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26/03/2013 | FRANCE | N°12/02707

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 8, 26 mars 2013, 12/02707


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 8



ARRET DU 26 MARS 2013



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 12/02707



Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Janvier 2012 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 09/074438





APPELANTES



SAS ANAKENA prise en la personne de son président en exercice

ayant son siège social

[A

dresse 2]

[Adresse 2]



Représentée et assitée par Me Olivier BERNABE (avocat au barreau de PARIS, toque : B0753)

et par Me Julien VISCONTI (avocat au barreau de PARIS, toque: D1827)



Socié...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRET DU 26 MARS 2013

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 12/02707

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Janvier 2012 -Tribunal de Commerce de PARIS - RG n° 09/074438

APPELANTES

SAS ANAKENA prise en la personne de son président en exercice

ayant son siège social

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée et assitée par Me Olivier BERNABE (avocat au barreau de PARIS, toque : B0753)

et par Me Julien VISCONTI (avocat au barreau de PARIS, toque: D1827)

Société SOCIETE MAXIMUS MASTER FUND LIMITED représentée par son directeur général en exercice Monsieur [H] [D]

ayant son siège social

M&C Corporate Service Limited

[Adresse 6]

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représentée et assistée par Me Olivier BERNABE (avocat au barreau de PARIS, toque : B0753)

et par Me Julien VISCONTI (avocat au barreau de PARIS, toque: D1827)

INTIMEE

SA NATIXIS agissant en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée et assistée par Me Matthieu BOCCON GIBOD (avocat au barreau de PARIS, toque : C2477)

et par Me Sophie SCEMLA, HEENAN BLAIKIE AARPI (avocats au barreau de PARIS, toque : K165)

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 Janvier 2013, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie HIRIGOYEN, Présidente

Madame Evelyne DELBÈS, Conseillère

Monsieur Joël BOYER, Conseiller

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Madame Patricia DARDAS

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie HIRIGOYEN, présidente et par Madame Amandine CHARRIER, greffier présent lors du prononcé.

La société Anakena, société de gestion de fonds d'investissements, a été créée en 2006 par d'anciens traders de la société Natixis, elle-même banque de financement, de gestion et de services financiers du groupe Banque Populaire et Caisse d'Epargne.

Anakena a créé et géré à compter de cette date deux fonds d'investissement spéculatifs de droit caïmamais, non cotés, affranchis de toute discipline de marché et dont la commercialisation était interdite en France (hedge funds) : le fonds Maximus Fund Limited et le fonds Vizor, devenu Sixtina 18, lequel était géré sur une base dite pari passu avec le fonds Maximus dont il était le fonds miroir.

La société Natixis a investi 100 millions d'euros dans ces deux fonds par l'intermédiaire de deux départements de sa filiale d'investissement, l'un spécialisé dans les activités de comptes clients (animé par MM. [W] et [V]) l'autre dans les activités pour compte propre de la banque (EDA, animé par M. [I]).

Ainsi, Natixis a investi 25 millions d'euros dans le fonds Sixtina 18, qui était pour l'essentiel un fonds d'amorçage ayant vocation à attirer d'autres investisseurs, Natixis percevant sur ce fonds 20% des commissions d'Anakena, et 75 millions d'euros dans le fonds Maximus.

Le fonctionnement du fonds reposait sur la souscription par les investisseurs, tels que Natixis, d'actions d'un fonds nourricier, Maximus Fund Limited, permettant à ce dernier de souscrire au capital d'un fonds maître, Maximus Master, lequel procédait aux acquisitions d'actifs constituant le portefeuille du fonds en disposant du capital ainsi constitué, augmenté des concours financiers accordés par des prêteurs institutionnels, dits 'prime brokers', qui assurent aux fonds une capacité d'investissement sans rapport avec leurs fonds propres, dit effet de levier.

Les prime brokers sont garantis à l'égard du risque de défaut par le dépôt entre leurs mains d'une partie des actifs détenus par le fonds. Les prêts qu'ils consentent sont plafonnés en fonction du calcul d'un haircut, décote qu'ils appliquent unilatéralement à la valeur des actifs du fonds en fonction du risque associé, lequel détermine la marge qu'ils imposent aux fonds (excess margin) entre la valeur de marché décotée des actifs et le montant des prêts accordés.

