Grosses délivréesRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 25 JANVIER 2013
(n° 2013- , 1 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/24209
Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Mars 2010 -Tribunal de Grande Instance de [Localité 7] - RG n° 08/16956
APPELANTE:
LA CAISSE DE RETRAITE POUR LA FRANCE ET L'EXTÉRIEUR (CRE)
représentée par son représentant légal
[Adresse 2] et sis désormais [Adresse 3]
représentée par la SELARL HJYH Avocats à la cour (Maître Patricia HARDOUIN avocat au barreau de PARIS, toque : L0056)
assistée de Maître Antoine VALERY, avocat au barreau de PARIS, toque R 180
INTIME:
Monsieur [W] [L] [X] [R]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 1])
(bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 2011/001555 en date du 18/02/2011 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)
représenté par la SCP Jeanne BAECHLIN (Me Jeanne BAECHLIN) (avocats au barreau de PARIS, toque : L0034)
assisté de Maître Alexandre JACQUET, avocat au barreau de PARIS, toque E 1629
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Décembre 2012, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne VIDAL, Présidente de chambre, chargée d'instruire l'affaire.
Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions de l'article 785 du Code de procédure civile ;
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Anne VIDAL, Présidente de chambre
Françoise MARTINI, Conseillère
Marie-Sophie RICHARD, Conseillère
Greffier, lors des débats : Narit CHHAY
ARRÊT :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Anne VIDAL, Présidente et par Guénaëlle PRIGENT, Greffier.
***
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
M. [W] [X] [R], ayant travaillé comme traducteur à l'ambassade du Royaume d'Arabie Saoudite en France du 1er avril 1979 au 3 février 1994, n'a pu obtenir la liquidation de ses droits à la retraite complémentaire auprès de la Caisse de Retraite pour la France et l'Extérieur (CRE), l'ambassade d'Arabie Saoudite n'ayant pas été affiliée à cette caisse pendant ses années de travail.
Suivant acte d'huissier en date du 1er décembre 2008, il a fait assigner la CRE devant le tribunal de grande instance de Paris et a sollicité sa condamnation à lui verser une somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts, outre une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, lui reprochant d'avoir commis une faute en ne procédant pas à l'adhésion d'office de son employeur alors que cette adhésion est obligatoire depuis 1927.
Par jugement en date du 1er mars 2010, le tribunal de grande instance de Paris a retenu que l'ambassade d'Arabie Saoudite n'avait pas respecté ses obligations sociales et que s'agissant d'un acte n'entrant pas dans l'exercice de sa souveraineté mais constituant un acte de gestion administrative, l'Etat Saoudien n'aurait pu se prévaloir de l'immunité diplomatique face à la CRE qui, informée par M. [W] [X] [R] en 1990, a commis une faute en s'abstenant de contraindre cette ambassade à s'affilier, faisant ainsi perdre au salarié la chance d'obtenir une retraite complémentaire. Il a donc condamné la CRE à payer à M. [W] [X] [R] une somme de 7.500 € à titre de dommages et intérêts mais a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La Caisse de Retraite pour la France et l'Extérieur (CRE) a interjeté appel de cette décision suivant déclaration déposée au greffe le 15 décembre 2010.
