Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 25 JANVIER 2013
(n° 2013- , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/22073
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Septembre 2009 - Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 03/11186
APPELANTE:
Madame [T] [I] épouse [W]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Maître Nadine CORDEAU (avocat au barreau de PARIS, toque : B0239)
assistée de Maître Mireille SAUGE, pour la SCP SAUGE (avocats au barreau de PAU)
INTIMES
C.P.A.M. DE [Localité 13]
prise en la personne de son directeur
[Adresse 12]
[Adresse 12]
représentée par la SELARL BOSSU & ASSOCIES ( Maître Maher NEMER avocat au barreau de PARIS, toque : R295)
ayant pour avocat Maître Clothilde CHALUT-NATAL, pour la SELARL BOSSU ET ASSOCIES (avocats au barreau de PARIS, toque : R295), le dossier ayant été déposé
Monsieur [B] [S]
[Adresse 5]
[Adresse 5]
représenté par Maître Anne-Marie MAUPAS OUDINOT (avocat au barreau de PARIS, toque : B0653)
assisté de Maître Adeline MOUGEOT, pour la SCPA GARAUD (avocats au barreau de PARIS, toque : P72)
SOCIÉTÉ AXA ASSURANCES IARD MUTUELLE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par la SCP BOMMART FORSTER - FROMANTIN (Me Edmond FROMANTIN) (avocats au barreau de PARIS, toque : J151)
assistée de Maître Guy-Claude ARON (avocat au barreau de PARIS, toque : A383)
S.A. CLINIQUE CHIRURGICALE ORTHOPEDIQUE [8]
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 4]
[Adresse 4]
assignée et défaillante
S.A. D'EXPLOITATION DS MAISONS CHIRURGICALES ET DE SANTE venant aux droits de la SA CLINIQUE CHIRURGICALE ORTHOPEDIQUE [8] 'CCOL'
prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 4]
[Adresse 4]
assignée et défaillante
COMPOSITION DE LA COUR :
Madame Marie-Sophie RICHARD ayant été préalablement entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Décembre 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Anne VIDAL, Présidente de chambre
Françoise MARTINI, Conseillère
Marie-Sophie RICHARD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Narit CHHAY
ARRÊT :
- réputé contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Anne VIDAL, Présidente et par Guénaëlle PRIGENT, Greffier.
***
Mme [T] [I] épouse [W], née le [Date naissance 2] 1971, souffre depuis l'enfance d'une scoliose évolutive sur maladie de Recklinghausen, pour laquelle elle a bénéficié d'un traitement orthopédique nécessitant le port d'un corset depuis l'âge de cinq ans jusqu'à l'âge de 13 ans, puis, subi une intervention chirurgicale, en 1984, par la mise en place d'une tige de Hatrington, enlevée en 1991 par suite de sa rupture.
Du fait de l'aggravation de la scoliose avec retentissement neurologique, Mme [T] [I] a consulté en 1993 le professeur [C] qui lui a conseillé une nouvelle intervention chirurgicale et l'a dirigée vers le docteur [S].Ce dernier lui a proposé une intervention chirurgicale qui a été pratiquée à la Clinique Chirurgicale Orthopédique [8] en deux temps: le premier, le 11 janvier 1994, au cours duquel il a été procédé à une ostéotomie à trois étages avec mise en place de vis pédiculaires et installation d'un halo crânien pour traction au lit, celle-ci devant se poursuivre durant quinze jours, le second, pratiqué le 25 janvier 1994,
au cours duquel ont été réalisées une ostéosynthèse vertébrale et une greffe osseuse postérieure.
Dans les suites de cette seconde intervention, [T] [I] a souffert d'une infection nosocomiale à staphylocoque doré Méthi-R qui a nécessité une reprise chirurgicale le 1er février 1994 avec mise à plat et drainage aspiratif et un traitement antibiotique qui s'est prolongé durant trois ans, étant précisé que la patiente a présenté outre d'importantes douleurs, une suppuration au niveau de la cicatrice dorsale en octobre 1995 et qu'elle a subi une nouvelle opération pratiquée le 14 novembre 1996 par le docteur [K], au cours de laquelle le matériel a été retiré, suivie d'une rééducation et du port d'un corset.
Mme [T] [I] a engagé une procédure en référé afin d'obtenir la désignation d'un expert et le professeur [E] commis en cette qualité par ordonnance du 6 mars 1996 a déposé un rapport de ses opérations le 11 juillet 1996.
Par acte signifié les 8 et 11 juillet 2003, Mme [T] [I] a fait assigner la Clinique Chirurgicale Orthopédique [8], le docteur [S] et la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de [Localité 10] afin que la clinique et le chirurgien soient déclarés responsables et que soit ordonnée une nouvelle mesure d'expertise.
Par jugement du 6 novembre 2006, le tribunal a ordonné une mesure d'expertise confiée aux docteurs [L] et [J] qui ont procédé à leurs opérations et clos leur rapport le 7 avril 2008.
Par jugement en date du 28 septembre 2009 le tribunal de grande instance de Paris a:
-déclaré le docteur [S] et la Clinique [8] responsables in solidum des conséquences dommageables de l'infection nosocomiale présentée par Mme [I] épouse [W] dans les suites des interventions des 11 et 25 janvier 1994,
-Débouté Mme [I] de ses autres demandes à l'encontre du docteur [S],
-condamné in solidum le docteur [S] et la société AXA ASSURANCES IARD assureur de la clinique intervenue volontairement à la procédure à payer:
- à Mme [T] [I], la somme globale de 46.380 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement,
- à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE de [Localité 13], la somme de 14.788,72 euros avec intérêts au taux légal à compter du 29 avril 2004 sur la somme de 9.006,37 euros et du 6 mai 2005 sur le surplus.
-Ordonné l'exécution provisoire et alloué à Mme [T] [I] la somme de 4.000 euros en ce compris les honoraires de ses médecins conseils, et à la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE, celle de 1.000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens conformément aux dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Mme [T] [I] épouse [W] a interjeté appel de cette décision et dans ses conclusions du 30 octobre 2012 demande à la cour de :
-confirmer la responsabilité du médecin et de la clinique impliquant leur condamnation in solidum, en ce qui concerne l'infection nosocomiale qui n'est plus discutée par les intimés,
- réformer le jugement qui a entériné purement et simplement le rapport d'expertise,
-constater le défaut d'information imputable au docteur [S] tant avant les interventions que postérieurement en ce qui concerne l'arthrodèse antérieure,
-dire que la victime n'est en rien responsable de la non réalisation de l'arthrodèse antérieure en mai 1995 car cette intervention ne faisait pas partie du protocole initial et que dans ce contexte difficile et complexe elle ne pouvait pas la subir sans une information claire, loyale et complète de la part de son chirurgien,
-retenir à l'encontre du docteur [S] un défaut d'information et de conseil à l'origine de la rupture du contrat de soins qui lui est totalement imputable,
-préalablement à l'évaluation définitive de son entier préjudice,
-ordonner une nouvelle expertise aux frais avancés du docteur [S] et de la cie AXA prenant en compte l'évolution de la situation à savoir une réintervention du 2 juin 2009 pour arthrodèse postérieure pour reposer le matériel d'ostéosynthèse qui a malheureusement échoué en raison de la pseudarthrose , conséquence directe de l'infection nosocomiale et d'autre part la cruralgie gauche résultant des interventions pratiquées par le docteur [S], dommages totalement occultés par les experts ,
-dire que les sommes allouées de 46 380 euros sont une provision à valoir sur le préjudice définitif et lui allouer une provision complémentaire de 20 000 euros,
-dire que l'expert recevra une mission complète et devra répondre aux questions suivantes:
°Etait-il nécessaire de procéder à l'enlèvement du matériel infecté avant de procéder à °l'arthrodèse antérieure'
°Quels étaient les risques de procéder à l'arthrodèse antérieure en mai 1995 en pleine infection'
°La cruralgie consécutive aux interventions est-elle en lien avec l'infection et/ou la correction angulaire du rachis et/ou avec 'le souci de démontage' rencontré par le docteur [S]'
°Donner à la cour tous éléments pour déterminer les responsabilités imputables à la clinique [8] et au docteur [S] et celles incombant au docteur [S] seul, en relation avec le fait générateur ayant abouti à la cruralgie,
Subsidiairement,
-Dire n'y avoir lieu à minorer l'IPP du fait de la non réalisation de l'arthrodèse antérieure qui n'est pas imputable à la victime,
-Retenir pour les séquelles de l'infection nosocomiale le taux de 15% y ajoutant, évaluer à 15% les séquelles en lien avec la cruralgie,
-Evaluer l'entier préjudice subi à 336 241,87 euros avec condamnation solidaire du docteur [S] et de la cie AXA soit:
- 5.243,87 euros au titre des frais divers restés à sa charge,
- 14.400 euros et 2.400 euros au titre de la perte de gains professionnels temporaires durant les périodes d'incapacité temporaire totale et d'incapacité temporaire partielle,
- 8.212 euros au titre de la tierce personne temporaire,
- 173.286 euros au titre du préjudice professionnel,
- 21 600 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
- 20 000 euros au titre des souffrances endurées,
-5 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire,
- 55 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent,
- 3 000 euros au titre du préjudice esthétique définitif,
- 8 000 euros au titre du préjudice d'agrément,
-lui donner acte de ses réserves de solliciter une expertise complémentaire pour apprécier les séquelles consécutives à l'intervention de juin 2009 qui est en lien direct avec l'infection nosocomiale.
-lui allouer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient pour l'essentiel que:
Sur la responsabilité:
-aucune information préalable ne lui a été délivrée dès l'origine sur un 3ème temps d'intervention lequel n'a pu être refusé par la patiente en toute connaissance de cause,
-surtout l'arthrodèse est devenue nécessaire à la suite de l'infection nosocomiale qui compromettait la prise de greffe du fait de la pseudarthrose et n'a été évoquée par le docteur [S] que lors du rendez-vous de janvier 1995 en raison de la pseudarthrose consécutive à l'infection,
-l'intervention programmée dès le mois de mars 1995 devait -elle être pratiquée si rapidement alors qu'il fallait peut être envisager de traiter l'infection en enlevant préalablement le matériel, ablation suivie d'une contention plâtrée comme le préconisait le docteur [V] de sorte que la non réalisation de l'intervention de mars 1995 ne peut lui être imputée, ni l'aggravation de son état du fait de la pseudarthrose basse de l'arthrodèse postérieure avec reprise du processus évolutif scoliotique, tout cela étant lié à l'infection nosocomiale,
Sur le rapport d'expertise:
Les experts ont retenu que l'IPP initiale pouvait être évaluée à 60%, que l'IPP actuelle était de 45% et qu'en l'absence de reprise du processus évolutif du fait de la pseudarthrose elle aurait été de 25 à 30% et que sur le différentiel d'incapacité entre le bénéfice escompté et l'état actuel de l'ordre de 15%, 5% sont imputables à la complication infectieuse,
-elle conteste ces conclusions et indique notamment que son état antérieur permettait une vie normale malgré le handicap, et que le taux d'IPP retenu aurait dû être de 15% et ne tient pas compte de la cruralgie chronique touchant la jambe gauche qui n'existait pas avant les interventions et alors que l'expertise ne s'est pas penchée sur la technique per opératoire des deux premières interventions.
Dans ses conclusions signifiées le 28 août 2012 et contenant appel incident le docteur [S] demande à la cour de :
-confirmer le jugement sauf en ce qui concerne l'évaluation du pretium doloris qu'il estime à 9 000 euros, du déficit fonctionnel permanent évalué à 4 750 euros et les frais restés à la charge de la victime pour la somme de 4 286,29 euros.,
-réformer la décision en ce que la mention figurant au dispositif de sa condamnation à : 'relever et garantir la société AXA ASSURANCES IARD à hauteur de la moitié des condamnations
prononcées contre elle tant en ce qui concerne le principal et les intérêts que l'indemnité allouée au titre des, frais irrépétibles et les dépens, et à régler les intérêts au taux légal sur les sommes versées par la société AXA ASSURANCES IARD excédant la part contributive de cette dernière, et ce, à compter du jour du versement et jusqu'à complet remboursement,'
ne saurait avoir pour conséquence de mettre à sa charge plus de la moitié des indemnités versées à Mme [I],
-il s'oppose à toute nouvelle mesure d'expertise.