Si cette marge devient négative, les prime brokers procèdent à des appels de marge (margin call) qui obligent alors le fonds à leur remettre des actifs supplémentaires en garantie. Ils peuvent également, en cette hypothèse, enjoindre au fonds de réaliser ses positions ou saisir les actifs dont ils sont les dépositaires.

Il résultait par ailleurs de la documentation du fonds Maximus Fund Limited, du prospectus du fonds et des statuts que les investisseurs pouvaient demander à tout moment le rachat de leurs actions (redemption) à l'expiration de la clause contractuelle dite de lock up qui prenait fin le 30 septembre 2008 et, selon une clause particulière stipulée en faveur de Natixis, principal investisseur, fin mars 2008 pour ce qui la concerne.

Enfin, en cas de perturbation du marché ou d'absence de liquidité, la faculté était reconnue aux directeurs du fonds de suspendre à tout moment la valeur liquidative du fonds.

Le 17 septembre 2008, soit deux jours après la faillite de Lehman Brother, M. [W], responsable pour la société Natixis des investissements pour compte de tiers, a informé la société Anakena de sa décision de procéder à un rachat de ses investissements dans le fonds Sixtina 18, un premier ordre officiel de redemption pour 5 millions d'euros ayant été notifié à la société de gestion le 22 septembre suivant.

Cette décision rendait inéluctable une sortie globale de Natixis du fonds Sixtina 18, la clôture de ce dernier laissant en suspend le sort des 25 millions d'euros qu'un autre département de Natixis (EDA qui gère les activités de compte propre de Natixis) y avait investis.

Les échanges entre les parties attestent qu'un report d'investissement de ces 25 millions d'euros du fonds Sixtina 18 sur le fonds Maximus a été envisagé au moins jusqu'au 18 octobre 2008.

Toutefois, le 21 octobre 2008, la société Natixis a fait connaître à la société Anakena sa décision de sortir intégralement du fonds Maximus en exerçant sa redemption de ce fonds.

L'état du marché en cette période de crise financière rendant difficile une complète réalisation des actifs, le fonds a cédé la quasi-totalité de ses positions obligataires à la banque, laquelle les a conservées pour les réaliser au mois de novembre 2009.

C'est dans ces circonstance que par acte en date du 13 novembre 2009, les sociétés Anakena et Maximus Master Fund Ltd ont fait assigner la société Natixis devant le tribunal de commerce de Paris en recherchant sa responsabilité délictuelle au motif de l'abus de droit résultant de la brutalité de son désengagement du fonds Maximus, lequel, inspiré par l'intention de nuire, n'aurait eu d'autre objet que de contraindre le fonds à lui céder ses positons alors que le marché était au plus bas.

La société défenderesse a revendiqué l'application de la loi des îles Caïman qui exclut tout abus de droit en cas d'exercice d'une prérogative contractuelle, a invoqué, subsidiairement, l'absence de toute faute au regard du droit français, s'agissant de l'exercice discrétionnaire par un investisseur de son droit de retrait d'un 'hedge fund', a récusé toute intention de nuire en excipant du seul objectif légitime de préservation de ses intérêts dans un marché financier en crise, et plus subsidiairement encore, a contesté l'existence d'un préjudice réparable en lien direct avec les fautes reprochées.

Par jugement du 27 janvier 2012, le tribunal de commerce de Paris a dit le droit français applicable au litige, a dit que la société Natixis n'a commis aucune faute, a débouté les sociétés demanderesses de leurs demandes et les a condamnées in solidum à payer à la société Natixis la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés Anakena et Maximus Master Fund Ltd ont interjeté appel de cette décision selon déclaration en date du 13 février 2012.

