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29/03/2013 | FRANCE | N°12/11313

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 29 mars 2013, 12/11313


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRÊT DU 29 MARS 2013



(n° 2013 - , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 12/11313



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 13 Juin 2012 -Juge de la mise en état du Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 11/11567





APPELANTE :



S.A.S. VINCI CONSTRUCTION FRANCE venant aux droits de la S.A.S. CHANTIERS M

ODERNES

agissant en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Adresse 2]



représentée par Maître Marie-Catherine VIGNES de la SCP GALLAND - VIGNES (avocat au...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2

ARRÊT DU 29 MARS 2013

(n° 2013 - , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/11313

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 13 Juin 2012 -Juge de la mise en état du Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 11/11567

APPELANTE :

S.A.S. VINCI CONSTRUCTION FRANCE venant aux droits de la S.A.S. CHANTIERS MODERNES

agissant en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Maître Marie-Catherine VIGNES de la SCP GALLAND - VIGNES (avocat au barreau de PARIS, toque : L0010)

assistée par Maître Virginie HEBER-SUFFRIN (avocat au barreau de PARIS, toque : D1304)

INTIMÉE:

LA SOCIÉTÉ NATIONALE DES CHEMINS DE FER-S.N.C.F.

prise en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par la SELARL PELLERIN - DE MARIA - GUERRE (Me Jacques PELLERIN) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0018)

assistée par Maître Georges BERLIOZ, avocat au barreau de PARIS, toque P 011

COMPOSITION DE LA COUR :

Madame Anne VIDAL ayant été préalablement entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 19 Février 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Anne VIDAL, Présidente de chambre

Françoise MARTINI, Conseillère

Marie-Sophie RICHARD, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Guénaëlle PRIGENT

ARRÊT :

- contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Anne VIDAL, Présidente et par Guénaëlle PRIGENT, Greffier.

***

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Suivant acte d'huissier en date du 7 juillet 2011, la Société CHANTIERS MODERNES a fait assigner la SNCF devant le tribunal de grande instance de Paris à l'effet d'obtenir sa condamnation à lui payer une somme de 59 millions d'euros à titre de dommages et intérêts, faisant valoir que la stratégie procédurale adoptée par la SNCF - qui avait saisi le tribunal administratif de recours contre diverses sociétés pour tromperies dans la réalité de la concurrence dans le cadre des marchés conclus pour la construction de la ligne EOLE - lui causait un préjudice dans la mesure où elle la privait de droits fondamentaux, notamment celui d'exercer ses recours en garantie en même temps qu'elle défendait face à la demande principale de la SNCF, et où l'indemnisation par la juridiction administrative, si elle était accueillie, constituerait un enrichissement sans cause.

Par conclusions d'incident, la SNCF a soulevé devant le juge de la mise en état l'incompétence du tribunal de grande instance au profit de la juridiction administrative, les demandes de la Société CHANTIERS MODERNES étant indissociables de ses moyens de défense devant le tribunal administratif.

Par ordonnance en date du 13 juin 2012, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris a déclaré ce tribunal incompétent pour statuer sur la demande de la Société CHANTIERS MODERNES et a renvoyé celle-ci à mieux se pourvoir. Il l'a condamnée à verser à la SNCF une somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La Société CHANTIERS MODERNES et la SAS VINCI CONSTRUCTION FRANCE venant aux droits de la Société CHANTIERS MODERNES par fusion absorption, ont interjeté appel de cette décision suivant déclaration en date du 3 septembre 2012.

---------------------

La SAS CHANTIERS MODERNES et la SAS VINCI CONSTRUCTION FRANCE, aux termes de leurs dernières conclusions en date du 31 janvier 2013, demandent à la cour d'infirmer l'ordonnance dont appel, de rejeter l'exception d'incompétence soulevée par la SNCF, de dire que le présent litige qui oppose la SAS VINCI CONSTRUCTION FRANCE venant aux droits de la Société CHANTIERS MODERNES, à la SNCF relève de la juridiction judiciaire et de débouter la SNCF de toutes ses demandes.

Elles font valoir que les motifs retenus par le juge de la mise en état sont dénués de pertinence car :

L'action engagée par la SNCF, établissement public industriel et commercial, relève de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire s'agissant d'un litige intéressant son activité à caractère industriel et commercial et non ses activités de réglementation, de police ou de contrôle ressortissant de prérogatives de puissance publique, peu important que le litige soit né de son activité contentieuse ou de son activité ferroviaire ;

Lorsque la faute imputée à une personne publique est relative à l'engagement par cette dernière d'un litige dans des conditions critiquées, le litige qui en découle est du ressort du juge judiciaire, dès lors que ce dernier est compétent pour trancher le litige initialement engagé par la personne publique, donc la critique de la stratégie procédurale adoptée par la SNCF relève bien de la compétence judiciaire ;

L'existence d'un lien indissociable avec les demandes portées devant le tribunal administratif n'est pas de nature à justifier la compétence de la juridiction saisie en premier lieu ;

L'action engagée par la Société CHANTIERS MODERNES est fondée sur l'existence d'une faute commise par la SNCF qui dépasse les strictes limites de la procédure en cours devant le tribunal administratif ; en outre, l'appréciation de la faute résultant de la stratégie procédurale adoptée par la SNCF relève de la compétence judiciaire puisque l'exercice par la SNCF de sa faculté d'ester en justice ne ressort pas par nature d'une prérogative de puissance publique ; la saisine préalable d'un autre ordre de juridiction ne justifie pas à elle seule l'incompétence de la juridiction judiciaire saisie en second lieu, ce qui présuppose que le juge administratif serait effectivement compétent, or le juge judiciaire ne peut préjuger de la compétence du juge administratif ;

enfin, c'est à tort que le premier juge a retenu que le tribunal administratif se prononcerait, le cas échéant, sur la part de responsabilité incombant à chaque défenderesse appelée en la cause, alors que le juge administratif ne s'estime pas compétent pour apprécier la part de responsabilité de plusieurs coauteurs d'un dommage unis par un lien de droit privé et qu'un tel motif constitue un motif de fond impropre à justifier une décision d'incompétence.

Elles soutiennent que le juge judiciaire est seul compétent pour statuer sur l'ensemble du litige, qu'il s'agisse de la demande indemnitaire de la SNCF ou des recours entre coauteurs, le litige formant un tout indivisible dont l'examen par deux juges différents emporterait le risque de contrariété de décisions à raison d'appréciations différentes de la prescription et du préjudice, ce qui serait préjudiciable à l'exercice des recours subrogatoires des coauteurs.

Elles répondent aux dernières écritures de la SNCF en indiquant :

que la SNCF n'a pas agi en qualité de maître d'ouvrage pour la construction d'un ouvrage public au titre de l'exécution d'un marché de travaux publics mais a formé une demande en indemnisation au titre de la responsabilité quasi-délictuelle des défendeurs, sur le fondement de l'article 1382 du code civil, et que le litige ne relève donc pas du juge administratif ;

que, dans le litige pendant devant le tribunal de grande instance, la demanderesse a caractérisé son préjudice comme consécutif à la perte d'une chance de ne pas être citée abusivement en justice aux fins pour la SNCF d'obtenir un enrichissement sans cause.

La SNCF, en l'état de ses dernières écritures en date du 30 janvier 2013, conclut à la confirmation de l'ordonnance dont appel sur l'incompétence du tribunal de grande instance et au renvoi de la Société CHANTIERS MODERNES à mieux se pourvoir et demande à la cour de condamner la Société CHANTIERS MODERNES et la SAS VINCI CONSTRUCTION FRANCE venant aux droits de la Société CHANTIERS MODERNES à lui payer une somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et une somme de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir, pour l'essentiel :

que le litige devant le tribunal de grande instance de Paris est identique à celui qui est soumis au tribunal administratif de Paris, la Société CHANTIERS MODERNES ayant, en recherchant la responsabilité de la SNCF, créé une action purement artificielle qui n'a pas d'existence autonome par rapport au litige dont le tribunal administratif est saisi ;

que le tribunal de grande instance ne peut juger de ce qui constitue des moyens d'irrecevabilité et de défense de la procédure soumise au juge administratif, y compris la demande en dommages et intérêts pour procédure abusive ;

que l'action engagée devant le tribunal administratif vise, non pas une activité ferroviaire, mais l'exercice de ses droits en tant que maître d'ouvrage public pour obtenir l'indemnisation du surcoût de construction et que, comme l'a jugé le juge de la mise en état, le juge administratif sera également compétent pour se prononcer sur la part de responsabilité des intervenants dans le cadre de la responsabilité in solidum ;

que la finalité du présent procès est la recherche d'un conflit positif de compétence, la Société CHANTIERS MODERNES cherchant à échapper à la compétence administrative, alors que la jurisprudence classique du Tribunal des conflits affirme depuis longtemps que la responsabilité d'un maître d'ouvrage public liée à un contrat administratif relève du juge administratif et que la cour de cassation rappelle que les juridictions judiciaires ne sont pas compétentes pour statuer sur les pratiques anticoncurrentielles dans les marchés publics ;

que la présente procédure est abusive en ce qu'elle tend à saisir un juge qui n'est pas compétent pour faire déclarer fautive une action dont on prévoit par hypothèse que le juge saisi va y faire droit, à défaut de quoi il n'y aurait pas de préjudice.

La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 7 février 2013.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Considérant que la SNCF a saisi le tribunal administratif de Paris suivant requête en date du 14 mars 2011 aux fins de voir condamner solidairement les sociétés défenderesses, parmi lesquelles la Société CHANTIERS MODERNES et la SAS VINCI CONSTRUCTION France à lui payer la somme de 59.417.942,49 € en réparation du préjudice subi par elle du fait du surcoût payé en raison de leur participation à des pratiques anticoncurrentielles relevées et condamnées par le Conseil de la concurrence par décision du 21 mars 2006 ;

Que, par acte d'huissier en date du 7 juillet 2011, la Société CHANTIERS MODERNES a fait assigner la SNCF devant le tribunal de grande instance de Paris pour obtenir sa condamnation à lui verser une somme de 59 millions d'euros à titre de dommages et intérêts au motif que les choix procéduraux faits par la SNCF lui causent un préjudice considérable en lui faisant perdre la chance de faire utilement valoir ses droits et de ne pas être exposée à une condamnation prononcée par le tribunal administratif sans pouvoir se retourner dans des délais raisonnables contre les éventuels co-auteurs du dommage ;

Considérant que le juge de la mise en état, saisi de conclusions d'incompétence déposées par la SNCF, a justement observé qu'il ne lui appartenait pas de se prononcer sur la compétence du tribunal administratif pour statuer sur le litige qui lui était soumis sur la requête de la SNCF ; que la cour ajoute que le litige dont la juridiction judiciaire est aujourd'hui saisie ne doit pas être l'occasion ou le moyen utilisé par la Société CHANTIERS MODERNES pour discuter de la compétence de la juridiction susceptible de trancher les demandes formées par la SNCF au titre de la réparation des activités anticoncurrentielles dont elle a été victime ;

Considérant que c'est en vain que la Société CHANTIERS MODERNES et la SAS VINCI CONSTRUCTION FRANCE soutiennent que la juridiction judiciaire serait compétente pour statuer sur leurs demandes, s'agissant pour elles d'agir en responsabilité contre la SNCF sur le fondement de l'article 1382 du code civil en raison d'une activité qui ne ressortit pas à ses prérogatives de puissance publique, mais au titre d'une faute commise dans l'engagement de sa procédure contre elles ;

Qu'en effet, si les juridictions de l'ordre judiciaire sont compétentes pour statuer sur le litige né de l'usage abusif par une collectivité publique de sa faculté d'émettre des titres exécutoires ou, comme le soutiennent les appelantes en l'espèce, d'engager un litige dans des conditions critiquées, encore faut-il que le recouvrement de la créance dont cette collectivité publique réclame le paiement relève du contentieux des juridictions de l'ordre judiciaire, la cour de cassation considérant que le litige relatif à cet usage abusif n'est pas détachable de celui concernant le recouvrement de la créance ;

Qu'il en ressort que la compétence du tribunal de grande instance de Paris pour statuer sur le caractère fautif du choix procédural fait par la SNCF dans le cadre de son action en paiement de dommages et intérêts ne pourrait être retenue que si cette action relevait des juridictions de l'ordre judiciaire ; qu'il appartient au tribunal administratif qui a été saisi d'une telle demande de se prononcer sur sa compétence ;

Considérant que le juge de la mise en état a justement considéré que les demandes de la Société CHANTIERS MODERNES étaient manifestement indissociables de celles dont le tribunal administratif était saisi ; que l'appréciation du caractère fautif du choix procédural fait par la SNCF ne peut être portée que par la juridiction saisie de cette procédure ; qu'en juger différemment exposerait le juge judiciaire à se prononcer sur des questions de compétence et de fond soumises, avant l'introduction de la présente instance, au juge administratif ;

Que la Société CHANTIERS MODERNES et la SAS VINCI CONSTRUCTION FRANCE n'établissent pas en quoi l'action qu'elles ont engagée devant le tribunal de grande instance de Paris dépasserait les limites de la procédure pendante devant le tribunal administratif ;

Considérant dans ces conditions, sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur la question de la compétence du juge administratif pour statuer sur la part de responsabilité qui incombera à chacune des sociétés défenderesses dans le litige qui lui est soumis, cette question relevant de ses seuls pouvoirs, qu'il convient de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a accueilli l'exception d'incompétence soulevée par la SNCF et renvoyé la Société CHANTIERS MODERNES à mieux se pourvoir ;

Considérant qu'il n'est pas établi que la saisine du tribunal de grande instance de Paris par la Société CHANTIERS MODERNES relèverait d'une intention malicieuse ou de mauvaise foi ou procéderait d'une faute équipollente au dol justifiant sa condamnation à verser à la SNCF des dommages et intérêts pour procédure abusive ;

Que l'ordonnance sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de la SNCF ;

Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Vu l'article 696 du code de procédure civile,

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement,

Confirme l'ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la SAS VINCI CONSTRUCTION FRANCE à verser à la SNCF une somme de 4.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Condamne la SAS VINCI CONSTRUCTION FRANCE aux dépens d'appel lesquels seront recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 12/11313
Date de la décision : 29/03/2013

Références :

Cour d'appel de Paris C2, arrêt n°12/11313 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-03-29;12.11313 ?
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