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21/06/2012 | FRANCE | N°10/08749

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 21 juin 2012, 10/08749


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRÊT DU 21 Juin 2012

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/08749 - CM



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Mai 2010 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY section commerce RG n° 07/01141



APPELANT

Monsieur [S] [T]

[Adresse 1]

[Localité 3]

comparant en personne, assisté de Me Roland RAPPAPORT, avocat au barreau de PARIS,

toque : P0329 substitué par Me Judith SCHOR, avocat au barreau de PARIS, toque : P0329



INTIMEE

SA AIR FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Aurélien BOUL...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRÊT DU 21 Juin 2012

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/08749 - CM

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 25 Mai 2010 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY section commerce RG n° 07/01141

APPELANT

Monsieur [S] [T]

[Adresse 1]

[Localité 3]

comparant en personne, assisté de Me Roland RAPPAPORT, avocat au barreau de PARIS, toque : P0329 substitué par Me Judith SCHOR, avocat au barreau de PARIS, toque : P0329

INTIMEE

SA AIR FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Aurélien BOULANGER, avocat au barreau de PARIS, toque : T03 substitué par Me Isabelle MINARD, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 Mai 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine METADIEU, Présidente, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Catherine METADIEU, Présidente

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

M. Julien SENEL, Vice-Président placé sur ordonnance du Premier Président en date du 22 mars 2012

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

[S] [T] a été engagé par la compagnie AIR FRANCE à compter du 26 mai 1980 en qualité de steward saisonnier puis selon un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 18 décembre 1980.

Il occupait en dernier lieu un poste de steward hors classe.

Par courrier en date du 13 juin 2006, la société AIR FRANCE l'a informé qu'en application de l'article L.421-9 du code de l'aviation civile, il serait appelé à cesser son activité de navigant le 28 juillet suivant, en raison de l'atteinte de la limite d'âge.

Alléguant avoir recherché en vain un emploi au sol disponible et compatible avec la formation, les compétences et l'expérience professionnelle de [S] [T], la société AIR FRANCE, après l'avoir convoqué à un entretien préalable à une éventuelle rupture de son contrat de travail qui a eu lieu le 21 août 2006, lui a notifié cette rupture par lettre recommandée, datée du 25 août 2006.

C'est dans ces conditions qu'il a, le 12 mars 2007, saisi le conseil de prud'hommes de BOBIGNY.

Suite à la modification de l'article L.421-9 du code de l'aviation civile intervenue le 17 décembre 2008, permettant à partir du 1er janvier 2010 la prolongation jusqu'à 65 ans de l'activité des stewards, [S] [T] a, dès le 22 décembre 2008, sollicité sa réintégration, ce à quoi la société AIR FRANCE lui a opposé une fin de non recevoir.

Il a, par conséquent, demandé au conseil de prud'hommes, à titre principal, d'ordonner sa réintégration ainsi que des dommages-intérêts, et à titre subsidiaire, la condamnation de la société AIR FRANCE au paiement d'une indemnité conventionnelle de licenciement, d'une indemnité de rupture, d'une indemnité pour non-respect de la procédure, des dommages-intérêts pour préjudice lié à la perte de retraite, pour préjudice professionnel, pour préjudices annexes (mutuelle, prime d'intéressement, participation, PERE, avantage COMITÉ D'ENTREPRISE, perte directe sur achat cartes de sport) ainsi qu'une indemnité relative à l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement en date du 25 mai 2010, le conseil de prud'hommes a débouté [S] [T] de l'ensemble de ses demandes.

Régulièrement appelant de cette décision, [S] [T] demande à la cour d'infirmer ce jugement et statuant à nouveau de :

- dire que la compagnie AIR FRANCE n'a pas exécuté loyalement son obligation de reclassement à son égard

A titre principal,

- ordonner sa réintégration sous astreinte de 1 000 € par jour de retard à compter du présent arrêt

- condamner la société AIR FRANCE à lui verser la somme de 250 000 € au titre du préjudice subi entre la rupture de son contrat de travail et sa réintégration.

A titre subsidiaire,

- constater que le licenciement dont il a fait l'objet est sans cause réelle et sérieuse

En conséquence,

- condamner la compagnie AIR FRANCE à lui payer les sommes de :

' 3 578,28 € d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,

' 66 943 € d'indemnité conventionnelle de licenciement dont devra être déduite l'indemnité de rupture versée par la compagnie au moment de son départ, soit 52 999,49 €, soit un reliquat de 13 944,16 €

' 64 409,04 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' 60 348,30 € d'indemnité afin de compenser le préjudice lié à la perte de retraite

' 86 465,25 € d'indemnité pour compenser son préjudice professionnel,' 27 188 € d'indemnité au titre des préjudices annexes

' 5 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société AIR FRANCE demande à la cour de :

- dire qu'elle a régulièrement appliqué les dispositions du code de l'aviation civile relatives à la cessation d'activité en raison de l'âge

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions

-condamner [S] [T] au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie pour l'exposé des faits, prétentions et moyens des parties, aux conclusions respectives des parties déposées à l'audience, visées par le greffier et soutenues oralement.