Dans leurs dernières conclusions signifiées le 7 janvier 2013, elles demandent à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a désigné la loi française comme étant d'application au litige, de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau, de dire et juger que la société Natixis a commis une faute délictuelle par abus du droit de remboursement, de la condamner à verser à la société Anakena les sommes de 22,9 millions d'euros à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice financier et de 5 millions d'euros en réparation de son préjudice moral, ainsi qu'une somme de 32 millions d'euros à la société Maximus Master Fund Limited en réparation de son préjudice financier, et de condamner enfin Natixis aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 8 janvier 2013, la société Natixis demande à la cour, à titre principal, d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit la loi française applicable au litige et, statuant à nouveau, de dire que le litige est soumis au droit caïmanais, de constater que les demandes formulées par les sociétés Anakena et Maximus Master Fund Ltd n'ont pas de fondement juridique en droit caïmanais et de les en débouter, à titre subsidiaire, de constater que les sociétés appelantes ne rapportent pas la preuve d'un prétendu abus de droit, ni de l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité, et de constater encore qu'elles n'ont subi aucun préjudice réparable, en conséquence, de confirmer le jugement déféré, de les débouter de leurs demandes, et de les condamner in solidum à leur verser la somme de 500 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

SUR CE

Sur la loi applicable

La société Natixis revendique, à titre principal, l'application au litige du droit caïmanais au visa de l'article 4 du Règlement de Rome II et souligne, en se prévalant d'un certificat de coutume, qu'en droit caïmanais la responsabilité d'une partie à raison de l'exercice d'une prérogative contractuelle ne peut jamais être recherchée, même dans l'hypothèse dans laquelle cet exercice aurait procédé de l'intention de nuire.

S'agissant de l'application du droit caïmanais, elle soutient qu'aucun des critères de rattachement prévu par le Règlement de Rome II ne conduit à désigner la loi française comme applicable au litige.

Le premier élément du dommage direct est survenu aux Iles Caïman, où le fonds était immatriculé et percevait ses bénéfices.

L'exception prévue par l'alinéa 2 de ce texte, tirée de la résidence habituelle des parties dans le même pays, n'est pas davantage applicable, la victime directe alléguée (Maximus Master) et la société Natixis dont la responsabilité est recherchée n'ayant pas leur résidence dans le même pays.

Enfin, l'exception prévue par l'alinéa 3 relative au pays avec lequel le fait dommageable a les liens les plus étroits conduit également à désigner la loi caïmanaise qui régit le contrat d'investissement liant Natixis au fonds, dont la commercialisation est de surcroît interdite en France.

L'article 4 du Règlement ( CE) n°864/2007 du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dispose, en son paragraphe premier, que la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.

Le paragraphe 2 de ce texte prévoit toutefois que lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique.

Enfin, le paragraphe 3 précise que s'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommagebale présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique, ajoutant qu'un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telles qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question.

C'est à juste titre que les premiers juges ont retenu l'application au litige de la loi française.

En effet, le litige oppose trois parties dont deux sont françaises, n'a d'autres protagonistes que des Français et se rapporte exclusivement aux conditions et motifs dans lesquels une banque française qui avait investi dans un fonds caïmanais a passé en France des ordres à une société de gestion française.

En outre, le dommage direct allégué, résultant des ordres de retrait passés en France par l'investisseur français (Natixis) à une société de gestion de droit français (Anakena), est survenu en France par la mise en sommeil de la société de gestion et la fin de la perception de ses commissions.

Or, il résulte d'une jurisprudence constante, notamment de la Cour de Justice de l'Union européenne, que le 'lieu où le dommageable survient' au sens de l'article 4 § 1 du Règlement de Rome II s'entend comme désignant le lieu où le fait causal, engageant la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle, a produit directement ses effets dommageables à l'égard de celui qui en est la victime immédiate, soit dans le cas d'espèce, la France, le préjudice invoqué par le fonds maître ne résultant que du retrait de Natixis du fonds nourricier, lequel n'est pas dans la cause.

En cet état, le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec la France qu'avec les Iles Caïman, sur le territoire desquelles le fonds était logé, peu important à cet égard que le contrat d'investissement ait été soumis au droit caïmanais dès lors que l'action entreprise n'a pas de fondement contractuel et que le fonds nourricier n'est pas partie au litige.

Sur l'abus de droit de retrait par un investisseur des fonds investis dans un 'hedge fund'

Les sociétés appelantes invoquent, pour caractériser l'abus de droit, à la fois le caractère soudain et inattendu de la demande de retrait de Natixis du fonds Maximus (redemption) et l'intention de nuire.

Elles font valoir, du premier chef, que lors du retrait de Natixis du fonds Sixtina, ses interlocuteurs habituels au sein de Natixis lui avaient donné durant plusieurs semaines et encore la veille de leur décision de redemption du 21 octobre 2008, des assurances quant au transfert de l'investissements de 25 millions d'euros repris de Sixtina dans le fonds Maximus et soutiennent que ces promesses comme le caractère brutal de la décision de retrait les ont privées de la possibilité de rechercher d'autres investisseurs.

