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05/07/2012 | FRANCE | N°10/09178

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 05 juillet 2012, 10/09178


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRÊT DU 05 Juillet 2012

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/09178



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 Septembre 2010 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 08/08425



APPELANT

Monsieur [L] [C]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Jérôme BORZAKIAN, avocat au barreau de PARIS, toque : G0242





INTIMEE

GIE CENTRE D'ETUDES ET DE RECHERCHES ECONOMIQUES SUR L'ENERGIE (CEREN)

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Anne LE BAULT DE LA MORINIÈRE, avocat au barr...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRÊT DU 05 Juillet 2012

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/09178

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 Septembre 2010 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 08/08425

APPELANT

Monsieur [L] [C]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Jérôme BORZAKIAN, avocat au barreau de PARIS, toque : G0242

INTIMEE

GIE CENTRE D'ETUDES ET DE RECHERCHES ECONOMIQUES SUR L'ENERGIE (CEREN)

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Anne LE BAULT DE LA MORINIÈRE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461 substitué par Me Cyprien PIALOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Mai 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Julien SENEL, Vice-Président placé, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Catherine METADIEU, Présidente

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

M. Julien SENEL, Vice-Président placé sur ordonnance du Premier Président en date du 22 mars 2012

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Catherine METADIEU, Présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

Monsieur [L] [C], employé depuis le 1er octobre 1981 par le Centre d'Etudes et de Recherches Economiques sur l'Energie (CEREN), devenu chef de projet, cadre, délégué du personnel jusqu'au mois de janvier 2007, délégué syndical et représentant au comité d'entreprise jusqu'au 8 août 2008, s'est vu notifier un avertissement par lettre du 6 mai 2008.

Contestant sa sanction, [L] [C] a, le 1er juillet 2008, saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris lequel, par jugement du 16 septembre 2010, a notamment rejeté la demande d'annulation de cette sanction, la demande subséquente en dommages et intérêts et la demande du CEREN au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et condamné Monsieur [C] aux dépens.

Régulièrement appelant, [L] [C] demande à la cour, au visa notamment des articles L. 1222-1, L. 1332-4, L.1333-1, L.2143-22 et L.2131- I du code du travail, 1134 et 1147 du code civil, d'annuler l'avertissement du 6 mai 2008 prononcé à son encontre et donc d'ordonner le retrait de cet avertissement de son dossier personnel, sous astreinte de 1.000€ par jour de retard et par infraction constatée à compter du 3ème jour suivant la notification de la décision, la Cour se réservant le droit de liquider cette astreinte ; de condamner la société CEREN à lui verser la somme de 5.000€ au titre de l'indemnisation de son préjudice moral et la somme de 2.000€ au titre des frais irrépétibles engagés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les éventuels dépens de l'instance en application de l'article 699 du même code.

Le GIE CEREN demande à la cour, au visa notamment des articles L1332-4, L1332-5, L1331-1, L1333-1, L1333-2 du code du travail, de juger Monsieur [C] irrecevable et mal fondé en son appel, constater que les griefs reprochés sont établis, que l'avertissement du 6 mai 2008 est régulier en la forme, justifié et proportionné aux fautes commises, que Monsieur [C] ne justifie pas ses demandes, donc confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement déféré, débouter Monsieur [C] de toutes ses demandes, et le condamner à lui verser la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens de la présente instance et de ses suites.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur l'avertissement :

Aux termes de 1'article L.1331-1 du code du travail, constitue une sanction disciplinaire toute mesure autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par lui comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération.

L'article L1332-1 du même code dispose qu'aucune sanction ne peut être prise à l'encontre du salarié sans que celui-ci soit informé, dans le même temps et par écrit, des griefs retenus contre lui.

L'avertissement, notifié par lettre du 6 mai 2008, est rédigé dans les termes suivants :

"Depuis quelques mois, vous continuez d'être l'auteur de faits et d'agissements qui ne sont plus supportables dans l'entreprise.

Vous importunez les élus de la Délégation Unique et notamment Madame [W] [O], Secrétaire du CE, (qui vient de démissionner), par des demandes incessantes, insistantes, et souvent menaçantes, sur les points de l'ordre du jour du CE, la rédaction des PV, ou encore sur la production de documents.

Les délégués du Personnel m'ont saisi à nouveau par écrit ce 17/04/2008 s'agissant de vos propos ou sous entendus blessants, voire humiliants à l'égard de certains salariés, qui auraient de fait informé la Médecine du Travail de la gêne occasionnée.

J'ai également reçu des courriers de deux de vos collègues, notamment d'une salariée, qui a dû subir le 13/03/2008, une attitude vexatoire de votre part à son égard, que rien n'explique.

Je vous avait déjà écrit à maintes reprises (entre autres : les 02/05/2007, 11/10/2007, 22/11/2007, ainsi qu'à M. [G] du SICTAM CGT et à l'Inspection du Travail), pour vous demander de changer de comportement à mon égard, et à celui de vos collègues, vos actions devenant néfastes pour le CEREN. De même, je vous demandais de modérer vos attitudes belliqueuses et de cesser de mettre en péril l'équilibre relationnel "clients-membres" du GIE, le CEREN ayant tout à y perdre.

Ainsi une lettre alarmante écrite par Vous à l'attention du Président du Conseil d'Administration du CEREN, lui est parvenue en octobre 2007.

Par ailleurs, par mon courrier du 11/10/2007, je mettais fin à l'utilisation sans limite de la messagerie électronique du CEREN à des fins syndicales ou à des commentaires personnels, là encore, mes avertissements sont restés lettre morte.

En conséquence, la présente lettre constitue un avertissement :

.Je ne tolérerai plus aucun manque de civilité ou remarque et attitude vexatoire, blessante à l'égard des salariés du CEREN quels qu'ils soient, élus, non élus, maîtrise,

cadre ou Direction Générale.

.Je ne tolérerai plus l'usage de la messagerie électronique pour un usage autre que strictement professionnel, excluant ainsi toute diffusion syndicale ou personnelle (la même demande sera confirmée ce jour aux autres syndicats-qui pourtant utilisaient la messagerie électronique avec mesure- et à l'ensemble du Personnel).

.Vous devez respecter le nombre d'heures de délégation dont vous disposez en votre qualité de Délégué Syndical, soit 10 heures ;

.Vous n'êtes pas non plus autorisé à recevoir sans mon accord préalable des représentants syndicaux extérieurs ou toute autre personne étrangère au CEREN.

Je vous invite à vous consacrer aux missions pour lesquelles le CEREN vous rémunère et à affecter sincèrement vos heures de travail aux études correspondantes.

Tout manquement aux obligations qui viennent de vous être rappelées dans ce présent

courrier sera constitutif d'une faute susceptible d'entraîner une mesure disciplinaire."

Il est donc reproché à [L] [C] plusieurs faits, qu'il conteste.

S'il est exact qu'à trois reprises durant l'année précédant l'avertissement, à savoir les 2 mai, 11 octobre et 22 novembre 2007, [L] [C] a été destinataire de mises en garde écrites en raison de son comportement dans l'entreprise et vis-à-vis notamment de sa direction, pour des faits dont la réalité n'est pas contestée par le demandeur, c'est cependant à juste titre que le salarié rétorque que ces trois mises en garde visaient expressément sa fonction de « Délégué Syndical CGT ». Les faits alors reprochés concernant l'exercice de son mandant représentatif, ils ne peuvent être utilement retenus à l'encontre de la sanction disciplinaire litigieuse, laquelle ne peut avoir que pour unique objet de sanctionner un manquement du salarié à ses obligations professionnelles envers son employeur, ce qui n'était notamment pas le cas de la diffusion, à tout le moins provocatrice, d'un document intitulé "département psy", le 3 octobre 2007, par e-mail, à tous les salariés de l'entreprise.

Il ne peut cependant être reproché à l'employeur de faire état de faits remontant à l'année 2007 à l'appui de la sanction prononcée en mai 2008, en invoquant leur prescription, dès lors que ces faits, bien que connus de l'employeur depuis plus de deux mois, sont un dés éléments d'appréciation d'un comportement du salarié qui se serait poursuivi dans ce délai.

S'agissant des sollicitations des élus de la Délégation Unique et plus particulièrement de Mme [O], secrétaire du CE, force est de constater que l'employeur ne produit pas d'élément suffisamment probant venant établir le fait que [L] [C] était l'auteur de demandes incessantes, insistantes et souvent menaçantes, comme il l'affirme, en dehors des procès verbaux de réunions du CE des 19 février et 18 mars 2008, faisant certes état de mouvements d'humeur malheureux, dès lors que [L] [C] produit un mail en date du 12 mars 2008 illustrant qu'il s'était adressé à Mme [O] en des termes courtois, afin qu'elle lui communique les procès-verbaux concernant le CE à compter d'octobre 2007, conformément à sa mission de délégué syndical.

En effet, la lettre de démission de Mme [O], en date du 14 avril 2008, ne vise que de façon succincte des « conditions telles » qu'elle ne peut assurer son rôle sereinement, sans autre précision. Ce n'est que le 11 juillet 2008, soit trois mois après la sanction litigieuse, qu'elle précisera les raisons de sa démission de son poste de secrétaire du CE le 14 avril 2008 alors que son mandat aurait dû prendre fin le 16 janvier 2011, dans une lettre ne comportant pas le nom de son destinataire, donc dénuée de force probante.

En outre, si la note du syndicat CFDT en date du 16 mai 2008 évoque le comportement du délégué syndical, elle s'inscrit dans le contexte de la suppression des délégués syndicaux et du comité d'entreprise, envisagée depuis le 17 avril 2008.

Enfin, la « note » de Mme [B], en date du 13 octobre 2008, est non seulement postérieure à la sanction mais encore fait état d'un comportement qui durait depuis « environ deux ans » et du « ton de ses écrits » devenu « insupportable et contre performant » sans autre précision, ce qui ne corrobore pas le grief allégué.

S'agissant des "propos ou sous-entendus blessants voire humiliants », tenus à l'égard de certains salariés, qui « auraient de fait informé la Médecine du Travail de la gêne occasionnée » et dont les délégués du personnel ont saisi la direction générale le 17 avril 2008, le salarié rétorque à juste titre qu'ils ne sont pas établis : aucune précision n'est fournie dans la lettre concernant leur identité, la date, le lieu et/ou la nature précise des faits reprochés, privant la cour de la possibilité d'en apprécier la portée et donc la proportionnalité de la sanction qui s'en est suivie. De même, aucun élément extérieur ne vient corroborer ce grief, alors qu'il est fait état de saisines de médecins personnels et de la médecine du travail.

S'agissant de l'attitude « vexatoire » qu'il aurait eu à l'encontre de deux de ses collègues, notamment d'une salariée, le 13 mars 2008, si l'employeur précise dans ses conclusions qu'il s'agit de Mme [U] [M], qui atteste qu'elle aurait été vexée par le fait que [L] [C] l'aurait imitée en train de soupirer à plusieurs reprises le 13 mai 2008 à 15 heures, le salarié fait observer que l'attestation qu'elle produit n'est non seulement pas datée, mais aussi que par courrier du 10 avril 2008, l'employeur visait un « courrier du 27 mars 2008 » faisant état de l'attitude vexatoire de [L] [C] à son égard.

Certes, l'inspecteur du travail a été destinataire de cette attestation le 28 avril 2008, ce qui démontre qu'elle n'a pas été établie pour les besoins de la cause, postérieurement à l'avertissement du 6 mai 2008, contrairement à ce que soutient le salarié. Il n'en demeure pas moins qu'elle émane de la salariée se prétendant victime du comportement reproché et n'est corroborée par aucun autre élément objectif, ce qui la prive de toute force probante, d'autant plus que pour sa part le salarié justifie de nombreuses et concordantes attestations de salariés en faveur de son comportement à leur égard et au sein de la société, comme en atteste plus particulièrement Mme [Y], directrice d'étude ayant travaillé durant 25 ans avec lui.

S'agissant de l'usage prétendument abusif de la messagerie interne de la société, le salarié soutient sans être utilement contredit que l'employeur n'a réglementé et limité l'usage de ladite messagerie que par note du 9 mai 2008, soit 3 jours après le prononcé de l'avertissement. Au demeurant, la société ne produit aucun élément matérialisant l'abus reproché.

Il ressort de l'ensemble de ces constations que l'avertissement, nonobstant les relations exécrables relevées par l'inspecteur du travail le 30 juin 2008 entre le salarié et le directeur Général du CEREN, est injustifié, doit être annulé, et sa mention retirée de son dossier personnel, sans qu'il soit nécessaire de prononcer d'astreinte.

Le salarié ayant été notamment accusé à tord de ne pas exécuter de bonne foi son contrat de travail, a subi un préjudice moral que la cour est en mesure de fixer à la somme de 1000€.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit du CEREN, lequel versera à [L] [C] la somme de 1500€ à ce titre et supportera les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement en toutes ses dispositions :

Statuant à nouveau et ajoutant,

Annule l'avertissement prononcé le 6 mai 2008 à l'encontre de [L] [C] par le GIE CEREN,

Ordonne le retrait de sa mention dans le dossier personnel de [L] [C],

Condamne le GIE CEREN à verser à [L] [C] la somme de 1000€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

Déboute le GIE CEREN de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne le GIE CEREN à verser à [L] [C] la somme de 1500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne le GIE CEREN aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 10/09178
Date de la décision : 05/07/2012

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°10/09178 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-07-05;10.09178 ?
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