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25/05/2012 | FRANCE | N°10/22293

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 2, 25 mai 2012, 10/22293


Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 2



ARRET DU 25 MAI 2012



(n° 142, 9 pages)









Numéro d'inscription au répertoire général : 10/22293.



Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Octobre 2010 - Tribunal de Grande Instance de PARIS 3ème Chambre 2ème Section - RG n° 09/01625.









APPELANT :



SAS LA COQUE DE NACRE

prise

en la personne de son Président,

ayant son siège [Adresse 1],



représentée par Maître Pascale FLAURAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0090,

assistée de Maître Michèle LESAGE CATEL de la SEP LEGRAND LES...

Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 2

ARRET DU 25 MAI 2012

(n° 142, 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 10/22293.

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Octobre 2010 - Tribunal de Grande Instance de PARIS 3ème Chambre 2ème Section - RG n° 09/01625.

APPELANT :

SAS LA COQUE DE NACRE

prise en la personne de son Président,

ayant son siège [Adresse 1],

représentée par Maître Pascale FLAURAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0090,

assistée de Maître Michèle LESAGE CATEL de la SEP LEGRAND LESAGE CATEL, avocat au barreau de PARIS, toque : D1104.

INTIMÉE :

Société de droit suisse CARTIER INTERNATIONAL AG anciennement dénommée CARTIER INTERNATIONAL NV

prise en la personne de ses représentants légaux,

ayant son siège social [Localité 2] (SUISSE),

représentée par la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON-GIBOD-LEXAVOUE PARIS VERSAILLES en la personne de Maître Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477,

assistée de Maître Jean Daniel BOUHENIC substituant Maître Vincent FAUCHOUX du Cabinet DEPREZ GUIGNOT & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : P0221.

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 avril 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Eugène LACHACINSKI, président,

Monsieur Benjamin RAJBAUT, président de chambre,

Madame Sylvie NEROT, conseillère.

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Truc Lam NGUYEN.

ARRET :

Contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Monsieur Eugène LACHACINSKI, président, et par Monsieur Truc Lam NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.

La société de droit des Antilles néerlandaises CARTIER INTERNATIONAL NV a procédé le 19 mai 2006 au dépôt auprès de l'OMPI de la marque internationale figurative n°892 848 désignant la France visant en classe 14 les produits suivants : 'Articles de bijouterie, à savoir bagues, bracelets, breloques, boucles d'oreilles, pendentifs de type médailles d'identité, boutons de manchettes, pinces à cravate, colliers, broches ; montres, chronomètres, pendules, bracelets de montre ; montre-bracelets, écrins en métaux précieux pour montre et bijoux ; boucles de ceinture en métaux précieux' et constitué par le dessin d'une tête de vis ;

Fig1

Ayant été informée le 12 juin 2008 par les servies des douanes de la mise en retenue de marchandises susceptibles de contrefaire ladite marque portant sur 11.458 bagues appartenant à la société LA COQUE DE NACRE, la société CARTIER INTERNATIONAL a déposé le 23 octobre 2008 avec la société CARTIER CRÉATION STUDIO une plainte avec constitution de partie civile devant le Doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris ;

Estimant que la société CARTIER INTERNATIONAL NV voulait s'approprier un motif décoratif du domaine public, la société COQUE DE NACRE l'a assignée le 9 janvier 2009 devant le tribunal de grande instance de Paris sur le fondement de l'article L.712-6 du code de la propriété intellectuelle et de la règle fraus omnia corrumpit en nullité partielle de la partie française de l'enregistrement international n° 892 848 et en paiement de la somme de 6.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Par jugement du 22 octobre 2010, le tribunal a :

- débouté la société LA COQUE DE NACRE de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société CARTIER INTERNATIONAL NV de sa demande reconventionnelle de dommages intérêts pour procédure abusive,

- condamné la société LA COQUE DE NACRE à payer à la société CARTIER INTERNATIONAL NV la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

Vu l'appel interjeté le 18 novembre 2010 par la société COTE DE NACRE ;

Vu les dernières conclusion signifiées le 21 mars 2012 par lesquelles la société COTE DE NACRE demande à la cour au vu de l'article 3-1 b) de la directive CE-2008/95 du 22 octobre 2008, de l'article 6 quinquies B) 2° de la Convention d'Union de Paris, des articles L.711-1, L.711-2 et L.714-3 du code de la propriété intellectuelle et 1382 du code civil :

- d'infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions et de statuer à nouveau,

- de déclarer nulle la partie française de l'enregistrement international n° 892 848,

- de dire qu'il sera fait mention de la décision de nullité au Registre international des marques et au Registre national des marques sur réquisition du greffier ou de la partie la plus diligente,

Subsidiairement,

- de constater que la société CARTIER INTERNATIONAL AG ne revendique aucun monopole sur l'utilisation du motif 'vis' en décor de bijouterie,

- de condamner en tout état de cause, la société CARTIER INTERNATIONAL AG à lui payer la somme de 300.000 euros à titre de dommages intérêts et la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- de débouter la société CARTIER INTERNATIONAL AG de l'ensemble de ses demandes et de la condamner en tous les dépens de première instance et d'appel ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 29 mars 2012 par lesquelles la société CARTIER INTERNATIONAL NV devenue CARTIER INTERNATIONAL AG demande à la cour au vu des articles 9 et 32-1 du code de procédure civile et 1382 du code civil :

- de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

' dit que la marque figurative internationale n° 892 848 est distinctive,

' jugé que la distinctivité de la marque a été renforcée par l'usage qu'elle en fait depuis 1970,

' jugé que la société COQUE DE NACRE ne rapporte pas la preuve du prétendu caractère frauduleux du dépôt qu'elle a effectué,

' jugé que le dépôt du signe 'tête de vis' a été effectué par CARTIER pour les besoins de son activité, dans la continuité de son histoire esthétique et que le dépôt de ce signe après des années d'exploitation est légitime,

' dit que le dépôt de la marque figurative internationale n° 892 848 n'est pas frauduleux,

' débouté la société COQUE DE NACRE de l'ensemble de ses demandes,

- d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle l'a déboutée de son action indemnitaire et statuant à nouveau :

- de condamner la société COQUE DE NACRE à lui verser la somme de 150.000 euros au titre de la procédure abusive,

- de condamner la société COQUE DE NACRE à lui verser la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;

SUR QUOI, LA COUR :

Sur la demande de nullité de la partie française de la marque internationale n° 892 848 :

La société COQUE DE NACRE fonde son action en nullité sur les dispositions de l'article 7.1.b) du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 identiques à celles de l'article 3-1-b) de la directive n° 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008, de l'article 6 quinquies B 2° de la Convention d'Union de Paris et des articles L.711-1 et L.711-2 du code de la propriété intellectuelle ;

Elle soutient que la tradition du décor 'vis' fait partie d'un patrimoine commun de la bijouterie et de l'horlogerie et en veut pour preuve les extraits de l'ouvrage intitulé 'Le Livre de la Chaîne' de [J] [V] (Pièce 2 pages 140, 141, 149 et 151) qui démontrent qu'[B] [F] au XIXème siècle a créé des chaînes et bracelets portant des têtes de vis à titre décoratif et un extrait de l'ouvrage intitulé 'Bijoux Art Déco' de [L] [U] représentant un bracelet 'roulement à billes en ébonite et métal chromé 1931 (Pièce 3) ;

Elle verse également aux débats une multitude de documents démontrant que des bijoux à décor 'vis' ont fait l'objet de nombreux dépôts auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle entre 1994 et 2004, que la bague de Fritz Maierhofer créée en1971 (Pièce 4) ainsi que de nombreuses montres ou bijoux présentaient le même type de vis à usage fonctionnel ou décoratif que celui qui a fait l'objet du dépôt contesté (Pièces 6 à, 8 à 17 du dossier la Coque de Nacre) ;

Elle prétend donc qu'il est inexact de soutenir comme le fait la société CARTIER INTERNATIONAL AG que les usages de motifs 'vis' par des sociétés tierces en bijouterie seraient dans leur très grande majorité postérieurs au dépôt de la marque ;

Ceci étant exposé, il est établi que le droit des marques étant un droit d'occupation, tout signe, même appartenant au domaine public est susceptible de constituer une marque valable s'il remplit le critère de distinctivité exigé par les textes ;

L'usage d'un signe n'étant pas constitutif de droit, il est par conséquent sans importance que le signe déposé à titre de marque ait pu être utilisé par des tiers avant son dépôt puisqu'il ne remet pas en cause la validité de cette marque laquelle doit remplir la condition essentielle de distinctivité ;

En conséquence, le fait qu'il ait été fait usage par des tiers du motif de vis dans la bijouterie, dans la joaillerie ou dans l'horlogerie au cours des décennies, voire des siècles passés n'est pas de nature pour ce motif à invalider la marque déposée ;

Le motif tête de vis inclinée ronde à fente unique déposé étant en soi un signe arbitraire au regard des produits de la classe 14, l'unique question qui se pose à la cour est donc celle de savoir si à la date du dépôt de la marque, le 19 mai 2006, la représentation graphique de ce motif déposé par la société CARTIER INTERNATIONAL AG était de nature à identifier l'origine des produits visés dans l'enregistrement, tels les articles de bijouterie, à savoir les bagues, les bracelets, les breloques, les boucles d'oreilles, les pendentifs de type médailles d'identité, les boutons de manchettes, les pinces à cravate, les colliers, les broches ; les montres, les chronomètres, les pendules, les bracelets de montre, les montre-bracelets, les écrins en métaux précieux pour montre et bijoux ainsi que les boucles de ceinture en métaux précieux ;

En effet, le caractère distinctif doit être apprécié, d'une part, par rapport aux produits et aux services pour lesquels l'enregistrement est demandé et, d'autre part, par rapport à la perception qu'en a le public pertinent qui est constitué par le consommateur moyen desdits produits ou services, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ;

Il convient de remarquer qu'à l'exception des deux derniers produits visés dans l'enregistrement lesquels mettent en 'uvre des métaux précieux et concernent par conséquent une clientèle plus particulièrement intéressée par des produits de luxe, tous les autres produits visés sont destinés à un large public qui s'intéresse, en général, à la joaillerie, à la bijouterie et à l'horlogerie, peu important la valeur, le style ou la qualité de l'objet marqué ;

L'article 7-1- point b) du règlement (CE) n° 40/94 interdit l'enregistrement des marques dépourvues de caractère distinctif, la loi n'accordant un droit exclusif au titulaire de la marque que si ce signe est apte aux yeux de la clientèle à exercer la fonction d'identification de l'origine commerciale des produits ou des services qu'il sert à désigner ;

L'article 7-1- b) du règlement (CE) n° 207/2009 a repris cette même disposition ;

L'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 11 juin 2009 C-542/07 (Imagination Technologies Ltd) a toutefois jugé que le législateur communautaire entendait limiter la protection des marques au titre de l'article 7, paragraphe 3, de ce règlement aux seules marques dont le caractère distinctif a été acquis par l'usage antérieur à la demande d'enregistrement (Points 48 et 49);

Il appartient donc à la société CARTIER INTERNATIONAL AG de démontrer que l'usage qu'elle fait de la marque représentée par une tête de vis inclinée ronde à fente unique permet à une fraction significative du public pertinent d'identifier grâce à celle-ci les produits qu'elle commercialise afin de les distinguer de ceux d'autres entreprises ;

Pour apprécier la distinctivité du signe, doivent être pris en considération les parts de marché détenue par la marque, l'intensité, l'étendue géographique et la durée de l'usage de cette marque, l'importance des investissements faits par l'entreprise pour la promouvoir, la proportion des milieux intéressés au identifie le produit comme provenant d'une entreprise déterminée grâce à la marque, les déclarations de chambres de commerce et d'industrie ou d'autres associations professionnelles ainsi que des sondages d'opinion (confère Point 51 de l'arrêt Windsurfing Chiemsee Produktions und Vertriebs GmbH C-108/97 et C-109/97 et Points 125 et 126 de l'arrêt de la Cour de justice de la Communauté européenne du 14 septembre 2009 Lange Uhren GmbH) ;

Contrairement à ce que soutient la société CARTIER INTERNATIONAL AG, les produits visés dans l'enregistrement sont, à l'exception de ceux mettant en 'uvre des métaux précieux, des ornements destinés à un large public et ne sont pas comme il a été dit ci-avant spécialement destinés à une clientèle particulièrement choisie ;

La société LA COQUE DE NACRE soutient que tous les documents produits par la société CARTIER INTERNATIONAL AG sont dépourvus de pertinence et ne peuvent prévaloir sur l'omniprésence du décor 'vis' sur le marché des bijoux, envisagé dans son ensemble depuis des décennies et sans discontinuité jusqu'au dépôt de la marque en 2006 ;

Mais à l'aide de la couverture d'un magazine daté du mois de juillet 1997 (Pièce 25), de la page 23 d'un catalogue affichant les prix en franc donc antérieurement au 1er janvier 2002, de catalogues couvrant la période 1981 à 2006 (Pièces19, 26, 31-2, 31-3, 31-4, 31-5, 31-6), de dépôts de dessins et modèles datés des années 2003, 2004 et 2005 (Pièce 23), la société CARTIER INTERNATIONAL AG démontre qu'elle utilisait à titre de marque et non pas comme simple élément ornemental ou technique une tête de vis inclinée ronde à fente unique sur les produits - montres, bracelets, bagues, qu'elle commercialisait avant la date de dépôt du 19 mai 2006 ;

Conformément aux dispositions de l'article 7-1- point b) du règlement (CE) n° 40/94, la société CARTIER INTERNATIONAL AG justifie ainsi à la date de dépôt de la distinctivité de sa marque auprès du consommateur moyen desdits produits, qui normalement informé et raisonnablement attentif et avisé reconnaîtra, grâce à la large publicité (Pièce 32) qui a été faite, que la tête de vis ornant les objets visés dans l'enregistrement de la marque sont à attribuer à la société CARTIER INTERNATIONAL AG et se distinguent des produits commercialisés par les autres concurrents ;

La société CARTIER INTERNATIONAL AG sollicite encore à son profit les dispositions du paragraphe 3 de l'article 7 du règlement (CE) n° 40/94 lesquelles prévoient que le paragraphe 1 point b), c), et d) n'est pas applicable si la marque a acquis pour les produits ou services pour lesquelles est demandé l'enregistrement un caractère distinctif après l'usage qui en a été fait (soulignement de la cour) ;

Une disposition visée à l'article 51-2 du règlement (CE) n° 40/94 se retrouve à l'identique à l'article 52-3 du règlement (CE) n° 207/2009 ;

Elle invoque également les dispositions de l'article 52.2 du règlement (CE) n° 207/2009 qui prévoient que lorsque la marque communautaire a été enregistrée contrairement à l'article 7 paragraphe 1, point b), c) ou d), elle ne peut toutefois être déclarée nulle si, par l'usage qui en a été fait, elle a acquis après son enregistrement un caractère distinctif pour les produits ou les services pour lesquels elle a été enregistrée ;

Elle trouve également dans les dispositions du dernier paragraphe de l'article L.711-2 du code de la propriété intellectuelle la preuve de son assertion selon laquelle le caractère distinctif peut être acquis par l'usage, sauf dans le cas prévu au paragraphe c) qui considère comme dépourvus de distinctivité les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature, ou la fonction du produit ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle ;

La société COQUE DE NACRE se référant à l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes C-542/07 du 11 juin 2009 (Imagination technologies Ltd) Point 54 réplique que l'acquisition du caractère distinctif par l'usage postérieurement au dépôt constituant une exception au principe de nullité affectant les signes qui en seraient par eux-mêmes dépourvus, les conditions de sa mise en 'uvre doivent être interprétées de manière restrictive ;

Mais outre le fait que la société CARTIER INTERNATIONAL AG justifie comme il a été démontré supra qu'elle utilisait le signe litigieux pour désigner ses produits auprès de sa clientèle avant la date d'enregistrement de la marque, elle démontre également par les pièces qu'elle verse aux débats (Pièces 28, 29, 31-7, 31-8, 31-9 et 31-10) que sa communication publicitaire postérieure au 19 mai 2006 et notamment pour les bijoux de la gamme LOVE (Pièces 33 et 34 - attestations respectivement du directeur financier et de la directrice de la communication) se réfère au signe déposé à titre de marque qu'elle présente comme une caractéristique de sa production ;

La société LA COQUE DE NACRE prétend que la vis ronde à un fente demeure perçue par le consommateur des produits concernés, soit comme un élément fonctionnel banal de fixation ou de fermeture, soit comme un décor ou un élément de décor, mais en aucun cas, et avec une quelconque certitude comme une marque de nature à garantir une origine ;

Elle soutient encore que les bijoux LOVE qui comportent des décors de têtes de vis non inclinées sur le pourtour sont identifiés dans leur origine par la marque 'Cartier', et le cas échéant, par la marque 'Love' enregistrée le 6 juillet 2007, et certainement pas par le signe 'vis' déposé comme marque, lequel ne peut être perçu par le consommateur que comme un élément fonctionnel de fixation ou de fermeture ou comme un élément de décor et pas comme une indication d'origine ;

Mais la société CARTIER INTERNATIONAL AG démontre par les pièces versées aux débats qu'elle commercialisait d'autres produits que le bracelet LOVE portant la vis à titre de marque (Pièces 31-2 Agrafe ornée de la vis du stylo Santos, 31-3 décor de vis sur la bague centrale des briquets Santos, 31-4 bague menotte, 31-4 bague Hilove) allant jusqu'à écrire 'Mais ce sont les vis qui les ponctuent, qui sont les plus révolutionnaires, les plus éclatantes, les plus évidentes. Véritable parti pris créatif qui consiste, à travers un motif, à montrer ce qui est d'ordinaire caché, à détourner une pièce mécanique de sa fonction utilitaire pour en révéler sa beauté' (Pièce 31-4) ;

L'aspect fonctionnel de la vis attribué à la fermeture du bracelet LOVE n'est donc pas présent dans les autres produits revêtus de la tête de vis constitutive de la marque n° 892 848 ;

Et contrairement à ce que soutient la société LA COQUE DE NACRE, l'identification de l'origine du bracelet LOVE réside dans les têtes de vis et pas dans la marque verbale ou semi figurative Cartier laquelle est gravée à l'intérieur du bracelet ;

Ainsi et contrairement à ce que prétend la société LA COQUE DE NACRE, la société CARTIER INTERNATIONAL AG justifie qu'après la date de dépôt, elle a fait un usage systématique de la tête de vis inclinée ronde à fente unique comme signe distinctif de ses produits auprès du public lequel reconnaît grâce à ce signe l'origine des produits sur lesquels il est reproduit et lui permet de les distinguer de ceux commercialisés par les concurrents ;

L'argumentation de la société LA COQUE DE NACRE selon laquelle des instances nationales étrangères ont rejeté la demande d'enregistrement de la marque tête de vis de la société CARTIER INTERNATIONAL AG ou que l'OHMI a refusé de valider la marque figurative 'trois vis' n° 922-734 qui ne fait pas l'objet de la présente instance est dès lors inopérante ;

Le jugement déféré qui a débouté la société LA COQUE DE NACRE sera par conséquent confirmé ;

Sur la demande de nullité pour dépôt frauduleux de la partie française de la marque internationale n° 89 848 :

Se fondant sur les dispositions de l'article L.712-6 du code de la propriété intellectuelle, la société LA COQUE DE NACRE soutient que la société CARTIER INTERNATIONAL AG a détourné le droit des marques de sa finalité à l'aide d'un obstacle juridique illégitime en effectuant un dépôt de la marque litigieuse dans le seul but de paralyser l'activité de ses concurrents ;

Elle expose comme elle l'a déjà fait ci-avant, que la tête de vis est un motif usuel de décoration en bijouterie remontant au moins à la deuxième moitié du XIXème siècle ; que tombé dans le domaine public, il a été repris dans les bijoux Art Déco et est toujours abondamment décliné depuis ; que la société CARTIER INTERNATIONAL AG cherche par ce dépôt à s'octroyer un monopole indéfiniment renouvelable sur un motif décoratif traditionnel ;

Mais la société CARTIER INTERNATIONAL AG réplique pertinemment qu'elle justifie par les documents qu'elle produit avoir fait usage de manière continue du motif tête de vis depuis des décennies avec notamment les montres SANTOS (1904) lesquelles comportent des têtes de vis sur le bracelet (Pièce 19) et le bracelet LOVE à partir des années 1970 (Pièce 32) ;

Il ne saurait par conséquent être reproché à la société CARTIER INTERNATIONAL AG d'avoir déposé à titre de marque un signe qu'elle exploitait et commercialisait depuis de nombreuses années ;

Selon la société LA COQUE DE NACRE, les indices de mauvaise foi de la société CARTIER INTERNATIONAL AG résultent de :

- la connaissance qu'elle avait ou devait avoir de l'utilisation courante du décor tête de vis par des tiers depuis au moins une quinzaine d'années,

- de son intention d'empêcher ces tiers ou certains d'entre eux de continuer à utiliser un tel décor alors que l'exploitation de ce motif pour les montres était libre jusqu'en 2006,

- du degré de protection dont jouit le signe dont l'enregistrement est demandé ;

Mais pour avoir exploité avec succès le motif litigieux depuis au moins une quarantaine d'années comme le démontrent les nombreuses publicités versées aux débats, il ne saurait être reproché à la société CARTIER INTERNATIONAL AG d'avoir de mauvaise foi et dans l'intention de paralyser l'activité de ses concurrents effectué un dépôt frauduleux de la marque n° 89 848, le fait que des concurrents utilisaient ce signe depuis de nombreuses années étant à lui seul inopérant pour caractériser la mauvaise foi du déposant (Arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes C-529/07 Chocoladefabrik Lindt & Sprüngli AG Point 40) ;

Et il appartient à la société LA COQUE DE NACRE de démontrer que la société CARTIER

INTERNATIONAL AG a, au moment du dépôt de sa marque, agi avec l'intention d'empêcher les tiers de commercialiser un produit identique ou similaire ;

Or cette démonstration n'est pas ici rapportée, la société CARTIER INTERNATIONAL AG démontrant au contraire qu'exploitant ce signe depuis de nombreuses décennies et en présence du succès grandissant de ses produits, elle avait un intérêt certain à rechercher sur ce signe une protection juridique qu'elle n'avait pas auparavant ;

Le jugement déféré sera par conséquent également confirmé sur ce point ;

Sur les mesures réparatrices :

La demande de dommages intérêts formée par la société LA COQUE DE NACRE sera rejetée ;

La société CARTIER INTERNATIONAL AG sollicite la condamnation de la société LA COQUE DE NACRE à lui verser une somme de 150.000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive ;

Elle ajoute que l'action engagée de façon dilatoire contre elle procède d'un travestissement de la vérité, qu'elle pèche par absence de preuve des faits dénoncés et qu'elle témoigne d'une mauvaise foi résultant de l'absence de fondement sérieux ;

Il convient de rappeler que l'action engagée par la société LA COQUE DE NACRE est une réplique à l'action engagée contre elle par la société CARTIER INTERNATIONAL AG qui a déposé plainte avec constitution de partie civile entre les mains du Doyen des juges d'instruction du tribunal de grande instance de Paris le 23 octobre 2008 à la suite des constatations faites par les services des douanes qui ont retenu 11.458 bagues réputées contrefaisantes ;

Subissant cette procédure pénale, il ne saurait dès lors être reproché à la société LA COTE DE NACRE de faire valoir ses moyens en défense dans la limite des droits dont elle dispose et qu'elle n'a pas outrepassés, le caractère distinctif d'une marque faisant généralement l'objet de discussion juridique qui justifie le recours à toutes les voies de droit ;

La demande de condamnation à des dommages intérêts formée par la société CARTIER INTERNATIONAL AG sera par conséquent rejetée ;

Les frais engagés par la société CARTIER INTERNATIONAL AG en cause d'appel à la charge de la société LA COQUE DE NACRE seront fixés à la somme de 20.000 euros ;

PA R C E S M O T I F S,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Déboute la société LA COQUE DE NACRE de toutes ses demandes,

Déboute la société CARTIER INTERNATIONAL AG de sa demande de condamnation de la société LA COQUE DE NACRE à des dommages intérêts,

Condamne la société LA COQUE DE NACRE à payer à la société CARTIER INTERNATIONAL AG la somme de 20.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 10/22293
Date de la décision : 25/05/2012

Références :

Cour d'appel de Paris I2, arrêt n°10/22293 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-05-25;10.22293 ?
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