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21/06/2012 | FRANCE | N°10/08975

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 21 juin 2012, 10/08975


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRÊT DU 21 Juin 2012

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/08975 - JS



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Juillet 2010 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 08/01751



APPELANT

Monsieur [J] [N]

Domicilié chez Me VARET

[Adresse 8]

[Localité 1]

représenté par Me Claude VARET, avocat au bar

reau de BESANÇON



INTIMEE

SA GUERLAIN

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Céline BEAUVAIS, avocat au barreau de PARIS, toque : D0404



COMPOSITION DE LA COUR :



En ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRÊT DU 21 Juin 2012

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/08975 - JS

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Juillet 2010 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 08/01751

APPELANT

Monsieur [J] [N]

Domicilié chez Me VARET

[Adresse 8]

[Localité 1]

représenté par Me Claude VARET, avocat au barreau de BESANÇON

INTIMEE

SA GUERLAIN

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Céline BEAUVAIS, avocat au barreau de PARIS, toque : D0404

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Mai 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Julien SENEL, Vice-Président placé, chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Catherine METADIEU, Présidente

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

M. Julien SENEL, Vice-Président placé sur ordonnance du Premier Président en date du 22 mars 2012

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

Après avoir occupé diverses fonctions au sein du groupe LVMH à compter du 14 septembre 2001, [J] [N] s'est vu confier par la société Guerlain, qui a pour activité la création et la vente de parfums et de produits cosmétiques, le 15 janvier 2007, une mission de trois ans à [Localité 7], au sein de sa filiale, en qualité de Directeur Général Moyen Orient, moyennant une rémunération fixe annuelle de 273487 AED, outre un bonus sur performances, une prime de mobilité, une garantie taux de change sur la partie épargne de son revenu, la prise en charge de ses frais de déménagement, une prime d'accueil au moment de son installation définitive à [Localité 7], une participation aux frais de logement, une prime de transport, la prise en charge des frais de scolarité de ses deux enfants et d'un voyage annuel aller-retour [Localité 7]/[Localité 9], en classe économique.

Après avoir été mis en garde par courriel de son supérieur hiérarchique, [T] [B], le 23 avril 2007 à la suite de la visite sur place d'[Z] [G], Directrice des ressources humaines de Guerlain, notamment sur son mode de management, il a été convoqué par lettre du 26 septembre 2007 à un entretien préalable fixé au 3 octobre 2007 et mis à pied à titre conservatoire puis licencié pour faute grave le 8 octobre 2007.

L'entreprise occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des industries chimiques.

Contestant son licenciement et ne s'estimant pas rempli de ses droits, [J] [N] a, le 8 février 2008, saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris, lequel, par jugement du 30 juillet 2010, l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, a débouté la société Guerlain de sa demande reconventionnelle et a condamné [J] [N] aux dépens.

Régulièrement appelant, [J] [N] demande à la cour de juger son licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et de condamner la société Guerlain à lui payer les sommes suivantes :

- 27500€ d'indemnité de préavis (3 mois) et congés payés afférents,

- 20000€ d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 50000€ de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 20000€ d'indemnité pour procédure particulièrement vexatoire,

- 20000€ de dommages et intérêts pour préjudice moral,

-25000€ au titre de la perte du niveau de vie indice COLAS non appliqué,

-31051€ au titre de la perte sur stocks options et actions gratuites non souscrites

- 5000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

outre la remise d'une attestation Assedic rectifiée sous astreinte de 100€ par jour de retard, et les entiers dépens.

La société Guerlain demande à la cour de confirmer le jugement déféré, débouter [J] [N] de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 4000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur le licenciement :

Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

En l'espèce, la lettre de licenciement, dont la motivation fixe les limites du litige, est rédigée comme suit :

« Nous avons pris la décision de vous licencier pour les motifs suivants :

' Alors que vous êtes Directeur Régional Moyen Orient depuis le 15 janvier 2007 et que vous dirigez à ce titre GUERLAIN [Localité 7], vous avez pris la liberté de demander à un de vos collaborateurs, Monsieur [D] [C], Responsable Merchandising, de travailler sur un business plan pour mettre en place à [Localité 7] une fabrique de meubles spécialisée dans l'agencement de magasins pour le compte d'un investisseur que vous connaissez.

La mission que vous entendiez lui confier était précise et très étendue.

Or, il s'agit d'une mission sans rapport avec les fonctions qu'il exerce au sein de notre entreprise, et totalement étrangère aux intérêts de la société GUERLAIN.