Elles soulignent, s'agissant du second grief, que l'intérêt jusqu'alors manifesté par Natixis de réaliser un investissement supplémentaire dans le fonds Maximus suffit à contredire les justifications ensuite avancées par la banque pour expliquer sa demande de retrait, tirées de l'inquiétude que suscitait la particulière exposition du fonds à un marché contraire, aucune pièce n'attestant un risque de défaut face aux appels de marge des prime brokers.

Elles relèvent qu'un document interne de la banque Natixis démontre la parfaite conscience de ses interlocuteurs que les prix du marché n'étaient plus rationnels et que la décote des titres était réelle, offrant ainsi des opportunités de plus values à moyen terme 'quelque soit l'environnement futur'et soutiennent que l'équipe de trading pour compte propre de Natixis n'ayant plus le droit d'acheter des obligations convertibles sur le marché à la suite d'instructions internes de juillet 2008 et ayant perdu précédemment 150 millions d'euros, seule une augmentation de leurs positions pouvait leur permettre de réaliser une très forte performance en 2009.

Elles avancent, notamment sur la foi des réponses à une sommation interpellative qu'elles ont fait délivrer à un responsable de Natixis chargé à l'époque des faits de la vente d'obligations convertibles, que c'est à cette seule fin et sans contrevenir aux recommandations de juillet 2008 que Natixis EDA a procédé à la redemption de son investissement en sachant que le fonds qui n'était en mesure ni de céder les actifs sur le marché ni de retarder l'opération, compte tenu du risque que les prime bokers, alertés, ne réalisent leurs garanties, se trouverait contraint de lui transférer de gré à gré ses positions obligataires au moment où le marché était au plus bas, Natixis ayant conservées les positions ainsi reprises jusqu'au mois de novembre 2009, ce qui démontre de plus fort que l'inquiétude avancée, liée à une éventuelle exposition au risque du marché, est fallacieuse, l'intimée n'ayant eu en définitive d'autre objectif que d'acculer le fonds pour s'emparer de ses positions au meilleur prix.

Soulignant la parfaite déloyauté d'une telle manière de procéder, à l'égard de surcroît d'une société de gestion constituée par d'anciens cadres de Natixis, les sociétés appelantes invoquent au titre de leur préjudice la perte de chance pour Anakena de continuer son exploitation et donc de percevoir ses commissions et des frais de performance sur cinq années (22, 9 millions d'euros) outre un préjudice moral (5 millions d'euros) et pour la société Maximus Master Fund Limited, la perte de chance de récolter les fruits de son capital, appréciée en fonction de la plus value alléguée qui aurait été réalisée par Natixis lors du débouclage des positions, soit 32 millions d'euros.

La société Natixis qui demande que soit écartées des débats les réponses à la sommation interpellative de leur ancien cadre conteste en tous points l'analyse des appelantes.

Les appelants, fonds maître et société de gestion d'un 'hedge fund', recherchent la responsabilité délictuelle d'un investisseur au motif d'un abus de droit commis par ce dernier dans ses rapports contractuels avec le fonds nourricier, résultant des conditions ou des motifs de l'exercice de son droit de retrait (redemption).

L'abus de droit dans l'exercice d'une prérogative contractuelle ne peut s'apprécier qu'au regard de la substance même des droits et obligations légalement convenues entre les parties, à laquelle ni celui qui s'en prétend victime ni le juge ne peut porter atteinte.

Or, le rachat d'un investissement dans un 'hedge fund' constitue le simple exercice d'un droit contractuel dont le caractère discrétionnaire, reconnu par les statuts et le prospectus à l'issue de la période de lock up, est déterminant de la décision d'y souscrire.

Les appelantes soutiennent cependant que le caractère brutal de la décision de retrait, entendue comme soudaine et inattendue, caractériserait l'abus de droit.

