Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 22 MAI 2012
(no 144, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/ 21883
Décision déférée à la Cour :
Arrêt du 21 Septembre 2010- Cour de Cassation de PARIS-RG no 1526 F-D
DEMANDEUR à la SAISINE
Monsieur Gérard Ersne François X...
...
97500 ST PIERRE
représenté par Me Patricia HARDOUIN (avocat au barreau de PARIS, toque : L0056) HJYH
assisté de l'ASSOCIATION Patrick TABET et Virginie COLIN (Me Patrick TABET) (avocats au barreau de PARIS, toque : D0681)
DÉFENDERESSES à la SAISINE
MUTUELLES DU MANS ASSURANCES IARD prise en la personne de ses représentants légaux
10 Bd Alexandre Oyon
72030 LE MANS CEDEX
SCP LAFARGE FLECHEUX REVUZ pris en la personne de son Liquidateur Maître Didier DALIN
24 Rue de Prony
75017 PARIS
représentées par la SCP BOMMART FORSTER-FROMANTIN (Me Edmond FROMANTIN) (avocats au barreau de PARIS, toque : J151)
assistées de Me Chantal WERNERT (avocat au barreau de PARIS) substituant Me Paul NEMO de l'ASSOCIATION NEMO KACEM (avocat au barreau de PARIS, toque : A0220)
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 26 mars 2012, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre
Madame Catherine COSSON,
Madame Caroline FEURE, Conseillères venues d'une autre chambre pour compléter la cour en application de l'ordonnance de roulement portant organisation des services de la cour d'appel de Paris à compter du 2 janvier 2012, de l'article R 312-3 du Code de l'organisation judiciaire et en remplacement d'un membre de cette chambre dûment empêché
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Melle Guénaëlle PRIGENT
MINISTERE PUBLIC
Madame MartineTRAPERO, substitut général, a apposé son visa sur le dossier de la cour
ARRET :
- contradictoire
-rendu publiquement en l'empêchement du président par Madame Catherine COSSON, conseiller ayant délibéré,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé en l'empêchement du président par Madame Catherine COSSON conseiller ayant délibéréet par Mme Noëlle KLEIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
******************
La Cour,
Considérant que, le 26 février 1996 et à l'effet du 1er mars 1996, M. Gérard X..., directeur de la Caisse de prévoyance sociale de Saint-Pierre et Miquelon, alors âgé de 61 ans, a été mis à la retraite. Soutenant qu'il s'agissait, en réalité, d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il a contesté cette décision devant le conseil des prud'hommes de Saint-Pierre et Miquelon qui, par jugement du 6 mars 1997, l'a débouté de ses demandes ; que, sur son appel, le Tribunal supérieur d'appel de Saint-Pierre et Miquelon a confirmé le jugement en toutes ses dispositions, sauf sur la condamnation prononcée en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Que M. Grégoire Lafarge, avocat, membre de la S. C. P. Lafarge, Flécheux et Revuz, chargé par M. X... de former un pourvoi en cassation contre l'arrêt du Tribunal supérieur d'appel, a chargé son correspondant de former une déclaration de pourvoi qui a été enregistrée au greffe le 16 janvier 1998 ; que, par arrêt du 14 juin 2000, la Cour de cassation a déclaré le pourvoi irrecevable pour avoir été formé par un mandataire qui n'a pas joint à sa déclaration le pouvoir spécial prévu par l'article 984 du Code de procédure civile ;
Que, recherchant la responsabilité de la S. C. P. Lafarge, Flécheux et Revuz, à qui il reprochait de lui avoir fait perdre une chance d'obtenir la cassation de l'arrêt rendu par le Tribunal supérieur d'appel, M. X... a saisi le Tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 4 avril 2007, l'a débouté de ses réclamations ;
Que, par arrêt du 28 octobre 2008, la Cour d'appel de Paris a confirmé le jugement, débouté la S. C. P. Lafarge, Flécheux et Revuz de sa demande de dommages et intérêts et condamné M. X... à lui payer la somme de 1. 500 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et à supporter les dépens ;
Que, par arrêt du 21 septembre 2010, la Cour de cassation a cassé et annulé, dans toutes ses dispositions, l'arrêt de la Cour d'appel ; que, pour statuer ainsi, la Cour de cassation reproche à la Cour d'appel d'avoir rejeté la demande de M. X... au motif que tout en disposant de tous éléments relatifs à sa pension de retraite, il n'entendait pas en justifier alors qu'en vertu des articles 1315 du Code civil et L. 1237-5 du Code du travail, « il appartient à l'employeur, qui se prévaut de la possibilité donnée à l'entreprise de rompre le contrat de travail d'un salarié qui peut bénéficier d'une pension de vieillesse à taux plein de rapporter la preuve de ce que les conditions de sa mise à la retraite sont remplies » ;
Considérant qu'appelant du jugement du 4 avril 2007, M. X..., qui en poursuit l'infirmation, demande que la S. C. P. Lafarge, Flécheux et Revuz et les M. M. A., son assureur, soient condamnés solidairement ou in solidum à lui payer la somme de 160. 517, 86 euros à titre de dommages et intérêts ;
Qu'à cette fin, l'appelant soutient qu'en s'abstenant de joindre un pouvoir spécial à la déclaration de pourvoi, la S. C. P. Lafarge, Flécheux et Revuz a commis une faute contractuelle et que ce manquement lui a causé un préjudice caractérisé par la perte d'une « chance de gagner définitivement et irrémédiablement le litige qui l'opposait à son ancien employeur » ;
Que, s'agissant du préjudice, M. X... soutient qu'il aurait obtenu, devant la juridiction prud'homale, la somme de 59. 918, 16 euros à titre de supplément d'indemnité conventionnelle de licenciement, la somme de 65. 365, 26 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, une somme de 32. 682, 63 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 2. 551, 81 euros en remboursement des frais de voyage ; il ajoute qu'il a été privé de la chance de percevoir ces sommes et que le montant de l'indemnisation de son préjudice est équivalente au total de ces sommes ;
Qu'il fait également valoir que les moyens développés à l'appui du pourvoi formé contre l'arrêt du Tribunal supérieur d'appel avaient toutes chances d'être accueillis de sorte qu'il existe un lien de causalité entre la faute de l'avocat et le préjudice dont il se plaint dès lors que, plus précisément, c'est à tort que le Tribunal supérieur d'appel a refusé de lui appliquer la convention collective nationale des personnels des organismes de sécurité sociale alors qu'en réalité, son ancien employeur appliquait cette convention collective ;
Qu'à titre subsidiaire, M. X... soutient que, même si l'application de la convention collective nationale des personnels des organismes de sécurité sociale était écartée, le pourvoi avait également des chances de succès en vertu du droit commun dès lors qu'au moment de son licenciement, il ne pouvait pas bénéficier d'une retraite à taux plein ;
Considérant que la S. C. P. Lafarge, Flécheux et Revuz et les M. M. A. concluent à la confirmation du jugement ;
Qu'à cet effet et sans contester la matérialité de la faute, la S. C. P. Lafarge, Flécheux et Revuz et les M. M. A. font valoir que, comme l'a décidé le Tribunal supérieur d'appel, la convention collective nationale des personnels des organismes de sécurité sociale n'était pas applicable à l'ensemble des personnels de la Caisse de prévoyance sociale de Saint-Pierre et Miquelon de sorte que le moyen de cassation invoqué à cet égard n'avait aucune chance d'être accueilli ; qu'elles soutiennent également que cette convention n'était pas applicable à M. X... personnellement dès lors qu'il avait plus de 60 ans à la date d'effet du licenciement et que, contrairement à ce qu'il prétend, il disposait à cette date d'une pension de retraite à taux plein ;
Que, subsidiairement, la S. C. P. Lafarge, Flécheux et Revuz et son assureur font valoir que l'éventuelle perte de chance invoquée par M. X... ne saurait se confondre avec les sommes qu'il aurait pu obtenir à l'issue de l'instance prud'homale ;
SUR CE :
Considérant que la matérialité de la faute reprochée à la S. C. P. Lafarge, Flécheux et Revuz n'est pas contestée ; qu'il convient donc de rechercher l'existence d'un préjudice qui serait la conséquence de la faute imputable à l'avocat ; que, pour ce faire, il y a lieu d'évaluer les chances de succès du pourvoi en cassation s'il avait été régulièrement formé contre l'arrêt confirmatif prononcé le 17 décembre 1997 par le Tribunal supérieur d'appel de Saint-Pierre et Miquelon ;
Considérant que le Tribunal supérieur d'appel a estimé que les dispositions de la convention collective nationale des personnels des organismes de sécurité sociale ne justifiait pas la requalification de mise à la retraite de M. X... en licenciement et que cette convention n'était pas applicable de sorte qu'en vertu du droit commun, la Caisse de prévoyance sociale de Saint-Pierre et Miquelon était en droit de prononcer la mise à la retraite de M. X... ;
Considérant que, devant les juridictions prud'homales, M. X... invoquait les dispositions de l'article L. 122-14-13, devenu L. 1237-8, du Code du travail selon lesquelles, si les conditions de la mise à la retraite du salarié ne sont pas remplies, la rupture du contrat de travail s'analyse en un licenciement ; qu'il revendiquait et revendique encore l'application de la convention collective nationale des personnels des organismes de sécurité sociale dont l'article 31 fixe l'âge limite d'activité des personnels de direction à 65 ans ;
Considérant que la convention collective nationale des personnels des organismes de sécurité sociale du 25 juin 1968 n'est pas applicable au territoire de Saint-Pierre et Miquelon ;
Considérant qu'en réponse à M. X... qui invoque un arrêt rendu le 17 février 1999 par le Tribunal supérieur d'appel, les premiers juges ont énoncé, en des motifs qu'il convient d'approuver, qu'aucun des éléments retenus par cette juridiction pour démontrer que la Caisse de prévoyance sociale avait entendu faire application de la convention dont il s'agit et que, partant, elle ait été tenue par un usage qu'elle n'avait pas dénoncé, n'est antérieur à la date de la mise à la retraite de M. X... qui, en conséquence, n'est pas fondé à se prévaloir de cette jurisprudence ;
Qu'il ressort des procès-verbaux des séances du conseil d'administration de la Caisse de prévoyance sociale en date des 8 avril 1981 et 21 novembre 1991 que, loin de décider définitivement que la convention collective serait applicable, le conseil a émis, en 1981, le v œ u d'élaborer un projet de statut et de règlement intérieur en vue de mettre en place un véritable régime de retraite, de prendre en considération le souhait du personnel qui avait choisi d'adopter les règles de ladite convention collective et les dispositions contenues dans un avenant du 3 février 1950 qui, en réalité, visait les seuls départements d'outre-mer ; qu'en 1991, il a été de nouveau question de proposer aux personnels l'application de la convention collective nationale et que les membres du conseil d'administration ont autorisé le président à prendre une délibération étendant au personnel de la Caisse de prévoyance sociale les dispositions de ladite convention collective nationale ; qu'il est ainsi démontré qu'en 1991, il n'avait pas encore été décidé d'appliquer ces dispositions ; qu'en réalité, une telle délibération n'a pas été prise avant la date de licenciement de M. X... ;
Considérant que, de plus, si les bulletins de salaire produits aux débats et une attestation du directeur de la Caisse font apparaître que M. X... était rémunéré selon des modalités comparables à ce que prévoit la convention collective nationale, cette circonstance ne suffit pas à démontrer l'application générale de cette convention à M. X... ;
