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20/12/2013 | FRANCE | N°11/00941

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 20 décembre 2013, 11/00941


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRÊT DU 20 DÉCEMBRE 2013



(n° 2013- , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 11/00941



Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Novembre 2010 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 09/10377





APPELANTS:



Monsieur [M] [I]

[Adresse 1]

[Localité 1]



Madame [X]

[G] épouse [I]

[Adresse 1]

[Localité 1]



représentés par Maître Alain FISSELIER de la SCP FISSELIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044



INTIMÉ:



ETABLISSEMENT PUBLIC 'LES VOIES NAVIGABLES DE FR...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2

ARRÊT DU 20 DÉCEMBRE 2013

(n° 2013- , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 11/00941

Décision déférée à la Cour : Jugement du 23 Novembre 2010 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 09/10377

APPELANTS:

Monsieur [M] [I]

[Adresse 1]

[Localité 1]

Madame [X] [G] épouse [I]

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentés par Maître Alain FISSELIER de la SCP FISSELIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

INTIMÉ:

ETABLISSEMENT PUBLIC 'LES VOIES NAVIGABLES DE FRANCE' pris en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]

représenté par Maître Pascale BETTINGER, avocat au barreau de PARIS, toque : D0140

COMPOSITION DE LA COUR :

[U] [T] ayant été préalablement entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Novembre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Anne VIDAL, Présidente de chambre

Françoise MARTINI, Conseillère

Marie-Sophie RICHARD, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Guénaëlle PRIGENT

ARRÊT :

- contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- Signé par Anne VIDAL, Présidente et par Claire VILACA, Greffier.

****

En mai 1980, la revue professionnelle des transporteurs fluviaux a publié les extraits d'une étude réalisée par l'Office national de la navigation (Onn), devenu l'Etablissement public national des Voies navigables de France, dans la perspective de moderniser la flotte fluviale française. Des réunions d'information ont été organisées et une société coopérative de construction du matériel fluvial (Scmf) regroupant les acquéreurs de bateaux a été constituée. Un appel d'offres a été lancé le 29 juillet 1980, à la suite duquel une actualisation de l'étude de rentabilité pour la construction d'automoteurs de 850 m3 a été réalisée le 27 mars 1981. Le 6 décembre 1982, une convention a été conclue entre l'Etablissement public régional du Nord Pas de Calais et l'Onn prévoyant l'apport d'une avance remboursable. Un marché a été conclu le 18 juin 1983 par la Scmf pour la construction de 32 automoteurs au prix unitaire de 4 178 805 francs hors options et Tva. Le financement des achats a été assuré par une avance sans intérêt de la Région Nord Pas de Calais à concurrence de 39,50% du prix, deux prêts du Crédit d'équipement des petites et moyennes entreprises (Cepme) pour 33%, une aide de l'Etat pour 22,50% et un apport personnel de 5%.

Faisant valoir qu'ils avaient été incités par l'étude de l'Onn publiée en 1980 à investir dans une opération qui s'était avérée déficitaire et avaient ainsi acquis en 1985 un bateau automoteur de 850 m3 au prix de 4 868 035,86 francs TTC (742 127,28 euros) moyennant un financement sans rapport avec leurs moyens financiers, M. et Mme [I] ont recherché la responsabilité de l'établissement public par assignation du 5 octobre 1993. Le tribunal de grande instance de Paris devant lequel leur action a été introduite s'est déclaré incompétent au profit de la juridiction administrative, avant que, sur renvoi du Conseil d'Etat, le tribunal des conflits ne tranche en faveur de la compétence judiciaire.

Par jugement du 23 novembre 2010, le tribunal de grande instance de Paris a débouté les époux [I] de leurs prétentions fondées sur les articles 1147 et 1151 du code civil, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile à leur encontre et les a condamnés aux dépens. Pour se prononcer ainsi, le tribunal a retenu que les époux [I] ne rapportaient pas la preuve d'une faute de l'établissement Voies navigables de France, contractuelle ou délictuelle, en lien direct avec le préjudice invoqué. Le tribunal a notamment énoncé que l'Office national de la navigation n'était tenu d'aucune obligation de conseil et d'information à leur égard compte tenu de la mission de cet établissement public et en l'absence de lien contractuel, que le rôle joué par l'office dans le montage financier ne le transformait pas en dispensateur de crédit tenu de vérifier et de les mettre le cas échéant en garde sur leur degré d'endettement, que le fait que les prévisions de l'analyse réalisée en 1979-1980 ne se soient pas confirmées n'était pas fautif en l'absence de preuve qu'elles comportaient dès cette époque des éléments inexacts ou étaient irréalistes, qu'aucune garantie n'avait été apportée quant aux résultats financiers à attendre, que le lien de causalité entre le préjudice allégué et la faute prétendue n'était pas davantage démontré puisque les époux [I] s'étaient engagés plus de cinq ans après la présentation de l'étude contestée, et qu'en tout état de cause il leur appartenait en tant que professionnels de la batellerie de réexaminer au moment de leur engagement définitif la faisabilité de l'opération au vu de leur situation financière et des perspectives prévisibles d'activité.

