COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 21 NOVEMBRE 2012
(no 283, 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 12/ 01500
Décision déférée à la Cour : Ordonnance
Ordonnances du 11 janvier 2012- Juge de la mise en état TGI de PARIS RG 11/ 07625 et
RG 11/ 13701
APPELANTS
Madame Annick X... née Y...
...
75016 PARIS
Madame Hélène Z... née Y...
...
29000 CROZON
Monsieur Louis Y...
...
75116 PARIS
Monsieur Henri Y...
...
06250 MOUGINS
Monsieur Olivier Y...
...
75016 PARIS
Monsieur Stéphane Y...
...,...
06250 MOUGINS
Mademoiselle Emmanuelle Y...
...,...
06250 MOUGINS
représentés et assistés de Me MELUN (avocat au barreau de PARIS, toque : J 139) et de la AARPI THIERRY LEVY & ASSOCIES (Me Thierry LEVY et Me Hugo LEVY) (avocats au barreau de PARIS, toque : P0507)
INTIMES
Fédération FÉDÉRATION DES TRAVAILLEURS DE LA MÉTALLURGIE CGT
Case 433-263, rue de Paris
93514 Montreuil cedex
Association ASSOCIATION CONTRE TOUTE REVISION DE L'ORDONNANCE No45-68 DU 16 JANVIER 1945 (ESPRIT DE RESISTANCE)
47, avenue Mathurin Moreau
75019 PARIS
représentées et assistées de Me François LAFFORGUE (avocat au barreau de PARIS, toque : C1286) et de la SCP TEISSONNIERE ET ASSOCIES (Me Jean-Paul TEISSONNIERE) (avocats au barreau de PARIS, toque : C 304)
Association FEDERATION NATIONALE DES DEPORTES ET INTERNES RESI FNDIRP Fédération agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualit & é audit siége
10 rue Leroux 75116
75116 PARIS
représentée et assistée de Me Nathalie HERSCOVICI de la SELARL SELARL HJYH Avocats à la cour (avocat au barreau de PARIS, toque : L0056) et de la SCP LEVY-GOSSELIN-MALLEVAYS-SALAUN (Me Xavier GOSSELIN) (avocats au barreau de PARIS, toque : P 0126)
L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR PUBLIC
actuellement AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT
Bâtiment Condorcet-TELEDOC 331-6, rue Louise Weiss
75703 PARIS CEDEX
représenté et assisté de la SCP NORMAND & ASSOCIES (Me Xavier NORMAND BODARD) (avocats au barreau de PARIS, toque : P 0141)
Le MINISTÈRE PUBLIC
pris en la personne de
Monsieur LE PROCUREUR GÉNÉRAL
près la Cour d'Appel de PARIS
élisant domicile en son parquet
au Palais de Justice
34 Quai des Orfèvres
75001 PARIS
représenté à l'audience par Madame M. ESARTE, avocat général, qui a développé les conclusions écrites et l'avis du Ministère Public
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 18 septembre 2012, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur Jacques BICHARD, Président
Madame Maguerite-Marie MARION, Conseiller
Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Noëlle KLEIN
MINISTERE PUBLIC
représenté à l'audience par Madame M. ESARTE, avocat général, qui a développé les conclusions écrites et l'avis du Ministère Public déposés par Madame ARRIGHI de CASANOVA, avocat général
ARRET :
- rendu publiquement par Monsieur Jacques BICHARD, Président
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Jacques BICHARD, Président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Par ordonnance n° 45-68 du 16 janvier 1945, portant nationalisation des usines Renault, modifiée par l'ordonnance no 45-1582 du 18 juillet 1945, le Gouvernement Provisoire de la République Française a prononcé la dissolution de la société anonyme des usines Y... et sa liquidation par attribution à l'Etat de la totalité de son actif et de son passif à compter du 1er janvier 1945.
