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18/10/2013 | FRANCE | N°12/09982

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 18 octobre 2013, 12/09982


Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2



ARRÊT DU 18 OCTOBRE 2013



(n° 2013-306, 10 pages)







Numéro d'inscription au répertoire général : 12/09982



Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 mai 2012 -Tribunal de Grande Instance de paris - RG n° 10/14513









APPELANTS ET INTIMÉS



Madame [P] [S]

[Adresse 3]

[Localité

1]



représentée par Me Léopold MENDES, avocat au barreau de PARIS, toque G0618

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2012/026550 du 20/06/2012 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)...

Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2

ARRÊT DU 18 OCTOBRE 2013

(n° 2013-306, 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/09982

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 mai 2012 -Tribunal de Grande Instance de paris - RG n° 10/14513

APPELANTS ET INTIMÉS

Madame [P] [S]

[Adresse 3]

[Localité 1]

représentée par Me Léopold MENDES, avocat au barreau de PARIS, toque G0618

(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2012/026550 du 20/06/2012 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

Monsieur [G] [U]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Alain FISSELIER, avocat au barreau de PARIS, toque L0044

assisté de Me Sophie ANCEL, avocat au barreau de PARIS, toque G0212

INTIMÉES

Madame [B] [L] OU [L]

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Sylvie TOPALOFF FINKIELKRAUT, avocat au barreau de PARIS, toque P0268

assistée de Me Camille LASOUDRIS, avocat au barreau de PARIS, P 229

Organisme CPAM DE PARIS

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée/assistée par Me Rachel LEFEBVRE, avocat au barreau de PARIS, toque D1901

COMPOSITION DE LA COUR

Madame [P] [Y] ayant été préalablement entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 septembre 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Anne VIDAL, Présidente de chambre

Madame Françoise MARTINI, Conseillère

Madame Marie-Sophie RICHARD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Monsieur Guillaume LE FORESTIER

ARRÊT

- contradictoire,

- rendu par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente de chambre et par Madame Khadija MAGHZA, greffier placé.

*******

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES 

Mme [B] [L] a consulté Mme [P] [S], naturopathe, à partir de 2002 et indique avoir reçu, en novembre 2003 et mars 2004, des injections de New Fill. Elle a ensuite consulté le Dr [G] [U], médecin généraliste, qui a procédé à deux injections d'Hydra Fill en juin 2004. Se plaignant de l'apparition d'effets secondaires et d'oedèmes ayant révélé la présence de corps étrangers homogènes, elle a obtenu la mise en place d'une expertise en référé et a fait assigner au fond Mme [P] [S] et le Dr [G] [U] devant le tribunal de grande instance de Paris, suivant actes d'huissier en date du 21 juin 2010, aux fins d'obtenir réparation des préjudices subis.

La CPAM de Paris a été appelée en la cause.

Par jugement en date du 21 mai 2012, le tribunal de grande instance de Paris a condamné in solidum Mme [P] [S] et le Dr [G] [U] à réparer l'intégralité du préjudice subi par Mme [B] [L] en suite des injections pratiquées entre novembre 2003 et juin 2004.

Il a retenu que la réalité des injections pratiquées par Mme [P] [S] était démontrée, malgré les dénégations de cette dernière et que celle-ci avait commis une faute en procédant à des actes médicaux, alors qu'elle n'était pas médecin, en utilisant un produit inadapté au cas de Mme [B] [L] et en n'informant pas la patiente des risques du New Fill, produit très lentement biodégradable, connu pour entraîner dans un petit nombre de cas des réactions granulomateuses. Et il a considéré que le Dr [G] [U] avait manqué à son obligation d'information et à son obligation de prudence en injectant de l'Hydra Fill, alors que Mme [B] [L] avait déjà subi des injections d'un autre produit, le cumul des produits étant susceptible d'entraîner la réaction granulomateuse constatée.

Avant dire droit sur le préjudice, il a ordonné une mesure d'expertise médicale, le rapport d'expertise produit concluant que la patiente n'était pas consolidée. Il a cependant condamné Mme [P] [S] et le Dr [G] [U] in solidum à verser à Mme [B] [L] une somme provisionnelle de 40.000 € à valoir sur son indemnisation, compte tenu des postes de préjudices d'ores et déjà relevés par l'expert.

Mme [P] [S] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 1er juin 2013.

Par ordonnance en date du 21 mars 2013, le conseiller de la mise en état a déclaré les conclusions signifiées le 20 décembre 2012 par Mme [B] [L] irrecevables à l'égard de Mme [P] [S] comme ayant été signifiées tardivement.

Par ailleurs, par décision en date du 4 juillet 2013, il a dit que le nom patronymique complet de l'intimée était [B] [L] ou [L].

---------------------

Mme [P] [S], aux termes de ses dernières conclusions signifiées par RPVA le 19 août 2013, conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour :

Si elle ordonne une nouvelle expertise, de la mettre hors de cause à titre principal, et à titre subsidiaire de noter ses plus expresses réserves,

Sur le fond, de dire que sa responsabilité ne peut être engagée à raison du dommage dont se plaint Mme [B] [L], ni l'existence d'un lien de causalité entre les gestes de Mme [P] [S] et les dommages allégués ni la preuve de l'inexécution contractuelle n'étant rapportées,

De débouter le Dr [G] [U] et la CPAM de leurs demandes dirigées contre elle et de condamner Mme [B] [L] aux dépens, y compris les frais d'expertise.

Elle rappelle que les conclusions de Mme [B] [L] à son encontre ont été déclarées irrecevables et qu'elle n'a donc pas à répondre aux écritures de celle-ci.

Elle soutient que la preuve de l'injection du produit NEW FILL n'est pas rapportée, la facture produite par elle correspondant, non pas à un produit qu'elle aurait injecté à Mme [B] [L], mais au produit qu'elle utilisait elle-même à l'époque et dont elle aurait parlé à sa cliente en lui en recommandant l'utilisation ; que Mme [B] [L], qui lui avait indiqué avoir reçu un coup, n'a pas prévenu son médecin avant qu'il ne procède aux injections sur cette zone fragilisée, ce qui constitue une abstention fautive de la victime excluant ou diminuant très fortement son droit à réparation.

Elle réplique aux écritures du Dr [G] [U] qu'elle ne voit pas le fondement légal justifiant l'engagement de sa responsabilité et aux écritures de la Caisse que ses demandes doivent être rejetées en l'absence de faute de sa part.

Elle termine en contestant la demande de Mme [B] [L] sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, celle-ci étant bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale.

Le Dr [G] [U], suivant conclusions récapitulatives signifiées par RPVA le 24 juillet 2013, demande à la cour :

D'infirmer le jugement déféré en constatant que le lien de causalité entre les injections d'Hydra Fill qu'il a pratiquées et l'apparition du granulome n'est pas établi et qu'il n'a commis aucune faute à l'origine du préjudice subi par Mme [B] [L], et de débouter cette dernière de toutes ses demandes,

Subsidiairement, de dire que le préjudice de Mme [B] [L] n'est pas établi et de la débouter de ses demandes,

De dire que la responsabilité du Dr [G] [U] ne saurait excéder 5% de la totalité des dommages subis par Mme [B] [L],

Reconventionnellement, de condamner Mme [B] [L] à lui verser la somme de 10.000 € à titre de dommages et intérêts et à payer une amende civile en application de l'article 32-1 du Code de procédure civile,

En tout état de cause, de condamner Mme [B] [L] et Mme [P] [S] à lui verser, chacune, une somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il fait valoir qu'il est acquis que Mme [B] [L] avait subi, avant de le consulter, des injections de NEW FILL, produit lentement bio dégradable connu pour entraîner des réactions granulomateuses, alors que l'HYDRA FILL qu'il a utilisé est plus « secure » ; qu'aucune certitude n'existe sur le fait que le cumul des deux produits serait à l'origine du dommage et qu'il n'est donc pas établi que les injections qu'il a pratiquées sont en lien avec le préjudice. Il ajoute qu'il n'a commis aucune faute dans la mesure où il n'est pas contre-indiqué de pratiquer des injections d'Hydra Fill après des injections de New Fill, ni dans la littérature médicale, ni dans la notice des produits, étant rappelé que les faits datent de 2004 ; qu'il n'y a pas d'explication médicale sur le fait que les injections d'Hydra Fill auraient pu contribuer à l'apparition de la réaction inflammatoire, dix mois après leur réalisation.

