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14/12/2012 | FRANCE | N°10/18295

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 2, 14 décembre 2012, 10/18295


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRÊT DU 14 DÉCEMBRE 2012



(n°2012- , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 10/18295



Sur renvoi après un arrêt de la Cour de Cassation (arrêt n° 856 FS S-D) en date du 06 mai 2010 emportant cassation partielle d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris ( 2ème Chambre-Section B) en date du 16 octobre 2008, RG n° 07/02874 sur appel d'

un jugement du Tribunal d'Instance de PAPEETE (TAHITI) en date du 20 octobre 2004- RG n° 03/00117





DEMANDEURS:



LA RÉPUBLIQUE DE CHINE

représentée p...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 2

ARRÊT DU 14 DÉCEMBRE 2012

(n°2012- , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/18295

Sur renvoi après un arrêt de la Cour de Cassation (arrêt n° 856 FS S-D) en date du 06 mai 2010 emportant cassation partielle d'un arrêt de la Cour d'appel de Paris ( 2ème Chambre-Section B) en date du 16 octobre 2008, RG n° 07/02874 sur appel d'un jugement du Tribunal d'Instance de PAPEETE (TAHITI) en date du 20 octobre 2004- RG n° 03/00117

DEMANDEURS:

LA RÉPUBLIQUE DE CHINE

représentée par le Ministère des affaires étrangères

agissant en la personne de son ministre Monsieur [L] [X]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

TAIWAN (RÉPUBLIQUE DE CHINE)

représentée par la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES (Me Anne-laure GERIGNY) (avocats au barreau de PARIS, toque : K0148)

assistée de Maître Guillaume SELNET, plaidant pour L'AARPI SELNET FISCHER (avocats au barreau de PARIS, toque : J87)

COMITÉ DE SAUVEGARDE DES BIENS MEUBLES ET IMMEUBLE DU CONSULAT GENERAL DE LA RÉPUBLIQUE DE CHINE

représenté par son Président

[Adresse 8]

[Adresse 8]

TAHITI (POLYNESIE FRANCAISE)

LE KUO MIN TANG DIT KOO MEN TONG 1

[Adresse 9]

[Localité 7]

TAHITI (POLYNÉSIE FRANÇAISE)

LE KUO MEN TONG DIT KOO MEN TONG 2

[Adresse 10]

[Localité 7]

TAHITI (POLYNÉSIE FRANÇAISE)

LE KUO MIN TANG D'UTUROA DIT KOO MEN TONG 3

[Adresse 12]

[Adresse 12]

[Adresse 12]

représentés par la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES (Me Anne-laure GERIGNY) (avocats au barreau de PARIS, toque : K0148)

assistés de Maître Jean-Dominique DES ARCIS (avocat au barreau de PAPEETE)

DÉFENDERESSES:

LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE

représentée par son Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire de la République Populaire de Chine en France

[Adresse 2]

[Adresse 2]

L'ASSOCIATION PHILANTROPIQUE CHINOISE

[Adresse 1]

[Adresse 1] (POLYNÉSIE FRANÇAISE)

représentées et assistées par Maître François FROMENT-MEURICE (avocat au barreau de PARIS, toque : P0049)

COMPOSITION DE LA COUR :

Madame Françoise MARTINI ayant été préalablement entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Novembre 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :

Anne VIDAL, Président de chambre

Françoise MARTINI, Conseillère

Marie-Sophie RICHARD, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : M. Narit CHHAY

MINISTÈRE PUBLIC: qui a eu communication du dossier et a fait part de ses conclusions écrites en date du 28 février 2012, le 1er mars 2012.

ARRÊT :

- contradictoire

- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et par Guénaëlle PRIGENT, Greffier.

***

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte du 25 juin 1946 publié le 29 juin 1946 à la conservation des hypothèques de [Localité 7], la République de Chine faisait l'acquisition de la propriété d'une parcelle de 39 ares 85 centiares de la terre Arupa située à [Localité 7], sur laquelle elle édifiait un bâtiment qui a servi de siège à son consulat de 1950 à 1965.

Par jugement du 19 avril 1978, le tribunal civil de première instance de Papeete disait que la parcelle et l'immeuble qui y était édifié appartenaient au Comité de sauvegarde des biens meubles et immeubles du consulat général de la République de Chine ès qualités et ordonnait la transcription du jugement à la conservation des hypothèques de Papeete, formalité accomplie le 22 novembre 1978.

Le 1er septembre 2003, la République populaire de Chine formait tierce opposition à cette décision. Par jugement du 20 octobre 2004, le tribunal civil de première instance de Papeete rétractait le jugement du 19 avril 1978 et disait que la République populaire de Chine était propriétaire de la parcelle.

Appel de ce jugement était interjeté par le Comité de sauvegarde des biens meubles et immeubles du consulat général de la République de Chine, par la République de Chine défaillante en première instance, ainsi que par les associations Kuo Min Tang 1, 2 et 3 intervenues volontairement à l'instance.

Sur requête en suspicion légitime, la cour d'appel de Paris était désignée par arrêt de la Cour de cassation du 28 avril 2006 pour connaître de cet appel.

Par arrêt du 16 octobre 2008 , la cour d'appel de Paris disait recevable l'appel de la République de Chine, disait irrecevables les interventions volontaires des associations Kuo Min Tang 1, 2 et 3, et infirmait le jugement du tribunal civil de première instance de Papeete du 20 octobre 2004. Statuant à nouveau, elle disait irrecevable pour défaut d'intérêt à agir la tierce opposition formée par la République populaire de Chine contre le jugement du 19 avril 1978. Pour statuer ainsi, elle retenait que la parcelle avait perdu son statut consulaire depuis 1965 et que la coexistence de deux Etats chinois reconnus par la France s'était perpétuée jusqu'en 1994, de sorte que la République populaire de Chine ne pouvait prétendre à aucun droit sur le terrain litigieux au jour du prononcé du jugement qui avait reconnu sa propriété au Comité de sauvegarde.

Par arrêt du 6 mai 2010, la Cour de cassation cassait l'arrêt de la cour d'appel de Paris, mais seulement en ce qu'il avait dit irrecevable la tierce opposition formée par la République populaire de Chine contre le jugement du 19 avril 1978, pour violation de l'article 363 du code de procédure civile de la Polynésie française, alors que l'existence du droit invoqué par la République populaire de Chine n'était pas une condition de recevabilité de la tierce opposition mais de son succès. Elle renvoyait les parties devant la même cour autrement composée.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 10 mai 2012, la République de Chine conclut à l'irrecevabilité de la tierce opposition exercée par la République populaire de Chine, entendant faire juger que la décision du 19 avril 1978 se bornant à prendre acte de l'accord par lequel Taïwan a acquiescé à la revendication de la propriété de l'immeuble par ses ressortissants constitue un 'contrat judiciaire' insusceptible de tierce opposition, et que la demande de la République populaire de Chine visant à se faire reconnaître propriétaire du terrain litigieux excède les limites de la saisine du juge de la tierce opposition au sens de l'article 362 du code de procédure civile de la Polynésie française, s'agissant d'un point qui n'a pas été jugé par la décision attaquée.

Sur le fond, elle soutient que le jugement du 19 avril 1978 attaqué ne fait pas préjudice aux droits de la République populaire de Chine au sens de l'article 363 du code de procédure civile de la Polynésie française, puisque cette décision ne fait pas obstacle à l'exercice par Pékin d'une action en revendication. Elle soutient également avoir pu disposer du bien à travers le contrat judiciaire invoqué puisque, en perdant son statut consulaire en 1965, la terre d'Arupa est devenu un bien relevant du domaine privé de Taïwan, sujet de droit dans l'ordre judiciaire, qu'elle peut se prévaloir de la prescription abrégée de l'ancien article 2265 du code civil lui faisant acquérir la propriété du terrain vingt ans après la fondation de la République populaire de Chine soit le 1er octobre 1969, et que la terre d'Arupa a été acquise en 1946 pour le compte des associations chinoises de Polynésie aujourd'hui représentées par le comité de sauvegarde, qui ont financé l'opération dans le cadre d'un accord de prête-nom, ou d'une donation sous la condition résolutoire de la fermeture du consulat, survenue en 1965. Elle conclut donc à l'infirmation du jugement du 29 octobre 2004 déféré. Subsidiairement, elle demande de juger que par l'effet de la rétractation du jugement du 19 avril 1978 la République de Chine est demeurée propriétaire du terrain, et de débouter la République populaire de Chine en la renvoyant à mieux se pourvoir quant à sa revendication de la propriété du terrain litigieux.

