RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 29 Mars 2012
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/10404
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 Avril 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS section activités diverses RG n° 08/13281
APPELANTE
Mademoiselle [Z] [E]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
comparant en personne
INTIMEE
CONGREGATION SEMINAIRE MISSIONS ETRANGERES
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Thibault GUILLEMIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D0133
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 23 Février 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Catherine METADIEU, Présidente
Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère
M. Julien SENEL, Vice-Président placé sur ordonnance du Premier Président en date du 30 novembre 2011
qui en ont délibéré
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Le Séminaire des Missions étrangères de [Localité 3] est une congrégation religieuse créée en 1658, dont l'objet est d'évangéliser les pays d'Asie par la fondation d'églises et la formation d'un clergé local. Son siège se trouve à [Localité 3].
Madame [Z] [E] a été embauchée par l'association Echange France-Asie le 26 juillet 1984, par contrat à durée déterminée à effet du 1er septembre suivant, en qualité de secrétaire, pour une durée de trois ans, moyennant un salaire de 5239 francs. Son embauche s'est poursuivie sous la forme d'un contrat à durée indéterminée.
Par avenant du 10 avril 2002, son contrat de travail a été transféré au sein du Séminaire des Missions étrangères de [Localité 3], à l'effet d'y poursuivre ses fonctions dans le service Echanges France-Asie, puis auprès du Centre [X] [U] et de la librairie de l'Asie Culturelle et Religieuse.
Elle percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle de 2647€ bruts.
Après avoir été convoquée le 21 mai 2008 à un entretien préalable prévu le 30 mai suivant, auquel elle ne s'est pas rendue, elle a été licenciée par lettre recommandée du 26 juin 2008. Elle était en arrêt maladie depuis le 16 février 2008.
Elle a déposé plainte contre X le 3 octobre 2008 pour harcèlement moral, sur le fondement de l'article 222-33-2 du code pénal.
Contestant son licenciement et ne s'estimant pas remplie de ses droits, elle a, le 14 novembre 2008, saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris, lequel, par jugement du 23 avril 2009, a condamné le Séminaire des Missions Etrangères à lui verser les sommes suivantes :
.32.000€ au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêt au taux légal à compter du jour du jugement ;
.1.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
et débouté [Z] [E] du surplus de ses demandes, débouté le Séminaire des Missions Etrangères de sa demande reconventionnelle, condamné le Séminaire des Missions Etrangères aux dépens.
Régulièrement appelante, [Z] [E] sollicite de la cour de condamner le Séminaire des Missions Etrangères à lui verser les sommes suivantes :
.70.000€ à titre d'indemnisation du licenciement nul ;
.30.000€ à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;
.15.000€ à titre de dommages et intérêts pour manquement grave à l'obligation de formation ;
.1.500 € au titre des frais et du temps passé à la mise en place de la défense de ses intérêts.
A titre subsidiaire, elle demande la somme de 70.000€ à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le Séminaire des Missions Etrangères demande à la cour d'infirmer le jugement, en ce qu'il considère que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et qu'il le condamne à lui verser des dommages et intérêts ; juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, avec toutes conséquences de droit ; débouter [Z] [E] de ses demandes et la condamner à lui verser la somme de 2000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier et développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS ET DECISION
Sur la nullité du licenciement et le harcèlement moral
Aux termes de l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Le licenciement prononcé à l'encontre d'un salarié victime de harcèlement moral est nul.
En l'espèce, [Z] [E] invoque les faits suivants :
- le procès entre son employeur, les Missions Etrangères de [Localité 3] d'une part, [R] [W], [V] [Y] et la société Aquaprod d'autre part, concernait les questions à propos desquelles elle s'était plainte du harcèlement et de pressions dont elle était victime ;
- l'absence de réponse de la part de son employeur à son courrier du 19 février 2008 dans lequel elle faisait part d'agissements qui auraient dû conduire son employeur à procéder à une enquête.
Pour étayer ses affirmations, [Z] [E] produit notamment :
- des échanges de courriers datant de septembre 2004 avec M.[T] ;
- le courrier qu'elle a rédigé le 19 février 2008, faisant état des circonstances de l'exécution de son contrat de travail et plus particulièrement de « critiques », « propos très blessants à propos de son travail» et de « rudoiements divers » de la part de ses supérieurs hiérarchiques ;
- l'attestation du 5 septembre 2011 et la lettre du 17 février 2012 de [M] [W] ;
- des extraits de pièces de procédure.
Elle demande à la cour d'ordonner que [R] [W] et [V] [Y] soient convoqués pour être entendus et obligés de témoigner et d'expliquer leur conflit avec les MEP, pour montrer que les MEP avaient intérêt à la menacer et à la harceler pour se procurer des arguments contre eux, ce qui est prouvé par les documents fournis par [M] [W].
En l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est pas démontrée. La cour ne pouvant se substituer à l'obligation faite à la salariée d'étayer sa demande, il ne sera pas fait droit aux demandes d'audition de M. [R] [W] et de M. [V] [Y] ainsi que d'enquête . Les demandes relatives au harcèlement moral et à la nullité du licenciement pour harcèlement moral doivent par conséquent être rejetées.
