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14/06/2013 | FRANCE | N°12/18694

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 2, 14 juin 2013, 12/18694


Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 2



ARRET DU 14 JUIN 2013



(n° 162, 10 pages)











Numéro d'inscription au répertoire général : 12/18694.



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Octobre 2011 - Tribunal de Grande Instance de PARIS 3ème Chambre 4ème Section - RG n° 09/08873.











APPELANT :



Maître [O] [L]

[N]

demeurant [Adresse 1],



représenté par Maître François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125,

assisté de Maître Krystelle BIONDI, avocat au barreau de PARIS, toque : A0457.









INTIMÉE :



SA LE...

Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 2

ARRET DU 14 JUIN 2013

(n° 162, 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/18694.

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Octobre 2011 - Tribunal de Grande Instance de PARIS 3ème Chambre 4ème Section - RG n° 09/08873.

APPELANT :

Maître [O] [L] [N]

demeurant [Adresse 1],

représenté par Maître François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125,

assisté de Maître Krystelle BIONDI, avocat au barreau de PARIS, toque : A0457.

INTIMÉE :

SA LES PUBLICATIONS CONDE NAST

prise en la personne de ses représentants légaux,

ayant son siège social [Adresse 2],

représentée par Maître Stéphane FERTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : L0075,

assistée de Maître Gilles VERCKEN de la SELARL GILLES VERCKEN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0414.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 26 avril 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-Christine AIMAR, présidente,

Madame Sylvie NEROT, conseillère,

Madame Véronique RENARD, conseillère,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Truc Lam NGUYEN.

ARRET :

Contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Christine AIMAR, présidente, et par Monsieur Truc Lam NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.

[F] [N] était photographe de mode. Il a travaillé pour l'édition française du magazine Vogue de 1955 à 1988 et est décédé en 1991, laissant pour lui succéder son fils [O] [N].

Par lettre du 8 juillet 2008, Monsieur [O] [N] a demandé à la société Les publications CONDE NAST, éditrice du magazine Vogue en France, de lui restituer les tirages contrecollés sur carton des photographies en noir et blanc de son père, dont il s'estimait propriétaire.

Cette demande n'ayant pas abouti, il a, selon acte d'huissier en date du 2 juin 2009, fait assigner la société LES PUBLICATIONS CONDE NAST, ci-après la société CONDE NAST, devant le tribunal de grande instance de PARIS afin d'obtenir d'abord la restitution de quatre tirages contrecollés utilisés dans le cadre de l'exposition Vogue Paris en beauté, à la Bibliothèque Nationale de France en 2007, et le paiement de la somme de 100.000 euros en réparation du préjudice résultant du refus fautif de l'éditeur de restituer ces supports, puis au cours de l'instance, la restitution des tirages contrecollés ainsi que de l'ensemble des tirages et négatifs noir et blanc des 'uvres photographiques de son père réalisées entre 1955 et 1988, à défaut, le paiement de la somme de 173 300 000 euros, sauf à parfaire, en réparation du préjudice subi, l'inventaire par la société CONDE NAST de l'ensemble des supports qu'elle détient ainsi que leur restitution, et le paiement de la somme de 500.000 euros en réparation du préjudice subi du fait du comportement fautif de l'éditeur.

Par jugement en date du 20 octobre 2011, le Tribunal de Grande Instance de PARIS, ordonnant l'exécution provisoire de la décision, a :

- rejeté la demande tendant à voir écarter des débats les pièces 34, 35 et 36 de la société CONDE NAST,

- rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action en revendication,

- déclaré irrecevables les demandes tendant à la restitution des tirages noir et blanc contrecollés réalisés par [F] [N] entre 1955 et 1988 et la demande en indemnisation pour la perte des tirages contrecollés et de 1.773 négatifs noir et blanc et des tirages noir et blanc en raison de l'indétermination des photographies en cause,

- constaté que la demande d'inventaire des supports détenus par la société CONDE NAST est devenue sans objet,

- rejeté la demande de restitution des supports détenus par la société CONDE NAST,

- rejeté la demande en dommages intérêts pour comportement fautif de la société CONDE NAST,

- condamné Monsieur [O] [N] à payer à la société CONDE NAST la somme de 5.000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice résultant des refus d'autorisation d'exploiter les oeuvres de [F] [N],

- rejeté la demande d'injonction de cesser tout abus manifeste,

- rejeté la demande en dommages intérêts de la société CONDE NAST pour procédure abusive,

- enjoint à [O] [N] de restituer à la société CONDE NAST les 34 tirages contrecollés objet des bordereaux d'emprunt du 29 décembre 2003 et de février 2004 et reproduits dans le DVD n°2 produit par lui, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé le délai de quinze jours suivant la signification du jugement, ce pendant un délai de six mois, se réservant la liquidation de l'astreinte,

- condamné Monsieur [O] [N] à payer à la société CONDE NAST la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné Monsieur [O] [N] aux dépens, dont distraction au profit de son conseil.

Monsieur [O] [N] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 24 octobre 2011.

Par dernières conclusions signifiées le 21 décembre 2012, il demande à la Cour, aux termes de différentes demandes de constats qui ne constituent pas des demandes en justice au sens du Code de Procédure Civile, de :

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 20 octobre 2011 en ce qu'il a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription de son action en revendication qui est une action réelle imprescriptible,

- infirmer le jugement en toutes ses autres dispositions,

- ordonner à la société CONDE NAST la restitution à son profit de tous les supports des tirages et négatifs noir et blanc ainsi que tous autres documents de travail réalisés par [F] [N],

- débouter la société CONDE NAST de sa demande formulée au titre de l'abus caractérisé par l'interdiction d'exploitation des droits patrimoniaux attachés à l''uvre de [F] [N],

- condamner la société CONDE NAST à lui verser 1.000.000 euros au titre de son préjudice résultant du refus de restitution des supports matériels,

- condamner la société CONDE NAST à lui verser la somme de 178.152.000 euros, ou en toute hypothèse au montant que la Cour arbitrera, au titre de son préjudice résultant de la perte de 1 904 négatifs et tirages contrecollés en noir et blanc réalisés par [F] [N],

- condamner la société CONDE NAST à verser lui 94.000 euros au titre de son préjudice résultant de la vente de trois tirages couleur de [F] [N] sur eBay ainsi qu'un tirage en couleur et trois tirages en noir et blanc dans la galerie VERDEAU sans autorisation,

- condamner la société CONDE NAST à verser lui verser 50.000 euros au titre de l'article 700 du Code procédure civile,

- donner acte à la société CONDE NAST (sic) de ce que, conformément aux dispositions de l'article 31 alinéa 2 du décret du 30 septembre 1953, elle supportera les dépens qui comprendront les frais de constat et dont distraction au profit de son conseil.

Par dernières conclusions signifiées le 8 mars 2013 la société LES PUBLICATIONS CONDE NAST (ci-après la société CONDE NAST) entend voir :

à titre principal :

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé Monsieur [O] [N] irrecevable à agir sur le fondement des droits d'auteur de [F] [N],

- compte tenu de la modification de l'argumentation de l'appelant en appel par rapport à son argumentation de première instance, réformer le jugement en ce qui concerne les conséquences de cette irrecevabilité qui ne se limitent plus au rejet des demandes de restitution et d'indemnisation au titre de la perte des supports mais à l'ensemble des demandes de l'appelant,

en conséquence, le débouter de l'ensemble de ses demandes,

à titre subsidiaire,

- réformer le jugement en ce qui concerne la prescription de l'action de Monsieur [O] [N],

- juger l'action de Monsieur [O] [N] irrecevable pour ce qui concerne tous les supports de photographies publiées avant le 1er juin 1979,

- en conséquence, le débouter (sic) de l'ensemble de ses demandes au titre des supports de photographies publiées avant le 1er juin 1979,

à titre subsidiaire pour les supports de photographies publiées postérieurement au 1er juin 1979 et à titre très subsidiaire pour les supports de photographies publiées antérieurement au 1er juin 1979,

- confirmer le jugement en ce qu'il l'a jugée propriétaire des supports de photographies de [F] [N] commandées par elle à ce dernier,

- dire, en conséquence, Monsieur [O] [N] irrecevable et non fondé dans son action pour l'ensemble de ses demandes,

- débouter Monsieur [O] [N] de l'ensemble de ses demandes,

- juger que l'appelant ne démontre pas la prétendue perte ou destruction de supports remis en dépôt,

- juger que sa responsabilité ne peut pas être engagée au titre de l'inexécution du contrat de dépôt allégué,

-en conséquence, débouter Monsieur [O] [N] de toutes ses demandes d'indemnisation.

- juger qu'elle n'a pas commis de faute dans l'exécution de son obligation de conservation au titre du dépôt à titre gratuit allégué par le demandeur et qu'elle n'est responsable ni de la prétendue perte ou destruction de supports de photographies de [F] [N] ni de la vente de supports de [F] [N] sur e-Bay ou à la Galerie Verdeau,

- en conséquence, débouter Monsieur [O] [N] de toutes ses demandes d'indemnisation,

- juger que, s'il y a eu une perte ou destruction de supports dont elle serait responsable, elle ne peut être au maximum que de 640 supports,

- procéder à une évaluation plus raisonnable et ramener à de plus justes proportions la demande de dommages et intérêts relative à la prétendue perte de supports,

à titre reconventionnel,

- confirmer le jugement en ce qu'il a ordonné la restitution à son profit par Monsieur [O] [N] des tirages qui lui ont été empruntés et en ce qu'il a dit que Monsieur [O] [N] a commis un abus de droit en refusant systématiquement les demandes d'autorisation d'exploitation des 'uvres de [F] [N] entre le 8 juillet 2008 et le 24 juin 2010,

- réformer le jugement et condamner Monsieur [O] [N] à lui payer la somme de 10.000 euros au titre du préjudice qu'elle a subi en conséquence du refus abusif et injustifié de toute exploitation des 'uvres de [F] [N],

- réformer le jugement et ordonner à Monsieur [O] [N] de cesser tout abus manifeste dans le non-usage des droits d'auteur de [F] [N] caractérisé par le refus d'autorisation conforme aux usages , et ce, sous astreinte de 1.000 euros par abus constaté, dont la Cour se réservera la liquidation éventuelle,

- condamner Monsieur [O] [N] à lui payer la somme de 70.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en sus de la somme de 20.000 euros accordée en première instance sur ce fondement et déjà versée,

- condamner Monsieur [O] [N] aux entiers dépens dont distraction au profit de son conseil.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 avril 2013.

Le 16 avril 2013, Monsieur [O] [N] a pris de nouvelles écritures demandant à la Cour de révoquer l'ordonnance de clôture du 11 avril 2013.

SUR CE,

Sur la révocation de l'ordonnance de clôture :

Considérant qu'aux termes de l'article 784 du Code de Procédure Civile, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ;

Qu'en l'espèce pour solliciter la révocation de l'ordonnance de clôture du 11 avril 2013, Monsieur [O] [N] indique que 'compte tenu de la complexité du dossier, et partageant son temps entre la Chine et les Etats Unis, il vient de retrouver de nouvelles pièces dans les archives de son père' et que 'eu égard à la loyauté des débats, au principe du contradictoire et pour une bonne administration de la justice, qui constituent une cause grave intervenue après l'ordonnance de clôture (sic)', il sollicite la révocation de celle-ci ;

Que ce faisant, et étant observé que les principes directeurs du procès civil ne sont pas de nature à constituer en eux-mêmes une cause grave de révocation de l'ordonnance de clôture et qu'en l'espèce, l'assignation a été délivrée à la société CONDE NAST il y a quatre années, soit le 2 juin 2009, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de révocation qui ne repose sur aucun motif sérieux ni aucun justificatif ;

Que les conclusions Monsieur [O] [N] en date du 16 avril 2013 seront donc déclarées irrecevables ;

Sur les demandes de Monsieur [O] [N] :

Considérant que la société intimée conclut en premier lieu tant à l'irrecevabilité à agir de Monsieur [N] qu'au rejet des demandes de ce dernier au motif que, revendiquant des droits d'auteur sur les photographies en cause, il ne satisfait pas à l'exigence de démontrer, 'uvre par 'uvre, l'originalité de celles-ci ;

Que toutefois, il y a lieu de constater que malgré une réplique sur ce point quelque peu ambiguë puisque Monsieur [N] indique dans ses écritures du 21 décembre 2012 que 'son raisonnement ne s'appuie pas seulement sur le droit des biens comme le prétend CONDE NAST qui élude complètement la particularité de l'espèce relevant en partie du droit d'auteur et essentiellement du droit des contrats', sa demande est fondée expressément sur les dispositions des articles 1915 et suivants ainsi que 2261 et 2276 du Code Civil et tend à obtenir la restitution à son profit des supports des tirages et des négatifs noir et blanc ainsi que de 'tous autres documents de travail' réalisés par [F] [N] ;

Que la contestation de la société CONDE NAST de ce chef est donc sans objet ;

Sur la prescription de l'action en revendication :

Considérant que la société CONDE NAST fait grief au jugement attaqué d'avoir rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action en revendication en faisant valoir que le point de départ de la prescription de l'action doit être fixé support par support, en fonction de la date de publication de la photographie correspondante dans le magasine Vogue, et que, en application de la loi antérieure au 17 juin 2008 l'action était prescrite avant la date de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi et est en outre prescrite en application des dispositions transitoires dès lors que l'assignation a été délivrée le 2 juin 2009 ;

Que Monsieur [N] fait valoir sur ce point que son action en revendication est une action réelle imprescriptible ;

Considérant ceci étant exposé, que les premiers juges sont à juste titre rappelé que si le droit de propriété est imprescriptible, l'action ouverte à son titulaire pour le faire respecter est soumise à prescription ;

Considérant que l'article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 dispose que toutes les actions tant réelles que personnelles sont prescrites par trente ans sans que celui qui allègue cette prescription, soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer une exception déduite de la mauvaise foi ;

Que l'article 2224 du code civil, dans sa version issue de la loi du 17 juin 2008 dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ;

Que selon l'article 2222 du code civil relatif à l'application de la loi dans le temps, lorsque la loi nouvelle a pour effet de réduire le délai de prescription, le nouveau délai s'applique à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi ancienne ;

Considérant en l'espèce que les relations existant entre [F] [N] et la société CONDE NAST ayant définitivement cessé en 1988, le point de départ de la prescription de l'action en revendication des supports photographiques doit être fixé à cette date, soit un délai de 30 ans pour agir jusqu'en 2018 et donc non prescrit au 18 juin 2008, date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ;

Qu'en application des dispositions transitoires, le délai pour agir expire le 18 juin 2013, soit 5 ans après le 18 juin 2008 ;

Or considérant que l'assignation a été délivrée le 2 juin 2009, le jugement dont appel doit être confirmé en ce qu'il a dit que l'action de Monsieur [O] [N] n'était en conséquence pas prescrite ;

Sur le bien fondé de l'action en revendication des supports photographiques de [F] [N] :

Considérant que le demandeur indique que de 1955 à 1988 la société CONDE NAST a commandé à [F] [N] plusieurs séries de photographies pour la couverture ou les pages intérieures du magazine VOGUE et que 3053 de ses clichés dont 1904 en noir et blanc, ont été répertoriés et utilisés par VOGUE selon inventaire réalisé par [F] [N] lui-même ;

Qu'invoquant la fois 'la théorie de la situation normale' et celle de la 'vraisemblance', les règles protectrices du droit d'auteur et la protection de la partie 'faible' ou non professionnelle, il revendique la propriété des supports photographiques (tirages contrecollés sur carton et négatifs) en possession de la société CONDE NAST en se prévalant d'un contrat de dépôt effectué par [F] [N], reprochant ainsi au Tribunal d'avoir considéré qu'il n'établissait pas que son père était propriétaire des supports des photographies en cause ; qu'il ajoute qu'une part importante de l''uvre rédactionnelle du photographe a néanmoins été détruite sans qu'il en ait été tenu informé ;

Considérant que pour s'opposer à cette demande et conclure à la confirmation du jugement sur ce point, la société intimée invoque à son profit la possession de l'article 2276 du Code Civil dont le caractère ne serait pas équivoque, et à titre subsidiaire, entend rapporter la preuve de sa propriété des supports revendiqués de par leur financement et la nature du contrat de commande ;

Considérant toutefois que la remise de photographies à un éditeur aux fins d'exploitation est constitutive d'un contrat de dépôt qui met à la charge du dépositaire une obligation de restitution conformément aux dispositions de l'article 1932 du Code Civil ; que ce contrat de dépôt n'exclut pas l'usage de la chose contrairement à ce que soutient la société CONDE NAST dès lors que le déposant a donné son autorisation expresse conformément à l'article 1930 du même Code et n'est pas contredit par l'absence de volonté de [F] [N], avérée ou non, de conserver ses supports photographies, laquelle attitude pourrait au contraire expliquer l'archivage par l'éditeur ;

Qu'en effet le rôle d'une agence de presse photographique, même s'il est de donner l'impulsion à la réalisation des reportages en proposant les sujets et en participant aux coûts de production puis d'opérer une sélection des meilleures photographies afin d'en assurer l'exploitation commerciale, dans son intérêt tout comme dans celui du photographe qui percevra des droits, est exclusif de tout transfert de propriété des supports dès lors que l'éditeur est dépositaire des reportages du photographe en vue de leur exploitation exclusive ;

Qu'il en résulte que le jugement dont appel doit être infirmé en ce qu'il a débouté Monsieur [O] [N] de sa demande de restitution des supports litigieux ;

Considérant que le dépositaire doit apporter, dans la garde de la chose déposée, les mêmes soins qu'il apporte dans la garde des choses qui lui appartiennent et doit les rendre identiquement ;

Que la société CONDE NAST revendique l'application des règles de preuves prévues par l'article 1924 du code civil au terme desquelles, 'lorsque le dépôt étant au-dessus du chiffre prévu à l'article 1341 n'est point prouvé par un écrit, celui qui est attaqué comme dépositaire en est cru sur sa déclaration, soit pour le fait même du dépôt, soit pour la chose qui en fait l'objet, soit pour le fait de sa restitution' ; qu'elle fait valoir qu'elle n'a perdu ni détruit de supports photographiques de [F] [N], qu'elle dispose dans ses archives de 1203 supports noir et blanc et que [O] [N] n'apporte pas la preuve des pertes alléguées ;

Considérant que ce dernier, qui n'oppose pas à la société CONDE NAST la preuve écrite du dépôt des photographies par son père, se prévaut néanmoins d'un inventaire réalisé par ce dernier (pièce 105) et de deux DVD produits en pièce 106 et soutient que l'application de l'article 1924 précité doit être écartée dès lors que la preuve du contrat de dépôt ne nécessiterait pas un écrit ;

Mais considérant que cet argument n'étant pas contesté, l'inventaire produit, réalisé par [F] [N] lui-même, recense les photographies publiées dans VOGUE tout comme les DVD contiennent des reproductions de pages du magazine ;

Que ces éléments établissent tout au plus l'existence du dépôt des photographies par [F] [N] mais ne démontent pas le contenu de celui-ci au-delà des affirmations de la société CONDE NAST ;

Que l'appelant sera donc débouté de sa demande d'indemnisation tenant tant à la perte de négatifs et tirages contrecollés en noir et blanc qu'au refus par la société CONDE NAST de restituer les supports en sa possession dès lors que la restitution ordonnée est de nature à le remplir de l'intégralité de ses droits ;

Considérant sur la demande relative à la mise en vente en 2009 sur ebay de tirages de photographies de [F] [N] dans des conditions de nature à porter atteinte aux droits d'auteur, que le Tribunal a justement relevé que la preuve de l'imputabilité de ces faits à la société CONDE NAST n'était pas rapportée ;

Qu'en effet la mise en vente sur le site ebay de tirages de photographies de [F] [N] parues dans VOGUE par une certaine [V] [G], domiciliée à [Localité 1], n'est pas le fait de la société CONDE NAST, pas plus que les ventes proposées ou réalisées en 2012 par la Galerie VERDEAU dont le lien avec l'éditeur n'est pas établi ni même allégué ;

Que Monsieur [O] [N] sera donc également débouté de ces chefs de demandes et le jugement confirmé en ce qu'il a constaté l'absence de responsabilité de l'éditeur dans la mise en vente sur Internet de tirages de photographies de [F] [N] ;

Sur les demandes reconventionnelles de la société CONDE NAST :

Considérant que le jugement ne pourra qu'être infirmé en ce qu'il a ordonné la restitution à la société CONDE NAST de 34 tirages contrecollés objets 'des bordereaux d'emprunts' du 29 décembre 2003 et de février 2004, dont 7 étaient en réalité toujours en possession de l'éditeur ;

Que la société CONDE NAST sollicite par ailleurs réparation du préjudice subi du fait du refus par [O] [N] de juillet 2008 à juin 2010, d'autoriser, pour elle et les sociétés françaises, italienne et espagnole du groupe CONDE NAST (page 62 des écritures), l'exploitation les photographies de [F] [N] tant que les supports photographiques litigieux ne lui auraient pas été remis ;

Considérant toutefois, à supposer que la demande concerne bien les sociétés étrangères dès lors qu'il est indiqué également (page 64 des mêmes écritures) que ces dernières ont désormais pu obtenir des autorisations d'exploitation, qu'il convient de rappeler que 'nul ne plaide par procureur' et que dès lors la SA LES PUBLICATIONS CONDE NAST seule partie au présent litige peut prétendre à la réparation d'un quelconque préjudice ;

Que toutefois, Monsieur [O] [N] revendiquant à bon droit la restitution des supports photographiques de son père depuis 2008, aucun abus dans l'exercice des droits de l'auteur n'est caractérisé, et ce même si la propriété intellectuelle est indépendante de la propriété matérielle, ni au demeurant aucun préjudice établi par l'éditeur de ce fait ;

Que le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a alloué la somme de 5.000 euros à la société CONDE NAST de ce chef ;

Qu'il n'y a pas lieu en outre d'ordonner à Monsieur [O] [N] de cesser, sous astreinte, tout abus pour l'avenir ;

Sur les frais irrépétibles :

Considérant que la société CONDE NAST, condamnée à restituer les supports photographiques de [F] [N] en sa possession, sera condamnée aux dépens qui comprendront notamment les frais de constats des 25 et 28 novembre 2011, et qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile ;

Que la solution du litige conduit à laisser à la charge de chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture du 11 avril 2013.

Déclare irrecevables les conclusions de Monsieur [O] [N] en date du 16 avril 2013.

Confirme le jugement du Tribunal de Grande Instance de PARIS du 20 octobre 2011 en ce qu'il a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action en revendication de Monsieur [O] [N] et constaté l'absence de responsabilité de la société LES PUBLICATIONS CONDE NAST dans la mise en vente sur Internet de tirages de photographies de [F] [N].

Infirme ledit jugement pour le surplus,

Ordonne à la société LES PUBLICATIONS CONDE NAST de restituer à Monsieur [O] [N] les 1203 supports photographiques de [F] [N] qu'elle déclare avoir en sa possession dans ses archives.

Déboute Monsieur [O] [N] du surplus de ses demandes et notamment de ses demandes de dommages-intérêts.

Déboute la société LES PUBLICATIONS CONDE NAST de ses demandes reconventionnelles.

Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Rejette ou déclare sans objet toutes autres demandes plus amples ou contraires.

Condamne la société CONDE NAST aux dépens qui comprendront notamment les frais de constats des 25 et 28 novembre 2011, et qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.

Le greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 12/18694
Date de la décision : 14/06/2013

Références :

Cour d'appel de Paris I2, arrêt n°12/18694 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-06-14;12.18694 ?
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