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La Caisse de Retraite pour la France et l'Extérieur (CRE), aux termes de ses dernières conclusions déposées et signifiées le 27 novembre 2012, sollicite l'infirmation du jugement et demande à la cour :
De dire la demande de M. [W] [X] [R] irrecevable comme prescrite,
Subsidiairement, de rejeter la demande,
De condamner M. [W] [X] [R] à lui payer la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient, pour l'essentiel :
Que le salarié avait connaissance, dès le 30 janvier 1990, de l'absence d'affiliation de son employeur à la CRE et des conséquences de la rétention du précompte sur sa retraite, de sorte qu'à la date de la décision d'octroi de l'aide juridictionnelle, le 25 avril 2002, et a fortiori à la date de l'assignation, le 1er décembre 2008, son action en responsabilité était prescrite, plus de 10 ans s'étant écoulés depuis la manifestation du dommage ;
Qu'elle est adhérente à l'ARRCO et qu'en application de l'article 4 de ses statuts, elle s'engage à appliquer les décisions de celle-ci, de sorte que les délibérations de l'ARRCO ont une valeur conventionnelle pour les partenaires sociaux et s'imposent à elle ; qu'à défaut pour les ambassades de déposer une demande d'affiliation à la CRE, elle ne disposait d'aucun moyen juridique pour contraindre l'employeur à s'affilier et qu'en outre, l'inscription de points de retraite ne pouvait être effectuée qu'en contrepartie du paiement des cotisations ; qu'elle est pourtant intervenue à plusieurs reprises auprès de l'ambassade d'Arabie Saoudite pour qu'elle adhère et pour qu'elle régularise la situation de M. [W] [X] [R] ;
Qu'une action judiciaire en adhésion forcée et recouvrement des cotisations n'était pas envisageable compte tenu du statut des ambassades, ce que M. [W] [X] [R] savait puisque le conseil de prud'hommes lui avait opposé l'immunité de juridiction, immunité confirmée par les décisions de la cour d'appel de Paris et de la cour de cassation produites aux débats par l'intimé.
M. [W] [X] [R], en l'état de ses écritures déposées et signifiées le 30 octobre 2012, conclut au rejet de l'appel de la CRE et à la confirmation du jugement, sauf sur le montant de l'indemnisation allouée, et formant appel incident sur ce point, demande à la cour de condamner la CRE à lui verser la somme de 15.000 € à titre de dommages et intérêts, outre 2.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient :
Que son action n'est pas prescrite car son dommage ne s'est manifesté que lorsque la CRE lui a indiqué, le 8 août 2001, qu'elle refusait de lui verser ses droits à la retraite complémentaire, ou à tout le moins, lorsqu'il est devenu certain qu'il ne pourrait contraindre judiciairement son employeur à régulariser sa situation, soit le 18 juillet 2000, date de l'arrêt de la cour de cassation rejetant son pourvoi contre le jugement du conseil de prud'hommes ; qu'au demeurant, la prescription a été interrompue le 27 mars 2002 lorsqu'il a déposé sa demande d'aide juridictionnelle ;
Que, bien qu'ayant connaissance depuis 1990 du détournement des cotisations retraites de M. [W] [X] [R], la CRE n'a engagé aucune action contre l'ambassade d'Arabie Saoudite comme la loi le lui permet pourtant et ne s'est pas intéressée au cas de ce salarié au moment où l'ambassade s'est affiliée en 2006 avec effet rétroactif en janvier 2003 ; que la CRE ne peut invoquer une délibération de l'ARRCO du 24 mars 1977 qui aurait posé des conditions qu'elle n'a jamais invoquées dans ses courriers à l'ambassade d'Arabie Saoudite ;
Que la CRE ne peut invoquer l'immunité de l'ambassade, la règle de l'immunité étant appliquée en distinguant les actes d'autorité publique et ceux relevant d'une simple gestion privée, parmi lesquels se trouve le versement des cotisations à l'organisme de retraite.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 11 décembre 2012.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Considérant que M. [W] [X] [R] recherche la responsabilité de la CRE sur le fondement de l'article 1382 du code civil à raison de l'existence d'une faute commise par cette dernière et ayant abouti à la perte du bénéfice de la retraite complémentaire à laquelle il pouvait prétendre au titre de son emploi de traducteur à l'ambassade d'Arabie Saoudite entre le 1er avril 1979 et le 3 février 1994 ;
Que cette action est soumise à la prescription de l'article 2270-1 du code civil, c'est-à-dire une prescription par dix ans dont le point de départ se situe au jour de la manifestation du dommage ;
