RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRÊT DU 04 Octobre 2012
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/04111 - cm
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 11 Février 2010 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 09/08144
APPELANTE
SAS MFG RETAIL COMPAGNIE venant aux droits de la SAS M+FG AGENCY
[Adresse 10]
[Localité 6]
Me [D] [U] - Administrateur judiciaire de la SAS MFG RETAIL COMPAGNIE venant aux droits de la sas M+FG AGENCY
[Adresse 4]
[Localité 5]
Me [C] [O] SELAFA MJA - Représentant des créanciers de la SAS MFG RETAIL COMPAGNIE venant aux droits de la sas M+FG AGENCY
[Adresse 12]
[Adresse 1]
[Localité 7]
représentés par Me Nicolas CZERNICHOW, avocat au barreau de PARIS, toque : L0305
INTIME
Monsieur [L] [E]
[Adresse 3]
[Localité 9]
représenté par Me Delphine MARECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : R 153
PARTIE INTERVENANTE :
UNEDIC AGS-CGEA IDF OUEST
[Adresse 2]
[Localité 8]
représenté par Me Arnaud CLERC, avocat au barreau de PARIS, toque : T10 substitué par Me Vincent JACOB, avocat au barreau de PARIS, toque : T10
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 Septembre 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Catherine MÉTADIEU, Présidente
Madame Marthe-Elisabeth OPPELT-RÉVENEAU, Conseillère
Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
[L] [E] a été engagé par la société LARA STEFANEL aux droits de laquelle vient la S.A.S. MFG RETAIL COMPAGNIE, en qualité d'attaché commercial, selon un contrat de travail à durée déterminée, une année, en date du 3 octobre 2005, et qui s'est poursuivi au-delà de son terme en relation à durée indéterminée.
Ce contrat de travail a été transféré à la société M+FG AGENCY le 3 mars 2008.
L'entreprise se trouve dans le champ d'application de la convention collective du commerce de détail de l'habillement.
Par courrier recommandé en date du 3 mars 2009, la société M+FG AGENCY a informé le salarié de ce que la prime de mars ne lui serait pas versée.
Il signe avec l'ensemble des salariés une lettre de réclamation adressée au président de la société, lequel confirme que cette prime ne sera pas payée.
Par un courrier en date du 10 juin 2009, la société M+FG AGENCY a informé les salariés de son intention de dénoncer 'l'usage d'entreprise concernant les modalités de versement de la prime de saison', ce à l'issue d'un délai de trois mois, puis elle a remis à chacun d'eux une annexe au contrat de travail relatif à l'attribution d'une prime indexée sur la réalisation d'objectifs fixés pour chaque saison de ventes à compter de la signature et a fixé des objectifs à atteindre, précisant leurs modalités de calcul.
[L] [E] n'a pas signé cet avenant et a saisi le 17 juin 2009 le conseil de prud'hommes de PARIS.
Il a ensuite pris acte de la rupture de son contrat de travail par lettre recommandée du 30 décembre 2009.
Par jugement en date du 11 février 2010, le conseil de prud'hommes a :
- condamné la société M+FG AGENCY à payer à [L] [E] les sommes de :
' 6 586 € à titre de prime de saison pour le mois de mars 2009
' 6 586 € à titre de prime de saison pour le mois de septembre 2009
' 1 317 € au titre des congés payés afférents
' 4 862 € d'indemnité de requalification
' 14 473 € d'indemnité compensatrice de préavis
' 1 447,30 € de congés payés afférents
' 4 861 € d'indemnité de licenciement
avec intérêt au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation
' 29 166 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- s'est mis en partage de voix concernant les heures supplémentaires, l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, et l'article 700 du code de procédure civile.
La société M+FG AGENCY a interjeté appel par déclaration du 7 mai 2010.
Le redressement judiciaire de la S.A.S. MFG RETAIL COMPAGNIE qui vient aux droits de la société M+FG AGENCY a été prononcé le 10 mai 2012.