MOTIVATION

Selon l'article L.421-9 du code de l'aviation civile, tel que modifié par la loi n°2004-734 du 26 juillet 2004, applicable à la rupture du contrat de travail de [S] [T], le personnel navigant de l'aéronautique civile de la section D du registre prévu à l'article L.421-3 ne peut exercer aucune activité en qualité de personnel de cabine dans le transport aérien public au-delà d'un âge fixé par décret.

Toutefois, le contrat de travail du navigant n'est pas rompu du seul fait que cette limite d'âge est atteinte sauf impossibilité pour l'entreprise de proposer un reclassement dans un emploi au sol ou refus de l'intéressé de l'accepter.

L'article D.421-10 du même code, dans sa rédaction issue du décret du n° 2004-1417 du 23 décembre 2004 précise que l'âge auquel le personnel navigant de l'aéronautique civile de la section D du registre prévu à l'article L.421-3 ne peut, en application de l'article L.421-9, exercer aucune activité en qualité de personnel de cabine dans le transport aérien public, est fixé à cinquante cinq ans.

Le 25 août, la société AIR FRANCE a notifié à [S] [T] la rupture de son contrat de travail en ces termes :

' A la suite de notre entretien préalable du 21 août dernier..., nous vous informons que nous sommes contraints de vous notifier la rupture de votre contrat de travail en application des dispositions des articles L.421-9 et suivants, et D.421-10 du code l'aviation civile (CAC) pour les motifs ci-après développés :

... Vous avez atteint la limite d'âge prévue par les articles susvisés le 28 juillet dernier.

Depuis cette date, vous ne pouvez plus exercer vos fonctions de personnel de cabine au sein de la compagnie.

Nous avons recherché dans l'entreprise, mais aussi au sein du Groupe Air France, les emplois au sol éventuellement disponibles et compatibles avec votre formation, vos compétences et expérience professionnelle.

Malheureusement nos recherches se sont révélées infructueuses.

Dès lors, c'est compte tenu de l'impossibilité légale de vous maintenir dans vos fonctions de personnel de cabine au regard de votre atteinte de la limite d'âge prévue par le CAC, et de l'absence de toute possibilité de reclassement au sol que nous sommes aujourd'hui contraints de vous notifier la rupture de votre contrat de travail, en application des dispositions des articles L.421-9 et suivants dudit code...'.

[S] [T] fait grief à la société AIR FRANCE de ne pas avoir exécuté loyalement son obligation de reclassement.

Il expose que dès le 5 mars 2006 puis le 15 mai, il a informé l'employeur de son souhait de prolonger son activité au-delà de ses 55 ans, que ces courriers sont restés sans réponse, que la société AIR FRANCE s'est bornée à lui adresser un questionnaire le 13 juin, sans évoquer ses précédents courriers, et enfin qu'aucune information ne lui a été donnée sur les recherches d'emploi qui auraient été effectuées, que la compagnie n'a pas respecté l'obligation de moyens de reclassement qui lui incombe alors même qu'en 2006, elle a procédé à de très nombreux recrutements dans le cadre du programme HUB et proposé quatre emplois sur son site intranet sans les lui proposer.

Il fait enfin valoir qu'il n'a jamais été informé de ce que le formulaire reçu avant l'entretien du 10 juillet 2006, constituait le support de sa demande de reclassement, et qu'en tout état de cause, il incombait à la société d'anticiper et de lui proposer par priorité les postes correspondant à ses compétences ouverts quelques jours ou après sa date d'anniversaire.

La société AIR FRANCE réplique qu'elle a respecté son obligation de reclassement, s'agissant d'une obligation de moyens, qu'en l'espèce, elle a entrepris des recherches effectives et concrètes de reclassement au sein du groupe AIR FRANCE mais que toutes ses démarches se sont révélées infructueuses.

Elle indique que le programme HUB concernait le redéploiement de la population des agents de trafic vers des métiers experts, que parmi les quatre offres d'emploi publiées sur son site intranet, deux étaient postérieures à la notification de la rupture de son contrat de travail, les deux autres concernant des postes d'assistant qualité et d'analyste fonctionnel-domaine planning PN, qu'ils ne correspondaient manifestement pas aux compétences de [S] [T].

*

L'obligation de reclassement mise à la charge de la société AIR FRANCE est une obligation de moyens.

Par courrier en date du 13 juin 2006, la société AIR FRANCE a informé [S] [T] de ce qu'il serait atteint par la limite d'âge de 55 ans le 28 juillet suivant, qu'il pouvait bénéficier d'un reclassement dans un emploi au sol, sauf impossibilité pour l'entreprise de proposer un tel emploi, qu'un entretien à cet effet était prévu le 10 juillet, et qu'il trouverait joint à ce courrier 'un questionnaire destiné à préparer cet entretien et mieux déterminer [son] profil et [ses] aspirations'.

[S] [T] a renseigné ce questionnaire intitulé «situation actuelle en date du 10/07/2006», a coché, parmi ses choix concernant les domaines d'emploi recherché, les secteurs des achats, commercial, de la communication, des ressources humaines et administration, des systèmes d'information, informatique et a répondu 'NON' à la question suivante : 'Avez-vous une idée du métier que vous souhaiteriez exercer'.

Force est de constater que ce questionnaire comporte des rubriques relatives à l'emploi recherché, au domaine souhaité, au niveau de formation, à la pratique des outils bureautiques, aux expériences professionnelles, et notamment des expériences autres que celles de personnel navigant.

Au regard de la nature des questions posées, il était clair que ce questionnaire était de nature à constituer le support d'une demande de reclassement.

Toutefois en ne sollicitant que son seul service de mobilité, sans s'adresser à d'autres sociétés du groupe, la société AIR FRANCE n'a pas mis en oeuvre, de manière loyale, les moyens propres à assurer un reclassement effectif de [S] [T] en considération des possibilités d'emploi, des vacances de poste, et des capacités de l'intéressé.

Il doit à cet égard être relevé que la société AIR FRANCE a délibérément ignoré les courriers que ce dernier lui a fait parvenir dans le but d'anticiper sur l'échéance proche de ses 55 ans, et de préparer son éventuel reclassement.

En n'examinant sa situation que cinq semaines avant la date anniversaire de l'intéressé, l'employeur n'a pas mis en oeuvre les moyens propres à permettre à [S] [T] d'accéder à de nouvelles fonctions.

Dès lors, la société AIR FRANCE ne peut se prévaloir de l'absence de qualification de ce dernier pour justifier le fait qu'elle ne lui a pas proposé plusieurs postes dont les fiches d'emploi ont été publiées sur son site intranet et soutenir qu'il ne pouvait occuper, à titre d'exemple, le poste d'analyste fonctionnel-planning compte tenu de sa connaissance informatique limitée à Word.

Il en résulte que la société AIR FRANCE ne démontre pas qu'elle a loyalement procédé à une recherche concrète et personnalisée de reclassement de [S] [T].

Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail :

Vainement [S] [T] sollicite sa réintégration, dès lors que la rupture du contrat de travail est intervenue avant la modification de l'article L.412-9 du code de l'aviation civile permettant désormais au personnel navigant de poursuivre une activité de navigant au-delà de 55 ans, modifié par la loi du 17 décembre 2008, laquelle n'a pas d'effet rétroactif.

Le manquement de la société AIR FRANCE à son obligation de reclassement n'est pas sanctionné par la nullité de la rupture du contrat de travail mais a pour seule conséquence de priver cette rupture de cause réelle et sérieuse.

Compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à [S] [T], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, une somme de 66 500 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

[S] [T] ne peut réclamer en plus de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'indemnité prévue à l'article L.1235-2 du code du travail, laquelle n'est due que lorsque le licenciement survient sans observation de la procédure de licenciement mais pour une cause réelle et sérieuse.

Il sera également débouté de sa demande tendant à obtenir le versement d'un complément au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Son contrat de travail étant rompu en application des dispositions de l'article L.423-1 du code l'aviation civile, il ne peut prétendre qu'au seul versement de l'indemnité spécifique prévue dans ce cas, laquelle est exclusive de toute autre indemnité contractuelle de licenciement.

Il lui sera, en revanche, alloué la somme globale de 7 500 € de dommages-intérêts en réparation de son préjudice résultant de la perte de chance de percevoir une pension de retraite plus élevée ainsi qu'un salaire pendant cinq ans, et de bénéficier des avantages liés à la qualité de salarié d'AIR FRANCE

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile :

L'équité commande qu'il soit fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de [S] [T] à laquelle il sera alloué la somme de 2 000 € à ce titre.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement déféré

CONDAMNE la société AIR FRANCE à payer à [S] [T] les sommes de :

- 47 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 7 500 € de dommages-intérêts

- 2 000 € en application l'article 700 du code de procédure civile

DÉBOUTE [S] [T] du surplus de ses demandes

CONDAMNE la société AIR FRANCE aux entiers dépens.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 10/08749
Date de la décision : 21/06/2012

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°10/08749 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-06-21;10.08749 ?
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