le matériel. Les auteurs des faits ont été interpellés et reconnus coupables de vol aggravé et de complicité par jugement correctionnel du tribunal de grande instance de Senlis du 21 février 2005. Ce jugement les a condamnés solidairement à payer à la société Hewlett Packard France la somme de 1 059 329,25 euros à titre de dommages et intérêts. Parmi les sept personnes condamnées, M. [K] était un salarié de la société Kuehne & Nagel.
Le 26 juillet 2006, la société Hewlett Packard France a assigné la société Kuehne & Nagel devant le tribunal de commerce de Créteil en réparation du dommage causé par son préposé sur le fondement de l'article 1384 alinéa 5 du code civil. Par jugement du 13 novembre 2012, le tribunal de commerce de Créteil a condamné la société Kuehne & Nagel à payer à la société Hewlett Packard France la somme de 1 089 029,25 euros avec intérêts au taux légal à compter du 26 juillet 2006 sous déduction de toutes sommes perçues entre la date de l'assignation et celle de la décision à titre d'exécution partielle de la condamnation ou de prélèvement sur les cautionnements versés par les condamnés, a condamné la société Allianz Iard à garantir la société Kuehne & Nagel de la condamnation prononcée à son encontre dans la limite des sommes contractuellement garanties, a ordonné l'exécution provisoire de la décision sous réserve que la société Hewlett Packard France produise une caution bancaire égale à la condamnation prononcée, a condamné la société Kuehne & Nagel à payer à la société Hewlett Packard France la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la société Allianz Iard à payer à la société Kuehne & Nagel la somme de 7 500 euros à ce même titre, a mis les dépens solidairement à la charge des sociétés Allianz Iard et Kuehne & Nagel, et a débouté les parties de leurs autres demandes.
La société Allianz Iard et la société Kuehne & Nagel ont relevé appel de ce jugement en date respective des 8 et 11 janvier 2013 et les procédures ont été jointes le 7 mars 2013.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 3 décembre 2013, la société Kuehne & Nagel demande de dire que l'action de la société Hewlett Packard France dont le fondement ne peut relever que de l'ordre contractuel est irrecevable comme prescrite, subsidiairement qu'elle se heurte à l'autorité de la chose jugée attachée à une transaction intervenue sur ce différend, plus subsidiairement que l'action en responsabilité quasi-délictuelle engagée sur le fondement de l'article 1384 alinéa 5 du code civil est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir et mal fondée, et de condamner la société Hewlett-Packard à lui verser la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Plus subsidiairement encore, elle sollicite la condamnation de la société Allianz Iard à l'indemniser de toutes les condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre en principal, intérêts, dommages et intérêts, frais accessoires dans la limite d'un plafond de 1 630 000 euros applicable à l'opération de transport et de la condamner à lui verser la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 17 mai 2013, la société Allianz Iard demande d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à garantir son assurée de la condamnation prononcée. Elle relève une omission de statuer sur les motifs d'exclusion qu'elle opposait. Elle entend faire juger que l'action de la société Kuehne & Nagel à son encontre est prescrite en application de l'article L. 114-1 du code des assurances, qu'elle est fondée à invoquer en application de l'article L. 113-2 4° du même code son refus de garantie pour déchéance du contrat d'assurance en raison de la déclaration tardive du sinistre, que les sociétés Hewlett Packard et Kuehne & Nagel ont transigé en dehors de la compagnie, que le sinistre n'est pas garanti au titre de la police d'assurance «responsabilité civile exploitation» souscrite par la société Kuehne & Nagel, et en conséquence de la mettre hors de cause et de condamner la société Kuehne & Nagel à lui rembourser les sommes de 152 250 euros versée au titre du plafond de sa garantie et de 7 000 euros pour les frais de procédure dans le cadre de l'exécution provisoire. A titre subsidiaire, elle demande de dire que sa garantie était limitée à l'application d'un plafond contractuel de 153 000 euros sous déduction de la franchise fixée à 750 euros. A titre infiniment subsidiaire, elle demande de juger que l'action engagée par la société Hewlett Packard France à l'encontre de la société Kuehne & Nagel sur le fondement délictuel est irrecevable et mal fondée en vertu du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle, et de rejeter la demande de condamnation in solidum formée à son encontre. En tout état de cause, elle sollicite la condamnation de la société Hewlett Packard France à lui payer