La S.A.S. MFG RETAIL COMPAGNIE, Maître [D] [U], la SELEFA MJA prise en la personne de Maître [V] en qualité de mandataire judiciaire demandent à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de :
- juger que l'usage concernant le versement d'une prime de saison a été régulièrement dénoncé par la société M+FG AGENCY
- constater que la dénonciation de l'usage a pris effet au mois de septembre 2009
- juger que le contrat de travail à durée déterminée a été conclu pour un motif de recours légalement autorisé
- constater que la prise d'acte n'est pas justifiée
- juger qu'elle a les effets d'une démission
Par conséquent,
- réduire sa condamnation à la somme de 6 586 €
- infirmer les autres dispositions du jugement déféré
- débouter l'appelant de ses demandes à l'exception de celle concernant la prime de saison de mars 2009
- condamner ce dernier au remboursement de la somme de 11 296,44 € au titre du préavis qu'il n'a pas exécuté et celle de 33 546,30 qu'elle a versée au titre de l'exécution provisoire du jugement déféré, déduction faite du montant de la prime de mars 2009
- condamner l'appelant au paiement de la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
[L] [E] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et de fixer au passif de la S.A.S. MFG RETAIL COMPAGNIE les sommes qui lui ont été allouée, d'y ajouter la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, la S.A.S. MFG RETAIL COMPAGNIE étant déboutée des ses demandes reconventionnelles.
L'UNEDIC délégation AGS-CGEA IDF OUEST sollicite l'infirmation du jugement, le débouté de [L] [E] de l'ensemble de ses demandes, et demande à la cour, s'il y a lieu à fixation, de dire qu'elle sera tenue dans les limites et conditions de sa garantie légale, de juger que sa garantie ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens de l'article L.3253-6, les astreintes, dommages-intérêts mettant en oeuvre la responsabilité de droit commun de l'employeur et l'article 700 du code de procédure civile étant exclues de garanties.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour l'exposé des faits, prétentions et moyens des parties, aux conclusions respectives des parties déposées à l'audience, visées par le greffier et soutenues oralement.
MOTIVATION
Sur la demande de requalification
Selon l'article L.1242-1 du code du travail, un contrat de travail à durée indéterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.
L'article L.1242-2 du même code dispose que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l'article L.1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire et seulement dans les cinq cas qu'il énumère, parmi lesquels figurent le remplacement d'un salarié (1°), l'accroissement temporaire d'activité (2°) et les emplois saisonniers ou pour lesquels, dans certains secteurs d'activité définis par décret ou par convention ou accord collectif étendu, il est d'usage de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l'activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois(3°).
Selon l'article L.1245-1 du code du travail, est réputé à durée indéterminée tout contrat conclu en méconnaissance des dispositions des articles L.1242-1 à L.1242-4, L.1242-6 à L.1242-8, L.1242-12 alinéa 1, L.1243-11 alinéa 1, L.1243-13, L.1244-3 et L.1244-4 du même code.
Le droit à indemnité du salarié naît dès la conclusion du contrat, peu important que la relation se poursuive après le terme en contrat de travail à durée indéterminée.
Force est de constater qu'il n'est pas justifié de la réalité du motif invoqué dans le contrat de travail à durée déterminée au terme duquel [L] [E] a été engagé le 3 octobre 2005 pour une durée d'un an, à savoir un 'surcroît d'activité engendré par le développement du marché Homme et du grand export, développement ne résultant pas de l'activité normale de l'entreprise'.
C'est donc à juste titre que le conseil de prud'hommes a fait droit à la demande d'indemnité de requalification formé par [L] [E] et lui alloué la somme de 4 862 € à ce titre.
Sur les primes de saison
[L] [E] expose qu'une prime était versée par l'employeur chaque année depuis * mars 2007, qu'elle figurait sur ses bulletins de salaire, que cette prime est contractuelle du fait de sa fixité et de sa constance qui en font un élément de rémunération continue, que son montant est de 6 586 € depuis mars 2007, que la directrice des ressources humaines, elle-même, en a confirmé le principe dans un courrier adressé à une autre salariée de la société en décembre 2008, qu'il était tenu compte de son montant pour évaluer le montant de la rémunération annuelle perçue par un salarié.
Il soutient que la dénonciation de cette prime par la S.A.S. MFG RETAIL COMPAGNIE le 10 juin 2009 est inefficace et ne pouvait entraîner sa suppression, eu égard au caractère contractuel de cette prime, qu'il était fondé à refuser la proposition de modification du contrat de travail notifiée le 19 juin 2009 et à solliciter le versement de cette prime pour les mois de mars et septembre 2009.
Subsidiairement, il fait observer qu'en tout état de cause, compte tenu des termes de la dénonciation, les modalités de versement de la prime de la saison biannuelle ne sauraient être remises en cause qu'au-delà du mois de septembre 2009.
La S.A.S. MFG RETAIL COMPAGNIE réplique que le contrat de travail ne prévoyait pas le versement d'une prime de saison, que cette prime était versée en vertu d'un usage qui en aucun cas n'a été incorporé dans le contrat de travail et qu'elle a régulièrement dénoncé par courrier du 10 juin 2009, que seule la prime de mars 2009 n'est pas, compte tenu du délai de dénonciation, concernée, que s'agissant des primes suivantes, elles ne sont pas dues dès lors que les objectifs fixés n'ont pas été atteints.