M. et Mme [I] ont relevé appel de la décision. Dans leurs dernières conclusions signifiées le 18 mai 2011, ils demandent d'infirmer le jugement déféré et de dire au visa des articles 1382 et 1383 du code civil et 1 et 2 du décret 60-1441 du 26 décembre 1960, que l'étude réalisée par les Voies navigables de France sur l'automoteur 850 m3 était déterminante de leur consentement dans la décision d'acquérir le bateau, que les Voies navigables de France ont commis de nombreuses erreurs en réalisant l'étude notamment dans l'établissement des chiffres d'affaires prévisionnels, que les Voies navigables de France ont en leur qualité de dispensateur de crédit manqué à leur devoir de mise en garde relevant de leur obligation extracontractuelle de conseil et de renseignements à leur égard, que cette faute est à l'origine d'un préjudice moral et financier subi par eux. En conséquence, ils sollicitent la condamnation des Voies navigables de France à leur payer les sommes de 695 000 euros en réparation de leur préjudice financier augmentée des intérêts de retard, de 130 500 euros au titre du rattrapage de leur retraite, de 30 000 euros en réparation de leur préjudice moral et celle de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 8 juillet 2011, l'établissement Voies navigables de France demande la confirmation du jugement déféré et la condamnation des époux [I] à lui verser la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. L'établissement soutient qu'il n'avait aucune mission de conseil individualisé, que l'étude n'avait qu'un rôle informatif et non incitatif dans la signature des contrats intervenue plusieurs années après, que dans l'intervalle les conditions du marché avaient changé, qu'il n'a servi que d'intermédiaire dans l'octroi des prêts selon les dispositions de la convention conclue avec l'Etablissement public régional, que le financement public a été mis en place sans aucune référence à l'étude, qu'il n'avait pas connaissance des informations dont la rétention lui est reprochée, que le préjudice financier invoqué sur la base de chiffres non justifiés n'est pas démontré, pas plus que son lien de causalité avec les fautes alléguées, une mauvaise évolution de la conjoncture étant à l'origine des difficultés rencontrées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Les appelants qui recherchent la responsabilité de l'établissement Voies navigables de France sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil ont la charge d'administrer la preuve d'une faute commise par l'intimé en lien de causalité direct et certain avec le préjudice qu'ils invoquent.

Selon l'article 1er du décret du 26 décembre 1960 dans sa version alors applicable, l'Onn, établissement public à caractère industriel et commercial créé par la loi du 27 février 1912, devenu l'Etablissement public national des Voies navigables de France, était chargé de centraliser et de porter à la connaissance du public les renseignements de toute nature concernant la navigation intérieure et de rechercher tous les moyens propres à développer la navigation, de provoquer, et, au besoin, de prendre toutes mesures tendant à améliorer l'exploitation des voies navigables. C'est dans le cadre de cette mission que l'Onn a initié un programme de modernisation de l'activité fluviale et procédé à ces fins à l'étude litigieuse. Cette étude, même si elle n'a pas vocation à délivrer de conseil individualisé, avait bien pour finalité d'informer les bateliers sur la faisabilité de l'investissement, de sorte qu'il incombait à l'établissement public de fournir aux acquéreurs intéressés une information complète et exacte.

