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22/11/2013 | FRANCE | N°12/09492

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 22 novembre 2013, 12/09492


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRÊT DU 22 NOVEMBRE 2013



(n° 2013- , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 12/09492



Décision déférée à la Cour : jugement du 15 mai 2012 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 09/07424





APPELANTE:



E.A.R.L. DOMAINE DU DIAMANT NOIR

agissant en la personne de son Gérant

[A

dresse 2]

[Localité 1]



représentée et assistée par Maître Jean-Christophe HYEST, avocat au barreau de PARIS, toque, G0672



INTIMÉE:



S.A.R.L. SOCIÉTÉ AUXILIAIRE DU TRICASTIN-SOCATRI

prise e...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2

ARRÊT DU 22 NOVEMBRE 2013

(n° 2013- , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/09492

Décision déférée à la Cour : jugement du 15 mai 2012 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 09/07424

APPELANTE:

E.A.R.L. DOMAINE DU DIAMANT NOIR

agissant en la personne de son Gérant

[Adresse 2]

[Localité 1]

représentée et assistée par Maître Jean-Christophe HYEST, avocat au barreau de PARIS, toque, G0672

INTIMÉE:

S.A.R.L. SOCIÉTÉ AUXILIAIRE DU TRICASTIN-SOCATRI

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée et assistée par Maître Christian LAMBARD de la SCP TLJ & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque, P0169

COMPOSITION DE LA COUR

Madame [P] [S] ayant été préalablement entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 8 octobre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Anne VIDAL, Présidente de chambre

Françoise MARTINI, Conseillère

Marie-Sophie RICHARD, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Guénaëlle PRIGENT

ARRÊT

- contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Anne VIDAL, Présidente et par Guénaëlle PRIGENT, Greffier.

***

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Le site nucléaire de Tricastin, qui comprend l'usine de la société Auxiliaire de Tricastin (SOCATRI) implantée sur la commune de [Localité 3] et spécialisée dans la décontamination et le démantèlement des effluents de matières nucléaires, s'étend sur une surface de 600 ha répartie sur quatre communes dans la Drôme et le Vaucluse. Des incidents s'étant produits sur le site nucléaire dans le courant de l'été 2008, des viticulteurs produisant du vin TRICASTIN AOC se sont plaints d'une atteinte à leur image et à leur notoriété et d'une baisse de leur chiffre d'affaires.

L'EARL Domaine du Diamant Noir qui exploite un domaine agricole comprenant environ 46 hectares de vignes à cheval sur deux appellations d'origine contrôlée, (Côtes du Rhône et Cotes de Tricastin) a sollicité la réparation des conséquences dommageables des agissements de la société SOCATRI et l'a fait assigner par acte d'huissier du 30 avril 2009 devant le tribunal de grande instance de Paris et a réclamé sa condamnation à lui verser une somme de 932.300 € au titre des préjudices subis, soutenant que sa responsabilité était engagée au titre de la législation en matière de responsabilité civile nucléaire, subsidiairement sur le fondement délictuel et à titre très subsidiaire sur le fondement des troubles anormaux de voisinage.

Par jugement en date du 15 mai 2012, le tribunal de grande instance de Paris a débouté l'EARL Domaine du Diamant Noir de toutes ses demandes, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile et a condamné la demanderesse aux dépens.

Il a retenu :

Que les dispositions modifiant la convention de [Localité 4] et résultant du protocole du 12 février 2004 n'étaient pas entrées en vigueur, de sorte que l'EARL Domaine du Diamant Noir ne pouvait fonder sa demande en indemnisation sur le régime de la responsabilité civile en cas d'accident nucléaire ;

Que les incidents survenus les 4 et 7/8 juillet 2008 ne sont pas discutés, mais que les incidents rapportés par la demanderesse en date des 21 août et 8 septembre 2008 ne peuvent être imputés à l'activité de la société SOCATRI ; que si les incidents de juillet procèdent d'une faute d'imprudence et de négligence de la société SOCATRI, il n'est pas démontré qu'ils ont eu une incidence sur l'exploitation de l'EARL Domaine du Diamant Noir et que les vignes ont été physiquement atteintes, que l'impact sur l'environnement a été faible et l'impact sur le plan sanitaire nul, que les dommages immatériels allégués (atteinte à l'image et perte de confiance des acheteurs) résultent de la manière dont les informations ont été traitées par les médias et non des agissements de la société SOCATRI, de sorte qu'il n'existe pas de lien de causalité direct entre les incidents et les préjudices dont il est demandé réparation ;