Qu'en l'espèce, le point de départ du délai de prescription peut être fixé à la date du 18 juillet 2000, date de l'arrêt rendu par la cour de cassation ayant rejeté son pourvoi contre la décision de la cour d'appel de Paris qui l'avait débouté de toutes ses demandes à l'encontre de son employeur, l'ambassade d'Arabie Saoudite, M. [W] [X] [R] ayant connu à cette date-là l'échec de sa tentative de régularisation de sa situation à l'égard de la CRE ;
Que c'est en vain que la CRE soutient que la prescription serait acquise, alors que M. [W] [X] [R] a engagé son action par acte d'huissier en date du 1er décembre 2008, soit dans le délai de dix ans, et qu'au surplus le délai avait été interrompu le 25 avril 2002 par l'effet du dépôt de sa demande d'aide juridictionnelle aux fins d'agir contre la CRE, les Assedic de Paris et le GARP ;
Considérant, comme l'a rappelé le tribunal, qu'il appartient à M. [W] [X] [R] de rapporter la preuve d'une faute commise par la CRE en lien de causalité directe avec la perte de ses droits au versement d'une retraite complémentaire ;
Que le tribunal a considéré, comme le soutenait M. [W] [X] [R], que la CRE, pourtant informée depuis 1990 du non-respect par l'ambassade d'Arabie Saoudite de ses obligations d'affiliation et de cotisations, avait commis une faute en s'abstenant durablement d'agir judiciairement à l'encontre de cette ambassade pour la contraindre à s'affilier, faute qui avait fait perdre au demandeur une chance d'obtenir la prise en compte de ses cotisations au titre de la retraite complémentaire ;
Que la cour note cependant que la CRE, informée par courrier de M. [W] [X] [R] en date du 30 janvier 1990 de l'absence de paiement par l'ambassade des cotisations aux organismes sociaux, dont celles de retraite complémentaire, justifie être intervenue dès le 8 février 1990, d'une part auprès de l'Ambassadeur d'Arabie Saoudite pour lui rappeler ses obligations d'affiliation au régime de retraite complémentaire, d'autre part auprès du Ministère des Affaires Etrangères pour lui signaler cette situation ; que, certes, la caisse n'a engagé aucune action sur le plan judiciaire, ce qui lui a été reproché par les premiers juges ; mais qu'il est démontré, au regard des décisions de justice rendues par le conseil de prud'hommes de Paris, puis par la cour d'appel et enfin par la cour de cassation à l'encontre de M. [W] [X] [R] et au contradictoire de la CRE qui avait été appelée en la cause, que l'ambassade pouvait alors efficacement opposer, face aux demandes qui étaient formulées contre elle, notamment la demande en affiliation forcée et en versement des cotisations dues à la CRE, l'immunité de juridiction résultant de son statut diplomatique ; qu'il ne peut donc être reproché à la CRE de ne pas avoir elle-même tenté une action qu'elle savait, en l'état de ces décisions, vouée à l'échec et qu'il ne peut être tiré argument contre elle du fait que la jurisprudence ultérieure sur l'immunité de juridiction a évolué en faveur d'une distinction entre les actes relevant de la souveraineté des Etats et ceux constituant des actes de gestion ;
Que l'ambassade a adhéré à la CRE en 2006 avec rétroactif au 1er janvier 2003 et que M. [W] [X] [R] considère que la CRE aurait pu, si elle avait mobilisé tous ses moyens, obtenir une régularisation rétroactive à son profit ; mais que c'est oublier qu'il avait quitté l'ambassade en 1994, soit plus de dix ans auparavant, et que, contrairement à ce qu'indiquait son conseil dans son courrier du 4 juillet 2008, l'action en recouvrement forcé de cotisations était prescrite à l'égard de l'employeur, de sorte qu'en tout état de cause, M. [W] [X] [R] n'aurait eu aucune chance d'obtenir une retraite complémentaire, à défaut de paiement des cotisations ;
Qu'il convient en conséquence de réformer le jugement déféré et de débouter M. [W] [X] [R] de ses demandes à l'encontre de la CRE ;
Vu les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Déclare l'action en responsabilité engagée par M. [W] [X] [R] contre la Caisse de Retraite pour la France et l'Extérieur (CRE) recevable comme non prescrite mais l'en déboute au fond ;
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [W] [X] [R] aux dépens de première instance et aux dépens d'appel qui seront recouvrés dans les formes et conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRÉSIDENT