RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRÊT DU 31 Mai 2012
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/09093 - JS
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 16 Septembre 2010 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY section encadrement RG n° 09/02509
APPELANTE
SCP [H]-[Y]-[E]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Pierre AUDOUIN, avocat au barreau de SEINE SAINT DENIS, toque : PB172
INTIMEE
Madame [C] [Z]
[Adresse 1]
[Localité 3]
comparant en personne, assistée de Me Karim HAMOUDI, avocat au barreau de PARIS, toque : E0282
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Avril 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Julien SENEL, Vice-Président placé sur ordonnance du Premier Président en date du 30 novembre 2011.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Catherine METADIEU, Présidente
Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère
M. Julien SENEL, Vice-Président placé sur ordonnance du Premier Président en date du 30 novembre 2011
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
La SCP [H]- [Y] & [E] est l'office notarial de [Localité 3]. Il emploie plus de 11 salariés relevant de la convention collective nationale du Notariat.
[C] [Z] a été engagée le 1er septembre 2004 par contrat à durée indéterminée écrit à temps complet, en qualité de clerc rédacteur, moyennant une rémunération mensuelle brute de 2824 euros outre un 13ème mois. Elle a été promue cadre niveau 1 par avenant du 11 juin 2008 à effet au 1er janvier 2007.
Au début de l'année 2009, l'office notarial regroupait trois notaires, Maîtres [H], [Y], [E] et comptait dix huit salariés répartis sur cinq services : actes courants, droit de la famille, comptabilité, formalités, standard et réception.
Au mois de mars 2009, les gérants ont convoqué le délégué du personnel, afin de l'informer de leur décision de procéder à trois licenciements pour motif économique.
L'employeur a précisé, lors de la réunion du 19 mars 2009, sa décision de supprimer deux « postes de cadres C1 » et un poste de « technicien niveau 1 ».
Par courrier du 23 mars 2009, [C] [Z] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 2 avril 2009.A la suite de cet entretien, l'employeur lui a notifié, par lettre du 22 avril 2009, son licenciement pour motif économique.
[C] [Z] a adhéré à la convention de reclassement personnalisé le 23 avril 2009.
Elle a interrogé l'employeur sur les critères d'ordre de licenciement retenus par ce dernier, lequel lui a répondu que l'ordre légal des licenciements qu'ils avaient décidé d'appliquer n'avait pas lieu d'être, lorsque le licenciement concerne tous les postes d'une catégorie professionnelle déterminée, ce qui était son cas, les licenciements ayant porté sur l'ensemble des postes de la catégorie C1.
Ne s' estimant pas remplie de ses droits, elle a saisi le 20 juillet 2009 le Conseil de Prud'hommes de Bobigny aux fins d'indemnisation.
Par jugement du 16 septembre 2010, le Conseil de Prud'hommes a dit que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et a condamné la SCP à verser à [C] [Z] la somme de 31.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que 1.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Il l'a déboutée du surplus et a condamné la SCP aux entiers dépens.
[C] [Z] sollicite, au visa des articles L.1233-3 à L1233-5 et L 1235-3 du code du travail, la confirmation du jugement en ce qu'il a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse, et la condamnation de la SCP [H]-[Y] & [E] à lui verser la somme de 45934,20 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et subsidiairement la somme de 45934,20 euros à titre de dommages et intérêts pour violation des critères d'ordre de licenciement outre 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
La SCP [H]-[Y] & [E] demande à la cour de juger que [C] [Z] a été licenciée pour motif réel et sérieux et qu'elle a été consécutivement à ce licenciement remplie de ses droits, d'infirmer en conséquence en toutes ses dispositions le jugement et de débouter [C] [Z] de toutes conclusions plus amples ou contraires. A titre infiniment subsidiaire, la SCP demande de dire que l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ne saurait excéder la somme de 20432€ conformément aux dispositions de l'article L1235-3 du code du travail.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS
Sur le licenciement
La lettre de licenciement, datée du 22 avril 2009, qui fixe les limites du litige, est rédigée dans les termes suivants :
"Nous avons été contraints d'engager à votre encontre une procédure de licenciement pour les motifs économiques suivants :
L'Etude a constaté une forte diminution de son activité : le chiffre d'affaire pour 2008, par comparaison avec 2007, a subi une baisse de 453 000 €.
Les mois de Janvier et Février 2009 confirment la dégradation de la situation et constatent une perte de l'ordre de 60 000 euros pour chacune de ces périodes.
Nous devons réaliser des économies drastiques car la pérennité de l'étude est en danger.
Ces difficultés économiques générales, qui ont conduit à une forte baisse du chiffre d'affaire, ne nous permettent plus de financer une dualité de poste d'encadrement pour le service droit de la famille/ droit des successions.
La collaboration instituée entre Madame [S] [M] et vous-même, aussi utile et efficace qu'elle ait pu être, compte tenu notamment de votre compétence et de la qualité de votre travail, constitue aujourd'hui un mode de fonctionnement que l'étude ne peut plus supporter financièrement.
Or, votre domaine d'activité, du fait de sa moindre rentabilité structurelle, laquelle par le passé était compensé par la forte activité des services immobiliers. Cette compensation est aujourd'hui fortement compromise par la baisse très sensible de l'activité immobilière en général.
Nous avons réfléchi à des solutions de reclassement au sein même de l'étude, qui en raison de sa structure trop étroite sont impossibles car il n'existe aucun poste disponible et la fluctuation du personnel y est très réduite.
Nous avons interrogé nos confrères les plus proches sur leur besoin éventuel d'intégrer dans leur équipe une personne de votre qualité, mais en vain, car la crise s'est généralisée à toute la profession.
Dans le cadre de cette procédure, nous vous avons proposé le bénéfice d'une convention de reclassement personnalisé. Vous avez accepté d'adhérer à la convention dans le délai de vingt et un jours qui vous était imparti.
De ce fait, conformément à l'article L 1233-67 du code du travail, votre contrat est rompu d'un commun accord à compter du 23/04/2009 (...)".
C'est vainement que [C] [Z] conteste le motif économique de son licenciement dès lors que son employeur démontre les éléments suivants au moyen des pièces notamment fiscales produites:
- au cours des exercices 2007, 2008 et 2009, le chiffre d'affaires global de l'étude, composé du montant net des recettes, des produits financiers et des gains divers, a diminué de 3.289.128 € à 2.306.405 €, et le bénéfice imposable a diminué de 1.241.081 € à 595.672 € ;
- après paiement des charges professionnelles individuelles des associés, consistant dans les cotisations sociales, les intérêts et frais d'emprunt nécessaires à l'acquisition de leurs charges par les notaires associés et les frais de déplacement, les montants nets effectivement distribuables ont diminué de 909.786 € en 2007 à 592.662 € en 2008, puis à 275.715 € en 2009, de sorte que le bénéfice effectivement distribuable a diminué de 70% sur la période concernée ;
- s'agissant d'une société de personnes, et non d'une société de capitaux, la SCP ne pouvait constituer, en cas de résultats bénéficiaires en fin d'exercice, des réserves non imposables ni, en cas de pertes, les reporter à nouveau ;
- les actes reçus en l'étude ont baissé de 2068 en 2008, à 1.559 en 2009, en raison principalement de la crise immobilière.
Ces éléments sont par ailleurs corroborés par l'analyse de l'activité économique de la SCP effectuée par Monsieur [W], expert comptable de la SCP, au cours des exercices 2007, 2008 et 2009 ainsi que par la convention d'autorisation de découvert négociée avec la Caisse des Dépôts pour faire face aux besoins de trésorerie pour un an à compter du 1er juillet 2009.
Au regard de la date du licenciement, le redressement relatif du résultat, à la fin du second trimestre 2009 par rapport à son état à la fin du 1er semestre est inopérant, étant en outre observé que ce redressement est incontestablement lié d'une part à l'effet financier des trois licenciements prononcés, dont celui de [C] [Z], en avril 2009, et d'autre part à la réalisation à l'automne 2009 d'un honoraire exceptionnel à la suite d'une opération immobilière de très grande ampleur, s'agissant d'un programme de 430 logements et de 9 commerces par la société ICADE PATRIMOINE, non prévu à la date du licenciement litigieux.
Il en est de même de l'acquisition faite le 16 octobre 2008 d'un local voisin du siège de l'étude, par la SCI Les Alisées, dont les trois associés de la SCP sont les propriétaires. Il n'est pas contesté que la SCI loue à la SCP les locaux professionnels. En effet, cette vente, consentie par la commune de [Localité 3] était prévue de longue date, l'habilitation donnée au maire par le conseil municipal remontant au 15 novembre 2007, ainsi qu'il résulte des énonciations de l'acte de vente. Il n'est en outre pas contesté qu'elle avait pour objectif de régler les difficultés récurrentes d'archivage auxquelles la SCP se trouvait confrontée, caractérisant ainsi un simple acte de gestion, conforté par la résiliation concomitante par la SCP d'un local annexe situé en face du siège de l'étude.
C'est également vainement que [C] [Z] soutient :
-qu'en réalité les charges locatives assumées par l'employeur '178.676 € en 2007, 190.360 € en 2008 et 252.703 € en 2009 ' constitueraient pour les notaires associés, par l'intermédiaire de la SCI LES ALISEES constituée entre eux, une source de revenus complémentaires, dès lors, notamment, que cette SCI règle également des charges d'acquisition ;
-que l'intégration au sein de la SCP d'un nouvel associé, [U] [E], révélerait la bonne santé de l'étude à la date à laquelle le licenciement litigieux a été envisagé et réalisé, dès lors que, si celle-ci occupait un poste de clerc jusqu'à son intégration le 15 octobre 2007, elle n'a pas été remplacée dans son poste, de même que [C] [Z].
Sur l'obligation de reclassement
Compte tenu des circonstances de l'espèce, seul un reclassement extérieur pouvait être envisagé.
L'employeur démontre avoir vainement recommandé les salariées dont il envisageait le licenciement à diverses études du département de la Seine-Saint-Denis par courriers des 19, 23 et 24 mars 2009.
Il en résulte que le reclassement de l'intéressé était impossible et que l'employeur a respecté son obligation à ce titre.
Sur les critères d'ordre
L'employeur soutient à juste titre que la question des critères d'ordre est sans objet puisque [C] [Z] appartenait, contrairement à ce qu'elle affirme, à une catégorie professionnelle ' celle de cadre de catégorie 1 ' dont tous les membres, au nombre de deux, ont été licenciés, à savoir [C] [Z] et Madame [D].
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant de nouveau,
Dit que [C] [Z] a été licenciée pour une cause réelle et sérieuse,
Déboute [C] [Z] de ses demandes,
Condamne [C] [Z] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,