Monsieur [D] [C] s'est montré fort embarrassé face à une telle demande de votre part qui exigeait de lui un investissement important et nous en a informé le 29 août dernier.

Nous ne pouvons tolérer que vous preniez une telle initiative, qui sort totalement de vos fonctions et de la mission pour laquelle nous vous avons engagé et que vous impliquiez en outre un de nos salariés.

'Nous constatons également que vous persistez dans un comportement fautif à l'égard de vos collaborateurs.

En avril dernier, à la suite de plaintes et de démissions de certains d'entre eux, nous vous avions déjà rappelé à l'ordre.

Or, le Mercredi 19 septembre dernier, Monsieur [U], Responsable Formation, que vous avez envoyé à [Localité 4] pour effectuer des formations de consultantes, nous a contacté, particulièrement bouleversé, à la suite d'un attentat à la voiture piégée faisant 6 morts et 56 blessés dans un quartier proche de son hôtel, plongeant la ville dans un chaos alarmant.

Il était très choqué de votre absence totale de considération à son égard. Ayant un besoin urgent de vos instructions et d'un soutien évident, il vous avait contacté et avait reçu, comme seule réponse, un message laconique de votre part lui indiquant que vous étiez au Koweït en train de diner....

Vous ne vous êtes pas même soucié de sa sécurité ni de celle des ambassadrices GUERLAIN sur place.

Votre décision de l'envoyer à [Localité 4], la veille d'élections présidentielles, période propice aux attentats, était en outre particulièrement fautive.

' De plus, Monsieur [B] a découvert fin Août que vous aviez de nouveau eu lors de votre visite en Arabie Saoudite un comportement déplacé en profitant de ce voyage pour faire auprès de nos agents locaux des achats personnels exigeant des « prix » privilégiés et ce, accompagné d'un salarié récemment embauché.

Monsieur [B] vous avait pourtant déjà mis en garde sur votre comportement déplacé lors de vos déplacements en Oman ou au Liban au cours desquels vous avez devant le personnel de GUERLAIN négocié sans ménagement une valise Delsey et une contrefaçon (!) de montre Piaget, mettant dans l'embarras certains de nos agents locaux que vous rencontriez pour la première fois.

Cela est inacceptable et nuit gravement à l'image de la maison GUERLAIN.

Nous ne pouvons tolérer de tels comportements et agissements fautifs.

Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reprochés, la poursuite de votre contrat de travail est impossible.

Votre licenciement prend effet immédiatement, sans indemnités de préavis, ni de licenciement.

La période de mise à pied à titre conservatoire ne vous sera pas payée.

Nous vous adresserons votre solde de tout compte, votre certificat de travail et votre attestation Assedic.

Nous vous informons par ailleurs de notre décision de lever la clause de non concurrence prévue à votre contrat de travail. Vous en êtes donc libéré et aucune contrepartie financière ne vous sera réglée(...)».

L'employeur reproche donc au salarié trois griefs, qu'il conteste intégralement.

S'agissant du premier grief, c'est vainement que la société reproche à [J] [N] d'avoir proposé à un de ses collaborateurs ([D] [C]) de travailler sur un « business plan » pour mettre en place à [Localité 7] une fabrique de meubles spécialisée dans l'agencement de magasins pour le compte d'un investisseur qu'il connaissait, ce qu'il conteste formellement, dès lors que :

- la société ne produit aucun élément objectif corroborant l'attestation du collaborateur concerné, placé sous son lien de subordination, et souhaitant continuer « pendant de très nombreuses années encore » au sein de Guerlain, ainsi que l'attestation de [T] [B], directeur export au sein de la société et supérieur hiérarchique de [J] [N]  ;

- la société ne démontre ni la matérialité de ce qui n'était selon ses propres dire qu'un simple projet, sans rapport avec les fonctions et la mission de [J] [N] et de son collaborateur, ni que ce projet était contraire à ses propres intérêts et qu'il nécessitait que ce collaborateur y consacre tout ou partie de son temps de travail à son détriment.

Le grief n'est donc pas établi. 

L'employeur reproche par ailleurs à [J] [N] un comportement fautif à l'égard de ses collaborateurs et plus spécialement d'avoir envoyé M.[U], responsable formation, assurer des formations de consultantes à [Localité 4] le 19 septembre 2007, à la veille d'élections présidentielles, période propice aux attentats et de ne pas avoir fait preuve de considération à son égard à la suite d'un attentat qui a eu lieu à proximité de son hôtel, ce qu'il conteste.

Si les plaintes et démissions attribuées au comportement de [J] [N], ayant donné lieu à un rappel à l'ordre en avril 2007, ne sont étayées par aucun élément objectif, la cour observe que celui-ci n'a alors pas contesté ledit rappel à l'ordre.

Toutefois, force est de constater que le document produit par l'employeur pour démontrer le comportement fautif du salarié envers M.[U], à la suite de l'attentat qui a eu lieu à proximité de son hôtel, est dénué de toute force probante, s'agissant manifestement ni d'un courriel, contrairement à ce qu'il soutient, ni d'une attestation.

Aucun élément ne permet par ailleurs de dire qu'un tel acte de terrorisme, par nature imprévisible, commandait à [J] [N] de s'opposer au déplacement de son collaborateur au Liban, prévu initialement en février 2007 et reporté au mois de septembre avec son accord.

Le grief n'est donc pas établi.

C'est en outre vainement que l'employeur développe des griefs relatifs à la période de Ramadan, ces griefs n'étant pas mentionnés dans la lettre de licenciement.

S'agissant du troisième grief, l'employeur affirme que [J] [N] a effectué des achats personnels à prix privilégiés lors d'un voyage en Arabie Saoudite fin août 2007 alors qu'il était accompagné d'un salarié récemment embauché, malgré une précédente mise en garde concernant son comportement déplacé en Oman et au Liban, ce qu'il conteste.

Si [J] [N] reconnaît avoir acheté des vêtements de marque dans un magasin discount de l'agent en Arabie Saoudite lors de sa visite, il affirme que ce magasin était ouvert au public et qu'il a réglé ses achats avec sa carte de crédit sans avoir à négocier le prix, sans être utilement contredit par son employeur, qui se contente de produire la note et l'attestation de M.[B], lesquelles ne sont corroborées par aucun élément objectif, comme par exemple, le témoignage de la « nouvelle recrue» qui accompagnait [J] [N], visée dans la lettre de licenciement.

Il en est de même s'agissant des comportements qui lui sont imputés lors de déplacements en Oman et au Liban, au surplus non datés.

Le grief n'est donc pas établi.

Il résulte de ces éléments que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse; cette situation ouvre droit au paiement des indemnités de rupture réclamées, non contestées en leur quantum, justifiées au regard de l'ancienneté du salarié, de sa catégorie professionnelle, du montant de son salaire et des dispositions légales et conventionnelles applicables ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 50000€ pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, compte tenu de son ancienneté, de sa rémunération au moment de la rupture et des conséquences financières générées par la perte de son emploi, en application de l'article L 1235-3 du code du travail.

Il convient en outre d'allouer à [J] [N] la somme de 10000€ à titre de dommages et intérêts, compte tenu des circonstances particulièrement vexatoires de la procédure de licenciement subie, ainsi que la somme de 10000€ en réparation du préjudice moral subi du fait de son éviction brutale et de sa mise à pied conservatoire.

Sur l'exécution du contrat de travail

L'employeur démontre qu'il a pris en compte l'indice COLAS au titre de la perte de niveau de vie, dans la rémunération du salarié, visée sur le « package expatriation ». La demande à ce titre est rejetée.

En revanche, [J] [N] est fondé en sa demande au titre de la perte sur stocks options et actions gratuites non souscrites du fait de son licenciement, lequel s'est avéré sans cause réelle et sérieuse.

Sans qu'il soit nécessaire de prononcer une astreinte, il convient en outre d'ordonner à la société Guerlain de remettre à [J] [N] une attestation destinée à Pôle emploi conforme au présent arrêt.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Guerlain, laquelle versera à [J] [N] la somme de 3000€ à ce titre et supportera les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement, sauf en ce qu'il a débouté [J] [N] de sa demande au titre de la non application de l'indice COLAS ;

Statuant à nouveau et ajoutant,

Condamne la société Guerlain à payer à [J] [N] les sommes suivantes :

- 27500€ d'indemnité de préavis et de congés payés afférents,

- 20000€ d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 50000€ de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 10000€ de dommages et intérêts pour procédure particulièrement vexatoire,

- 10000€ de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- 31051€ au titre de la perte sur stocks options et actions gratuites non souscrites,

- 3000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Ordonne à la société Guerlain de remettre à [J] [N] une attestation destinée à Pôle emploi conforme au présent arrêt ;

Ordonne le remboursement par la société Guerlain à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à [J] [N] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois ;

Condamne la société Guerlain aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 10/08975
Date de la décision : 21/06/2012

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°10/08975 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-06-21;10.08975 ?
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