Sur la rupture du contrat de travail
En application des articles L 1232-1 et L 1235- 1 du code du travail, tout licenciement doit avoir une cause réelle et sérieuse ; en cas de litige, le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties; si un doute subsiste, il profite au salarié.
En l'espèce, la lettre de licenciement, dont la motivation fixe les limites du litige, est rédigée comme suit :
«Par une lettre recommandée en date du 21 mai 2008, nous vous avons convoquée à un entretien préalable de licenciement, qui devait se tenir le 30 mai suivant à 15 heures 30, au siège des Missions Etrangères de [Localité 3].
Cet horaire avait été fixé conformément aux heures de sorties mentionnées sur vos arrêts de travail successifs. Malgré cela, vous nous avez informés le 29 mai 2008 que vous ne souhaitiez pas nous rencontrer.
Cet entretien devait pourtant nous permettre de recueillir vos observations sur la mesure de licenciement que nous envisagions, et que nous avons malgré tout décidé de vous notifier.
Vous avez été embauchée le 26 juillet 1984 par l'association Echanges France-Asie en qualité de secrétaire, à compter du 1er septembre suivant.
Par un avenant du 10 avril 2002, votre contrat de travail a été transféré à la société des Missions Etrangères de Paris, à l'effet d'y poursuivre vos fonctions au sein du service Echanges France-Asie, puis auprès du Centre [X] [U] et de la Librairie de l'Asie Culturelle et Religieuse.
Vous vous trouvez en arrêt de travail depuis le 16 février 2008, et bénéficiez de prolongations successives qui vous tiennent éloignée de votre poste depuis plus de 4 mois ; votre dernier avis d'arrêt de travail prolonge ainsi votre absence jusqu'au 27 juin 2008.
Or il ne nous est plus possible de vous maintenir à l'effectif des Missions Etrangères de [Localité 3], compte tenu des perturbations engendrées par votre indisponibilité.
Votre absence prolongée et votre retour systématiquement repoussé perturbent en effet le travail de l'équipe de la Librairie de l'Asie Culturelle et Religieuse; celle-ci ne se compose, comme vous le savez, que de très peu de personnes. De même, votre absence augmente de manière inquiétante les retards dans la réalisation et la mise en page de la revue des Missions Etrangères, générant ainsi une surcharge de travail importante pour vos collègues.
Nous sommes donc malheureusement contraints de vous remplacer à titre définitif, en recrutant une personne de compétence équivalente sous contrat à durée indéterminée».
L'employeur reproche donc à la salariée le fait d'avoir été absente de façon prolongée et d'avoir ainsi désorganisé la librairie du Séminaire des Missions Etrangères, justifiant son remplacement définitif.
[Z] [E] conteste les griefs invoqués. Elle soutient notamment que le licenciement est intervenu pour d'autres raisons que celles invoquées par la CSMEP, à savoir son refus de prendre fait et cause contre son ancien supérieur et le prestataire informatique en conflit avec la CSMEP ; que la désorganisation alléguée par son employeur n'est pas établie parce qu'elle se trouvait en surnombre et n' était donc pas indispensable ; que le silence de l'employeur au courrier qu'elle lui a adressé, contraire aux dispositions de l'article L1153-4 du code du travail, participe du harcèlement moral dont elle a été victime, et que la nécessité de la remplacer définitivement n'est pas justifiée.
Or, contrairement à ce que soutient [Z] [E], qui était en charge d'assister son supérieur hiérarchique dans la réalisation et la mise en page de la revue des Missions Etrangères de [Localité 3], l'employeur démontre que ses absences prolongées ont perturbé le bon fonctionnement de la librairie de l'Asie Culturelle et Religieuse, dont les effectifs se réduisent à deux salariés, selon les périodes. Compte tenu de la surcharge de travail générée pour ses collègues et de la spécificité de ses fonctions, l'employeur a ainsi du recruter par contrat à durée indéterminée du 25 juin 2008 [B] [H] pour remplacer Madame [S], laquelle remplaçait [Z] [E] dans le cadre d'un contrat à durée déterminée.
Il en résulte que le licenciement était bien fondé sur une cause réelle et sérieuse et que [Z] [E] ne peut qu'être déboutée de ses demandes subséquentes d'indemnisation et de remise de documents.
Sur l'obligation de formation
C'est vainement que [Z] [E] sollicite la somme de 15000€ à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation en exposant que durant les 27 années durant lesquelles elle a été au service de son employeur, elle n'a reçu «aucune formation sérieuse» lui permettant d'envisager «la moindre reconversion» , dès lors qu'elle ne précise pas le fondement juridique de cette demande et ne produit aucun élément à l'appui d'une telle prétention alors que son employeur justifie notamment d'un stage de formation qu'elle a suivi du 10 au 23 mars 2004 d'une durée de 60 heures.
Sa demande ne peut donc qu'être rejetée.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
[Z] [E] supportera les dépens de première instance et d'appel.
Il n'y a pas lieu de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de l'une ou l'autre des parties.
PAR CES MOTIFS
Infirme la décision attaquée ;
Statuant à nouveau :
Dit que le licenciement de [Z] [E] repose sur une cause réelle et sérieuse,
Déboute [Z] [E] de l'ensemble de ses demandes,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne [Z] [E] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,