Par ailleurs divers arrêtés ont été pris entre les mois d'octobre et de décembre 1945, relatifs à l'inventaire et à l'attribution à l'Etat des biens concernés ;
Par décision du 17 mars 1959, le tribunal administratif de Paris, à la suite de la demande présentée par Jean-Louis Y..., en sa qualité d'héritier réservataire de son père Louis Y..., au ministre des finances et des affaires économiques afin d'allocation de la somme de 1 franc à titre de dommages intérêts à titre de réparation du préjudice causé par la nationalisation des usines Y... prononcée par l'ordonnance du 16 janvier 1945, a constaté l'acquisition de la prescription quadriennale de la créance invoquée et rejeté la requête en annulation qui lui était soumise en retenant que " les biens en cause ont fait l'objet d'un transfert total de propriété par une ordonnance du 16 janvier 1945 de valeur législative dont la juridiction administrative ne peut apprécier ni la constitutionnalité ni l'opportunité " et que le requérant ne pouvait ainsi faire valoir un droit de créance.
Par arrêt du 10 novembre 1961, le Conseil d'Etat a dit que Jean-Louis Y... n'était pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a rejeté sa requête.
C'est dans ces circonstances que par assignation du 9 mai 2011, Mme Annick X..., Mme Hélène Z..., M. Louis Y..., M. Henri Y..., M. Olivier Y..., M. Stéphane Y... et Mme Emmanuelle Y... (les consorts Y...), agissant en leur qualité d'ayants droit de Jean-Louis Y... ont fait assigner sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, l'agent judiciaire du Trésor aux fins suivantes :
- dire leur action recevable et non prescrite,
- transmettre à la Cour de Cassation la question prioritaire de constitutionnalité qu'ils se proposaient de déposer,
- constater que l'ensemble de l'opération de confiscation, composée de l'ordonnance du 16 janvier 1945, modifiée par celle du 18 juillet 1945, des neuf arrêtés d'application et des mesures d'exécution, a constitué une voie de fait,
- condamner en conséquence l'agent judiciaire du Trésor à les indemniser de leur préjudice matériel devant être apprécié par voie d'expertise et de leur préjudice moral par le paiement de la somme symbolique de 1 euro,
- ordonner l'exécution provisoire,
- condamner l'agent judiciaire du trésor à leur verser une indemnité de procédure d'un montant de 50 000 euros.
Par écrit distinct et motivé déposé le 20 juillet 2011, les consorts Y... ont, au visa de l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 et de l'article 23-2 de l'ordonnance no 58 – 1067 du 7 novembre 1958, demandé à la juridiction saisie de transmettre à la Cour de Cassation envue de sa transmission au Conseil Constitutionnel, la question suivante :
" Les dispositions des articles 1, 3 et 4 de l'ordonnance du 16 janvier 1945, portant nationalisation des usines Y..., modifiée par l'ordonnance du 18 juillet 1945, portent-elles atteintes aux droits et libertés que la Constitution garantit et plus précisément au droit de propriété, au principe de la personnalité des peines, aux droits de la défense, au principe de la présomption d'innocence, au droit à un recours juridictionnel effectif et au principe de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère ? ".
Sont intervenues volontairement à l'instance, l'association contre toute révision de l'ordonnance no 45-68 du 16 janvier 1945, ci après désignée Association " Esprit de résistance ", la fédération des travailleurs de la Métallurgie CGT et la Fédération Nationale des Déportés et Internés, résistants et Patriotes (FNDIRP).
Par acte du 4 octobre 2011, transmis par le Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, le Préfet de la région Ile de France, préfet de Paris, a déposé un déclinatoire de compétence alors que par conclusions déposées le même jour, l'agent judiciaire du Trésor a soulevé une exception d'incompétence en demandant à la juridiction saisie de se déclarer incompétente au profit du tribunal administratif de Paris.
C'est ainsi que le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris a rendu le 11 janvier 2012 les deux ordonnances déférées à cette cour.