la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions notifiées le 21 novembre 2013, la société Hewlett Packard France demande de confirmer le jugement déféré, et de prononcer en outre la condamnation in solidum de la société Kuehne & Nagel et de la société Allianz Iard à lui verser la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Elle fait valoir qu'ayant personnellement subi un préjudice elle dispose d'un intérêt à agir, que la responsabilité quasi- délictuelle de société Kuehne & Nagel est certaine dès lors que le préjudice dont la réparation est réclamée est né du fait dommageable commis par son salarié ayant agi dans le cadre de ses fonctions, que ce n'est pas la prestation de transport qui est cause mais bien le détournement commis, que l'inexécution contractuelle est en tout cas absorbée par la faute pénale, que la responsabilité contractuelle ne peut au demeurant être invoquée sur la base des conventions que produit la société Kuehne & Nagel et en particulier un contrat intitulé «global transportation services agreement» conclu en avril 2003 avec la société de droit américain Hewlett Packard company, qu'en admettant que cette convention ait pu produire ses effets la faute lourde exclut toute possibilité d'invoquer une limitation de responsabilité ou la prescription annale de l'article L. 133-6 du code de commerce, qu'en tout état de cause la société Allianz est redevable de sa garantie, mobilisée en application de l'article L. 114-1 alinéa 3 du code des assurances dans le délai de deux ans suivant l'assignation délivrée par société Hewlett Packard France le 26 juillet 2006, et que l'assureur invoque à tort une transaction sur la base d'une simple «note de débit» qui lui est étrangère.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur recevabilité à agir de la société Hewlett Packard France
Le dommage de la société Hewlett Packard France se trouve démontré par les factures émises en son nom les 23 et 25 septembre 2003, comportant une clause de réserve de propriété sur le matériel vendu jusqu'au règlement intégral, et les avoirs de même montant émis le 20 octobre 2003 emportant annulation des effets de la précédente transaction. La réalité de son préjudice commercial a en outre été reconnue par le jugement du tribunal correctionnel de Senlis qui a fait droit à sa demande d'indemnisation contre les auteurs du vol. Dès lors, la société Hewlett Packard France justifie bien d'un intérêt légitime au succès de ses prétentions.
La fin de non recevoir tirée de la transaction qui lui est opposée se fonde sur une note de débit de 60 624 euros de la société Pact Gmbh en faveur de la société Hewlett Packard international en date du 6 juillet 2005. Pour démontrer que la société Pact intervenait comme commissionnaire principal confiant à la société Kuehne & Nagel l'exécution du transport litigieux, la société Kuehne & Nagel produit les conventions régissant les opérations de transport terrestre exécutées pour le compte des sociétés du groupe Hewlett Packard en Europe, qui comportent un contrat principal de transport («Contract of carriage Master agreement») du 1er novembre 1999 entre la société de droit français Pan european computer transportation (Pact) et la société de droit néerlandais Hewlett Packard Europe Bv et un contrat global de services de transport («Global transportation services agreement») conclu en avril 2003 entre la société de droit américain Hewlett Packard company pour elle-même et ses filiales et la société de droit suisse Kuehne & Nagel management. L'état de ces relations est confirmé par le bon de livraison de la marchandise destinée à la société Ingram portant l'en-tête de «Hewlett Packard» ainsi que le logo «Pact» et mentionnant pour expéditeur «Pact c/o Kuehne & Nagel (France)». La société Allianz Iard produit également un courrier du 1er août 2006 par lequel le cabinet de courtage Nacora informait l'assureur de la société Kuehne & Nagel de l'assignation délivrée le 27 juillet 2006 devant le tribunal de commerce de Créteil en précisant que Hewlett Packard avait été indemnisée dans le cadre du lien contractuel la liant à Kuehne & Nagel pour une somme de 60 000 euros environ. Mais, il ne ressort ni de ce courrier ni de la note de débit, qui se limite à constater un versement au titre de marchandises «perdues, endommagées ou volées» le 1er octobre 2003 près de [Localité 4] le Sec suivant un calcul de «4210kg x 12SDR x €1,20» et qui se réfère à des négociations de règlement actuellement en cours et à un rapport d'incident majeur du 22 juin 2005, une intention des parties claire, expresse et non équivoque de consentir à des concessions réciproques ni de renoncer à une action au sens de l'article 2044 du code civil en contrepartie d'un versement au demeurant très faible au regard de la valeur de la marchandise détournée.
Le délai de prescription d'un an édicté par l'article L.133-6 du code de commerce s'applique aux actions auxquelles peut donner lieu le contrat de transport au titre d'une défaillance dans l'exécution des obligations résultant de cette convention. Le jugement du tribunal de grande instance de Senlis du 21 février 2005 a pour sa part reconnu un droit à réparation de la société Hewlett Packard France sur un fondement délictuel pour le dommage causé par un acte pénalement qualifié de vol aggravé. La faute pénale ainsi retenue fait échec à la règle de non option des responsabilités. L'action de la société Kuehne & Nagel engagée sur le fondement de l'article 1384 alinéa 5 au titre de la responsabilité du commettant recherchée en raison de cette même faute sera jugée recevable.
Sur le fond
Selon l'article 1384 alinéa 5 du code civil, le commettant est responsable du dommage causé par son préposé dans les fonctions auxquelles il l'a employé. Il résulte de ces dispositions que le commettant ne peut s'exonérer de sa responsabilité, s'agissant des actes commis par son préposé, que si ce dernier a agi en dehors de ses fonctions, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions. Si la seule constatation d'une infraction pénale volontaire, autre que de négligence ou d'inattention de nature quasi délictuelle, ne suffit pas à établir les conditions de cette exonération, encore faut-il que l'action du préposé demeure inscrite dans les limites de sa fonction.
En l'espèce, il ressort de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel du 18 janvier 2005 que les faits ont été minutieusement préparés par un groupe d'individus parfaitement organisés avec des rôles clairement définis. L'instruction a mis en évidence que le vol avait été rendu possible par M. [K] qui, par son emploi au sein de la société Kuehne & Nagel, avait eu accès aux informations sur les livraisons de marchandises et disposé de matériel appartenant à l'entreprise, des documents et un tampon encreur au nom de la société ayant été découverts à son domicile. Mais, même si le préposé a profité des fonctions auxquelles il était employé pour réaliser les faits, l'action concertée à laquelle il a participé s'est produite en dehors du cadre de l'emploi qui lui était fixé par l'employeur et a nécessité des moyens matériels et humains extérieurs à l'entreprise. Dès lors, les faits qualifiés de vol en réunion et par ruse, qui ont été commis en dehors de l'activité professionnelle du salarié et dans un intérêt strictement personnel et contraire à celui de son employeur, ne peuvent engager la responsabilité de ce dernier.
Le jugement sera dès lors infirmé et la société Hewlett Packard France déboutée de ses demandes, l'appel en garantie de la société Kuehne & Nagel dirigé contre la société Allianz Iard devenant lui-même sans objet.
Il sera rappelé en tant que de besoin que l'infirmation de la décision vaut condamnation à restituer les sommes versées au titre de l'exécution provisoire.
Il est équitable de compenser à hauteur de 2 000 euros que la société Kuehne & Nagel et la société Allianz Iard ont été contraintes d'exposer.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement,
Dit l'action de la société Hewlett Packard France recevable mais mal fondée,
En conséquence, infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,
Et, statuant à nouveau,
Déboute la société Hewlett Packard France de toutes ses demandes,
Rappelle que l'infirmation de la décision vaut condamnation à restituer les sommes versées au titre de l'exécution provisoire,
Condamne la société Hewlett Packard France aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et à verser à la société Kuehne & Nagel et à la société Allianz Iard la somme de 2 000 euros chacune en application de l'article 700 du même code.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT