RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRÊT DU 03 Octobre 2013
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 11/10639 - CM
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 26 Août 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS section encadrement RG n° 10/09186
APPELANT
Monsieur [R] [M]
[Adresse 2]
[Localité 1]
comparant en personne, assisté de Me Denis DELCOURT POUDENX, avocat au barreau de PARIS, toque : R167
INTIMEE
CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Laurent PARLEANI, avocat au barreau de PARIS, toque : L0036
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 Juin 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Catherine MÉTADIEU, Présidente
Mme Marthe-Elisabeth OPPELT-RÉVENEAU, Conseillère
Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
[R] [M] a été engagé à compter du 4 juillet 2000 par le crédit industriel et commercial d'Alsace-Lorraine- CIAL, aux droits duquel se trouve aujourd'hui le CIC, en qualité d'opérateur de marché, selon un contrat de travail à durée indéterminée.
Les relations sont régies par la convention collective de la banque.
Il était en dernier lieu responsable de l'activité desk hybrides et Risk Arbitrage.
Il percevait un salaire fixe ainsi qu'une prime de résultat en février de l'année N+1 au titre de l'année N.
Le 26 janvier 2009 [R] [M] a pris acte de la rupture de son contrat de travail puis a saisi le conseil de prud'hommes de Paris.
Par jugement en date du 26 août 2011 le conseil de prud'hommes a débouté [R] [M] de l'ensemble de ses demandes, le crédit industriel et commercial étant débouté de sa demande reconventionnelle.
Appelant de cette décision, [R] [M] demande à la cour de :
- requalifier la prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse
En conséquence,
- condamner le crédit industriel et commercial à lui payer les sommes de : ' 196 094,70 € d'indemnité compensatrice de préavis,
' 19 609,47 € de congés payés afférents,
' 111 120,33 € d'indemnité légale de licenciement,
' 950 000 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En toutes hypothèses,
- ordonner la capitalisation des intérêts en application de l'article 1154 du code civil depuis l'introduction de la demande
- condamner le crédit industriel et commercial au paiement de la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Le crédit industriel et commercial sollicite la confirmation du jugement, le débouté de [R] [M] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions et sa condamnation au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour l'exposé des faits, prétentions et moyens des parties, aux conclusions respectives des parties déposées à l'audience, visées par le greffier et soutenues oralement.
MOTIVATION
Sur la prise d'acte :
En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire, d'une démission.
Il appartient au salarié d'établir la matérialité des faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.
Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.
La lettre de prise d'acte est rédigée en ces termes :
'Je suis contraint par la présente de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail en raison des graves manquements au respect de vos obligations contractuelles qui vous sont imputables.
En effet, je déplore depuis plusieurs semaines, à l'instar de mes collègues, l'absence de fourniture de travail et de consignes de nature à nous permettre de mener à bien les missions découlant de nos fonctions au sein de l'activité d'arbitrage pour compte propre.
Vous n'ignorez pas que cette activité consiste à prendre des positions sur les marchés de taux d'intérêt en utilisant une partie des fonds propres de la banque pour les faire fructifier. Ces fonds propres sont alloués par la Direction Générale au responsable des activités pour compte propre de la banque, en l'occurrence M. [H] [V], avec des limites qu'il nous délègue ensuite.
Ces délégations de limites constituent le cadre essentiel et indispensable de notre activité.
Or, depuis le 26 novembre 2008 nous avons été informés de la « suspension » de ces limites «jusqu'à nouvel ordre», situation qui perdure encore à ce jour malgré les démarches constructives que nous avons initiées pour tenter d'y remédier.
En effet, dès le 28 novembre 2008, notre responsable, M. [V], a adressé à la Direction Générale un projet d'évolution du compte propre et par mail collectif du 5 décembre 2008 nous vous demandions de prendre position sur cette proposition.
A ce jour, ces démarches n'ont été honorées d'aucune réponse de votre part et nos limites demeurant suspendues nous en sommes réduits à une inactivité forcée depuis maintenant près de deux mois.
Force est de considérer que votre attitude, visant à nous empêcher purement et simplement d'accomplir nos missions en refusant sciemment, malgré les actions conjuguées de nos responsables et de l'ensemble de l'équipe, de nous fournir les moyens de travailler constitue un manquement grave à vos obligations essentielles découlant du contrat de travail.
Cette situation est d'autant plus intolérable qu'elle intervient dans un contexte où de nombreux indices, dont les déclarations de certains dirigeants de la banque, nous laissent à penser que la pérennité de notre activité est sérieusement menacée.
J'ai également été contraint, ainsi que l'ensemble de mes collègues, de prendre acte de votre volonté unilatérale de résilier les engagements découlant de l'avenant que nous avons signé le 30 juillet 2008 pour fixer les conditions et modalités de calcul de la part variable de notre rémunération et notamment de la prime dénommée « High Water Mark».
Sur ce point encore, vous n'ignorez pas que cette part variable constitue un élément très important de notre rémunération et un critère substantiel de notre engagement.
Or, pour toute réponse aux légitimes interrogations que nous vous avions adressées quant au devenir de notre activité, nous avons tous été destinataire le 23 décembre 2008 d'un courrier par lequel il nous était notifié que, compte tenu des « circonstances très exceptionnelles » de la conjoncture, le CIC était conduit « à considérer que le contrat signé le 30 juillet 2008 est inapplicable en l'état » et qu'il avait été « décidé de le renégocier » notamment en ce qui concerne la clause de High Water Mark.
Force est de constater que cette décision constitue une modification unilatérale du contrat de travail en l'un des ses éléments essentiel, laquelle ne peut ni être imposée, ni être tolérée ainsi que l'ensemble de notre équipe l'avait déjà fait remarquer par notre mail du 29 décembre 2008.
Cette modification unilatérale du contrat de travail que vous imposez en déclarant d'autorité que cet avenant est « inapplicable » justifie là encore qu'il soit pris acte de la rupture de mon contrat de travail à vos torts et griefs exclusifs puisqu'il est établi que vous ne respecterez pas vos engagements contractuels en termes de rémunération.
La volonté que vous affichez de « renégocier » ces stipulations contractuelles apparaît d'autant plus illusoire qu'elle n'a été suivie de strictement aucune proposition en ce sens, malgré nos démarches, de sorte qu'en tout état de cause votre manque de communication me place dans l'incertitude la plus totale quant au montant de ma rémunération. Ce manquement justifie encore la rupture des relations contractuelles que je suis contraint de vous notifier.
Je vous prie en conséquence de bien vouloir, dès réception de la présente, me faire parvenir l'ensemble de mes documents de fin de contrat dont l'attestation destinée à l'ASSEDIC ainsi que mon certificat de travail et solde de tout compte'.
Le crédit industriel et commercial fait valoir que la rupture du contrat de travail par l'appelant est sans lien avec la restructuration des salles de marchés intervenue en 2005, que contrairement à ce qui est soutenu l'année 2007 s'est avérée une excellente année pour les activités de marché de certaines banques parmi lesquelles le CIC, que ce n'est qu'à compter du second semestre 2008 que les marchés financiers ont connu une dégradation, que l'appelant a fait le choix de rompre son contrat de travail avant le 31 janvier 2009 dans le but d'obtenir des indemnités calculées sur les 12 mois précédents incluant les bonus importants versés en février 2008, qu'il s'agit là d'une tactique.
L'employeur après avoir indiqué que la modification des fonctions ne caractérise pas en soi une modification du contrat de travail dès lors qu'elle n'affecte pas la qualification du salarié, soutient qu'en l'espèce il n'y a eu aucun changement des tâches confiées, aucun changement d'affectation ou mutation à un autre poste.
Le crédit industriel et commercial conteste avoir privé de travail [R] [M], invoquant l'obligation dans laquelle il s'est trouvé du fait de la crise financière et de son impact sur les activités de marché, d'adapter, comme le lui permet son pouvoir de direction, de s'adapter à son environnement économique.
Elle dénie avoir modifié la prime de résultat, le réaménagement du système de prime variable devant se faire dans le cadre d'un processus de négociation, et non pas par modification unilatérale du contrat de travail.
Selon le crédit industriel et commercial l'offre de négocier ne peut justifier une prise d'acte.
[R] [M] maintient que le crédit industriel et commercial a procédé à une modification profonde de son contrat de travail en ce qu'il a arbitrairement subi :
- la suppression de sa fonction de trading,
- une réduction de son périmètre d'activité,
- la révision de ses conditions de rémunération,
ce sans son accord.
Sur les fonctions et la non-fourniture de travail :
[R] [M] reproche au CIC de l'avoir empêche d'accomplir ses missions telles que résultant du contrat de travail en refusant de lui fournir les moyens de travailler.
Toutefois, le choix opéré par le CIC de limiter ses investissements dans certains produits financiers, compte tenu de la situation économique internationale incertaine et du risque de voir ses gains baisser, et de procéder en conséquence à la réorganisation du travail du salarié, n'est en aucun cas constitutif d'une modification du contrat de travail, l'employeur étant libre des choix de gestion qu'il juge les plus appropriés à la sauvegarde de ses intérêts, dès lors que cela n'affecte, comme en l'espèce, en aucun cas la qualification, de [R] [M] mais uniquement le périmètre des tâches confiées.
Il est de plus établi que ce gel des positions décidé par le crédit industriel et commercial à la fin de l'année 2008 était temporaire, le conseil de prud'hommes relevant en outre, avec pertinence, que cette politique était générale en ce qu'elle s'appliquait à tous les opérateurs, sans différenciation aucune.
Ce premier grief allégué par [R] [M] au soutien de sa prise d'acte n'est pas établi.
Sur la rémunération :
Le 23 décembre 2008, le salarié a été destinataire du courriel suivant, émanant de [G] [Q] responsable de l'ensemble des activités de marché :
'Par ce message, je souhaite vous informer que la direction des relations humaines va transmettre aux opérateurs du compte propre un courrier par lequel la direction exprime son intention d'aménager le contrat de prime variable.
...Sur le plan formel, du point de vue de la D.R.H, il est souhaitable que cet objectif soit affirmé avant la fin de l'année, ce qui est donc l'objet de ce courrier adressé à chaque opérateur.
L'objectif que nous partageons est d'engager des discussions sur ce thème dès le début de l'année, pour conclure rapidement et au plus tard le 31 mars. Celles-ci doivent naturellement s'inscrire dans le contexte des objectifs et *ces* modalités de fonctionnement à fixer pour le compte propre au-delà de cette fin d'année 2008...'.
Il a également reçu une lettre datée du même jour rédigée en ces termes :
'Ces éléments rappelés et les circonstances très exceptionnelles observées sur les marchés actuellement conduisent le CIC a considéré que le contrat signé le 30 juillet 2008 est inapplicable en l'état en raison de la dénaturation de l'intention des parties et du déséquilibre majeur qui en résulterait.
Le CIC a donc décidé de le renégocier, notamment en ce qui concerne votre clause de compte propre (article 5 du contrat).
Le CIC se donne comme objectif d'engager dès le début du mois de janvier le processus de renégociation afin de conclure avant le 31 mars 2009...'.
Il en résulte sans aucune ambiguïté qu'à la date de la prise d'acte de la rupture, seule la décision de renégocier la prime des salariés avait été prise et qu'un processus à cette fin était mis en oeuvre (calendrier notamment).
Il ne peut être reproché à l'employeur d'avoir exécuté de mauvaise foi le contrat de travail en proposant à [R] [M] de renégocier la prime antérieurement accordée dès lors que tout contrat peut donner lieu à révision par consentement mutuel.
Si le CIC ne pouvait imposer au salarié une modification de son contrat de travail, il pouvait légitimement, au regard de la crise financière consécutive à la faillite de Lehman Brothers, dont la réalité est incontestable, lui proposer une négociation, puis en cas de refus de l'intéressé ou d'une amélioration de la situation économique, y renoncer.
La négociation ne constitue pas une modification du contrat de travail.
Aucun manquement fautif imputable au CIC n'est caractérisé.
Il convient par conséquent de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a en ce qu'il a dit que la prise d'acte devait produit les effets d'une démission et débouté l'appelant de ses demandes.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
L'équité ne commande pas qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur du crédit industriel et commercial.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions
Condamne [R] [M] aux entiers dépens.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,