***
Vu les ordonnances entreprises :
l'ordonnance RG 11/ 07625 qui a :
- dit recevables les interventions volontaires de l'association contre toute révision de l'ordonnance no 45-68 du 16 janvier 1945, ci après désignée Association " Esprit de résistance ", de la fédération des travailleurs de la Métallurgie CGT et de la fédération Nationale des Déportés et Internés, résistants et Patriotes (FNDIRP),
- fait droit au déclinatoire de compétence déposé par le Préfet de la région Ile de France, préfet de Paris et à l'exception d'incompétence soulevée par l'agent judiciaire du Trésor,
- dit le tribunal de grande instance de Paris incompétent,
- renvoyé les parties à mieux se pourvoir,
- dit n'y avoir lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité posée par les consorts Y...,
- condamné les consorts Y... à payer à l'agent judiciaire du Trésor une indemnité d'un montant de 8 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
l'ordonnance RG 11/ 13701 qui a :
- dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande des consorts Y...,
- rejeté les autres demandes,
- laissé les dépens à la charge des consorts Y....
Vu la déclaration d'appel du 25 janvier 2012 émanant des consorts Y... à l'encontre des deux ordonnances rendues.
Vu les dernières conclusions déposées par :
les consorts Y... le :
¤ 13 septembre 2012, qui au visa des articles 1382 du Code civil, 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, 23-2 de l'ordonnance no 58-1067 du 7 novembre 1958 demandent à la cour de :
- déclarer recevable leur appel à l'encontre de l'ordonnance RG 11/ 07625 et :
* constater l'irrecevabilité des 3 intervenants volontaires,
* infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a refusé de statuer sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité avant de se prononcer sur sa compétence,
* après examen du mémoire qui sera déposé à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité :
. constater que la résolution de la question prioritaire de constitutionnalité a une incidence sur la question de la compétence du tribunal de grande instance,
. constater que les dispositions contestées par la question prioritaire de constitutionnalité sont applicables au litige, que la question posée porte sur des dispositions qui n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution et qu'elle présente un caractère sérieux,
. transmettre sans délai à la Cour de Cassation afin que celle-ci procède à son examen en vue de sa transmission au conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité suivante :
" Les dispositions des articles 1, 2 (celui-ci étant visé dans le corps des conclusions mais pas dans le dispositif de celles-ci), 3 et 4 de l'ordonnance du 16 janvier 1945, portent-elles atteintes aux droits et libertés que la Constitution garantit et plus précisément au droit de propriété, au principe de la personnalité des peines, aux droits de la défense, au principe de la présomption d'innocence, au droit à un recours juridictionnel effectif et au principe de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère ? ",
*infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a fait droit au déclinatoire de compétence et à l'exception d'incompétence soulevés,
* subsidiairement juger que le tribunal était compétent pour fixer l'indemnité due en cas de dépossession même sans transmission préalable de la question prioritaire de constitutionnalité et renvoyer l'affaire devant ledit tribunal,
- déclarer recevable leur appel contre l'ordonnance RG 11/ 13701 et :
* infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité,
* condamner les intimés à leur verser la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile et les condamner aux dépens.
la FNDIRP le 30 août 2012 qui demande à la cour de :
- refuser de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité posée par les consorts Y... à la Cour de Cassation,
- condamner solidairement les consorts Y... à lui verser la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ?
4 septembre 2012 par l ‘ agent judiciaire du Trésor (désormais l'agent judiciaire de l'Etat) qui, au visa des articles 564, 75, 92 et 122 du code de procédure civile, demande à la cour de :
- déclarer irrecevable la demande nouvelle en cause d'appel portant transmission de la question prioritaire de constitutionnalité sur l'article 2 de l'ordonnance du 16 janvier 1945,
- en tout état de cause :
* dire et juger les consorts Y... mal fondés en leur appels et toutes demandes,
* confirmer en conséquence " l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 11 janvier 2011 sur la question prioritaire de constitutionnalité en toutes ses dispositions ",
- refuser de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité posée par les consorts Y...,
- condamner in solidum les consorts Y... à lui verser une indemnité de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
11 septembre 2012 par la fédération des travailleurs de la Métallurgie CGT qui, au visa des articles 564, 75, 92 et 122 du code de procédure civile, demande à la cour de :
- déclarer irrecevable comme étant nouvelle en cause d'appel la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 2 de l'ordonnance du 16 janvier 1945,
- confirmer en conséquence " l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 11 janvier 2011 sur la question prioritaire de constitutionnalité en toutes ses dispositions ",
condamner solidairement les consorts Y... à lui verser une indemnité de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
11 septembre 2012 par l'association contre toute révision de l'ordonnance no 45-68 du 16 janvier 1945, ci après désignée Association " Esprit de résistance " qui, au visa des articles 564, 75, 92 et 122 du code de procédure civile, demande à la cour de :
- déclarer irrecevable comme étant nouvelle en cause d'appel la demande de transmission de question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 2 de l'ordonnance du 16 janvier 1945,
- confirmer en conséquence " l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état le 11 janvier 2011 sur la question prioritaire de constitutionnalité en toutes ses dispositions ",
condamner solidairement les consorts Y... à lui verser une indemnité de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'avis déposé le 10 juillet 2012 par le Ministère Public qui estime que la juridiction judiciaire n'est pas compétente pour connaître du litige et qu'elle ne peut statuer sur la question prioritaire de constitutionnalité afférente à celui-ci.
SUR QUOI LA COUR
Sur l'ordre d'examen des différentes questions posées à la cour
Considérant que sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du code Civil, les consorts Y... entendent obtenir l'indemnisation des préjudices financier et moral qu'ils affirment avoir subis à la suite de l'ordonnance no 45-68 du 16 janvier 1945 prise par le Gouvernement Provisoire de la République Française, portant nationalisation des usines Y..., modifiée par l'ordonnance no 45-1582 du 18 juillet 1945, prétention à l'encontre de laquelle l'agent judiciaire de l'Etat soulève l'incompétence des juridictions de l'ordre judiciaire ;
Considérant que l'article 61-1 de la Constitution de 1958 énonce :
" Lorsque à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation " ;
Considérant que l'ordonnance no 45-68 du 16 janvier 1945 portant nationalisation des usines Y..., modifiée par l'ordonnance no 45-1582 du 18 juillet 1945, s'est vue reconnaître valeur législative, par le jugement rendu le 17 mars 1959 par le tribunal administratif de Paris, puis par l'arrêt prononcé le 10 novembre 1961 par le Conseil d'Etat ;
Considérant que les consorts Y... soutiennent que la question de la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité qu'ils ont posée doit être examinée avant l'exception d'incompétence opposée par l'agent judiciaire de l'Etat ;
qu'ils exposent que " le moyen constitué par la question prioritaire de constitutionnalité porte à la fois sur une question de fond et sur une question de procédure ", que " la compétence de la juridiction saisie dépend de la réponse à la question prioritaire de constitutionnalité puisque c'est l'existence alléguée de la voie de fait qui justifiait sa compétence ", que le juge de la mise en état " ne pouvait pas se prononcer sur celle-ci avant d'avoir examiné le moyen qui se rapportait à cette prétention de procédure " et que " le fait que la question prioritaire de constitutionnalité portait également sur une question de fond, (...), ne faisait pas disparaître le premier aspect de la question prioritaire de constitutionnalité afférent à une question de procédure " ;
Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité posée par les consorts Y... à l'occasion de la procédure qu'ils ont engagée est libellée comme suit :