Mais, pas plus qu'en première instance, les appelants ne démontrent que les informations alors communiquées reposaient sur des données erronées ou lacunaires. A la suite de l'appel d'offre infructueux du 29 juillet 1980, l'Onn a procédé le 27 mars 1981 à une actualisation de l'étude de rentabilité tenant compte de l'évolution des prix alors constatée, en déclinant de façon précise et détaillée plusieurs hypothèses de plan de financement sur la base d'un prix de construction compris entre 2 562 000 et 2 915 000 francs hors taxe et d'un financement bancaire de 70 ou 80% en complément d'une aide de l'Etat et d'un apport personnel. Le compte d'exploitation prévisionnel issu de l'étude a mis en balance des recettes de 755 700 francs et des dépenses hors emprunt de 443 694,50 francs laissant un disponible de 312 005 francs pour supporter les annuités des emprunts, dont le caractère irréaliste n'est pas établi en l'absence de toutes données économiques et financières communiquées permettant de vérifier qu'au moment où le programme a été engagé les conditions d'exploitation effectives avaient été méconnues et les perspectives d'évolution prévisibles de l'activité mal appréciées. La différence avec le prix de 4 178 805 francs hors taxe auquel le marché de construction a finalement été conclu deux ans plus tard était clairement apparente pour les investisseurs. La majoration du prix a été accompagnée d'une augmentation de l'aide de l'Etat passant de 15 à 22,50%, d'une avance de la région à hauteur de 39,50% sans intérêts avec un différé d'amortissement de cinq ans, absente du montage initial, et d'une réduction à 33% de la part de financement rémunéré, qui modifiaient avec évidence le dispositif financier, de sorte que les investisseurs professionnels ne pouvaient considérer que l'opération sur laquelle ils s'engageaient correspondait à une transposition pure et simple de l'étude précédemment publiée, les dispensant d'en vérifier l'économie.

En outre, les appelants ne fournissent aucun justificatif de leur situation de patrimoine et de ressources permettant de considérer qu'au moment où ils se sont engagés dans l'opération l'Onn devait les mettre en garde sur une insuffisance de leur capacité financière. Ils ne communiquent pas non plus l'ensemble des conventions conclues pour financer l'acquisition, de façon à apprécier le niveau précis de leur endettement Le seul acte produit est relatif au prêt «pour le financement de la construction de l'automoteur» passé le 14 mai 1985 entre l'Onn et M. [I] d'un montant de 1 650 628 francs remboursable sans intérêts en trente versements semestriels de 55 021 francs avec un différé d'amortissement de cinq ans, correspondant à l'avance de 39,5% débloquée par la région. Ce prêt a effectivement donné lieu le 7 décembre 1994 à un plan de rééchelonnement portant sur les annuités de 1991 à 1994 puis à des aménagements ultérieurs définis dans des courriers de l'Onn de 1995 à 2003. Pour autant, les appelants ne justifient pas avoir d'emblée, comme ils le soutiennent, été dans l'incapacité d'assumer la charge globale de la dette. Le document intitulé «comparatif sur quinze exercices du prévisionnel VNF et des réalisations» qu'ils produisent n'est accompagné d'aucun document comptable et n'est pas non plus certifié. Les seules données comptables vérifiées sont celles communiquées à Voies navigables de France à partir de 1994 pour le rééchelonnement du prêt, ne faisant apparaître de résultat déficitaire qu'à compter de 1995 et indiquant un retour à l'équilibre en 2000. Les délais consentis le 7 décembre 1994 se référaient expressément à des circonstances conjoncturelles tenant à la situation difficile du marché du transport, laquelle n'est pas imputable à l'établissement intimé.

Les appelants invoquent en vain une lettre du 15 octobre 1996 des Voies navigables de France énonçant que le projet de dispositif financier entre la Région Nord Pas de Calais et l'établissement «reposait sur une étude économique et financière réalisée par VNF dans le but d'ajuster précisément les capacités de remboursement des bateliers aux remboursements effectifs» pour en déduire que l'Onn a reconnu que les prêts accordés l'ont été au vu de l'étude de 1979-1980 qui était erronée, alors que ce courrier concerne un projet d'avenant à la convention de 1982 «aujourd'hui dans l'impasse» et s'applique à une étude du 30 avril 1996 intitulée «Recherche de modalités réalistes de remboursement (et de leurs conséquences) tenant compte de la capacité économique des emprunteurs appréciée au 30 octobre 1995», et en aucun cas au montage mis en place en 1985 et aux conditions économiques de cette époque.

Dès lors, le jugement qui a retenu que M. et Mme [I] ne rapportaient pas la preuve d'une faute de l'établissement Voies navigables de France en lien de causalité direct avec le préjudice invoqué, et qui les a déboutés de leurs demandes, sera confirmé.

Il est équitable de compenser à hauteur de 1 000 euros les frais non compris dans les dépens que l'intimé a été contraint d'exposer.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré,

Y ajoutant,

Condamne M. et Mme [I] aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, et à verser à l'Etablissement public national des Voies navigables de France la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du même code. de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 11/00941
Date de la décision : 20/12/2013

Références :

Cour d'appel de Paris C2, arrêt n°11/00941 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-12-20;11.00941 ?
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