il soutient pour l'essentiel que:
-la patiente avait été informée de la nécessité de réaliser une intervention lourde devant être pratiquée en deux temps, difficile tant sur le plan physique que psychologique,
- le fait qu'une troisième intervention soit utile en fonction de l'évolution de son état ne lui a jamais été dissimulé et a été confirmé en janvier 1995 lors d'une consultation en présence du professeur [C],
- cette opération avait été programmée pour le 13 mars 1995 mais n'a pas été effectuée en raison du refus de la patiente,
- [T] [I] n'avait pas d'autre choix que de subir l'intervention prescrite tant par lui-même que par le professeur [C], laquelle s'imposait compte tenu de son état
de santé et comportait plusieurs temps opératoires distincts,
- la rupture du contrat de soins apparaît comme la conséquence des difficultés de communication croissantes entre la mère de la patiente et le chirurgien ayant abouti à une perte de confiance mutuelle,
-il a exercé en post-opératoire une surveillance attentive de la patiente laquelle a préféré à partir du mois d'octobre 1995 ne plus s'adresser à lui et consulter d'autres praticiens qui ont agi conformément à ce qu'il avait préconisé,
- le retard apporté à l'envoi des résultats de l'antibiogramme en octobre 1995, qu'il reconnaît, n'a cependant pas eu d'incidence sur l'évolution ultérieure de l'état de santé de Mme [I].
Dans ses conclusions de rejet signifiées le 13 décembre 2012, il sollicite que soient écartées des débats les dernières pièces communiquées par l'appelante le 11 décembre 2012.
Dans ses conclusions signifiées le 28 novembre 2012, la cie AXA ASSURANCES IARD assureur de la Clinique [8] demande à la cour de:
-donner acte à la société AXA qu'elle s'en rapporte sur l'appréciation de l'arrêt à intervenir quant aux reproches formulés par Mme [T] [I] contre le docteur [S] au titre d'un défaut d'information, de conseil, de mauvais suivi médical et de rupture du contrat de soins,
-constater que Mme [T] [I] ne justifie pas sa critique du rapport d'expertise ,
-constater que l'évaluation du préjudice a été effectuée dans le respect du principe de la réparation intégrale ,
-constater que s'il y a matière à nouvelle mesure d'instruction aux frais avancés de Mme [I] c'est tout au plus pour apprécier l'évolution de son état de santé et de soins depuis le dépôt du rapport précédent et limiter la mission de l'expert à l'appréciation de l'aggravation constituée par l'infection nosocomiale ,
Subsidiairement sur le montant définitif de l'indemnisation:
-Définir la part du dommage imputable aux éventuels manquements médicaux du docteur [S]
dont il supportera seul la charge,
-dire et juger que l'indemnisation des conséquences de l'infection nosocomiale dont elle doit répondre en tant qu'assureur de la clinique sera répartie par moitié entre la clinique et le médecin
-rejeter la demande non fondée de la CPAM,
-évaluer le préjudice et prévoir une indemnité de 30 080 euros provision comprise,
-constater que la condamnation in solidum à intervenir à ce titre suppose ensuite la répartition de la charge indemnitaire par moitié entre le chirurgien et la clinique,
confirmant le jugement sur ce point,
-condamner le docteur [S] à garantir la société AXA ASSURANCES IARD assureur de la clinique [8] des sommes qui seraient déboursées par celle-ci en principal, intérêts, frais, dépens et/ou débours quelconques au profit de Mme [I] et/ou de la CPAM de [Localité 13] pour la fraction du dommage correspondant à des manquements médicaux retenus à la charge du docteur [S] si contre toute attente la condamnation correspondante intervient également contre l'établissement privé d'hospitalisation et son assureur ou pour plus de la moitié du préjudice causé par l'infection nosocomiale,
-condamner en conséquence le docteur [S] à garantir la société AXA de tous ses débours dès lors qu'ils excéderont la moitié de l'indemnisation de l'infection nosocomiale,
-dire et juger que cette condamnation à garantie emportera de plein droit le bénéfice des intérêts de droit au taux légal sur chaque débours excédentaire de la société AXA dès sa réalisation et jusqu'à complet remboursement,
-condamner Mme [I] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses conclusions signifiées le 15 mars 2012, la CPAM demande à la cour de confirmer le jugement, de lui donner acte qu'elle n'est pas opposée à une nouvelle expertise et sollicite la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE:
Sur les dernières pièces communiquées par Mme [I] le 10 décembre 2012 et dont le docteur [S] sollicite le rejet dans ses conclusions signifiées le 13 décembre 2012:
Considérant que les pièces numérotées 315 à 330 ont été communiquées tardivement de sorte que les intimées n'ont pu valablement présenté leurs observations à cet égard,
qu'il convient donc afin de respecter le principe du contradictoire de les écarter des débats.
Sur la responsabilité:
Sur l'infection nosocomiale:
Considérant que Mme [T] [I] a présenté dans les suites des interventions des 11 et 25 janvier 1994 réalisées par le docteur [S] à la clinique chirurgicale orthopédique [8] une infection dont le caractère nosocomial reconnu par les premiers juges n'est pas contesté en appel, étant rappelé que les dispositions de l'article L 1142-1 du code de la santé publiques issues de la loi du 4 mars 2002 ne sont pas applicables en l'espèce de sorte qu'il pèse sur le médecin et l'établissement de santé une obligation de sécurité résultat dont ils ne peuvent s'exonérer qu'en rapportant la preuve d'une cause étrangère qui n'est pas invoquée en l'espèce;
qu'il convient dès lors de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de la clinique et du docteur [S] dans l'infection nosocomiale dont s'est trouvée atteinte Mme [T] [I] à la suite des interventions pratiquées les 11 et 25 janvier 1994 et condamné in solidum l'assureur de l'établissement de soins et le médecin à réparer l'intégralité des conséquences dommageables de cette infection;
Sur les fautes invoquées à l'encontre du docteur [S]:
Sur le défaut d'information préalable relatif au troisième temps d'intervention par arthrodèse antérieure:
Considérant que Mme [T] [I] soutient à la fois que cette intervention n'est devenue nécessaire qu'en raison de l'infection nosocomiale survenue postérieurement aux interventions de janvier 1994 et également ne pas avoir été avisée de ce troisième temps d'intervention estimé justifié dès l'origine par les experts, lors de la mise en place du protocole de traitement;
Considérant que les experts concluent que l'arthrodèse antérieure qui permet de limiter les sollicitations postérieures en distraction de la greffe postérieure dont la conséquence naturelle est la survenue d'une fracture de fatigue, était justifiée, et que si la survenue d'une infection est un facteur susceptible de favoriser la pseudarthrose, ce facteur aurait été compensé par l'effet de l'arthrodèse antérieure, qu'ils indiquent également que dans le cas particulier de la chirurgie des déformations rachidiennes, la survenue d'une pseudarthrose est fréquente et ne semble pas significativement influencée par l'existence d'une infection et qu'en l'espèce cette évolution a reproduit l'évolution naturelle d'une arthrodèse postérieure réalisée lors de l'adolescence,
qu'ainsi il est démontré, sans qu'il soit nécessaire de recourir à une nouvelle expertise, que l'arthrodèse antérieure que le docteur [S] voulait réaliser en mars 1995 était justifiée indépendamment de l'existence de l'infection nosocomiale dont les experts retiennent le rôle minime dans la survenue de la pseudarthrose;
Considérant que le défaut d'information préalable relatif au troisième temps d'intervention par arthrodèse antérieure dont le docteur [S] n'apporte pas la preuve qu'il en a fait mention à sa patiente dès l'origine et antérieurement aux interventions de janvier 1994, n'a pas entraîné pour celle-ci une perte de chance de renoncer aux interventions et d'échapper ainsi aux risques réalisés, comme l'a justement relevé le tribunal, puisqu'en ce qui concerne l'infection nosocomiale consécutive aux deux premières interventions, la réparation intégrale des préjudices en lien avec cette infection est acquise et qu'en ce qui concerne la réalisation de l'arthrodèse antérieure, cette intervention n'a pas eu lieu et qu'il appartient dès lors à Mme [T] [I] non pas d'établir que l'absence d'intervention ne lui est pas imputable mais qu'elle résulte d'une faute commise par le praticien qui devrait alors en réparer les conséquences dommageables à savoir la reprise du processus évolutif scoliotique en raison de la pseudarthrose basse de l'arthrodèse postérieure.
Sur le défaut de conseil et la rupture du contrat de soins:
Considérant que la nécessité d'envisager le troisième temps opératoire consistant en une arthrodèse antérieure a été clairement exposée à Mme [T] [I] lors du rendez- vous organisé avec le docteur [S] le 16 janvier 1995 en présence de la mère de la patiente et du professeur [C];
que si, comme l'a pertinemment relevé le tribunal, une telle information pouvait légitimement conduire la patiente qui venait de subir deux interventions lourdes dont les suites infectieuses la faisaient toujours souffrir à s'interroger sur les bénéfices d'une nouvelle intervention et même à différer légèrement l'arthrodèse antérieure programmée dès le 15 mars 1995, force est de constater d'une part que les informations nécessaires et de nature à l'éclairer notamment sur les risques de cette intervention ont été délivrées à Mme [T] [I] par le docteur [S], relayé par le professeur [C] dans une longue lettre détaillée du 23 mai 1995 et d'autre part que le bien-fondé de cette intervention ne peut être remis en cause au vu des conclusions expertales ci-dessus rappelées;
qu'en outre le débat engagé entre les différents spécialistes alors consultés par Mme [I] notamment le professeur [C] et les docteurs [V] et [K] portait non pas sur la nécessité d'une telle intervention mais sur l'opportunité de procéder à l'enlèvement du matériel d'ostéosynthèse qu'il était finalement préconisé de maintenir en place entre 18 mois et deux ans malgré l'infection pour permettre la consolidation de la greffe;
que sur ce point les experts, répondant ainsi aux questions posées par Mme [T] [I] sur la nécessité d'enlever préalablement le matériel infecté et les risques de procéder à l'arthrodèse antérieure en mai 1995, indiquent que si la réalisation de l'arthrodèse antérieure a été retardée par la survenue de l'infection, le geste aurait pu être réalisé à distance de celle-ci et que la non réalisation du temps antérieur n'est pas imputable au docteur [S] qui n'a plus suivi la patiente après le 5 octobre 1995;
qu'en conséquence, et si dans un contexte de dégradation des relations entre la mère de la patiente et le docteur [S] rappelé par les premiers juges, ce dernier n'a pas rempli son devoir de conseil à l'égard de Mme [T] [I] en ne répondant pas aux interrogations qu'elle formulait dans ses lettres des 6 et 16 mars et des 10 avril et 16 mai 1995 et est, pour partie, à l'origine de la rupture du contrat de soins en octobre 1995, lui-même indiquant dans la lettre adressée à la mère de Mme [T] [I] le 7 juin 1995: 'vous comprendrez que je ne puis continuer d'apporter mon concours alors que vous mettez en cause la qualité des soins que j'ai prodigués à votre fille', ces fautes n'ont pas contribué à la non-réalisation de l'arthrodèse antérieure puisque Mme [T] [I], parfaitement informée, n'a cependant pas voulu programmer ultérieurement cette opération;
qu'enfin la négligence fautive reprochée à juste titre par Mme [T] [I] au docteur [S] et ayant consisté à transmettre à l'infectiologue les résultats de l'antibiogramme pratiqué sur un prélèvement réalisé en octobre 1995 avec un mois de retard , a certes participé à la rupture du contrat de soins mais ce retard n'est à l'origine d'aucun préjudice pour la patiente puisque , comme l'on rappelé les premiers juges, aucune antibiothérapie si adaptée soit-elle n'était en mesure de guérir l'infection tant que le matériel d'ostéosynthèse était en place;
Que le jugement qui a rejeté la demande de nouvelle mesure d'expertise ainsi que la demande tendant à voir déclarer le docteur [S] responsable des conséquences dommageables pour Mme [T] [I] de l'absence d'arthrodèse antérieure sera confirmé de ces chefs;
que sera également confirmée la décision du tribunal en ce qu'elle a dit que le docteur [S] et la société AXA ASSURANCES IARD seront tenus in solidum et que dans leurs rapports entre eux, chacun sera tenu à moitié des condamnations prononcées tant au titre du principal que des intérêts;
qu'enfin la décision sera confirmée en ce qu'elle a condamné le docteur [S] à relever et garantir la société AXA ASSURANCES IARD à hauteur de la moitié des condamnations prononcées contre elle tant en ce qui concerne le principal et les intérêts que l'indemnité allouée au titre des frais irrépétibles et les dépens, et à régler les intérêts au taux légal sur les sommes versées par la société AXA ASSURANCES IARD excédant la part contributive de cette dernière, et ce, à compter du jour du versement et jusqu'à complet remboursement,
le docteur [S] ne devant en toute hypothèse garantir la société AXA qu'à hauteur des sommes versées par elle qui excéderaient sa part contributive;
Sur les préjudices:
Considérant que Mme [T] [I] conteste les conclusions expertales tant en ce qui concerne son état antérieur que la prise en compte et l'évaluation des séquelles résultant des interventions du docteur [S];
que cependant les conclusions précises et motivées des docteurs [L] et [J] que les pièces régulièrement communiquées par l'appelante ne permettent pas de remettre en cause seront retenues pour apprécier les préjudices subis en lien avec la seule infection nosocomiale, étant précisé que pour la cruralgie gauche invoquée comme une conséquence des interventions de 1994 et qu'il est reproché aux experts d'avoir négligée, ces derniers ont conclu précisément en ce qui concerne la réalisation technique per opératoire qu'il n'a pas été constaté d'anomalie dans la réalisation des gestes chirurgicaux de 1994;
Considérant que pour solliciter un complément d'expertise Mme [T] [I] indique qu'elle a subi une nouvelle intervention par voie postérieure pratiquée par le docteur [K] en juin 2009 qui serait une conséquence de l'infection nosocomiale;
qu'elle verse aux débats le certificat établi le 9 juillet 2009 par le chirurgien qui l'a opérée, le docteur [K], qui indique avoir opéré Mme [T] [I] d'une reprise de scoliose pour pseudarthrose avec une arthrodèse lumbo-sacrée et intersomatique sur L2-L3 et L3-L4;
que les experts concluaient en avril 2008 qu': 'en raison de l'absence d'arthrodèse antérieure, la scoliose a repris son évolutivité, pouvant nécessiter la reprise du protocole thérapeutique initialement envisagé' et également que: 'comme dans toute infection ostéo- articulaire, on ne peut éliminer formellement une reprise du processus infectieux, même à très long terme';
qu'il résulte de ces conclusions que la reprise du protocole thérapeutique était envisagée par les experts uniquement comme consécutive à l'absence d'arthrodèse antérieure et non comme une conséquence possible de l'infection nosocomiale;
qu'enfin Mme [T] [I] ne soutient ni n'apporte d'éléments permettant de considérer que cette opération est intervenue dans un contexte de reprise du phénomène infectieux de sorte qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la mesure sollicitée;
Considérant que les docteurs [L] et [J] concluent à :
-une consolidation de la complication infectieuse au 14 février 1997,
-une ITT du 9 janvier 1994 au 1er juin 1996 puis du 14 novembre 1996 au 23 décembre 1996 et à une ITP à 50% du 2 juin 1996 au 1er février 1997, précisant qu'en l'absence de complication infectieuse , l'ITT aurait été de l'ordre d'un an,
-une IPP initiale de 60% et une IPP actuelle globale de 45% constituée par une pseudarthrose basse de l'arthrodèse postérieure avec reprise du processus évolutif scoliotique et de la symptomatologie douloureuse qui aurait été de 25 à 30% en l'absence de reprise du processus évolutif,
-une imputabilité du différentiel d'IPP retenu de 15% entre le bénéfice escompté et l'état actuel, à hauteur de 5% à la complication infectieuse,
-une absence de modification significative dans les activités exercées compte tenu de l'état initial,
-un pretium doloris dû à la complication infectieuse de 4,5/7,
-un préjudice esthétique dû à l'élargissement de la cicatrice à sa partie basse de 1/7,
-une absence de préjudice d'agrément .
Considérant qu'au vu de l'ensemble des éléments produits aux débats et des conclusions des experts ci-dessus rappelées les préjudices subis par Mme [T] [I] épouse [W] née le [Date naissance 2] 1971 seront réparés comme suit:
I Préjudices patrimoniaux:
A) Préjudices patrimoniaux temporaires:
-dépenses prises en charge par la CPAM de [Localité 13]: 14 788,72 euros
Considérant que la CPAM justifie poste par poste des dépenses engagées en lien
direct avec l'infection nosocomiale subie par Mme [I];
-dépenses demeurées à la charge de l'intéressée: 2 826,53 euros
Considérant qu'à l'exception des honoraires des médecins conseil qui relèvent, comme l'a justement retenu le tribunal, des frais irrépétibles et du dépassement d'honoraires du docteur [S] dont les soins étaient justifiés et conformes aux règles de l'art, ce chef de préjudice justifié pour les autres postes sera indemnisé à hauteur de cette somme;
-perte de gains professionnels actuelle:
Considérant d'une part que l'indemnisation ne pourrait couvrir l'intégralité de la période d'incapacité puisqu' indépendamment de la complication infectieuse, les interventions de janvier 1994 adaptées au traitement de l'état antérieur de [T] [I] devaient entraîner une ITT d'un an qu'il conviendrait de déduire de ce poste de réclamations, et que d'autre part les pertes de revenus imputables à l'infection nosocomiale ne sont pas justifiées en raison de l'état de santé antérieur de la patiente et de son taux d'incapacité reconnu par la COTOREP à hauteur de 80% depuis avril 1992 lui permettant de percevoir l'allocation Adulte handicapé ,
que ce chef de demande sera rejeté;
-tierce personne temporaire:
Considérant qu'il n'en a pas été fait état devant les experts et qu'il n'est pas justifié que cette assistance soit strictement imputable aux conséquences de l'infection nosocomiale de sorte que ce chef de demande sera rejeté;
B)Préjudices patrimoniaux permanents:
préjudice professionnel futur:
Considérant que l'état de santé antérieur de [T] [I], l'évolution de sa maladie sans lien avec la complication infectieuse ainsi que le taux d'incapacité imputable à celle-ci évalué à 5% par les experts ne permettent pas de retenir l'existence d'un préjudice professionnel futur en lien de causalité avec l'infection nosocomiale de sorte que ce chef de demande sera rejeté.
II Préjudices extra patrimoniaux:
A) Préjudices extra patrimoniaux temporaires:
-déficit fonctionnel temporaire: 13 380 euros
Considérant que pour évaluer ce poste de préjudice le tribunal retient à bon droit
que sans tenir compte de l'incapacité ayant résulté des suites normales des interventions chirurgicales de janvier 1994 estimées à un an par les experts, Mme [T] [I] a subi des troubles dans ses conditions d'existence qu'il convient de réparer à hauteur de cette somme qui représente sur la base unitaire de 20 euros l'indemnisation de 547 jours en totalité et de 244 jours pour moitié;
-souffrances endurées: 25 000 euros
Considérant que les souffrances subies évaluées par les experts à 4,5/7 en raison des traitements antibiotiques prolongés, des soins locaux mais aussi des souffrances morales et du risque de réveil infectieux en cas de nouvelle intervention seront valablement réparées par l'allocation de la somme de 25 000 euros;
-préjudice esthétique temporaire: 1 000 euros
Considérant que le préjudice esthétique temporaire lié à l'apparition des abcès du dos sera valablement indemnisé par l'allocation d'une telle somme.
B) Préjudices extra patrimoniaux permanents:
déficit fonctionnel permanent: 10 000 euros
Considérant que les experts ont estimé à 5% les séquelles imputables à la complication infectieuse et que compte tenu de l'âge de [T] [I] (26 ans) lors de la consolidation de son état il lui sera alloué une telle somme en réparation de son préjudice;
préjudice esthétique permanent: 1 000 euros
Considérant que le préjudice esthétique permanent résultant de l'élargissement de la cicatrice à sa partie basse consécutif à l'infection nosocomiale évalué à 1/7 par les experts sera valablement indemnisé par l'octroi d'une telle somme;
préjudice d'agrément:
Considérant qu'il n'est pas démontré de préjudice d'agrément spécifique en relation de causalité avec les conséquences de l'infection comme l'ont d'ailleurs conclu les experts autre que celui déjà indemnisé dans le cadre du déficit fonctionnel temporaire de sorte que ce chef de demande sera rejeté;
préjudice moral exceptionnel:
Considérant que le préjudice moral a été pris en compte pour fixer l'indemnité allouée au titre des souffrances endurées de sorte que ce chef de demande sera rejeté;
Considérant que l'équité commande d'allouer à Mme [T] [I] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à la CPAM de [Localité 13] celle de 1 500 euros;
Vu l'article 699 du code de procédure civile;
PAR CES MOTIFS:
Statuant publiquement, par décision réputée contradictoire;
-Dit que les pièces numérotées 315 à 330 communiquées tardivement par Mme [T] [I] doivent être écartées des débats,
-Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf sur le quantum de la condamnation prononcée contre le docteur [S] et la société AXA ASSURANCES IARD au profit de Mme [T] [I] épouse [W];
-Condamne le docteur [S] et la société AXA ASSURANCES IARD à payer à Mme [T] [I] épouse [W] la somme de 53 206,53 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt qui se décompose comme suit:
dépenses demeurées à la charge de l'intéressée: 2 826,53 euros déficit fonctionnel temporaire: 13 380 euros
souffrances endurées: 25 000 euros
préjudice esthétique temporaire: 1 000 euros
déficit fonctionnel permanent: 10 000 euros
préjudice esthétique permanent: 1 000 euros
Y ajoutant,
-Condamne in solidum le docteur [S] et la société AXA ASSURANCES IARD à payer à Mme [T] [I] épouse [W] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-Condamne in solidum le docteur [S] et la société AXA ASSURANCES IARD à payer à la CPAM de [Localité 13] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-Condamne in solidum le docteur [S] et la société AXA ASSURANCES IARD aux dépens de la procédure d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
-Rejette le surplus des demandes.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT