La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/06/2012 | FRANCE | N°10/06224

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 5, 12 juin 2012, 10/06224


Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 5



ARRET DU 12 JUIN 2012



(n° ,11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 10/06224



Décision déférée à la Cour : Renvoi devant la Cour d'appel de Paris par arrêt de la Cour de cassation du 21 janvier 2010 ( Pourvoi n°172 FS-P+B) après cassation de l'arrêt rendu le 25 novembre 2008 rendu par la Cour d'appel de Paris ( RG / 06/18457) sur l'

appel du jugement rendu le 25 septembre 2006par le tribunal de Commerce de Paris ( RG : 2004001420).



DEMANDEURS A LA SAISINE ET DEFENDEURS A LA SAISINE...

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 5

ARRET DU 12 JUIN 2012

(n° ,11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/06224

Décision déférée à la Cour : Renvoi devant la Cour d'appel de Paris par arrêt de la Cour de cassation du 21 janvier 2010 ( Pourvoi n°172 FS-P+B) après cassation de l'arrêt rendu le 25 novembre 2008 rendu par la Cour d'appel de Paris ( RG / 06/18457) sur l'appel du jugement rendu le 25 septembre 2006par le tribunal de Commerce de Paris ( RG : 2004001420).

DEMANDEURS A LA SAISINE ET DEFENDEURS A LA SAISINE

S.A. AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCES

agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par la SCP GRAPPOTTE-BENETREAU-JUMEL (Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU), avocat postulant, barreau de PARIS, toque : K0111, assistée de Me Pierre BLANCHARD, avocat plaidant, avocat au barreau de Paris, toque : G27.

S.A. GAN EUROCOURTAGE anciennement dénommée GAN EUROCOURTAGE IARD agissant en la personne de son directeur Général et tous représentants légaux

[Adresse 7]

[Localité 6]

représentée par Me Olivier BERNABE, avocat postulant, barreau de PARIS, toque : B0753

toque : K0111,

assistée de Me Dorothée LOURS, avocat plaidant, de la SCP RAFFIN, avocat au barreau de Paris, toque : P133.

DEFENDEURS A LA SAISINE

S.A. HSBC FRANCE,

[Adresse 1]

[Localité 4]

Société CCF FINANCE MOYEN-ORIENT

représentée par son liquidateur amiable Maître [U] [H]

C/0 Me [U] [H]

[Adresse 3]

[Localité 9] LIBAN

représentées par Me François TEYTAUD, avocat postulant, barreau de PARIS, toque : J125,

assistées de Me Michel JOCKEY et Me Lucile MERIGUET, d'ALTANA, avocats plaidants, avocat au barreau de Paris, toque : R021.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 20 Mars 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Dominique REYGNER, présidente de chambre

M. Christian BYK, conseiller

Monsieur Michel CHALACHIN, conseiller

qui en ont délibéré.

Rapport a été fait par Mme Dominique REYGNER, président, en application de l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Melle Fatia HENNI

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Dominique REYGNER, présidente et par Melle Fatia HENNI, greffier.

* * *

La société CREDIT COMMERCIAL DE FRANCE (CCF) devenue HSBC FRANCE (HSBC) a souscrit le 26 janvier 1999 à effet du 1er janvier 1999 pour son compte et celui des sociétés du Groupe, auprès de la société AXA GLOBAL RISKS devenue AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE (AXA), apériteur à hauteur de 76 %, et de la société CGU COURTAGE devenue GAN EUROCOURTAGE IARD (GAN), co-assureur à hauteur de 24 %, un contrat d'assurance comportant des garanties dites 'Détournement Fraude' et 'Globale de Banque', dans une limite fixée par avenant du 11 juillet 2001 et à effet du 28 juillet 2000 à 11 433 676 euros par sinistre et année d'assurance.

La société CCF FINANCE MOYEN ORIENT (CCF MO), société financière ayant son siège social à [Localité 9] (Liban), détenue majoritairement par le CCF, était dirigée depuis sa création en février 1997 par Monsieur [R] [M].

Soutenant avoir découvert début mars 2001 l'existence de pertes de l'ordre de 30 000 000 USD imputables à des agissements frauduleux de Monsieur [M], contre lequel la société CCF MO a déposé plainte le 1er mars 2002 auprès du procureur général de la cour d'appel de [Localité 9] pour escroquerie, détournement de fonds, faux et usage de faux et tentative d'escroquerie, et après avoir vainement demandé la prise en charge du sinistre aux co-assureurs, les sociétés HSBC et CCF MO ont, par actes d'huissier des 23 et 24 décembre 2003, assigné les sociétés AXA et GAN devant le tribunal de commerce de Paris aux fins principalement d'obtenir paiement de la somme de 11 433 676 euros au titre de la garantie 'Détournement Fraude'.

Par jugement rendu le 25 septembre 2006, ce tribunal a :

- dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer,

- condamné la société AXA, dans la proportion de 76 %, et la société GAN, dans la proportion de 24 %, sous déduction de la franchise contractuelle, à payer à la société HSBC et à la société CCF MO, prises conjointement, la somme de 11 281 226 euros majorée d'intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2001, avec capitalisation des intérêts dus depuis plus d'un an conformément aux termes de l'article 1154 du Code civil à compter du 24 décembre 2003, et la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté les sociétés HSBC et CCF MO du surplus de leurs demandes,

- condamné in solidum la société AXA et la société GAN aux dépens.

Sur appel de la société AXA la cour d'appel de Paris, par arrêt du 25 novembre 2008, a infirmé ce jugement, ordonné le sursis à statuer, rejeté toute autre demande et condamné la société HSBC aux dépens de première instance et d'appel.

Par arrêt du 21 janvier 2010 la Cour de cassation, considérant qu'en ordonnant le sursis à statuer sans déterminer l'événement susceptible d'y mettre fin, la cour d'appel de Paris avait violé l'article 378 du Code de procédure civile, a cassé l'arrêt rendu le 25 novembre 2008 et renvoyé la cause et les parties devant la même cour, autrement composée.

La société GAN a saisi la cour de renvoi le 4 mars 2010 et la société AXA le 2 juin suivant.

Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du magistrat de la mise en état du 16 septembre 2010.

Aux termes de ses dernières conclusions du 30 août 2011, la société GAN demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris,

- à titre principal, surseoir à statuer jusqu'à l'issue définitive de la procédure pénale en cours devant les juridictions libanaises,

- à titre subsidiaire, constater que les conditions de la garantie sollicitée ne sont pas remplies et à titre très subsidiaire que cette garantie est exclue et débouter les sociétés HSBC et CCF MO de toutes leurs demandes à son encontre,

- à titre infiniment subsidiaire et en tout état de cause, faire application de la franchise contractuelle, constater que la police ne prévoit aucune solidarité entre les membres de la coassurance et débouter les sociétés HSBC et CCF MO de leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- condamner la société HSBC à lui payer une somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et à l'intégralité des dépens.

Dans ses dernières conclusions du 12 mars 2012, la société AXA prie la cour de :

- réformer le jugement entrepris,

- surseoir à statuer dans l'attente d'une décision définitive des juridictions pénales libanaises concernant les agissements de Monsieur [M] à la tête du CCF MO,

- la recevoir en son moyen d'exclusion de garantie tenant aux pouvoirs dont Monsieur [M] était investi,

- subsidiairement, juger que les conditions de la garantie ne sont pas satisfaites, faute pour les assurés de démontrer l'intention frauduleuse de Monsieur [M],

- plus subsidiairement, constater que les préjudices allégués par les assurés trouvent leur cause d'une part, dans l'évolution des marchés, et d'autre part, dans leur choix délibéré de lever tout contrôle, au mépris de la réglementation,

- encore plus subsidiairement, juger que l'assuré a indemnisé sa clientèle au-delà de ses obligations et en conséquence, que cette partie du préjudice ne saurait être réparée par les assureurs,

- à titre infiniment subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la garantie due par les assureurs s'appliquerait en proportion de la part prise par ceux-ci dans la couverture du risque et sous déduction de la franchise contractuelle, et en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnité pour résistance abusive formée par les assurés,

- en tout état de cause, condamner solidairement les sociétés HSBC et CCF MO à lui verser une indemnité de 20 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et en tous les dépens.

Par dernières conclusions du 8 mars 2012, les sociétés HSBC et CCF MO demandent à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris,

- débouter les sociétés AXA et GAN de l'ensemble de leurs demandes,

- juger que le sinistre entre dans le champ d'application de la police et que les compagnies AXA et GAN sont tenues de les garantir des pertes subies du faits des agissements délictueux dont s'agit,

- en conséquence, condamner in solidum les sociétés AXA et GAN, dans la proportion de leur engagement, à leur payer la somme de 11 281 226 euros, tenant compte de la franchise, à titre d'indemnité de garantie, avec intérêts au taux légal et capitalisation conformément aux termes de l'article 1154 du Code civil à compter du 3 avril 2001, date de déclaration du sinistre, et celle de 150 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,

- condamner in solidum les sociétés AXA et GAN à payer à HSBC la somme de 50 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Ces conclusions sont expressément visées pour complet exposé des prétentions respectives des parties et de leurs moyens.

SUR CE, LA COUR,

Sur la demande de sursis à statuer

Considérant qu'aux termes de l'article 3 - OBJET DE L'ASSURANCE, A/, du Chapitre II relatif aux Conditions Spéciales de la garantie 'Détournement Fraude', 'le .....contrat garantit, dans les limites définies à l'article 19 des Conditions Particulières (concernant notamment le montant de la garantie et sa date d'effet), les pertes pécuniaires directes subies par l'assuré dans le cadre des activités garanties et résultant d'une infraction définie à l'article 1-7 des présentes, reconnue comme telle par l'assuré et l'assureur ou, à défaut, constatée judiciairement, lorsque la ou les infractions sont commises' notamment 'par un ou plusieurs préposés sans le concours de tiers' ou 'agissant en collusion avec des tiers qu'ils en soient les auteurs ou les complices' ;

Que l'article 1-7 définit les infractions en cause comme suit :

'Il s'agit de celles visées aux articles suivants du Code Pénal français ou législation similaire en vigueur à l'étranger. En l'absence d'une réglementation ou législation adéquate les infractions devront être qualifiées par assimilation au Code Pénal français.

- des faux (articles 441-1 à 441-8)

- de l'escroquerie (articles 313-1 à 313-2)

- de l'abus de confiance (articles 314-1 à 314-4)

- des atteintes aux systèmes de traitement automatisés de données (articles 323-1 à 323-7)

ainsi que l'article 421-1 2ème alinéa lorsque ces atteintes sont qualifiées d'acte de terrorisme' ;

Considérant que les sociétés AXA et GAN soutiennent que les assureurs et les assurés étant en désaccord sur la qualification des faits imputés à Monsieur [M], et les assurés n'apportant pas la preuve d'une infraction, fait générateur de la garantie, il doit être sursis à statuer jusqu'à ce que les juridictions répressives libanaises se soient définitivement prononcées sur la qualification des faits, afin notamment de permettre à la cour de disposer des éléments nécessaires à leur bonne compréhension et d'éviter tout risque de contrariété de décisions ;

Mais considérant qu'ainsi que le font à juste titre valoir les sociétés HSBC et CCF MO, à défaut d'accord entre assuré et assureur, la police n'exige pas pour la mise en oeuvre de la garantie que l'infraction invoquée ait été reconnue constituée et le cas échéant sanctionnée par une juridiction pénale, mais seulement qu'elle ait été constatée judiciairement ;

Que les juridictions civiles sont compétentes pour effectuer un tel constat ;

Qu'en vertu de l'article 4, alinéa 3, du Code de procédure pénale, le sursis à statuer ne s'impose pas en l'espèce et qu'une bonne administration de la justice conduit à écarter une telle mesure, qui retarderait au-delà du raisonnable le délai de jugement des prétentions des assurés, alors que rien ne laisse présager une issue rapide de la procédure pénale en cours au Liban depuis la plainte déposée le 1er mars 2002 ;

Considérant, en conséquence, qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer ;

Sur l'exclusion de garantie

Considérant que selon l'article 4 - EXCLUSIONS, 3/, du Chapitre II relatif aux Conditions Spéciales de la garantie 'Détournement Fraude', sont exclues 'les pertes pécuniaires résultant.....de toute infraction commise par.....toute personne préposé ou non, ayant la qualité de mandataire social de l'assuré subissant la perte' étant précisé que 'par mandataire social on entend exclusivement le président directeur général et le vice président directeur général du Crédit Commercial de France, les présidents directeurs généraux des sociétés anonymes et les présidents des conseils de surveillance dans le cadre de leur mandat pour les sociétés à forme directoire' ;