Qu'il suit de là que la S. C. P. Lafarge, Flécheux et Revuz démontre que M. X... n'est pas fondé à invoquer les dispositions de la convention collective nationale des personnels des organismes de sécurité sociale et, notamment son article 31 qui fixe l'âge de la retraite à 65 ans ;
Considérant qu'en l'absence de dispositions conventionnelles applicables, il convient de rechercher si la décision de mise à la retraite de M. X... doit être regardée comme étant un licenciement ; que, pour qu'il en soit ainsi, il ne devait pas avoir atteint l'âge de 60 ans et ne pas bénéficier d'une pension à taux plein ;
Que, d'une part, à la date de la mise à la retraite, M. X... avait plus de 60 ans ;
Que, d'autre part, la S. C. P. Lafarge, Flécheux et Revuz verse aux débats le procès-verbal de réunion de la commission prévue par l'article R. 123-51 du Code de la sécurité sociale dressé le 24 janvier 1996, en vertu duquel M. X... est mis à la retraite « compte tenu du nombre d'années de service », ainsi qu'un dossier de demande de retraite personnelle portant la mention « accord pour une contributive calculée sur la base de 60 trimestre à taux plein à compter du 1/ 3/ 1996 » ; qu'en outre, elle produit une lettre émanant du ministère du travail, datée du 22 avril 1996 et faisant apparaître que M. X... ne bénéficiait que de quinze années de cotisation à l'assurance vieillesse du régime et que, cependant, ces années de cotisations s'ajoutaient à celles au cours desquelles, pendant qu'il travaillait à la préfecture de Saint-Pierre et Miquelon, il a cotisé à un autre régime d'assurance vieillesse de sorte que « la longueur de sa carrière professionnelle lui permettra aisément d'obtenir une pension vieillesse à taux plein » ; que des lettres échangées entre M. X... et le ministre de l'économie et des finances font également apparaître qu'il perçoit une pension augmentée de la majoration pour enfants ;
Qu'il suit de là que la S. C. P. Lafarge, Flécheux et Revuz démontre que M. X... perçoit une pension de retraite à taux plein ;
Considérant qu'au moment de la mise à la retraite, M. X..., âgé de plus de 60 ans, bénéficiait d'une retraite à taux plein de sorte que la décision prise à son égard ne saurait être requalifiée en licenciement ; qu'il s'ensuit qu'il n'avait aucune chance d'obtenir la cassation de l'arrêt rendu le 17 février 1999 par le Tribunal supérieur d'appel de Saint-Pierre et Miquelon ; que le préjudice qu'il allègue est donc inexistant ;
Que, par voie de conséquence, il convient de confirmer le jugement frappé d'appel ;
Considérant que chacune des parties sollicite une indemnité en invoquant les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; que, succombant en ses prétentions et supportant les dépens, M. X... sera débouté de sa réclamation ; que l'équité ne commande pas qu'il soit donné satisfaction à la S. C. P. Lafarge, Flécheux et Revuz quant à ce chef de demande ;
Et considérant que la S. C. P. Lafarge, Flécheux et Revuz, qui a commis une faute, supportera, ainsi que son assureur, les dépens de première instance et d'appel ;
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Vu l'arrêt rendu le 21 septembre 2010 par la Cour de cassation,
Confirme le jugement rendu le 4 avril 2007 par le Tribunal de grande instance de Paris sauf en ce qu'il a condamné M. Gérard X... aux dépens ;
Déboute la S. C. P. Lafarge, Flécheux et Revuz et les M. M. A., d'une part, et M. X..., d'autre part, chacun de sa demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamne la S. C. P. Lafarge, Flécheux et Revuz et les M. M. A. aux dépens de première instance et d'appel, en ce, compris les dépens de l'arrêt cassé et dit que les dépens exposés devant la Cour seront recouvrés par la selarl H. J. Y. H. Avocats, avocat de M. X..., conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER/ LE PRÉSIDENT