Mais les longs développements qu'elles consacrent sur ce point à l'assurance qui leur aurait été donnée, lors de la liquidation du fonds Sixtina 18, d'un report d'investissement de 25 millions d'euros de Sixtina 18 sur Maximus, est sans rapport avec le préjudice qu'elles allèguent, lequel résulte, aux termes de leurs écritures, non pas de l'absence d'un investissement supplémentaire de Natixis dans ce fonds Maximus, mais de la décision de Natixis de se retirer de ce dernier, la redemption de Natixis du fond Sixtina 18 n'étant pas querellée.

S'agissant de la soudaineté du retrait, il résulte des pièces produites, et notamment des échanges de messages électroniques, que M. [H] [D], président d'Anakena, a été informé de la décision de Natixis téléphoniquement par M. [I], responsable du département EDA (chargé des activités convertibles de compte propre de Natixis) le 21 octobre 2008 puis plus complètement à l'occasion d'une rencontre qui a eu lieu le 24 octobre, les échanges en vue de le mise en oeuvre du retrait s'étant poursuivis dans un climat de parfaite coopération qu'atteste la teneur des nombreux courriers électroniques sur cette période, peu important, à cet égard, que certains d'entre eux se rapportent au fonds Sixtina 18 plutôt qu'au fonds Maximus dès lors que la décision de Natixis de se retirer des deux fonds était alors parfaitement connue.

En outre, la demande de redemption du fonds Maximus n'a été adressée par écrit à l'administrateur du fonds, comme l'exige le prospectus, qu'à la fin du mois de novembre 2008, soit près d'un mois après qu'Anakena en eut été informée, alors qu'aucun préavis ne s'imposait à Natixis autre qu'un délai de 20 jours entre sa décision de retrait et le rachat de ses actions, lequel n'a pas été méconnu.

Enfin, à aucun moment durant cette période, les directeurs du fonds n'ont mis en oeuvre, comme ils l'auraient pu, la clause de suspension prévue dans le prospectus qui permet de différer la détermination de la valeur liquidative du fonds lorsqu'une sortie en urgence impose la cession d'une partie substantielle des actifs impossible à mettre en oeuvre ou en cas de perturbation ou d'absence de liquidité du marché, pourtant alors toutes deux patentes, l'application de cette clause suspendant de plein droit l'exercice des demandes de remboursement (article 45.1, e des statuts).

En soutenant qu'une telle précaution était sans objet dès lors que l'ensemble des positions du fonds avaient été transférées à Natixis avant réception de la lettre officielle de demande de redemption, les appelantes reconnaissent nécessairement avoir arbitré en faveur d'une parfaite coopération avec leur investisseur retrayant Natixis, auquel elles ne reprochaient alors nul manquement à leur égard, ne justifiant pas même avoir émis quelque réserve que ce soit à ce propos, l'expression de dépit, au demeurant très contenue, que traduit un seul message de M. [D] à M. [I] qui fut son supérieur hiérarchique, étant à la fois humainement compréhensible et dépourvue de toute portée juridique.

En cet état, il sera jugé que l'exercice de la demande de rachat de ses investissements par Natixis a été dépourvue de brutalité.

Les appelantes invoquent encore l'intention de nuire.

Elles ne sauraient cependant sous ce couvert et sans inverser la charge de la preuve, exiger d'un investisseur auquel a été garanti un droit de retrait discrétionnaire et à tout moment, qu'il justifie de motifs légitimes de retrait.

C'est, au contraire, aux appelants qui invoquent l'abus de droit de démontrer que la décision de redemption de Natixis, dépourvue de tout motif légitime, était destinée à lui nuire.

Or, l'état du marché et les orientations stratégiques de Natixis à l'époque des faits suffisent à anéantir la thèse soutenue par l'appelante, indépendamment des discussions qui les opposent sur les performances propres du fonds.

Il est constant que la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008 , l'un des plus importants prime brokers de hedge funds, s'est trouvée à l'origine d'une crise financière d'une ampleur inédite provoquée à la fois par la vente massive des actifs appartenant aux fonds d'investissements ayant Lehman Brothers pour prime broker, la chute de valeur de ses actifs, le relèvement par les autres prime brokers de leur taux de couverture (haircut) et le désengagement massif des hedge funds pour faire face aux appels de marge, tous phénomènes qui ont contribué à une crise sans précédent de liquidité sur le marché des obligations convertibles, qui pouvait, à elle seule, légitimement conduire les investisseurs dans les fonds spéculatifs, violemment ébranlés, à faire preuve de plus de prudence ou de mesure qu'auparavant.

C'est dans ce contexte que Natixis, dont le département EDA (activités de compte propre) avait, par ailleurs, subi d'importantes pertes, a diffusé au public , le 4 septembre 2008 c'est-à-dire avant même la faillite de Lehman Brother, une note de présentation des nouvelles orientations stratégiques du groupe évoquant 'l'aggravation de la crise' et 'des mesures immédiates de réduction accrue du profil de risque' au titre desquelles 'l'extinction des activités non stratégiques', notamment 'les activités de compte propre', soit le service en charge des obligations convertibles qui constituaient l'essentiel du portefeuille Maximus, de sorte que la décision de retrait de Natixis de ce fonds devait être pour un professionnel normalement avisé et compte tenu de la crise qui allait s'aggraver les jours suivants tout sauf improbable.

Enfin, le fonds Maximus, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, ne devait pas échapper aux effets de cette crise.

Il est en effet constant que si sa performance a été conforme aux objectifs fixés jusqu'à la fin de l'année 2007, le fonds a enregistré dès le mois de janvier 2008 une baisse de 7% et, en septembre 2008, une chute de 15%, plus importante que l'indice de référence, la performance cumulée du fonds depuis son origine devenant négative à compter de cette date, alors qu'une performance dite 'absolue', c'est-à-dire indépendante des effets de marché, de 12 à 15% avait été annoncée par le prospectus aux investisseurs.

Par ailleurs, si le fonds Maximus ne s'est jamais trouvé en défaut des appels de marge des primes brokers (capital requirement), il résulte clairement d'un message adressé par M. [D] (Anakena) à M. [I] (Natixis EDA) le 24 septembre 2008, s'agissant des positions en obligations convertibles de Maximus -et non de Sixtina comme les appelantes le soutiennent vainement en contradiction avec les termes même de cette correspondance- , qu'un risque de liquidité et de capital requirement avait été explicitement évoqué par Aneka, cette dernière ayant suggéré en conséquence à Natixis de racheter, pour 'donner un bol d'air' au fonds, des actifs, en l'espèce des obligations remboursables en actions nouvelles (orane) émises par Publicis, lesquelles représentaient 27% de la valeur des obligations convertibles en position longue du fonds, soit un actif de 34, 4 millions d'euros.

Ainsi tant l'évolution à court terme des marchés financiers que les orientations stratégiques de Natixis, qui venait d'annoncer des pertes très importantes sur ses activités liées aux obligations convertibles, pouvaient légitimement conduire un investisseur à mettre fin à ses engagements dans un fonds hautement spéculatif dont la performance, sans rapport avec les objectifs annoncés, venait de se retourner et qui évoquait lui-même, dans ses rapports d'affaire avec l'investisseur, un risque de liquidité ou d'augmentation des marges de couverture des prime brokers.

La thèse enfin défendue par les sociétés appelantes d'un stratagème de Natixis destiné à provoquer la liquidation du fonds pour s'emparer de ses positions ne repose sur aucun élément probant.

Cette thèse procède, pour une part, des réponses recueillies sur sommation interpellative d'un ancien salarié de Natixis en conflit avec son employeur, pièce dont l'intimée demande à bon droit qu'elle soit écartée des débats.

En effet, si aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 les huissiers peuvent être commis en justice pour effectuer des constations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter, ils ne peuvent l'être aux seules fins de procéder à des auditions de témoins, lesquelles relèvent de la procédure d'enquête prévue par les articles 204 et suivants du code de procédure civile, seule propre à garantir l'effet attaché au serment en justice, l'absence de pression ou de persuasion et le respect du principe de la contradiction.

Les appelantes se prévalent ensuite d'une note interne à la société Natixis, rédigée par M. [I], le responsable des activités de compte propre de la banque, pour en inférer que la baisse irrationnelle des cours et la crise du marché financier de septembre/ octobre 2008 représentaient des opportunités de prises de positions exceptionnelles qui auraient précisément déterminé Natixis à exercer son retrait dans le but de mettre le fonds en difficulté afin de pouvoir en reprendre les positions à bas prix.

Mais la société Natixis fait justement valoir que cette note ne concerne pas spécifiquement le fonds Maximus et que le souhait alors exprimé par son directeur des activités pour compte propre, dont la mission était précisément menacée, n'a pas été validé, le comité d'investissement du directoire de la banque ayant pris le parti contraire à celui suggéré.

