Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 5
ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2012
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/10524
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Avril 2010 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 09/02217
APPELANTE
- SA CARDIF ASSURANCE VIE venant aux droits de Natio Vie Multiplacements 2
Prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Bruno QUINT de la SCP GRANRUT AVOCATS, barreau de PARIS, toque : P0014
INTIMES
- Monsieur [E] [K]
[Adresse 2]
[Localité 3]
- Madame [O] [P] épouse [K]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentés par Me Jean-Loup PEYTAVI, avocat postulant, barreau de PARIS, toque : B1106,
assistés de Me Nicolas LECOQ-VALLON, avocat plaidant, de la SCP LECOQ- VALLON, barreau de Paris, toque : L187
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 19 Juin 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Dominique REYGNER, présidente de chambre
Monsieur Christian BYK, conseiller
Monsieur Michel CHALACHIN, conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : Melle Fatia HENNI
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Dominique REYGNER, présidente et par Carole MEUNIER, greffier.
* * * * * *
Le 14 janvier 2000, Monsieur et Madame [K] ont chacun adhéré au contrat collectif d'assurance sur la vie MULTIPLACEMENTS 2 de la société NATIO-VIE, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la société CARDIF ASSURANCE VIE (CARDIF), et versé sur chaque contrat une cotisation de 2 286 735,30 euros.
Reprochant à l'assureur divers manquements à ses obligations, ils se sont prévalus de la faculté de renoncer à leurs contrats par lettre du 3 mai 2002.
L'assureur ayant refusé d'accéder à leur demande, Monsieur et Madame [K] l'ont assigné devant le tribunal de grande instance de Paris lequel, par jugement du 21 janvier 2005, les a déboutés de leurs demandes, considérant qu'ils avaient reçu une information suffisante au regard des prescriptions de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances.
Ayant reçu le 2 octobre 2006 une note d'information établie par la CARDIF résumant les conditions de leurs contrats, Monsieur et Madame [K] ont à nouveau notifié leur volonté d'y renoncer par lettres recommandées avec avis de réception du 20 octobre suivant.
Par arrêt du 26 juin 2007, la cour d'appel de Paris a dit irrecevables les demandes de renonciation formées par les époux [K] et confirmé le jugement du 21 janvier 2005 par motifs substitués, retenant en substance que les appelants ne rapportaient pas la preuve que la lettre du 3 mai 2002 avait été adressée à la société NATIO-VIE en la forme recommandée et que la renonciation faite par courrier recommandé du 20 octobre 2006, intervenue en cause d'appel, était sans effet sur l'instance en cours.
Le pourvoi formé contre cette décision par Monsieur et Madame [K] a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 13 novembre 2008.
Par acte d'huissier du 29 janvier 2009, Monsieur et Madame [K] ont alors à nouveau assigné la société CARDIF devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins d'obtenir la restitution des sommes versées sur leurs contrats.
Par jugement rendu le 13 avril 2010, le tribunal a condamné la société CARDIF à payer aux époux [K] la somme de 2 286 735,30 euros avec les intérêts de retard prévus par l'article L. 132-5-1 du Code des assurances, débouté les époux [K] du surplus de leurs prétentions et la société CARDIF de sa demande reconventionnelle, dit n'y avoir lieu de prononcer une condamnation en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et condamné la société CARDIF aux dépens.
La société CARDIF a relevé appel de ce jugement par déclaration du 17 mai 2010.
Dans ses dernières conclusions du 27 janvier 2012, elle demande à la cour de :
- à titre principal, infirmer le jugement entrepris, déclarer prescrite l'action en restitution des primes de Monsieur et Madame [K] et en conséquence, les en débouter,
- à titre subsidiaire, déclarer irrecevable, ou à tout le moins mal fondée, la demande de renonciation de Monsieur et Madame [K],
- à titre encore plus subsidiaire et reconventionnel, condamner Monsieur et Madame [K] à lui payer, à titre de dommages et intérêts, la différence entre les sommes à verser au titre de l'application de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances et la valeur de rachat des contrats au jour du versement,
- en tout état de cause, condamner Monsieur et Madame [K] à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.