Considérant que les sociétés AXA et GAN se prévalent de cette exclusion de garantie au motif que Monsieur [M], directeur général de CCF MO, exerçait les prérogatives de président directeur général de cette société ;

Considérant que les sociétés HSBC et CCF MO font valoir que cette clause, qui doit s'interpréter restrictivement, n'est pas applicable compte tenu des fonctions de Monsieur [M] ;

Considérant qu'effectivement la clause dont s'agit, formelle et limitée, liste de façon claire et précise les mandataires sociaux visés par l'exclusion et ne saurait donner lieu à l'interprétation extensive souhaitée par les assureurs eu égard aux fonctions réellement exercées par Monsieur [M] au sein de CCF MO ;

Que Monsieur [M], directeur général de cette société, n'ayant pas la qualité de mandataire social au sens de ladite clause, peu important qu'il ait pu dans les faits être investi des pouvoirs du président directeur général, les infractions qu'il a éventuellement commises ne sont donc pas exclues de la garantie ;

Sur la mise en oeuvre de la garantie

Considérant que la société GAN soutient que les conditions d'application de la garantie ne sont pas réunies, faute pour les sociétés HSBC et CCF MO de démontrer la réunion cumulative d'infractions commises par Monsieur [M], de pertes pécuniaires et d'un lien de causalité direct et exclusif entre les délits invoqués et les pertes alléguées ;

Qu'à titre subsidiaire, outre l'exclusion de garantie ci-dessus analysée, elle excipe de l'attitude des assurés après la révélation des faits litigieux et du caractère excessif et injustifié de leurs demandes ;

Considérant que la société AXA, affirmant que les assurés avaient connaissance des opérations critiquées, prétend pour des motifs similaires que les conditions de la garantie ne sont pas satisfaites, faute notamment de démonstration de l'intention frauduleuse de Monsieur [M] et les préjudices allégués trouvant leur cause dans l'évolution défavorable des cours, l'absence de tout contrôle du CCF sur sa filiale et la participation active et déterminante du CCF et du courtier CCF Securities aux activités de Monsieur [M] ; qu'à titre subsidiaire, elle discute le montant de l'indemnisation sollicitée ;

Considérant que les sociétés HSBC et CCF MO font valoir que les infractions pénales à l'origine des pertes enregistrées par CCF MO étant constituées, le lien de causalité entre ces pertes et les infractions commises établi, et le montant des pertes subies justifié, la garantie est acquise ; qu'elle ajoute que les obligations à la charge de l'assuré ont été respectées et que les prétendus manquements aux règles de contrôle interne des sociétés du groupe CCF allégués par les assureurs sont indifférents ;

Sur le constat des infractions

Considérant que les sociétés HSBC et CCF MO avancent, sans contestation des parties adverses, que les infractions de faux, escroquerie et abus de confiance qu'elles imputent à Monsieur [M] sont similaires tant dans leurs définitions que dans leurs éléments constitutifs en droit pénal français et libanais (articles 453 et suivants, 655 et suivants et 670 du Code pénal libanais) ; que la qualification de ces infractions sera donc effectuée au regard des dispositions du Code pénal français, étant observé qu'il suffit pour la mise en oeuvre de la garantie qu'une seule des infractions visées au contrat ait été reconnue ou constatée judiciairement ;

- Sur les faux

Considérant que l'article 441-1 du Code pénal définit le faux comme 'toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques' ;

Considérant qu'il ressort du rapport des investigations auxquelles l'Inspection Générale du CCF a procédé au CCF MO du 14 au 16 mars 2001 à la suite de la découverte début mars 2001 d'irrégularités commises par Monsieur [M] que ce dernier a notamment distribué à ses clients les recettes tirées de la vente d'options sans leur faire supporter simultanément les risques de pertes correspondants et ce faisant, délibérément faussé les comptes de la société, qu'il s'est livré à une fuite en avant ruineuse pour la banque en dissimulant des opérations, en reportant ses pertes potentielles ou réalisées au prix d'un accroissement des positions de marché prises au nom de ses clients, en retardant fréquemment la comptabilisation de transactions et en tentant de dissimuler plus longtemps ses pertes sous le couvert du compte 'SPECTRIM', créé à cet effet en janvier 2001, et qu'il a délibérément neutralisé les contrôles internes de la banque en donnant à ses subordonnés l'instruction de retarder la comptabilisation d'opérations, voire en leur en cachant l'existence ;

Considérant que ce rapport est confirmé par la consultation écrite du1er septembre 2004 et la note complémentaire du 16 mai 2005 établies à la demande du CCF par Monsieur [B], expert financier près la cour d'appel de Paris et agréé par la Cour de cassation, ainsi que les diverses pièces justificatives jointes à ces documents et/ou produites dans le cadre de la procédure judiciaire, non utilement contredits par les avis techniques des 10 mars et 19 septembre 2005 de Monsieur [C], chargé de cours à Lyon Lumière et Panthéon-Assas en matière de techniques financières et bancaires et gestion des risques de marché, consulté par les assureurs ;

Qu'il en résulte les éléments suivants :

S'agissant du marché américain

Considérant qu'en février 2000, Monsieur [M] a créé un compte SPECTRUST USA (SPEC US) pour gérer les sommes investies par des clients sur le marché américain, sur lequel étaient essentiellement enregistrées des opérations de vente et achat d'actions ; qu'entre septembre et décembre 2000, il a acquis 45 000 titres Sycamore au prix moyen de 70 US $, sans les inscrire dans le compte SPEC US ou des comptes de clients ; que le cours de ces titres ayant fortement baissé à la fin de l'année 2000, pour atteindre 35 à 40 US $, il a dissimulé ses pertes en demandant le 28 décembre 2000 à ses services la comptabilisation des titres sur des comptes de clients justifiés par 21 bordereaux d'achats fabriqués pour l'occasion et portant tous la date du 29 novembre 2000 (comptes dits 'parking') ; que ces titres ont été sortis le 4 janvier 2001 des comptes clients à leur prix d'entrée et virés sur le compte SPECTRIM US qu'il a créé à la même époque, codifié comme un compte client soldé trimestriellement mais qui, en réalité n'était pas alimenté par les fonds de clients ;

Que par ailleurs, pour dissimuler d'autres opérations qu'il ne voulait pas voir figurer dans la comptabilité de l'exercice 2000, Monsieur [M] a fait établir un faux rapprochement bancaire dans lequel il supprimé au débit et au crédit certaines écritures sur titres ;

Qu'en janvier 2001, certains titres omis dans l'état de rapprochement ont été affectés à un client, Monsieur [X] [S], par le débit de son compte d'une somme de 1 239 909,30 US $, ultérieurement ramené à zéro par des mouvements apparaissant frauduleux (compte dit 'dormant') ;

Que de nombreuses autres opérations effacées de l'état de rapprochement du 31 décembre 2000 ont été également imputées sur le compte SPECTRIM US ;

S'agissant du marché français

Considérant qu'au cours de l'été 1999, Monsieur [M] a créé un compte SPECTRUST EURO (SPEC EURO) pour gérer les sommes investies par des clients, sur lequel étaient essentiellement enregistrées des opérations sur options et futures sur CAC 40, consistant en des ventes de 'puts' et de façon plus marginale d'achats de 'puts' et de ventes de 'calls' ;

Qu'à partir de janvier 2001, en raison de l'évolution défavorable des marchés, Monsieur [M] a pour un certain nombre d'opérations crédité le compte SPEC EURO des primes obtenues au moment des ventes de 'puts' qu'il a distribuées aux clients qui avaient placé leurs fonds dans SPEC EURO sans attendre le dénouement des opérations, et a imputé les pertes à l'échéance sur un compte du CCF MO intitulé SPECTRIM EURO par lui créé au début de l'année 2001 qui, comme le compte SPECTRIM US, était codifié comme un compte client soldé trimestriellement mais qui n'était pas alimenté par les fonds de clients ;

Qu'en outre, il a imputé au compte SPECTRIM EURO de nombreuses opérations perdantes sur contrats à terme, toutes enregistrées le 2 mars 2001 alors que les dates de valeurs figurant dans les libellés montrent qu'elles avaient été engagées antérieurement à cette date, ce qui laisse présumer qu'elles ont été cachées pendant une certaine période ;

Considérant que la comptabilité d'une société commerciale étant destinée à servir de preuve, de même que les bordereaux d'achats de titres, constitue un faux en écriture de commerce pénalement punissable le fait par une personne, tenue de justifier sur le plan comptable les mouvements de fonds effectués en vertu de son mandat, de porter dans ses écritures des mentions inexactes concernant les opérations correspondantes, ces mentions inexactes pouvant procéder aussi bien de falsifications que d'omissions, données inexactes ou mensongères et retards de comptabilisation ;

Considérant que les graves irrégularités comptables opérées par Monsieur [M] directement ou sous ses ordres lui ont permis de dissimuler l'importance des risques pris au regard des fonds confiés en gestion et des fonds propres de CCF MO ainsi que l'ampleur des pertes tant aux clients de la CCF MO qu'à la banque elle-même, qui n'a découvert la situation que début mars 2001 sur l'alerte donnée par le directeur général adjoint, et étaient donc de nature à leur causer un préjudice ;

Que la sophistication des procédés employés par Monsieur [M] et sa grande expérience professionnelle, puisqu'il avait été embauché en 1996 pour développer la CCF MO après une carrière d'une dizaine d'années dans les activités de marché d'un autre établissement bancaire, d'abord comme trader sur produits dérivés puis responsable du desk des options de taux et de change, ne laisse planer aucun doute sur sa parfaite connaissance de l'énormité des risques pris et sa volonté délibérée de fausser les comptes pour dissimuler le plus longtemps possible les pertes et neutraliser les contrôles internes ;

Considérant que l'infraction de faux est en conséquence caractérisée en tous ses éléments constitutifs ;

- Sur l'escroquerie

Considérant que selon l'article 313-1 du Code pénal, 'l'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge' ;

Considérant que le fait que la plaquette commerciale destinée à la clientèle de CCF MO mentionne comme gestionnaire de l'outil SPEC-TRUST 'CCF Finance Asset Management', correspondant à la dénomination du service en charge de la clientèle d'investisseurs, et indique, s'agissant du risque, que cet outil pouvait s'appuyer sur un effet de levier de 50 % que Monsieur [M] n'a pas respecté, ne peut s'analyser en une manoeuvre frauduleuse au sens des dispositions pénales susvisées ;

Que par ailleurs, si les manoeuvres frauduleuses caractérisées par les faux imputables à Monsieur [M] ont pu tromper les intimées sur les conditions réelles dans lesquelles les opérations litigieuses étaient réalisées, elles n'ont pas déterminé le CCF MO à engager ses fonds propres, celui-ci n'ayant fait, selon ses propres écritures, qu'assumer la charge des pertes consécutives aux engagements pris pour son compte par l'intéressé ;

Considérant qu'il s'ensuit que l'infraction d'escroquerie n'est pas constituée ;

- Sur l'abus de confiance

Considérant que l'article 314-1 du Code pénal dispose que 'l'abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis ou qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé' ;

Que le détournement peut résulter de l'utilisation par leur détenteur des biens confiés à des fins étrangères à la destination convenue entre les parties, même si ces biens ont été restitués au déposant ;

Considérant qu'il est établi par les pièces versées aux débats que Monsieur [M] a engagé sur les marchés français et américain des fonds excédant largement les limites fixées dans les mandats de gestion donnés par certains clients à CCF MO dans le cadre des contrats SPEC US et SPEC EURO mais également l'ensemble des avoirs de la clientèle avec ou sans mandat, d'un montant total de 14 à 24 millions d'euros, et les fonds propres de CCF MO, de 5 millions d'euros, puisqu'à fin 2000/début 2001, il avait pris des risques de marché équivalents à plus de 130 millions d'euros ;

Qu'en violant les mandats de gestion de clients et en engageant dans des opérations hautement spéculatives, sans autorisation et en usant de moyens frauduleux pour dissimuler ses agissements, les fonds déposés par les clients non signataires de tels mandats et ceux du CCF MO, Monsieur [M] a fait de ces fonds un usage auquel ils n'étaient pas destinés, constitutif d'un détournement ;

Considérant que là encore, Monsieur [M], eu égard à son expérience professionnelle, maîtrisait parfaitement les règles de l'intermédiation financière et ne pouvait donc ignorer le caractère prévisible du dommage résultant de l'utilisation qu'il faisait des fonds des clients et de la banque, ce qui suffit à caractériser l'élément moral de l'infraction, peu important qu'il n'ait pas eu l'intention de s'approprier ces fonds ;

Considérant que l'infraction d'abus de confiance est donc elle aussi caractérisée en tous ses éléments constitutifs ;

Sur les pertes pécuniaires subies

Considérant que les intimées justifient des pertes pécuniaires subies, notamment par un tableau récapitulatif détaillé faisant apparaître un montant total de pertes de 29 999 358 US $, confirmant le rapport d'inspection interne du CCF du 3 avril 2001 qui indiquait déjà que les irrégularités commises par Monsieur [M] avaient entraîné une perte pour le CCF MO de l'ordre de 30 300 000 US $ au 14 mars 2001, dont 10 474 000 US $ correspondant à des pertes sur le NASDAQ et 19 788 000 US $ à des pertes sur le CAC 40, perte qu'au demeurant Monsieur [C] lui-même ne discute pas ;

Sur le lien de causalité entre les infractions et les pertes

Considérant que si le contrat subordonne la garantie à l'existence d'un lien de causalité directe entre l'infraction commise et les pertes subies, il n'exige pas que l'infraction soit la cause exclusive des pertes ;

Considérant qu'il résulte tant du rapport d'inspection interne du CCF que des consultations de Monsieur [B] que les infractions commises par Monsieur [M] sont directement la cause des pertes subies par CCF MO ;

Considérant que Monsieur [C] émet certes l'avis qu'il s'agit en réalité de pertes de marché liées à une mauvaise gestion et à d'autres événements volontairement occultés par le CCF tels que la baisse brutale et significative des marchés financiers pour la filière US et les graves dysfonctionnements internes au niveau du groupe pour la filière européenne, tenant notamment à une absence délibérée de respect de la réglementation des marchés boursiers et des procédures internes de contrôle des risques imputable à CCF Securities ; qu'il estime aussi que le CCF connaissait la situation difficile de sa filiale libanaise dès la fin de l'année 2000 ;

Mais considérant que si d'autres facteurs ont pu concourir à la réalisation du sinistre, en particulier la faiblesse de la supervision des activités de la société CCF MO et de ses contrôles internes et le manque de rigueur du courtier CCF Securities -, il n'est pas démontré que les intimées ont eu connaissance avant le début du mois de mars 2001 des opérations critiquées, que Monsieur [M] leur a dissimulées comme il l'a été vu ci-dessus ;

Qu'à cet égard, il ne peut être déduit du fait qu'un prêt de 2 000 000 US $ du CCF à CCF MO a été mis en place le 29 décembre 2000 et annulé début janvier 2001, dans des conditions ignorées, que le CCF connaissait la situation de sa filiale et a voulu lui apporter un soutien financier avant de se rétracter ;

Considérant qu'en réalité, la société CCF MO n'aurait pas dû supporter de pertes liées à l'évolution des marchés du fait de la nature de son activité d'intermédiaire financier rémunéré par des commissions indépendantes du résultat des opérations, et n'en aurait effectivement pas subies si Monsieur [M] n'avait pas usé de procédés frauduleux pour effectuer des opérations qu'il n'avait pas le droit de réaliser en les dissimulant à ses collaborateurs et au CCF et en cachant les pertes qu'elles engendraient ;

Que les agissements délictueux de Monsieur [M] sont donc bien la cause directe et déterminante des pertes ;

Sur le respect des obligations mises à la charge de l'assuré

Considérant que le CCF a respecté les obligations incombant à l'assuré en cas de sinistre en adressant une déclaration à l'assureur le 3 avril 2001 et en déposant plainte auprès des autorités locales compétentes le 1er mars 2002 ; que, certes, cette plainte a été déposée un an après la découverte des agissements de Monsieur [M], alors que selon l'article 10 des conditions générales et particulières du contrat, elle devait l'être dans un délai de cinq jours ;

Que, toutefois, la sanction d'un tel manquement est prévue par le même article qui dispose que 'faute par l'assuré de se conformer' à cette obligation 'sauf cas fortuit ou force majeure, l'assureur peut réclamer une indemnité proportionnée au préjudice que ce manquement peut lui causer' ;

Or considérant que les assureurs ne se prévalent d'aucun préjudice à ce titre ;

Considérant, par ailleurs, qu'aucune disposition du contrat ne subordonne la mise en oeuvre de la garantie à l'existence et au respect par l'assuré de règles de contrôle internes de ses activités ni ne fait d'un éventuel manquement à ces règles une cause d'exclusion de garantie ; qu'en outre, les fautes imputées par les assureurs à CCF Securities, autre société du groupe CCF, ne peuvent être opposées à CCF MO, victime directe des agissements de son directeur général ;

Considérant qu'il s'ensuit que les conditions d'application de la garantie 'Détournement Fraude' sont réunies et que les assureurs doivent prendre en charge ce sinistre, dans les limites contractuelles ;

Sur le montant de l'indemnité

Considérant qu'il a été établi ci-dessus que les infractions commises par Monsieur [M] sont à l'origine des pertes pécuniaires directes subies par CCF MO, de l'ordre de 30 000 000 US $, et que les éventuels manquements imputables aux intimées ou à des tiers dans le contrôle des activités de CCF MO en général, et de Monsieur [M] en particulier, ne sont pas susceptibles d'entraîner l'exclusion ou la réduction de la garantie due par les assureurs en vertu du contrat ;

Que contrairement à ce que soutiennent les appelantes, le CCF MO ne pouvait faire supporter à ses clients les pertes issues d'opérations outrepassant pour certains les mandats confiés et en tout état de cause engagées à leur insu dans des conditions frauduleuses ; qu'en tout état de cause, comme l'a relevé le tribunal de commerce, la décision prise par la banque de ne pas répercuter une partie des pertes sur sa clientèle est sans incidence sur les obligations des assureurs, les pertes subies, même en défalquant les gestes commerciaux vis à vis des clients et les rémunérations perçues au titre des opérations effectuées, restant très supérieures au plafond de la garantie ;

Qu'enfin les appelantes n'établissent pas que les sociétés HSBC et CCF MO ont été indemnisées dans le cadre d'autres procédures, notamment celle les opposant au Cabinet ARTHUR ANDERSEN, commissaire aux comptes, dont elles déclarent qu'elle est toujours en cours, faisant à juste titre observer que dès lors que les assureurs auront réglé l'indemnité d'assurance, ils se trouveront subrogés dans les droits des assurés et pourront poursuivre ou engager toutes actions qu'ils estimeront appropriées pour la préservation de leurs intérêts ;

Considérant, en conséquence, qu'il convient de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné les sociétés AXA et GAN à payer aux sociétés HSBC et CCF MO la somme de 11 281 226 euros correspondant au plafond de la garantie due de 11 433 676 euros déduction faite de la franchise contractuelle de 15 450 euros, et ce chacune à proportion de sa part dans la co-assurance, soit 76 % pour AXA et 24 % pour le GAN, avec intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2001 et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du Code civil à compter du 24 décembre 2003, date de l'assignation en comportant la demande ;

Sur les dommages et intérêts pour résistance abusive

Considérant que les sociétés HSBC et CCF MO ne démontrant pas que les assureurs ont fait preuve d'un comportement dilatoire et exclusif de bonne foi afin de tenter d'échapper à leurs obligations contractuelles, le jugement entrepris doit être également confirmé en ce qu'il les a déboutées de leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens

Considérant que les sociétés AXA et GAN, qui succombent, seront condamnées aux dépens d'appel et à payer aux intimées une somme complémentaire de 10 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement entrepris,

Rejette toute autre demande,

Condamne la société AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCE et la société GAN EUROCOURTAGE IARD in solidum à payer à la société HSBC FRANCE et à la société CCF FINANCE MOYEN ORIENT la somme de 10 000 euros au titre de leurs frais irrépétibles d'appel,

Les condamne in solidum aux dépens d'appel, lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 10/06224
Date de la décision : 12/06/2012

Références :

Cour d'appel de Paris C5, arrêt n°10/06224 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-06-12;10.06224 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award