Que l'EARL Domaine du Diamant Noir est recevable à agir sur le fondement des troubles anormaux de voisinage, mais qu'elle doit rapporter la preuve du caractère anormal du trouble apporté, or la pollution accidentelle provoquée par les deux incidents du mois de juillet ne peut recevoir la qualification de trouble anormal compte tenu de l'absence d'impact avéré et certain de la pollution sur l'environnement et la santé publique ; qu'il n'existe pas de lien de causalité direct entre ce trouble et le dommage allégué.

L'EARL Domaine du Diamant Noir a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 24 mai 2012.

----------------------

L'EARL Domaine du Diamant Noir, aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 11 décembre 2012, demande à la cour d'infirmer le jugement et de condamner la société SOCATRI à lui verser une somme de 932.300 € en réparation des préjudices subis et une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle expose que des incidents se sont produits en juin 2008 (rejet de carbone 14 au-delà de la limite mensuelle identifié le 4 juillet et ayant donné lieu à une suspension immédiate de l'activité de l'atelier de traitement, déversement de 20 m3 d'une solution uranifère provenant d'une cuve lors de son nettoyage, dans la nuit du 7 au 8 juillet 2008, et constatation le 18 juillet de ce que la limite annuelle de rejet de carbone 14 avait été dépassée de 5%) ; que ces accidents ont fait l'objet d'un traitement médiatique soutenu en raison des risques encourus et qu'une défiance s'est installée à l'égard des produits du terroir de Tricastin, de sorte que les vignerons du Tricastin ont demandé l'autorisation de rebaptiser leur appellation « Grignan les Adhémar » ; que, pour ce qui concerne le Domaine du Diamant Noir, l'EARL a été dans l'obligation de réorienter l'intégralité de sa production vers les vins de pays et de transformer ses outils de viticulture et de vinification. Elle ajoute que la société SOCATRI a été condamnée par la cour d'appel de Nîmes, le 30 septembre 2011, pénalement et civilement, et a dû verser des dommages et intérêts aux associations parties civiles.

Elle soutient les moyens et arguments suivants sur la responsabilité :

La cour d'appel de Nîmes a retenu que la société SOCATRI avait commis un ensemble de négligences et d'imprudences fautives graves et a accueilli les constitutions de parties civiles, non seulement des associations de défense de l'environnement, mais également de particuliers au titre du préjudice moral et du préjudice matériel ; cette décision a autorité de chose jugée ;

l'EARL Domaine du Diamant Noir est parfaitement fondée à solliciter une indemnisation, sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, au titre de l'atteinte portée par la pollution à son image et à sa réputation, même si ses vignes n'ont pas été physiquement atteintes ; une telle indemnisation est admise par la jurisprudence et en l'espèce, l'image des produits du terroir de Tricastin a été associée de manière calamiteuse à un incident nucléaire ; le lien est direct puisque les vignerons ont dû lancer en urgence une procédure de changement d'appellation ;

le tribunal a considéré que le traitement médiatique des incidents avait été abusif par rapport à la pollution subie par l'environnement et que c'était ce caractère exagéré qui était à l'origine du préjudice, alors que la cour de Nîmes a retenu que la toxicité et l'ampleur des rejets étaient de nature à entraîner, même provisoirement, des effets nuisibles pour la santé et qu'il était important de médiatiser la culpabilité de la société SOCATRI puisqu'elle a ordonné l'affichage de sa décision en mairie et sa diffusion dans la presse régionale et nationale ; à supposer que les médias soient en partie responsables de la perte de confiance de la clientèle, il n'est pas contestable que les fautes de la société SOCATRI ont eu un rôle actif dans les événements qui en sont l'origine et que cette société est intervenue dans la réalisation du dommage et doit être condamnée à le réparer en totalité.  