Aux termes de leurs dernières conclusions du 25 mai 2012, Monsieur et Madame [K] prient la cour de :
- confirmer le jugement entrepris, sauf à rectifier l'erreur matérielle l'affectant en ce qu'il a condamné la société CARDIF à leur payer la somme totale de 2 286 735,30 euros alors que chacun d'eux a versé cette somme,
- en conséquence, condamner la société CARDIF à leur restituer à chacun la somme principale de 2 286 735,30 euros et à payer les intérêts de retard tels que prévus par l'article L. 132-5-1 du Code des assurances, avec capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du Code civil,
- condamner la société CARDIF à leur payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Ces conclusions sont expressément visées pour complet exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.
SUR CE, LA COUR,
Sur la prescription de l'action de Monsieur et Madame [K]
Considérant qu'à titre principal, la société CARDIF soutient que l'action des époux [K] est prescrite en application de l'article L. 114-1 du Code des assurances, ceux-ci l'ayant assignée plus de deux ans après l'envoi de la lettre du 20 octobre 2006, réceptionnée le 25 suivant ; qu'elle ajoute que l'article R. 112-1 du Code des assurances ne s'applique qu'aux contrats d'assurance relevant des branches 1 à 17 de l'article R. 321-1 alors que les contrats d'assurance-vie relèvent de la branche 20 ;
Considérant que les époux [K] font valoir que la prescription biennale leur est inopposable, les dispositions générales du contrat valant note d'information ne mentionnant pas la possibilité d'interrompre le délai de prescription par l'une des causes interruptives ordinaires, ces exigences étant applicables aux contrats d'assurance-vie ;
Considérant que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, l'action engagée par le souscripteur d'un contrat d'assurance sur la vie ayant renoncé au contrat conformément à l'article L. 132-5-1 du Code des assurances, aux fins d'obtenir la restitution des sommes versées, dérive du contrat d'assurance et est donc soumise à la prescription de deux ans prévue par l'article L. 114-1 du même Code ;
Mais considérant qu'aux termes de l'article R. 112-1 du Code des assurances dans sa rédaction issue du décret du 20 septembre 1990 applicable en la cause eu égard à la date d'adhésion de Monsieur et Madame [K] au contrat MULTIPLACEMENTS 2, soit le 14 janvier 2000, les polices d'assurance des entreprises mentionnées au 5° de l'article L. 310-1 du même Code doivent rappeler les dispositions relatives à la prescription des actions dérivant du contrat d'assurance ; que l'inobservation de cette obligation est sanctionnée par l'inopposabilité à l'assuré du délai de prescription ;
Considérant qu'à la suite de la refonte de l'article L. 310-1 opérée par la loi du 4 janvier 1994 et modifiant la classification des catégories des entreprises soumises au contrôle de l'Etat, le 5° a été supprimé de sorte que ce qui relevait de cette catégorie s'est trouvé englobé dans les 1ère, 2ème et 3ème catégories, sans qu'aucune modification de l'article R. 112-1 ne soit intervenue ; qu'il s'ensuit que les contrats de Monsieur et Madame [K] sont soumis aux dispositions de l'article R. 112-1 du Code des assurances susvisées ;
Considérant que l'obligation d'information incombant à l'assureur en vertu de ces dispositions porte non seulement sur le délai de prescription édicté par l'article L. 114-1 du Code des assurances mais également sur les causes d'interruption de la prescription énoncées à l'article L. 114-2 du même Code ;
Considérant qu'en l'espèce, les conditions générales valant note d'information du contrat remises aux époux [K] ne font pas état de la possibilité pour le preneur d'assurance d'interrompre le délai de prescription par l'une des causes ordinaires d'interruption comme prévu par l'article L. 114-2 ;
Considérant en conséquence que Monsieur et Madame [K] ne peuvent se voir opposer le délai de prescription de l'article L. 114-1 du Code des assurances ;
Qu'il y a donc lieu, par substitution de motifs, de confirmer le jugement en ce qu'il a écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée par l'assureur ;
Sur la recevabilité et le bien fondé de la renonciation de Monsieur et Madame [K]