Elle sollicite la condamnation de la République populaire de Chine à lui verser la somme de 100 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au versement d'une amende civile.

Par conclusions signifiées le 17 octobre 2012, le Comité de sauvegarde des biens meubles et immeubles du consulat général de la République de Chine et les associations Kuo Min Tang 1, 2 et 3 demandent de dire qu'ils ont intérêt et qualité à agir dans la mesure où la République populaire de Chine entend remettre en cause le titre de propriété constitué par le jugement du 19 avril 1978, de mettre le jugement à néant et de débouter la République populaire de Chine de toutes ses demandes. Ils soulèvent l'irrecevabilité de la tierce opposition, soutenant qu'elle est tardive, puisqu'en l'absence de stipulation de délai pour y procéder dans le code de procédure civile de la Polynésie française elle devait être faite dans le délai de vingt ans de la transcription du titre en application de l'article 2265 du code civil, soit au plus tard le 22 novembre 1998 ; que la République populaire de Chine ne rapporte pas la preuve que le jugement du 19 avril 1978 lui fait préjudice puisqu'elle n'a jamais eu de possession consulaire à Tahiti ; qu'elle n'avait pas à être appelée à la procédure puisque la France considérait jusqu'en 1994 qu'il y avait deux gouvernements chinois, l'un à [Localité 11], l'autre à Pékin ; et que la tierce opposition de la République populaire de Chine ne permet pas à la juridiction saisie de statuer sur la revendication de la propriété de la terre Arupa comme excédant les limites de sa saisine.

Sur le fond, ils font valoir que la République populaire de Chine n'a jamais été propriétaire de la terre Arupa acquise au nom de la République de Chine, laquelle a acquiescé au transfert de propriété au profit du comité de sauvegarde. Dans l'hypothèse où le transfert de propriété de la terre Arupa ne serait pas reconnu valable, ils soutiennent que le comité de sauvegarde en est devenu propriétaire au plus tard le 20 avril 1998 vingt ans après le jugement de 1978 attaqué par application de l'article 2265 du code civil, et demandent une enquête sur les conditions d'une prescription acquisitive par le comité de sauvegarde et la République de Chine. Si la cour considérait que la donation de deniers par les membres de la communauté chinoise de Polynésie française a été faite à la République de Chine pour l'achat de la terre Arupa, et non au comité de sauvegarde, ils entendent faire juger que, conformément au droit coutumier et au concept du farii-hau, la parcelle est redevenue la propriété de la communauté chinoise représentée par le comité de sauvegarde dès sa cessation d'affectation à l'usage de consulat de la République de Chine. Enfin, si le jugement du 19 avril 1978 était mis à néant ou si le comité de sauvegarde n'était pas reconnu propriétaire, ils demandent de dire que la République de Chine est toujours propriétaire, que ce soit par son titre d'achat de 1946 ou par usucapion au 2 octobre 1969, c'est-à-dire vingt ans après la fondation de la République populaire de Chine en 1949, et avait donc le droit d'en disposer comme elle l'entendait au profit notamment du comité de sauvegarde.

Ils sollicitent la condamnation de la République populaire de Chine à verser au Comité de sauvegarde des biens meubles et immeubles du consulat général de la République de Chine les sommes de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts  pour le préjudice moral que lui cause l'action, outre celle de 100 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions signifiées le 7 novembre 2012, la République populaire de Chine demande de déclarer irrecevables les interventions volontaires des associations Kuo Min Tang 1, 2 et 3 en vertu du caractère limité de l'effet dévolutif de la tierce opposition dès lors que les associations n'étaient ni présentes ni représentées lors du jugement du 19 avril 1978, de rejeter les fins de non recevoir opposées à son action par la République de Chine, de confirmer le jugement du 20 octobre 2004, et de prononcer la condamnation solidaire de la République de Chine, du Comité de sauvegarde des biens meubles et immeubles du consulat général de la République de Chine et des associations Kuo Min Tang 1, 2 et 3 à lui verser la somme de 50 000  euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur la recevabilité de la tierce opposition, elle relève que le jugement attaqué, même s'il a constaté l'acquiescement de la République de Chine à la propriété de la parcelle transférée au comité de sauvegarde, est une décision de nature juridictionnelle pouvant faire l'objet du recours et non un 'contrat judiciaire', que son intérêt à agir se déduit du fait que ce jugement statuant sur la propriété d'une parcelle dont elle se prétend elle-même propriétaire a porté atteinte à ses droits, et que le délai de prescription ne peut être confondu avec le délai pour agir lequel est celui du droit commun de trente ans.

Sur le fond, elle demande la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu le principe de continuité de l'Etat chinois, dont le gouvernement basé à Pékin a été reconnu par la France et qui avait seul qualité en 1978 pour exercer le droit de propriété de la parcelle dépendant de son patrimoine de sorte que le comité de sauvegarde ne pouvait agir en revendication contre Taiwan, et en ce qu'il a également considéré que la collecte réalisée auprès de la communauté chinoise de Tahiti pour financer l'achat de la parcelle constituait une libéralité à l'Etat chinois. Elle ajoute que les conditions de la prescription acquisitive ne sont pas réunies en l'absence de prétention concurrente à la propriété incontestable de l'Etat chinois, que le délai pour prescrire ne pouvait débuter qu'à partir de la reconnaissance par la France en 1964 de la République populaire de Chine jusque là dans l'impossibilité d'agir, et que Taïwan, qui a abandonné le bâtiment en 1965 avant d'acquiescer à la demande du comité de sauvegarde en 1978, ne s'est donc pas comporté comme propriétaire de manière publique et continue pendant trente ans, voire vingt ans en retenant le délai abrégé. Elle observe encore que la République de Chine n'a pu acquérir pour le compte du comité de sauvegarde en vertu d'une convention de prête-nom, contraire au contenu de l'acte de vente et inopposable aux tiers, et alors que le comité, seulement constitué le 18 juin 1997 en une association déclarée le 3 juillet 1997, était jusqu'alors dépourvu de la personnalité morale. Elle relève enfin que la demande de restitution de la parcelle à la République de Chine constitue une demande nouvelle irrecevable en appel, et que la cour ne pourra que confirmer le jugement de 2004 qui reconnaît la propriété de la Chine ou le réformer ce qui entraînera la confirmation du jugement de 1978 qui a reconnu la propriété du comité de sauvegarde.

Par conclusions signifiées le 9 octobre 2012, l'Association philanthropique chinoise fait siennes les conclusions de la République populaire de Chine, entendant faire déclarer irrecevables les interventions volontaires des associations Kuo Min Tang 1, 2 et 3, rejeter les fins de non recevoir opposées à la tierce opposition de la République populaire de Chine, confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 20 octobre 2004, débouter les appelants de toutes leurs demandes reconventionnelles, et condamner le Comité de sauvegarde des biens meubles et immeubles du consulat général de la République de Chine, la République de Chine, et les associations Kuo Min Tang 1, 2 et 3 à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le parquet général a conclu le 1er mars 2012, aux fins de confirmation du jugement du 20 octobre 2004. Il estime que les questions posées par le recours ont bien été évoquées par le jugement attaqué de sorte que la tierce opposition est recevable, que le terrain est aujourd'hui la propriété de la République populaire de Chine dans la mesure où, d'une part, la France la considère comme ayant succédé à la République de Chine et où, d'autre part ni Taïwan ni le comité de sauvegarde ne parviennent à établir qu'ils ont acquis ce terrain par usucapion. Il souligne à ce titre que la prescription abrégée de l'ancien article 2265 du code civil suppose une condition de bonne foi qui n'est pas remplie, compte tenu de l'incertitude qui pesait sur l'existence légale de Taïwan au regard du droit international.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de l'intervention volontaire des associations Kuo Min Tang

L'effet dévolutif de la tierce opposition étant limité à la remise en question des

points jugés au profit du tiers qui l'attaque, les associations Kuo Min Tang 1, 2 et 3 qui n'étaient ni présentes ni représentées à l'instance ayant abouti au jugement du tribunal civil de première instance de Papeete du 19 juillet 1978 sont irrecevables à intervenir volontairement à l'instance en tierce opposition. L'arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 octobre 2008 s'est prononcé en ce sens, sans qu'aucun moyen du pourvoi exercé à son encontre n'ait critiqué cette disposition. La solution est donc définitive sur ce point.

Sur la recevabilité de la tierce opposition formée par la République populaire de Chine

Suivant les dispositions de l'article 363 du code de procédure civile de la Polynésie française, ceux qui veulent s'opposer à un jugement ou une ordonnance auxquels ils n'ont pas été appelés et qui préjudicient à leurs droits peuvent former tierce opposition.

La décision attaquée du 19 avril 1978 ne peut être qualifiée de contrat judiciaire insusceptible de recours comme le soutient la République de Chine, alors que le tribunal ne s'est pas borné à constater l'existence d'un accord des parties. Il s'est au contraire prononcé sur le bien fondé de la demande de reconnaissance de propriété à laquelle acquiesçait la République de Chine, après avoir analysé, en fait et en droit, la prétention du comité de sauvegarde tirée du financement de l'acquisition et de la construction sur les deniers de la communauté chinoise qu'il déclarait représenter. Exerçant son pouvoir juridictionnel, il a admis la demande qui lui était soumise en se fondant sur le redressement d'une vente simulée suivant la thèse d'un accord de prête-nom soutenue par le demandeur, ou encore sur la révocation d'une donation, par référence au droit coutumier. Par son jugement, il a également écarté les 'voeux' de la République de Chine qui lui étaient présentés, refusant de les transformer en conditions de la restitution du fonds au motif qu'elles contrevenaient au principe de libre disposition de la propriété. Il a enfin ordonné la transcription du jugement à la conservation des hypothèques, indispensable à l'efficacité du transfert de propriété du bien. Dès lors, la décision attaquée est bien susceptible de tierce opposition.

Le délai pour agir en tierce opposition ne peut être celui de vingt ans édicté par l' article 2265 ancien du code civil comme le prétend le comité de sauvegarde, ce texte énonçant un délai abrégé de la prescription acquisitive de la propriété en faveur de l'acquéreur de bonne foi et non un délai de procédure dans lequel un tiers peut être admis à exercer une voie de recours. A défaut de délai fixé par le code de procédure civile de la Polynésie française pour agir en tierce opposition, il doit y être suppléé, selon l'article 1026 du même code, par les règles du code de procédure civile métropolitain dans sa rédaction en vigueur au 1er mars 2001. Le délai de trente ans prévu par l'article 586 du code de procédure civile métropolitain doit en conséquence recevoir application. Au jour de la tierce opposition formée le1er septembre 2003, moins de trente ans s'étaient écoulés depuis le jugement attaqué du 19 avril 1978, de sorte que le délai de recours se trouve bien observé.

A la date du recours en tierce opposition où les conditions de recevabilité doivent être appréciées, la République populaire de Chine, dont le gouvernement avait été reconnu par la France comme l'unique gouvernement légal de la Chine dans une déclaration conjointe du 12 janvier 1994, et qui envisageait l'ouverture d'un établissement consulaire à [Localité 7] suivant un accord du 3 avril 1998 visé dans un échange de correspondances avec l'ambassade de France du 18 juillet 2005, détenait un intérêt, actuel, et distinct de celui des autres parties, à faire valoir le droit de propriété qu'elle allègue. Selon la position qu'elle soutient, la propriété qui devait lui être dévolue en vertu du principe de continuité de l'Etat chinois faisait qu'elle seule devait jouir et disposer du patrimoine acquis par la République de Chine et avait donc qualité pour prendre position sur l'action en reconnaissance de propriété du comité de sauvegarde. Dès lors, le jugement du 19 avril 1978 qui a reconnu au bénéfice du comité de sauvegarde la propriété de la parcelle acquise en 1946 par la République de Chine, a nécessairement fait préjudice aux droits dont elle se prévaut, au sens de l'article 363 précité.

N'ayant pas été appelée à la procédure qui a abouti à ce jugement, elle est recevable à exercer la voie de recours l'autorisant à développer les moyens qu'elle aurait été en mesure de faire valoir si elle était intervenue à l'instance avant que la décision ne fût rendue. Ces moyens qui tendent à la reconnaissance de la qualité de propriétaire nécessaire pour combattre la prétention du comité de sauvegarde, notamment en contestant la validité de l'accord de prête-nom invoqué devant le tribunal civil de première instance de Papeete, s'inscrivent bien dans l'objet du litige.

Le jugement du tribunal civil de première instance de Papeete du 20 octobre 2004 sera en conséquence confirmé en ce qu'il a jugé recevable la tierce opposition de la République populaire de Chine.

Sur le fond

Aux termes de l'article 362 du code de procédure civile de la Polynésie française, identique à l'article 582 du code de procédure civile métropolitain, la tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l'attaque. Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit. L'article 591 du code de procédure civile métropolitain précise que la décision qui fait droit à la tierce opposition ne rétracte ou ne réforme le jugement attaqué que sur les chefs préjudiciables au tiers opposant.

La finalité du recours étant de remettre le tiers opposant en position semblable à celle qui aurait été la sienne s'il était intervenu à l'instance ayant abouti au jugement critiqué, la question de la propriété immobilière remise en cause par cette voie doit être appréciée à la date de la décision prononcée le 19 avril 1978.

A cette date, le principe de continuité de l'Etat chinois, invoqué par la République populaire de Chine comme procédant de la reconnaissance par la France en 1964 d'un nouveau titulaire de la représentation internationale de la Chine, doit être jugé sans effet sur l'exercice du droit de propriété relatif à la parcelle. En effet, le communiqué franco-chinois du 27 janvier 1964 annonce uniquement l'établissement de relations diplomatiques entre la France et la République populaire de Chine, mais pas la rupture des relations entretenues avec la République de Chine, intervenue seulement à l'initiative de cette dernière en 1965. La République de Chine a pu continuer à agir devant les juridictions françaises et conclure des accords commerciaux avec la France, de sorte qu'elle a implicitement mais nécessairement été reconnue comme sujet de droit. Après la fermeture par la République de Chine le 2 septembre 1965 de son consulat établi dans le bâtiment édifié sur la parcelle, le bien immobilier a définitivement perdu son statut diplomatique à défaut de reprise des locaux pour ce même objet par la République populaire de Chine. Ce bien, acquis sur des fonds privés collectés par la communauté chinoise de Tahiti et non sur les deniers publics de l'Etat chinois ainsi qu'en justifie le comité de sauvegarde à travers notamment une attestation de M [O], et situé hors du territoire sur lequel l'Etat chinois exerce sa souveraineté, est demeuré dans le patrimoine privé de la République de Chine, ceci conformément à son titre régulièrement publié en 1946, sans qu'il y ait lieu de rechercher si la propriété a pu être acquise par la prescription énoncée par l'article 2265 ancien du code civil.

Dès lors, la République populaire de Chine est mal fondée à remettre en cause par la voie de la tierce opposition le jugement du tribunal civil de première instance de Papeete du 19 avril 1978 qui s'est prononcé sur la demande d'attribution de la propriété du bien litigieux dirigée par le comité de sauvegarde contre la République de Chine, de sorte que la décision attaquée devra produire son plein et entier effet.

Le jugement du tribunal civil de première instance de Papeete du 20 octobre 2004 qui a rétracté la décision du 19 avril 1978 et dit que la République populaire de Chine était propriétaire de la parcelle de 39 ares 85 centiares de la terre Arupa située à Papeete sera en conséquence infirmé.

Le droit à agir n'a pas dégénéré en abus justifiant l'allocation de dommages et intérêts.

L'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, sur renvoi après cassation,

Constate que les interventions volontaires des associations Kuo Min Tang 1, 2 et 3 ont été déclarées irrecevables par arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 octobre 2008, définitif sur ce point,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a jugé recevable la tierce opposition de la République populaire de Chine,

L'infirme en ce qu'il a rétracté le jugement du tribunal civil de première instance de Papeete du 19 avril 1978 et en toutes ses autres dispositions,

Dit en conséquence que le jugement du tribunal civil de première instance de Papeete du 19 avril 1978 produira son plein et entier effet,

Condamne la République populaire de Chine aux dépens exposés en première instance et en appel, qui pourront être directement recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs autres demandes.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 10/18295
Date de la décision : 14/12/2012

Références :

Cour d'appel de Paris C2, arrêt n°10/18295 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-12-14;10.18295 ?
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