Les dispositions des articles 1, 2 (celui-ci étant visé dans le corps de leurs conclusions mais pas dans le dispositif de celles-ci), 3 et 4 de l'ordonnance du 16 janvier 1945, portent-elles atteintes aux droits et libertés que la Constitution garantit et plus précisément au droit de propriété, au principe de la personnalité des peines, aux droits de la défense, au principe de la présomption d'innocence, au droit à un recours juridictionnel effectif et au principe de non-rétroactivité de la loi pénale d'incrimination plus sévère ? " ;
Considérant que telle que formulée, cette question prioritaire de constitutionnalité porte sur la conformité à la Constitution de 1958 de dispositions à valeur législative qui sont le fondement de l'action indemnitaire engagée par les consorts Y..., à savoir le caractère supposé illicite de la dépossession de ses biens subie par Louis Y... et du préjudice qui en a résulté ;
qu'elle est afférente au seul fond de l'affaire dont elle ne constitue pas une prétention autonome, indépendamment de la question portant sur la compétence des tribunaux de l'ordre judiciaire ;
que dès lors son examen implique qu'il soit au préalable statué sur l'exception d'incompétence soulevée par l'agent judiciaire de l'Etat ;
Sur la question de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire
Considérant que les consorts Y... fondent la compétence du juge judiciaire sur l'existence d'une voie de fait dont ils reprochent au juge de la mise en état d'avoir retenu une définition ancienne et abandonnée, à savoir l'acte " manifestement insusceptible d'être rattaché à l'exécution d'un texte législatif ou réglementaire ", alors qu'il est désormais admis qu'un acte administratif peut constituer une voie de fait " s'il ne se rattache à aucun pouvoir de l'administration ou dénature ceux qui lui ont été confiés par la loi " ;
qu'ils invoquent également le principe selon lequel seul le juge judiciaire est compétent pour fixer le montant de l'indemnité de dépossession due en cas de privation totale du droit de propriété ;
qu'ils indiquent que cette règle a été érigée en principe constitutionnel par deux décisions rendues les 13 décembre 1985 et 25 juillet 1989 par le Conseil Constitutionnel ;
Considérant cependant que l'ordonnance no 45-68 du 16 janvier 1945, prise par le Gouvernement provisoire de la République Française, portant nationalisation des usines Y... et confiscation sans indemnité des biens ayant appartenu à Louis Y... et qui a directement donné lieu à divers actes d'application et mesures d'exécution, ayant valeur législative, la notion de voie de fait invoquée par les consorts Y... à l'appui de leur demande ne peut en conséquence être utilement retenue ;
que par l'absence de voie de fait-le cas de l'emprise ou d'une réquisition irrégulière également cité par l'agent judiciaire de l'Etat n'étant pas celui de l'espèce-ne permet pas davantage de retenir la compétence du juge judiciaire sur le fondement de l'indemnité de dépossession ;
Considérant qu'en l'état de cette décision, il n'y a dès lors pas lieu de statuer sur les fins de non recevoir tenant à la recevabilité des intervenants volontaires, à la prescription quadriennale prévue par l'article 1 de la loi du 31 décembre 1968 et à l'autorité de la chose jugée attachée à la décision rendue le 10 novembre 1961 par le Conseil d'Etat en ce qu'il a déclaré Jean-Louis Y... irrecevable en ses demandes supposées identiques à celles présentées par les consorts Y... ;
Sur la question de la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité
Considérant dès lors que les juridictions de l'ordre judiciaire et plus précisément le tribunal de grande instance de Paris, ne peuvent connaître de l'action engagée par les consorts Y..., il n'y a donc pas lieu de statuer sur la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité posée par les consorts Y... ;
que par voie de conséquence se trouve dépourvue d'intérêt la question du supposé caractère nouveau de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 2 de l'ordonnance du 16 janvier 1945, ainsi que celle relative à son abrogation et aux effets de celle-ci ;
Sur les autres demandes
Considérant qu'en l'état de cette décision et compte-tenu de l'équité, il convient d'accorder au seul agent judiciaire de l'Etat, une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile, d'un montant de 10 000 euros ;
PAR CES MOTIFS
Confirme les deux ordonnances déférées.
Condamne in solidum Mme Annick X..., Mme Hélène Z..., M. Louis Y..., M. Henri Y..., M. Olivier Y..., M. Stéphane Y... et Mme Emmanuelle Y... à payer à l'agent judiciaire de l'Etat une indemnité d'un montant de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne Mme Annick X..., Mme Hélène Z..., M. Louis Y..., M. Henri Y..., M. Olivier Y..., M. Stéphane Y... et Mme Emmanuelle Y... dont distraction au profit des avocats qui en font la demande conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.