Considérant qu'à titre subsidiaire, la société CARDIF soutient que les époux [K] sont irrecevables et à tout le moins mal fondés en leur demande de renonciation en vertu du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, développant que la note d'information qui leur a été adressée le 29 septembre 2006 ne fait que reprendre les informations qui leur avaient déjà été fournies lors de leur adhésion et pendant la vie du contrat, qu'ils ont reçu toutes les informations prévues par la loi comme l'a jugé le tribunal le 21 janvier 2005 et qu'ayant négocié les éléments essentiels de leurs contrats et fait choix d'une gestion dynamique après étude de leur patrimoine, ils ne peuvent aujourd'hui adopter un comportement diamétralement opposé en tentant de lui faire supporter les pertes enregistrées, alors qu'ils ont accepté ce risque en toute connaissance de cause ;
Considérant que les époux [K] font valoir que leur renonciation du 20 octobre 2006 se base sur la seconde note d'information qu'ils ont reçue le 2 octobre 2006 et qui a, de fait, prorogé le délai de renonciation, que le tribunal ne s'était prononcé que sur les informations reçues initialement alors que la Cour de cassation a ultérieurement indiqué que l'assureur devait remettre deux documents distincts (conditions générales et note d'information) et enfin que les critères d'application du principe de 'l'estoppel' ne sont pas réunis ;
Considérant que l'article L. 132-5-1 du Code des assurances dans sa rédaction issue de la loi du 4 janvier 1994 applicable en la cause dispose notamment que 'toute personne physique qui a signé une proposition d'assurance ou un contrat a la faculté d'y renoncer par lettre recommandée avec demande d'avis de réception pendant le délai de trente jours à compter du premier versement', que 'l'entreprise d'assurance.....doit.....remettre, contre récépissé, une note d'information sur les dispositions essentielles du contrat, sur les conditions d'exercice de la faculté de renonciation, ainsi que sur le sort de la garantie décès en cas d'exercice de cette faculté de renonciation' et que 'le défaut de remise des documents et informations' visés par cet article 'entraîne de plein droit la prorogation du délai' précité 'jusqu'au trentième jour suivant la date de remise effective de ces documents' ;
Considérant que l'envoi fait par la société CARDIF aux époux [K] par lettre du 29 septembre 2006 d'une note d'information résumant les conditions d'origine de leurs contrats, qui ne leur avait pas été remise lors de leur adhésion puisqu'ils n'avaient reçu à l'époque que des dispositions générales valant note d'information, contrairement aux exigences de la loi, a conformément aux dispositions susvisées fait courir un nouveau délai de trente jours à compter de sa réception par les intéressés le 2 octobre suivant pour exercer la faculté de renonciation ;
Que chacun des époux a renoncé à son contrat dans le délai et les formes requises, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 20 octobre 2006 ;
Considérant que le principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui, admis en matière d'arbitrage, ne trouve à s'appliquer en droit processuel, sous la forme d'une fin de non-recevoir, que lorsque le comportement de la partie à laquelle cette fin de non-recevoir est opposée est constitutif d'un changement de position, en droit, de nature à induire l'adversaire en erreur sur ses intentions ;
Que tel n'est pas le cas en l'espèce, Monsieur et Madame [K] ayant toujours soutenu, tant dans le cadre de la précédente instance ayant abouti au jugement du 21 janvier 2005 confirmé par l'arrêt du 26 juin 2007 devenu définitif que dans celui de la présente instance qu'ils avaient valablement renoncé à leurs contrats en application de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances, faute par l'assureur d'avoir satisfait à ses obligations d'information au moment de leur adhésion et, notamment, de leur avoir remis une note d'information distincte des conditions générales ;
Considérant que le changement de comportement d'une partie relevant d'un défaut de cohérence non procédural doit, lui, s'apprécier au regard des principes applicables en droit judiciaire privé tels la règle 'Nemo auditur propriam turpitudinem allégans', l'exigence de bonne foi dans les relations contractuelles et plus généralement, l'abus de droit ;