Elle fait valoir, sur le préjudice, qu'elle peut valablement se prévaloir du rapport d'expertise qu'elle a confié à un expert agricole dès lors que cette pièce est soumise à la discussion contradictoire de son adversaire ; qu'elle avait conclu un partenariat exclusif avec une société chinoise, la société SHANGAI CENTONG WINERY Ltd, qui devait lui permettre de bénéficier de pénétrer le marché asiatique et lui assurait l'écoulement de toute sa production pendant au moins 3 ans ; mais que cette société a, à la suite des incidents nucléaires, mis fin à ses relations d'affaires, l'appellation Tricastin étant devenu un obstacle à la revente ; que son préjudice se compose des frais de mise en place de ce partenariat (48.002,12 €), d'une perte de valorisation de la production (157.700 €) du coût des investissements techniques nécessaires pour transformer le mode de production (98.000 €), des investissements du nouveau plan marketing (209.300 €).

Elle fonde subsidiairement ses demandes sur l'existence de troubles anormaux de voisinage, régime de responsabilité sans faute qui s'applique parfaitement à l'espèce, s'agissant de nuisances provoquées par des installations nucléaires, sans pouvoir être écarté du seul fait qu'il existe un régime particulier découlant de la convention de [Localité 4] et elle soutient que le voisinage des installations nucléaires qui présentent des risques qui n'ont rien d'hypothétique et les troubles résultant des incidents et de la défiance générée à l'égard des produits du terroir ne peuvent être considérés comme normaux.

La société SOCATRI, en l'état de ses écritures signifiées le 25 septembre 2012, conclut au rejet de l'appel de l'EARL Domaine du Diamant Noir comme irrecevable et mal fondé, à sa mise hors de cause et à la condamnation de l'appelante à lui verser une somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle explique que son activité ne peut être confondue avec celle des autres sociétés travaillant sur le site nucléaire de Tricastin et que les incidents des 4 juillet et 7 juillet 2008 doivent être relativisés dans leur gravité : ainsi, l'ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) a indiqué, pour celui du 4 juillet, que l'impact sur l'environnement et sur la population du rejet de carbone 14 de 5% supérieur à la limite annuelle était très faible et le débordement de cuve survenu le 7 juillet s'est opéré sur un cours d'eau s'écoulant dans la direction opposée de l'exploitation de l'EARL Domaine du Diamant Noir ; que des mesures d'interdiction ont été immédiatement prises à titre de précaution , mais qu'elles ont été levées dès que les mesures ont été effectuées ; qu'il a été noté en effet par les autorités compétentes que l'événement du 7 juillet n'avait pas eu de conséquence ni sur la santé ni sur l'environnement. Elle conteste que les teneurs en uranium décelées dans la nappe soient dues à l'incident du 7 juillet et dénie sa responsabilité dans les incidents des 21 août et 8 septembre 2008.

Elle fait valoir que la Convention de [Localité 4] complétée par la Convention de Bruxelles n'est pas applicable à l'espèce, les dommages invoqués étant des dommages économiques liés à une dégradation de l'environnement.

Elle soutient, sur la mise en jeu de sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, qu'à supposer établie l'existence d'une faute de la société SOCATRI, le préjudice allégué par l'EARL Domaine du Diamant Noir est, en l'absence d'impact sanitaire et environnemental, exclusivement la conséquence du traitement médiatique donné à ces deux incidents, sans que la société SOCATRI soit à son origine ; qu'en outre, les campagnes médiatiques citées par l'appelante évoquent d'autres circonstances que les seuls incidents en relation avec son activité ; que la seule évocation d'un préjudice d'image ne peut suffire à caractériser le dommage environnemental et qu'il appartient au demandeur en indemnisation de rapporter la preuve du lien de causalité direct entre son préjudice et la pollution survenue, a fortiori s'agissant d'un préjudice immatériel ; que la démarche des vignerons du Tricastin pour obtenir une nouvelle appellation de leur vin n'est pas en lien avec les incidents de juillet 2008, cette demande ayant été formulée plusieurs années auparavant.

Elle ajoute que le recours à la théorie des troubles de voisinage est contestable en droit dès lors qu'il existe déjà un régime de responsabilité sans faute résultant de la convention de [Localité 4] qui est le seul régime qui doit s'appliquer, à l'exclusion de tout autre; que sa responsabilité ne peut être retenue que pour autant que l'existence d'un danger ou d'un trouble excessif serait avéré, ce qui ne peut être le cas des incidents survenus en juillet 2008, alors même que la proximité de la centrale serait préjudiciable pour les vignobles voisins depuis plus de trente ans ; que l'anormalité du trouble doit s'apprécier en fonction de la réalité des faits et non du ressenti des victimes.

Elle termine à titre très subsidiaire sur les préjudices en indiquant que le rapport d'expertise produit n'est pas contradictoire et, ne pouvant lui être opposé, sera rejeté comme non probant ; que les vins de l'EARL Domaine du Diamant Noir ne correspondent pas au profil des vins importés par les chinois et que la société SHANGAI CENTONY WINERY Ltd a manifestement profité de l'opportunité des incidents de juillet 2008 pour se désengager à un moment où un tassement de la croissance du marché chinois était constaté et où elle pouvait s'approvisionner en vins équivalents sur des bases de prix moins élevés. Elle critique également les chiffres proposés par l'expert [B] au titre des investissements techniques, amortissables sur 20 ans, et des investissements marketing pour un montant supérieur au chiffre d'affaires moyen des cinq dernières années d'exploitation et elle chiffre le préjudice réparable, pour autant que serait rapportée la preuve d'un lien de causalité avec une faute imputable à la société SOCATRI, à 888 € pour la perte du marché chinois et 9.000 € pour les investissements vitivinicoles.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 5 septembre 2013.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Considérant que la SOCATRI, filiale de la SA EURODIF, elle-même filiale de la société mère AREVA, est implantée sur le site de Tricastin, plus précisément sur la commune de [Localité 3] ; qu'elle a pour vocation de procéder à la décontamination et aux démantèlement, traitement et conditionnement des effluents de matière nucléaire ; qu'elle a également pour mission de reconditionner les déchets radioactifs hospitaliers et de laboratoires ;

Considérant que deux incidents se sont produits au cours de l'été 2008 dont l'origine peut être rapportée directement à l'activité de la SOCATRI, le tribunal ayant écarté les autres incidents, ce qui n'est pas remis en cause devant la cour ;

Que le premier incident, survenu en juin 2008 et identifié le 4 juillet 2008, a consisté en un dépassement de la limite autorisée de rejet gazeux en carbone 14 dans le cadre de son activité de retraitement des déchets des 'petits producteurs' que sont les laboratoires pharmaceutiques et les services de médecine nucléaire des hôpitaux ; que les résultats des analyses ont montré un dépassement de 5% de la limite annuelle, ce qui a entraîné une interruption de toute activité générant des rejets de carbone 14 jusqu'à la fin de l'année 2008 ; que cet événement a été classé en niveau 1 de l'échelle INES qui en compte 7 et que l'impact de ce rejet sur l'environnement et sur la population a été jugé très faible par l'ASN (Autorité de sûreté nucléaire), de l'ordre de quelques micro sieverts, soit moins de quelques millièmes de la dose annuelle autorisée pour le public ;

Que le second incident correspond au débordement survenu dans la nuit du 7 au 8 juillet 2008, lors du nettoyage d'une cuve de stockage, de 32 m3 d'une solution uranifère qui s'est déversée dans un bac de rétention et dont 20m3 se sont, en raison du défaut d'étanchéité de ce bac, répandus dans le sol, dans le réseau d'eaux pluviales et dans la Gaffière, cours d'eau avoisinant ; qu'immédiatement, la préfecture interdisait la pêche, la baignade et l'irrigation et posait des mesures de restriction de la consommation d'eau ; que des mesures de mise en sécurité de l'installation ont été également immédiatement prises à l'initiative de la SOCATRI et à la demande de l'ASN ; que l'IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire), après avoir établi un dispositif de surveillance et effectué des mesures dans l'environnement, a préconisé la levée des mesures de restriction de l'eau dès le 21 juillet et a rendu publics les résultats de ses mesures concluant que l'impact du rejet accidentel sur l'environnement avait été faible et qu'il n'y avait pas eu d'impact sanitaire ;

Considérant que, devant le tribunal, l'EARL DOMAINE DU DIAMANT NOIR fondait sa demande en indemnisation sur l'application de la Convention de Paris relative au régime particulier de responsabilité civile en cas d'accident nucléaire ; que ce fondement a été rejeté par le tribunal qui a considéré que les dommages immatériels en relation avec la dégradation de l'environnement n'entraient pas dans la définition des dommages nucléaires indemnisables en France en application de cette convention, à défaut d'entrée en vigueur du protocole du 12 février 2004 ; que ces dispositions ne sont pas discutées devant la cour, l'EARL DOMAINE DU DIAMANT NOIR fondant sa demande en indemnisation sur l'article 1382 du Code civil au principal et sur l'existence de troubles anormaux de voisinage à titre subsidiaire ;

Considérant qu'il appartient à l'EARL DOMAINE DU DIAMANT NOIR qui invoque l'application des articles 1382 et 1383 du Code civil, d'établir l'existence d'un fait fautif imputable à la SOCATRI dont il est résulté pour elle un préjudice en lien de causalité direct et certain avec la faute reprochée ;

Qu'il a été vu plus haut que les deux incidents des 4 et 7/8 juillet 2008 étaient directement causés par l'activité de la SOCATRI dans le traitement des déchets radioactifs, le premier en raison d'un dépassement de rejet gazeux, le second en raison d'un déversement accidentel d'effluents uranifères ;

Que le tribunal correctionnel de Carpentras avait relaxé la SOCATRI des poursuites du chef de déversement de substances ayant entraîné des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou la faune ;

Que la cour d'appel de Nîmes, dans son arrêt correctionnel du 30 septembre 2011, a requalifié la prévention et retenu le délit de déversement de substances dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer ayant entraîné, même provisoirement, des modifications significatives du régime normal d'alimentation en eau et des limitations d'usage des zones de baignade ; qu'elle a, pour ce faire, caractérisé l'existence d'une faute pénale commise par la SOCATRI et considéré que le déversement d'effluents uranifères dans le réseau hydrologique résultait d'un ensemble de négligences et d'imprudences fautives graves imputables à cette société, notamment en raison de la non étanchéité du bac de rétention ayant recueilli le trop plein du stockeur recevant les effluents ; mais qu'elle a également constaté, comme l'avait fait le tribunal, qu'aucun dommage n'avait été causé à la faune et à la flore, qu'il n'existait aucun marquage en uranium dépassant la valeur guide de l'OMS en lien avec l'incident de la SOCATRI et qu'il n'était pas établi que le déversement des effluents uranifères aurait entraîné des effets nuisibles sur la santé ; que cette décision pénale a autorité de chose jugée sur l'existence des faits fautifs commis par la SOCATRI à l'origine du déversement accidentel du 7/8 juillet 2008 ;

Considérant que l'EARL DOMAINE DU DIAMANT NOIR qui exploite un domaine agricole comportant 46 ha de vignes commercialisées sous diverses appellations, notamment sous l'appellation 'Côteaux du Tricastin' mais également sous l'appellation 'Côtes du Rhône', sollicite réparation des préjudices résultant des deux événements survenus au cours de l'été 2008 et invoque l'existence d'un préjudice d'image dont a souffert cette appellation et d'un préjudice commercial subi de ce fait par son exploitation ; qu'il lui appartient d'établir que ce préjudice est en lien de causalité direct et certain avec les faits fautifs reprochés à la SOCATRI ;

Que le tribunal a justement retenu que les deux incidents des 4 et 7/8 juillet 2008 n'avaient eu aucun impact sur l'environnement et sur la santé publique en se fondant sur les conclusions du rapport de l'INRS évoquées plus haut et sur les constatations de l'ASN selon lesquelles l'incident 'apparaît sans dommage pour la santé des travailleurs et des populations' et 'les prélèvements complémentaires réalisés à ce jour n'ont pas montré de marquage significatif de l'environnement lié à cet événement' ; que c'est au regard de ces

éléments que le tribunal correctionnel avait prononcé la relaxe du délit de pollution des eaux ayant entraîné des effets nuisibles sur la santé ou des dommages à la flore ou à la faune ; que c'est également en raison de l'absence d'effets nuisibles de la pollution que la cour d'appel a requalifié les faits en ne retenant que la modification provisoire du régime normal d'alimentation en eau intervenue par l'effet des arrêtés préfectoraux pris dès le 8 juillet et rapportés seulement le 22 juillet sur la pêche, la baignade et la consommation d'eau ;

Que le tribunal a également à juste titre retenu que l'EARL DOMAINE DU DIAMANT NOIR ne démontrait pas avoir subi, à titre personnel, un impact quelconque de pollution ou des mesures de restriction sur son exploitation ; qu'il est en effet avéré et non discuté que les eaux affectées par le déversement polluant n'irriguent pas la propriété viticole exploitée par l'EARL DOMAINE DU DIAMANT NOIR et que les vignes n'ont pas été physiquement atteintes par la pollution ;

Que l'EARL DOMAINE DU DIAMANT NOIR soutient que la réputation et l'image des produits du Tricastin ont été abîmées par les événements de l'été 2008 et qu'elle a subi directement les effets de l'atteinte à la dénomination 'Côteaux du Tricastin', matérialisés par l'échec de son partenariat avec la société chinoise SHANGAI CENTONG WINERY et par la nécessité de réorienter son activité pour substituer à la production de vins AOC celle de vins de pays ; qu'elle se fonde, pour établir l'atteinte à l'image des produits du Tricastin, sur de très nombreux articles de presse qui constituent l'essentiel de son dossier ; que ces articles de la presse locale et nationale rapportent les faits accidentels du 7 juillet et les mesures de précaution prises par le préfet et font état de craintes graves sur l'environnement dont il a été vu cependant qu'elles avaient pu être dissipées très rapidement grâce aux études de l'INRS et de l'ASN ; que c'est à juste titre en conséquence que le tribunal a considéré que la perte de confiance des consommateurs était le fait de l'information alarmiste donnée dans les suites immédiates de l'événement par les médias et de l'amalgame qui pouvait ainsi résulter, dans l'esprit de la population, entre cet événement ponctuel et un risque plus général de pollution nucléaire ; que la SOCATRI ne pouvant répondre que de ses agissements fautifs, il doit être constaté qu'il n'existe pas de lien de causalité direct entre ceux-ci et la dépréciation de l'image des produits du Tricastin dans l'esprit des consommateurs ;

Qu'il convient d'ajouter que les difficultés rencontrées par l'appellation AOC Coteaux du Tricastin ne sont pas nées des incidents de l'été 2008 ; que cette appellation avait subi de plein fouet la crise frappant l'ensemble des vins français et avait pâti du resserrement de la gamme des vins AOC au profit des appellations les plus connues, notamment l'appellation Côtes du Rhône, ce qui avait eu pour résultat une baisse de moitié des volumes commercialisés entre 2002 et 2007 ; que la démarche de changement de dénomination avait été engagée bien avant l'été 2008, ainsi que le rapporte l'article du journal Le Monde du 9 juin 2010, l'incident de juillet 2008 ayant seulement permis de précipiter la décision ; qu'il s'en déduit que la décision de l'EARL DOMAINE DU DIAMANT NOIR de repositionner sa production de vin AOC Coteaux du Tricastin - qui ne constitue qu'une partie de sa production, majoritairement constituée de vins AOC Côtes du Rhône - pour produire et commercialiser des vins de pays relève d'un choix personnel qui ne peut être mis en lien de causalité direct avec les incidents de l'été 2008 ;

Que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté l'EARL DOMAINE DU DIAMANT NOIR de sa demande d'indemnisation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil, à défaut de lien de causalité direct et certain établi entre les agissements fautifs de la SOCATRI à l'origine des incidents de juillet 2008 et le préjudice immatériel dont il est demandé réparation ;

Considérant que l'EARL DOMAINE DU DIAMANT NOIR fonde à titre subsidiaire ses demandes sur la théorie des troubles anormaux de voisinage ;

Que c'est en vain que la SOCATRI soutient que ce fondement ne pourrait être invoqué par la demanderesse au motif qu'il existe, en matière d'installations nucléaires, un régime particulier de responsabilité qui serait exclusif du régime, non prévu par la loi, des troubles de voisinage ; qu'en effet, la responsabilité pour troubles de voisinage constitue un régime autonome tiré du principe général selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble de voisinage, susceptible d'être invoqué indépendamment ou subsidiairement par rapport au régime général de responsabilité pour faute ou par rapport aux régimes particuliers instaurés en matière environnementale, notamment en matière de responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire ; qu'il doit être ajouté au demeurant qu'il a été jugé que le régime particulier instauré par la Convention de [Localité 4] n'était pas applicable à l'action engagée par l'EARL DOMAINE DU DIAMANT NOIR, de sorte que celle-ci ne peut être privée du recours à la théorie des troubles de voisinage ;

Que la responsabilité résultant des troubles de voisinage peut être engagée sans aucune faute prouvée, seule devant être rapportée l'existence d'un dommage actuel et certain résultant d'un trouble dont l'anormalité doit être appréciée en fonction de sa réalité, de sa nature et de sa gravité, en fonction des circonstances, notamment de lieu et d'environnement, propres à l'espèce ;

Que l'EARL DOMAINE DU DIAMANT NOIR invoque l'existence d'un risque de trouble et soutient qu'elle serait bien fondée à solliciter l'indemnisation du préjudice lié au risque de pollution nucléaire du fait des installations voisines qui ne peut être considéré comme normal ; qu'elle ajoute que les incidents des 4 et 7/8 juillet 2008 matérialisent le risque sanitaire couru par le voisinage et lié aux installations inadaptées et mal surveillées de la SOCATRI ;

Mais qu'il a été vu précédemment que les événements survenus au mois de juillet 2008 n'avaient occasionné aucun impact sur l'environnement et sur la santé et que les seules conséquences retenues par le juge pénal étaient les modifications provisoires apportées au régime normal d'alimentation en eau et les limitations d'usage des zones de baignade ; qu'il ne peut donc être considéré que ces incidents auraient généré pour le voisinage un trouble susceptible d'être qualifié de grave et d'anormal ;

Que le tribunal a par ailleurs justement rappelé que la réalité du trouble devait être jugée au regard d'éléments objectifs et non à raison du ressenti ou du sentiment d'insécurité des voisins et que son anormalité devait être appréciée en fonction des circonstances de temps et de lieu ; qu'il doit en être déduit que l'EARL DOMAINE DU DIAMANT NOIR ne peut, du seul fait de la survenance de faits accidentels tout à fait ponctuels et n'ayant provoqué aucune pollution significative, se prévaloir d'un sentiment de peur lié à un risque industriel potentiel excédant les troubles normaux de voisinage ; que le risque qu'elle évoque apparaît se rapporter plus à la proximité du site nucléaire du Tricastin qu'à la présence et à l'activité de la SOCATRI qui n'est concernée que par les deux incidents des 4 et 7/8 juillet 2008, à l'exclusion de tous autres, et qui a procédé à une opération de modernisation de ses installations et de ses cuves de stockage ;

Que les observations relatives à l'absence de lien de causalité direct entre les incidents de juillet 2008 et le préjudice dont il est demandé réparation doivent au surplus être reprises pour constater que le trouble allégué n'est pas directement à l'origine des préjudices invoqués ;

Qu'il convient en conséquence de débouter l'EARL DOMAINE DU DIAMANT NOIR de sa demande fondée sur l'existence de troubles de voisinage ;

Vu les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Vu l'article 696 du Code de procédure civile,

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne l'EARL DOMAINE DU DIAMANT NOIR à payer à la SOCATRI une somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;

La condamne aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les formes et conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 12/09492
Date de la décision : 22/11/2013

Références :

Cour d'appel de Paris C2, arrêt n°12/09492 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-11-22;12.09492 ?
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