Il répond aux griefs formulés contre lui par Mme [B] [L] ainsi : il a informé sa patiente des effets du traitement par Hydra Fill et ne pouvait l'informer des dangers des injections pratiquées antérieurement ; les injections ne sont pas des actes de chirurgie esthétique, de sorte que l'article L 6322-2 du Code de la santé publique invoqué n'est pas applicable ; le médecin esthétique n'est pas tenu à une obligation de sécurité de résultat et le produit injecté n'était pas défectueux.

Il soutient que le granulome a pour cause les injections de New Fill pratiquées par Mme [P] [S] et qu'il n'a jamais été informé du coup que sa cliente aurait reçu au visage, ajoutant que Mme [B] [L] a choisi de subir des injections, qui sont des actes médicaux, pratiquées par une personne qui n'est ni médecin, ni qualifiée, ni garantie en responsabilité ; qu'il fait toutes réserves sur les résultats des traitements subis par Mme [B] [L] après l'apparition de l'inflammation, alors que lui-même avait immédiatement posé le diagnostic et proposé un traitement adéquat à la patiente qui l'avait consulté par téléphone mais qui n'est pas revenue le voir ; que la demande de réparation provisionnelle est disproportionnée, tant à hauteur de 150.000 € que de 40.000 €, la carrière de Mme [B] [L] étant à peu près la même avant et après 2005, l'intéressée ayant pu participer à divers tournages entre 2005 et 2010.

Il fonde sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts sur les man'uvres commises par Mme [B] [L] qui s'est présentée sous deux identités, [L] (victime du Dr [G] [U]) et [L] (tournant, chantant et enregistrant des albums).

Mme [B] [L] ou [L], en l'état de ses dernières écritures signifiées le 10 juin 2013, conclut à la confirmation de la décision déférée et à la condamnation des deux intimés à lui verser la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle développe divers arguments à l'encontre de Mme [P] [S], mais ses écritures ont été déclarées irrecevables par le conseiller de la mise en état.

Elle fait valoir, en ce qui concerne le Dr [G] [U], qu'il a commis diverses fautes :

non-respect de son obligation d'information alors que l'article L 6322-2 du Code de la santé publique prévoit que, pour toutes les prestations à caractère esthétique, la personne concernée doit être informée des risques et des conséquences et complications de l'acte pratiqué,

faute dans la réalisation de l'acte puisque, bien qu'informé de ce qu'elle avait déjà subi deux injections de New Fill quelques mois plus tôt, il a procédé à deux injections d'Hydra Fill, malgré les recommandations faites dans toutes les notices d'utilisation des produits.

Elle ajoute subsidiairement, que le Dr [G] [U] a manqué à son obligation de sécurité de résultat du fait de l'utilisation du produit.

Elle indique, en ce qui concerne ses préjudices, qu'elle n'était pas consolidée lors de son examen par l'expert et que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a ordonné une nouvelle expertise et explique qu'elle n'a pu exercer son activité de comédienne-chanteuse depuis avril 2005 et qu'elle a ainsi subi une perte de revenus d'environ 46.000 € entre 2005 et 2008. Elle ajoute qu'il existe une incidence professionnelle puisqu'elle a dû abandonner sa profession et qu'elle a subi des préjudices à caractère extra-patrimonial avant consolidation, ce qui justifierait le versement d'une provision à hauteur de 150.000 €.

La CPAM de Paris, suivant conclusions signifiées le 22 novembre 2012, sollicite, dans l'hypothèse où la cour retiendrait la responsabilité de Mme [P] [S] et du Dr [G] [U], leur condamnation solidaire à lui verser la somme de 9.938,67 € à titre de provision, s'agissant des prestations versées à Mme [B] [L] ou [L] au titre des pertes de gains professionnels actuels et des dépenses de santé actuelles , la caisse demandant à la cour de réserver ses droits quant aux prestations non connues à ce jour. Elle réclame en tout état de cause la condamnation de tous succombants à lui verser la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 5 septembre 2013.

MOTIFS DE LA DÉCISION 

Considérant que Mme [B] [L] dit avoir subi deux séries d'injections de produits de comblement des rides dans les sillons nasogéniens :

les 7 novembre 2003 et 23 mars 2004, deux injections de New Fill pratiquées par Mme [P] [S] (naturopathe qui avait réalisé auparavant des séances d'électro-ridopuncture), ce qui est contesté par cette dernière,

les 2 et 30 juin 2004, deux injections d'Hydra Fill pratiquées par le Dr [G] [U] (médecin généraliste ne pratiquant plus que des soins esthétiques depuis 1997) ;

Qu'il est avéré qu'elle a présenté, à partir d'avril 2005, une réaction inflammatoire du visage partant du sillon nasogénien droit et gagnant l'ensemble de la joue droite, débordant ensuite sur le côté gauche ; qu'après des diagnostics erronés de cellulite infectieuse du visage, a été posé le diagnostic de réaction inflammatoire aux produits injectés et que Mme [B] [L] a subi un traitement par corticothérapie générale au long cours permettant d'améliorer les symptômes et de réduire les poussées inflammatoires ;

Considérant que Mme [B] [L] a été examinée par le Pr [E] [D], chef de service de dermatologie à l'Hôpital [1], désigné comme expert par ordonnance de référé, qui a déposé son rapport définitif le 15 avril 2009 ;

Que l'expert, après avoir examiné Mme [B] [L], analysé les pièces communiquées et entendu les parties, a constaté et conclu, pour l'essentiel, que :

la demanderesse avait présenté, quelques mois après les injections, une réaction retardée, très inflammatoire, caractérisée par une réaction granulomateuse, centrée par les particules étrangères que constituent le ou les produits injectés, réaction connue avec tous les produits injectés dans la peau non rapidement biodégradables,

de nombreux éléments existaient pour retenir que Mme [P] [S] avait injecté un produit de comblement, très probablement du New Fill, dans les sillons nasogéniens de Mme [B] [L],

le Dr [G] [U] n'aurait pas dû injecter d'acide hyaluronique trois mois après les injections de Mme [P] [S] dont il avait connaissance, du fait de l'incompatibilité entre les deux produits,

les lésions subies par la patiente étaient les conséquences directes et certaines des soins donnés par Mme [P] [S] et le Dr [G] [U],

la consolidation de Mme [B] [L] n'était pas encore acquise à la date de son examen, l'état de la patiente étant susceptible, sans aucune certitude, d'évoluer vers une amélioration progressive ;

Sur la responsabilité de Mme [P] [S] 

Considérant que Mme [P] [S] conteste avoir procédé aux injections de New Fill qui lui sont imputées par Mme [B] [L] mais que la cour observe, comme l'a fait le tribunal, que la réalité de ces injections est établie par la remise par Mme [P] [S] à Mme [B] [L], d'une part de la facture d'acquisition de ce produit en date du 4 novembre 2003 (soit 4 jours avant l'injection), d'autre part d'un post-it sur lequel elle avait, lors de l'apparition des premiers symptômes, indiqué disposer du numéro de lot du produit et mentionné le nom du laboratoire SANOFI AVENTIS en ayant repris la commercialisation ;

Que les explications données par Mme [P] [S] sur la facture - qui serait, dit-elle, la facture d'achat du produit qu'elle se serait elle-même fait injecter par son médecin traitant - ne sont pas sérieuses et n'ont pas été corroborées par les éléments promis en cours d'expertise, à savoir la justification du paiement du produit et l'attestation de son médecin sur l'effectivité des injections ;

Que les mentions portées de la main de Mme [P] [S] sur le post-it remis à Mme [B] [L] dénotent que celle-ci est bien intervenue dans l'acquisition et l'injection du « produit » dont elle connaissait le numéro de lot et qui peut être identifié comme étant le New Fill dont la commercialisation avait été effectivement reprise par le Laboratoire SANOFI AVENTIS ;