Les appelantes soutiennent enfin que la reprise par Natixis des positions du fonds serait la preuve que le motif du retrait tiré d'un risque d'exposition trop grand ne serait que d'apparence.

Mais elles ne sauraient être suivies sur ce point, le risque auquel l'investisseur dans un fonds spéculatif entend le plus impérieusement échapper n'étant pas l'évolution à la baisse du cours, seul évoqué par Anakena, mais l'effet de levier, qui était en l'espèce de quatre chez son principal prime broker et de 3,11 au total.

Or, un effet de levier de quatre signifie que si toute somme investie est multipliée par quatre pour acheter des titres grâce aux concours financiers accordés par les prime brokers, les trois quarts des titres ainsi acquis se trouvent bloqués à titre de garantie par ces derniers, de sorte que le retrait par l'investisseur de son investissement initial contraint le fonds à réaliser des actifs pour quatre fois la somme initialement investie, les trois quarts des actifs réalisés étant destinés au prime broker, lequel peut en outre à tout moment si sa marge devient négative obliger le fonds à lui remettre des actifs supplémentaires en garantie, ou lui enjoindre de réaliser ses positions ou encore saisir les actifs dont il est le dépositaire.

Si ce risque n'est pas advenu avant la demande de retrait de Natixis du fonds Maximus, la nervosité du marché, les performances en chute du fonds sur le mois de septembre 2008 (-15%), comme les premières suggestions faites par la société de gestion Anakena à son investisseur dès la mi-septembre 2008 de racheter une partie de son portefeuille (les orane de Publicis), pouvaient inciter Natixis, comme tout autre investisseur normalement avisé, à exercer le droit de retrait qui lui était reconnu.

Ainsi, si Natixis, en se retirant, n'a pas sensiblement modifié son exposition à une baisse du cours, elle s'est garantie à l'égard d'une perte de son investissement initial dans le fonds, dont la préservation était suspendue aux exigences des primes brokers, eux mêmes très affectés par la crise.

Enfin, contrairement ce qui est soutenu par les sociétés appelantes, Natixis n'a pas repris la totalité des positions du fonds, une partie d'entre elles ayant pu être vendue à des contreparties tierces, les échanges versés aux débats établissant en outre que les cessions de gré à gré sont intervenues à un prix de 'milieu de marché' négocié entre Anakena et Natixis supérieur aux prix alors en vigueur, cette dernière ayant en définitive perdu, à la date de son retrait, 39 millions des 100 millions d'euros qu'elle avait investis dans les fonds gérés par Anakena, laquelle ne conteste pas avoir perçu au titre de sa gestion sur la même période plus de 5,3 millions d'euros.

En cet état, l'intention de nuire qui ne saurait se déduire, pas plus que le préjudice invoqué, du gain réalisé par Natixis, plusieurs mois après son retrait, lors de la vente des actifs qui constituaient le portefeuille du fonds, n'est nullement établie.

En définitive, les appelantes font reproche à Natixis, avec laquelle elles entretenaient des liens d'autant plus étroits que leurs dirigeants y avaient fait leurs premières armes, de ne pas leur avoir maintenu sa confiance alors qu'elles estiment leur gestion exempte de critique. Mais l'absence de faute ou d'imprudence d'une société de gestion ne saurait priver un investisseur de son droit de retrait, dès lors que ce dernier est discrétionnaire et a été, en l'espèce, exercé sans brutalité et sans que l'intention de nuire ne soit établie.

Les sociétés Anakena et Maximus Master Fund Ltd seront par conséquent déboutées de leurs demandes et le jugement déféré confirmé en toutes ses dispositions.

Des considérations d'équité conduiront à cantonner l'indemnité sollicitée par la société Natixis au titre de ses frais irrépétibles à la somme de 30 000 euros.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré,

Y ajoutant,

Condamne in solidum les sociétés Anakena et Maximus Master Fund Ltd à payer à la société Natixis la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Les condamne in solidum aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile .

LE GREFFIER LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 12/02707
Date de la décision : 26/03/2013

Références :

Cour d'appel de Paris I8, arrêt n°12/02707 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-03-26;12.02707 ?
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