La S.A.S RETAIL COMPANY a, le 10 juin 2009, adressé aux salariés la lettre suivante :
' Nous vous informons par la présente que la MFG RETAIL entend dénoncer l'usage d'entreprise concernant les modalités de versements de la prime de saison intitulée prime exceptionnelle sur votre bulletin de salaire, que vous percevez en mars et septembre de chaque année.
Nous vous informons que cette dénonciation prendra issue d'un préavis de trois mois, courant à compter de la réception du présent courrier.
Nous vous préciserons à brefs délais les modalités selon lesquelles vous sera désormais attribuée la part variable de votre rémunération'.
Il résulte des termes de cette lettre que l'employeur ne remet en cause ni le principe même du versement de la prime de saison versée jusqu'alors aux salariés, ni ses conditions d'octroi, objectifs et périodicité notamment, mais uniquement ses modalités de versement, sans autre précision.
La dénonciation effectuée par la S.A.S. MFG RETAIL COMPAGNIE est dès lors inopérante en ce qu'elle mentionne pas expressément que la prime de saison devra pour l'avenir être subordonnée à la fixation d'objectifs, mesure qui à l'évidence n'est pas constitutive d'une modalité de versement mais s'analyse comme une condition permettant le bénéfice même (ou non) de la prime.
La cour relève de plus qu'en tout état de cause, la décision de fixer des objectifs par l'employeur a indirectement pour effet de diminuer notablement et de manière déloyale la rémunération des salariés, eu égard au risque pour eux de ne pas atteindre des objectifs qui ne sont pas définis dans la dénonciation de l'usage et qui de surcroît, seront d'autant plus irréalisables que la société elle-même les justifie par une baisse de résultats liés au contexte économique.
Il convient par conséquent de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à [L] [E] les sommes de 6 586 € à titre de prime de saison pour le mois de mars et de septembre 2009, et de 1 317 € au titre des congés payés afférents.
Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail
[L] [E] a pris acte de la rupture de son contrat de travail en ces termes :
' Par la présente lettre, je suis contraint de prendre acte de la rupture de mon contrat de travail aux torts exclusifs de la société à raison des manquements persistants de la société M+FG Agency à mon égard, et ce à compter de ce jour.
Ainsi, notamment, depuis le mois de mars 2009 je reste dans l'attente de paiement d'une partie de mon salaire.
La résistance abusive de la société m'a d'ailleurs contraint à saisir le conseil de prud'hommes de Paris compte tenu de la violation par la société M+FG Agency de ses obligations contractuelles...'.
En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire, d'une démission.
Il appartient au salarié d'établir la matérialité des faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.
Il résulte de ce que précède que l'employeur a privé [L] [E] d'une partie de sa rémunération correspondant à la prime de saison dont il bénéficiait jusqu'alors.
Ce manquement revêt un caractère de gravité tel qu'il empêche la poursuite du contrat de travail.
Cette rupture, ainsi que le conseil de prud'hommes l'a, à juste titre, jugé, produit donc les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il convient également de confirmer le jugement en ce qu'il a accordé à [L] [E] une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 14 473 €, outre les congés payés afférents ainsi qu'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 29 160 € dont le montant a été exactement apprécié par les premiers juges.
Sur la garantie de l'AGS
Le présent arrêt sera opposable à l'AGS dans la limite des dispositions des articles L.3253-6 et suivants et D.3253-5 du code du travail, lesquelles excluent en particulier l'indemnité de procédure.
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile
L'équité commande d'allouer à [L] [E] la somme de 1 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile (somme exclue de la garantie de l'UNEDIC délégation AGS-CGEA IDF OUEST).
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions
FIXE au passif de la S.A.S. MFG RETAIL COMPAGNIE les sommes suivantes :
- 6 586 € à titre de prime de saison pour le mois de mars 2009
- 6 586 € à titre de prime de saison pour le mois de septembre 2009
- 1 317 € au titre des congés payés afférents
- 4 862 € d'indemnité de requalification
- 14 473 € d'indemnité compensatrice de préavis
- 1 447,30 € de congés payés afférents
- 4 861 € d'indemnité de licenciement
- 29 166 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 1 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile
DIT que ces éléments de créances, à l'exception de la somme allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, sont opposables à l'UNEDIC délégation AGS-CGEA IDF OUEST dans les limites et conditions de sa garantie légale
AFFECTE les dépens aux passif de la SAS MFG RETAIL COMPAGNIE.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,