Que la réalisation par Mme [P] [S] d'injections de produits de comblement des rides est en outre corroborée par les attestations de Mme [J] [L] et de Mme [P] [W] annexées au rapport d'expertise et rapportant, l'une qu'elle avait subi, en 2003, plusieurs injections de New Fill au cabinet de Mme [S], l'autre que Mme [S] lui avait proposé des injections de New Fill, présenté comme un produit miracle et sans danger ;

Considérant que l'expert a justement relevé que Mme [P] [S] n'avait aucune légitimation à injecter un tel produit, s'agissant d'un acte médical ; qu'il a indiqué que ce produit, le New Fill, était un produit très lentement biodégradable, connu pour entraîner dans un petit nombre de cas des réactions granulomateuses du type de celle observée sur Mme [B] [L] et qu'il avait pu lui-même observer à plusieurs reprises ; qu'il a ajouté que le New Fill n'avait une autorisation de mise sur le marché que pour les personnes atteintes du sida traitées par anti-protéases et avait toujours été déconseillé en dehors du contexte de séropositivité qui n'existait pas chez la demanderesse ;

Qu'il doit être déduit de l'ensemble de ces éléments que se trouvent établis, d'une part l'existence d'une faute commise par Mme [P] [S] dans la réalisation d'un acte médical pour lequel elle n'avait aucune compétence et dans l'injection d'un produit inadapté et comportant des effets secondaires connus, d'autre part le lien de causalité direct et certain entre cette faute et les lésions présentées par Mme [B] [L] ;

Sur la responsabilité du Dr [G] [U] 

Considérant que le Dr [G] [U] ne conteste pas avoir procédé aux deux injections d'Hydra Fill dans les sillons nasogéniens de Mme [B] [L] en connaissance des précédentes injections de New Fill opérées au même endroit, quelques semaines auparavant, ainsi qu'il ressort des mentions portées sur le dossier médical de la patiente ;

Que l'expert explique que l'Hydra Fill est composé exclusivement d'acide hyaluronique, produit rapidement biodégradable, et que les complications du type de celles présentées par Mme [B] [L] sont à la fois extrêmement rares mais surtout ne perdurent pas longtemps, dans la mesure où, dit-il, après quelques mois, le produit étant dégradé, la réaction inflammatoire immuno-allergique s'estompe d'elle-même, ce qui, dit l'expert, n'est pas le cas ici ; qu'ainsi, l'implication de ce seul produit dans la survenance des lésions, constatées dix mois après les injections et non résorbées, ne peut être retenue ;

Que l'expert indique cependant que le Dr [G] [U] n'aurait pas dû injecter de l'acide hyaluronique dans les sillons nasogéniens, trois mois après l'injection de New Fill dont il était informé, l'injection dans le même site de deux produits différents étant contre-indiquée, (« cela étant inscrit dans toutes les notices d'utilisation des produits de comblement des rides »), et conclut que les lésions de Mme [B] [L] sont les conséquences directes, non seulement des injections opérées par Mme [P] [S], mais également des soins donnés par le Dr [U] ;

Que le tribunal a, pour retenir la responsabilité du Dr [G] [U] dans les lésions subies par Mme [B] [L], considéré que l'expertise médicale et la littérature médicale produite par la demanderesse confirmaient l'interdiction d'injection de produits biodégradables et non biodégradables sur le même site à raison des réactions retardées de celles-ci et déclaré que la proximité des injections cumulait ou modifiait nécessairement les risques de réaction propres à chaque produit ;

Que la cour note cependant que le Dr [U] produit la notice de l'Hydra Fill qui ne contre indique aucunement l'injection de ce produit dans des zones déjà traitées par des produits de comblement, les contre-indications mentionnées portant seulement sur les zones présentant des problèmes cutanés de type inflammatoire et/ou infectieux ou sur l'utilisation en association avec un traitement au laser, un peeling chimique ou une dermabration ; que, par ailleurs, l'article de littérature médicale signé A. [Q] (dont la date de parution n'est pas indiquée mais qui cite en bibliographie des articles parus en 2004 et un tableau de produits de 2005) n'était pas publié à la date des soins litigieux (juin 2004) et que, contrairement à ce qui a pu être retenu, il n'énonce pas une interdiction d'injection dans le même site de produits différents de comblement des rides, mais indique : « L'association de produits dégradables et de produits non dégradables, sur le même site, semble favoriser les réactions granulomateuses. Il est donc déconseillé d'injecter des produits dégradables sur un site préalablement injecté avec un produit non dégradable même plusieurs mois ou années auparavant. » ; que l'expert judiciaire est, lui aussi, dubitatif sur le lien de causalité existant entre l'association des deux types d'injection et le risque d'infection granulomateuse puisqu'il écrit, en page 13 : « Le Dr [U] aurait donc fait là une faute, sans que l'on puisse être certain que cette faute soit responsable de l'apparition de la réaction inflammatoire granulomateuse, laquelle peut survenir sans autre injection que celle du produit New Fill » ;

Qu'il convient en conséquence de réformer le jugement déféré en constatant que n'est pas rapportée la preuve d'une faute du Dr [G] [U] dans l'administration de l'Hydra Fill en lien direct et certain avec l'apparition de la réaction granulomateuse présentée par Mme [B] [L] ;

Considérant que Mme [B] [L] reproche au Dr [G] [U] de ne pas avoir rempli son obligation d'information sur les risques inhérents à l'intervention pratiquée, soulignant que l'expert note dans son rapport l'absence d'information écrite et de devis et indique : « Le Dr [U] ne signale pas la possibilité d'effets secondaires autres que mineurs »  ;

Que c'est en vain qu'elle invoque les dispositions de l'article L 6322-2 du Code de la santé publique qui imposent au praticien, pour toute intervention chirurgicale esthétique, d'informer son patient des conditions de l'intervention, de ses risques et de ses éventuelles conséquences et complications et de lui remettre un devis détaillé, l'acte pratiqué par le Dr [G] [U] étant un acte médical et non un acte chirurgical ;

Qu'il n'en demeure pas moins qu'en application de l'article L 1111-2 du Code de la santé publique, les professionnels de santé sont tenus d'apporter à leurs patients une information sur « les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus » ;

Mais que le Dr [G] [U] fait justement observer que les effets indésirables connus de l'Hydra Fill ne sont effectivement que tout à fait mineurs ; qu'il s'agit en effet, en lecture de l'étude signée A. [Q], de phénomènes transitoires tenant à des réactions immédiates inflammatoires (rougeur, 'dème, erythème') associées à des démangeaisons et douleurs à la pression pouvant persister une semaine et disparaissant sans laisser de séquelles, ou à des réactions retardées de type granulomateuse se résorbant en 2 ou 3 semaines et pour lesquelles la restitution ad integrum est toujours totale ;

Que la cour relève également qu'il n'existe aucun lien de causalité entre le défaut d'information reproché au Dr [G] [U] et les lésions subies par Mme [B] [L] puisque celles-ci ne sont en relation directe et certaine qu'avec les injections pratiquées par Mme [P] [S] ;

Considérant que Mme [B] [L] invoque enfin l'obligation de sécurité résultat du fait de l'utilisation du produit ;

Mais que ce fondement de responsabilité ne peut être retenu à défaut de défectuosité du produit utilisé ;

Considérant en conséquence qu'il convient de réformer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité du Dr [G] [U] à l'origine des préjudices subis par Mme [B] [L] ;

Sur le préjudice subi par Mme [B] [L] 

Considérant que, l'expert ayant indiqué que l'état de Mme [B] [L] n'était pas consolidé à la date de son examen, le 27 février 2009, c'est à juste titre que les premiers juges ont ordonné une nouvelle expertise, confiée au Pr [E] [D], afin de déterminer les préjudices définitifs subis par la demanderesse ;

Que l'expertise fait toutefois ressortir, d'ores et déjà, l'existence des postes de préjudice suivants :

Déficit fonctionnel temporaire (perte de la qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante) assez important jusqu'au 1er juin 2008 et encore moyen au 27 février 2009,

Souffrances endurées, provisoirement chiffrées à 5/7,

Préjudice esthétique temporaire chiffré à 5/7 d'avril 2005 à janvier 2007, à 3/7 de février 2007 à juin 2008 et à 2/7 de juin 2008 à février 2009,

Déficit fonctionnel permanent à prévoir,

Préjudice d'agrément très modéré,

Préjudice sexuel secondaire aux conséquences physiques et psychologiques,

Retentissement des difficultés esthétiques, physiques et psychologiques sur la vie professionnelle ;

Que Mme [B] [L] justifie avoir été dans l'impossibilité d'exercer son activité professionnelle de comédienne et de chanteuse pendant plusieurs années en raison des déformations subies par son visage et des poussées inflammatoires récidivantes malgré le traitement par corticothérapie ;

Qu'au regard de ces différents éléments, il apparaît que la fixation de la provision due à Mme [B] [L] à une somme de 40.000 € n'est pas excessive et devra être confirmée ;

Considérant qu'en application de l'article 25 de la loi du 21 décembre 2006, le recours des tiers payeurs à l'encontre du tiers responsable pour avoir remboursement des prestations en nature et en espèces servies à la victime a un caractère subrogatoire et s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'elles ont pris en charge à l'exclusion des préjudices à caractère personnel ; que ce mécanisme a pour conséquence que l'organisme de sécurité sociale ne peut solliciter le paiement de ses frais et débours à titre provisionnel, à défaut de fixation des postes de préjudice de la victime sur lesquels ceux-ci pourront s'imputer ;

Considérant que le Dr [G] [U] sera débouté de sa demande en dommages et intérêts contre Mme [B] [L] à défaut pour lui de démontrer, d'une part que celle-ci aurait commis une faute en ne donnant pas son état civil complet qui est « de [L] ou [L] », d'autre part qu'elle aurait ainsi tenté de tromper la juridiction sur ses activités de comédienne et de chanteuse et causé un préjudice à son adversaire ;

Qu'il n'y a pas lieu au prononcé d'une amende civile sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile, à défaut d'exercice abusif par la demanderesse de son droit d'agir en justice pour obtenir réparation de ses préjudices en mettant en cause l'ensemble des intervenants dans les soins reçus ;

Considérant que la demande de Mme [B] [L] à l'encontre de Mme [P] [S] au titre des frais irrépétibles engagés en appel est irrecevable dès lors que ses conclusions en appel ont été déclarées irrecevables à l'égard de Mme [P] [S] ;

Que l'équité commande de condamner Mme [P] [S], appelante, à verser au Docteur [G] [U] une somme de 2.000 € et à la CPAM de Paris une somme de 1.200 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;

Vu l'article 696 du Code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement,

Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Paris déféré en ce qu'il a retenu la responsabilité du Dr [G] [U] à la suite des injections pratiquées en juin 2004 et en ce qu'il l'a condamné, in solidum avec Mme [P] [S], à indemniser Mme [B] [L] des préjudices subis ;

Met en conséquence le Dr [G] [U] hors de cause et déboute Mme [B] [L] de toutes ses demandes contre lui ;

Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions ;

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu au paiement d'une provision au profit de la CPAM de Paris au titre de ses frais et débours lesquels donneront lieu à remboursement lors de l'évaluation définitive des divers postes de préjudices de la victime ;

Déboute le Dr [G] [U] de sa demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts à l'encontre de Mme [B] [L] ;

Dit n'y avoir lieu à application d'une amende civile contre Mme [B] [L] ;

Condamne Mme [P] [S] à verser la somme de 2.000 € au Dr [G] [U] et celle de 1.200 € à la CPAM de Paris sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;

La condamne aux dépens d'appel lesquels seront recouvrés dans les formes et conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 12/09982
Date de la décision : 18/10/2013

Références :

Cour d'appel de Paris C2, arrêt n°12/09982 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-10-18;12.09982 ?
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