Considérant que le principe dont s'agit ne peut dès lors être utilement opposé par la société CARDIF aux époux [K] ;
Considérant que ceux-ci ayant valablement renoncé à leur contrat, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a condamné l'assureur à leur payer la somme de 2 286 735,30 euros avec les intérêts de retard prévus par l'article L. 132-5-1 du Code des assurances, sauf à rectifier l'erreur matérielle affectant le dispositif du jugement en ce sens que cette somme doit être versée à chacun des époux, chacun étant titulaire d'un contrat ;
Qu'y ajoutant, il convient de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts formée par les intimés dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ;
Sur la demande de dommages et intérêts pour abus de droit de la société CARDIF
Considérant qu'à titre encore plus subsidiaire et reconventionnel, la société CARDIF soutient que le comportement déloyal et fautif de Monsieur et Madame [K] doit être sanctionné, le droit de renonciation n'étant pas absolu et l'usage abusif qu'ils en font, dans le seul but de ne pas supporter les pertes dégagées par leurs contrats, justifiant qu'ils soient condamnés au paiement de dommages et intérêts correspondant à la différence entre les sommes devant leur être restituées au titre de la renonciation et la valeur de rachat des contrats au jour du versement ; qu'elle ajoute que l'admission de la renonciation des époux [K] porterait une atteinte disproportionnée à ses biens contraire à l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la CEDH et ouvrirait une véritable option gratuite aux souscripteurs peu scrupuleux ;
Mais considérant que comme le font à juste titre valoir les époux [K], il résulte de l'article L. 132-5-1 du Code des assurances, d'ordre public et conforme à la directive 2002/83/CEE du 5 novembre 2002, que l'exercice de la faculté de renonciation prorogée, ouverte de plein droit pour sanctionner le défaut de remise à l'assuré des documents et informations énumérés par ce texte, est discrétionnaire pour l'assuré, dont la bonne foi n'est pas requise et qui n'a pas à se justifier, ce qui exclut la notion d'abus de droit, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que l'assuré est un profane ou une personne avertie ;
Qu'en outre, la société CARDIF ne saurait utilement reprocher à Monsieur et Madame [K] d'avoir fait un usage abusif de la faculté de renonciation qui leur est accordée par la loi alors qu'ils n'ont pu l'exercer qu'en raison du non respect par l'assureur de l'obligation d'information précontractuelle à laquelle il était légalement tenu ;
Que le législateur a entendu, par les dispositions précitées, contraindre l'assureur à délivrer une information suffisante et assortir cette obligation d'une sanction automatique, dont l'application ne peut être modulée en fonction des circonstances de l'espèce ;
Que la société CARDIF ne démontre pas que l'application de cette sanction automatique, résultant de sa propre défaillance, porte une atteinte hors de proportion et injustifiée à ses biens au regard des buts poursuivis, tenant essentiellement à la protection du consommateur ;
Considérant ainsi que le jugement entrepris mérite également confirmation en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire de l'assureur ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Considérant que la société CARDIF, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à Monsieur et Madame [K] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Confirme le jugement entrepris, sauf à rectifier l'erreur matérielle affectant son dispositif en ce sens que la société CARDIF ASSURANCE VIE est condamnée à restituer à Monsieur et Madame [K] la somme principale de 2 286 735,30 euros chacun, soit au totale 4 573,470,60 euros, avec les intérêts de retard prévus par l'article L. 132-5-1 du Code des assurances,
Y ajoutant, dit que les intérêts échus dus au moins pour une année entière produiront eux-mêmes des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du Code civil,
Condamne la société CARDIF ASSURANCE VIE à payer à Monsieur et Madame [K] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne la société CARDIF ASSURANCE VIE aux dépens d'appel, lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE