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20/03/2012 | FRANCE | N°09/09254

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 2 - chambre 5, 20 mars 2012, 09/09254


Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 5



ARRET DU 20 MARS 2012



(n° ,9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 09/09254



Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Mars 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 04/17337





APPELANTE



SOCIÉTÉ ASSURANCES MUTUELLES LE CONSERVATEUR

représentée par son Président

[Adresse 7]
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représentée par Me Clotilde CHALUT NATAL, avocat postulant, barreau de PARIS, toque : B0552

et Me Danièle GUEHENNEUC, avocat plaidant, au barreau de PARIS, toque : B0571.







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Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 2 - Chambre 5

ARRET DU 20 MARS 2012

(n° ,9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 09/09254

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Mars 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 04/17337

APPELANTE

SOCIÉTÉ ASSURANCES MUTUELLES LE CONSERVATEUR

représentée par son Président

[Adresse 7]

[Localité 9]

représentée par Me Clotilde CHALUT NATAL, avocat postulant, barreau de PARIS, toque : B0552

et Me Danièle GUEHENNEUC, avocat plaidant, au barreau de PARIS, toque : B0571.

INTIMES

SA CREDIT LYONNAIS LCL

[Adresse 3]

[Localité 9]

représentée par Me Patricia HARDOUIN, avocat postulant, barreau de PARIS, toque : L0056

et Me André CUSIN de la SCP MOLAS LEGER CUSIN & ASSOCIES, avocat plaidant, barreau de PARIS, toque : P0159.

Monsieur [L] [L] en qualité d'héritier de Monsieur [L] [L]

[Adresse 11]

[Localité 5]

Madame [L] [L] épouse [Z] en qualité d'héritière de Monsieur [L] [L]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentés par la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES (Me Anne-laure GERIGNY)), avocat postulant, barreau de PARIS, toque : K0148,

et Me Dominique SUMMA , avocat plaidant, barreau de PARIS, toque : C404.

Monsieur [L] [L] en qualité d'héritier de Monsieur [L] [L]

[Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 6]

représenté par la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES (Me Anne-laure GERIGNY) (avocats au barreau de PARIS, toque : K0148), avocats postulant,

et Me Dominique SUMMA , avocat plaidant, barreau de PARIS, toque : B1058

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le14 février 2012, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Madame Dominique REYGNER, présidente de chambre, et Monsieur Christian BYK, conseiller, chargés d'instruire l'affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Dominique REYGNER, présidente

Monsieur Christian BYK, conseiller

Madame Anne CARON-DEGLISE, conseillère désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la cour d'appel de Paris en vertu de l'article R312-3 du code de l'organisation judiciaire pour compléter la chambre.

Rapport a été fait par Madame Dominique REYGNER, présidente, en application de l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Melle Fatia HENNI

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Dominique REYGNER, présidente et par Melle Fatia HENNI, greffier.

* * *

Le 12 juillet 2000, Monsieur [L] [L] et Madame [F] [F] ont souscrit un contrat d'assurance-vie 'MultiValor' AREP auprès de la société Assurances Mutuelles LE CONSERVATEUR (société LE CONSERVATEUR) par l'intermédiaire d'un mandataire non salarié de celle-ci, Monsieur [I] [I].

La société LE CONSERVATEUR ayant appris que Monsieur [I] avait commis des malversations, a révoqué son mandat le 15 mars 2004 et l'a attrait par voie de citation directe du 4 juin 2004 devant le tribunal correctionnel de Mende.

Il est apparu lors de cette procédure qu'une information judiciaire avait été ouverte le 15 juillet 2004 à la suite de plaintes de plusieurs victimes des agissements de Monsieur [I].

Par jugement définitif du 8 septembre 2005, le tribunal correctionnel de Mende a déclaré Monsieur [I] coupable d'abus de confiance, faux et usage de faux et l'a condamné à cinq ans d'emprisonnement, un sursis à statuer étant ordonné sur la demande des parties civiles.

Par jugement également daté du 8 septembre 2005 statuant sur les intérêts civils, Monsieur [I] a été notamment condamné à payer à Monsieur [L] 77 370,16 euros au titre du préjudice financier et 1 000 euros au titre du préjudice moral et à Madame [F] 134 722 euros au titre du préjudice financier et 1 000 euros au titre du préjudice moral.

Parallèlement à la procédure pénale, Monsieur [L] et Madame [F] ont assigné par acte d'huissier du 3 novembre 2004 la société LE CONSERVATEUR devant le tribunal de grande instance de Paris afin d'obtenir le remboursement des sommes détournées par Monsieur [I].

Par acte d'huissier du 8 juin 2006, la société LE CONSERVATEUR a assigné la société CREDIT LYONNAIS en intervention forcée et en garantie.

[L] [L] est décédé le [Date décès 8] 2007 et ses trois enfants, [L], [L] et [L] [L], ont repris l'instance.

Par jugement rendu le 3 mars 2009, le tribunal a :

- dit n'y avoir lieu d'ordonner que soit versé aux débats l'entier dossier pénal,

- condamné la société LE CONSERVATEUR à payer aux consorts [L] la somme principale de 76 354,92 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 3 novembre 2004, ainsi que 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné le CREDIT LYONNAIS in solidum avec la société LE CONSERVATEUR s'agissant de la condamnation principale au bénéfice des consorts [L], mais seulement à hauteur de 66 635 euros avec les intérêts au taux légal à compter du 3 novembre 2004,

- condamné le CREDIT LYONNAIS à payer aux consorts [L] la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné le CREDIT LYONNAIS à garantir la société LE CONSERVATEUR à hauteur de 22 211 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 3 novembre 2004,

- débouté Madame [F] de l'ensemble de ses prétentions,

- ordonné l'exécution provisoire, hormis en ce qui concerne l'application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens,

- fait masse des dépens qui seront supportés par deux tiers par la société LE CONSERVATEUR et par un tiers par le CREDIT LYONNAIS.

La société LE CONSERVATEUR a relevé appel de ce jugement par déclaration du 17 avril 2009 dirigé contre les consorts [L] et le CREDIT LYONNAIS.

Dans ses dernières conclusions du 3 février 2012, elle demande à la cour de :

- réformer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer certaines sommes aux consorts [L] et aux 2/3 des dépens,

- débouter les consorts [L] de l'ensemble de leurs demandes à son encontre et de leur appel incident,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le CREDIT LYONNAIS a engagé sa responsabilité à l'égard des consorts [L],

- juger que la cause déterminante et principale du préjudice invoqué par les consorts [L] réside dans les fautes du CREDIT LYONNAIS,

- condamner les consorts [L] à lui payer la somme de 3 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel,

A titre subsidiaire, en cas de condamnations prononcées au profit des consorts [L]

- juger que les condamnations prononcées ne pourront l'être qu'à l'encontre du CREDIT LYONNAIS,

- si la cour confirmait le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée, condamner LE CREDIT LYONNAIS à la relever de l'intégralité des condamnations prononcées à son encontre,

- débouter le CREDIT LYONNAIS de toutes ses demandes,

- condamner tout succombant à lui payer la somme de 3 000 euros en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de première instance et d'appel.

Aux termes de leurs dernières conclusions du 27 janvier 2012, les consorts [L] prient la cour de :

- déclarer la société LE CONSERVATEUR irrecevable et mal fondée en son appel,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société LE CONSERVATEUR et du CREDIT LYONNAIS et les a condamnés in solidum au paiement d'une somme principale de 76 354,92 euros et à l'article 700 du Code de procédure civile,

- faisant droit à leur appel incident, condamner la société LE CONSERVATEUR à payer à chacun d'eux une somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive,

- débouter la société LE CONSERVATEUR de toutes ses demandes,

- débouter le CREDIT LYONNAIS de ses demandes à leur encontre,

- condamner in solidum la société LE CONSERVATEUR et le CREDIT LYONNAIS à verser à chacun d'eux une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.

Suivant dernières conclusions du 2 mai 2011, la société CREDIT LYONNAIS demande à la cour de :

- débouter toutes parties de toutes demandes à son encontre et constater qu'il n'y a aucun lien de solidarité entre elle et la société LE CONSERVATEUR,

- réformer le jugement entrepris en ses dispositions le concernant et le décharger de toute condamnation,

- subsidiairement, pour le cas ou la cour confirmerait le jugement dont appel sur le principe de sa responsabilité, juger que son obligation à l'égard des consorts [L] ne saurait dépasser 66 635 euros et que dans ses rapports avec la société LE CONSERVATEUR, sa part de responsabilité ne saurait excéder le quart de celle de cette dernière, et limiter en conséquence sa part finale dans sa condamnation à l'égard des consorts [L] au quart de 66 635 euros,

- débouter toutes parties de toutes demandes contraires,

- condamner la société LE CONSERVATEUR à lui payer une somme de 4 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner solidairement toutes parties succombantes aux entiers dépens et à l'en relever intégralement.

SUR CE, LA COUR,

Sur la recevabilité de l'appel

Considérant que les consorts [L] ne développent aucun moyen au soutien de l'irrecevabilité de l'appel qu'ils soulèvent ; que les pièces du dossier ne révèlent aucune fin de non-recevoir susceptible d'être relevée d'office ; qu'il y a donc lieu de déclarer l'appel recevable ;

Sur les demandes des consorts [L] à l'encontre de la société LE CONSERVATEUR

Considérant qu'au soutien de son appel, la société LE CONSERVATEUR, faisant observer que les décisions rendues par la juridiction pénale au titre des intérêts civils n'ont pas autorité de la chose jugée à son égard et sont sans portée dans le cadre du présent litige, prétend que sa responsabilité civile n'est pas engagée du fait des agissements de Monsieur [I], les consorts [L] n'apportant pas la preuve de la volonté de leur auteur de contracter avec elle, et Monsieur [I] ayant agi hors de son mandat, sans autorisation et à des fins étrangères à ses fonctions, ce dont Monsieur [L] n'a pu qu'avoir conscience, ce dernier ayant commis une négligence fautive empêchant ses ayants droit de se prévaloir de la théorie du mandat apparent ; qu'elle ajoute que les consorts [L] sont irrecevables et subsidiairement infondés à invoquer l'adage 'Nemo auditur' alors que leur action est fondée sur la responsabilité délictuelle et qu'elle ne pouvait soupçonner l'activité frauduleuse de Monsieur [I] ;

Considérant que les consorts [L], déniant tout comportement fautif de leur auteur, font valoir que l'intention de celui-ci de souscrire un contrat auprès de la société LE CONSERVATEUR est établie par le document du 12 juillet 2000, qu'il est également établi, notamment par les décisions pénales, que Monsieur [L] a été victime des agissements délictueux de Monsieur [I] alors que celui-ci intervenait en qualité de mandataire, à tout le moins apparent, de l'assureur, que les détournements réalisés par celui-ci l'ont été dans le cadre de ses fonctions et que la société LE CONSERVATEUR est dès lors responsable des agissements fautifs de son mandataire sur le fondement des articles 1384 du Code civil et L. 511-1 du Code des assurances et ne peut se prévaloir de la fraude commise, dont elle en a fourni les moyens ;

Considérant qu'il est établi par le jugement correctionnel du tribunal de grande instance de Mende du 8 septembre 2005, devenu définitif, que Monsieur [I] s'est rendu coupable d'abus de confiance, faux et usage de faux à l'occasion de son activité de mandataire non salarié de la société LE CONSERVATEUR au préjudice d'une centaine de victimes, dont [L] [L] ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 III. - du Code des assurances, pour l'activité d'intermédiation en assurance, 'l'employeur ou mandant est civilement responsable, dans les termes de l'article 1384 du Code civil, du dommage causé par la faute, l'imprudence ou la négligence de ses employés ou mandataires agissant en cette qualité, lesquels sont considérés, pour l'application du présent article, comme des préposés, nonobstant toute convention contraire' ;

Considérant que le commettant ne s'exonère de la responsabilité ainsi encourue qu'à la triple condition que le préposé ait agi en dehors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions ;

Or considérant, en l'espèce, qu'il ressort des pièces produites que [L] [L] a signé avec Madame [F] le 12 juillet 2000 une proposition de souscription au contrat d'assurance-vie MultiValor AREP au taux garanti de 9 % net, sur un formulaire à l'en-tête du Groupe LE CONSERVATEUR et de la Société d'Assurances Mutuelle ASSURANCES MUTUELLES LE CONSERVATEUR, portant également la signature de Monsieur [I] et le tampon 'LE CONSERVATEUR FINANCE [I]. [I] Consultant Financier', mentionnant le versement d'une somme de 40 800 francs outre le coût du contrat de 100 francs, soit au total 40 900 francs réglés le jour même ; qu'il est produit la photocopie d'un chèque bancaire de 40 000 francs émis par [L] [L] le 12 juillet 2000 débité le 18 suivant au profit de Monsieur [I] ;

Que [L] [L] et Madame [F] ont ultérieurement reçu un document daté du 19 septembre 2000 à l'en-tête de LE CONSERVATEUR et de la Société d'Assurances Mutuelle ASSURANCES MUTUELLES LE CONSERVATEUR intitulé AREP, 'Conditions Particulières', concernant le contrat n° 10107999 et portant le tampon 'LE CONSERVATEUR FINANCE [I]. [I] Consultant Financier', qui, contrairement aux allégations de l'appelante, correspond manifestement à la demande de souscription du 12 juillet précédent dont elle reprend les éléments, en particulier le versement d'une cotisation de 40 800 francs (6 219,92 euros) ;

Que le 25 septembre 2002, Monsieur [I] a délivré à [L] [L] un reçu portant toujours le même tampon 'LE CONSERVATEUR FINANCE [I]. [I] Consultant Financier' d'une somme de 3 500 euros pour le contrat n° 10107999 ;

Que le 3 janvier 2003, [L] [L] a émis un chèque de 3 900 euros à l'ordre de CONSERVATEUR [I] [I] débité de son compte le 10 suivant au profit de Monsieur [I] ;

Que dans une attestation du 2 mars 2004 à l'en-tête de 'LE CONSERVATEUR' et portant en pied l'adresse de son siège social et le nom des différentes sociétés constituant le Groupe LE CONSERVATEUR, visant en référence le compte n° 10107999, il a été accusé réception à [L] [L] de versements par chèques des 22 janvier et 6 février 2004 de respectivement 55 112 euros et 7 623 euros, chèques dont les photocopies sont produites et qui ont été débités les 23 janvier et 11 février 2004 au profit de Monsieur [I] ;

Considérant qu'il résulte de ces éléments que [L] [L] s'est vu remettre par Monsieur [I], mandataire de la société LE CONSERVATEUR, des documents qui avaient l'apparence de pièces contractuelles caractérisant la souscription d'un contrat d'assurance-vie émanant de cette société, et lui a versé des sommes pour alimenter ce contrat ;

Que Monsieur [I] a ainsi agi dans le cadre de ses fonctions de mandataire de la société LE CONSERVATEUR, dont il a profité pour se faire remettre des fonds qui étaient destinés à son mandant, et a trouvé dans l'exercice de celles-ci les moyens de sa faute et l'occasion de la commettre ;

Considérant que la société LE CONSERVATEUR ne démontre aucunement l'existence d'une collusion frauduleuse entre Monsieur [I] et [L] [L], que la procédure pénale n'a pas révélée et qui ne saurait se déduire de ce que les parties se fréquentaient depuis plusieurs années ou que Monsieur [I], juste avant son incarcération, a cru devoir adresser à certaines de ses victimes une lettre circulaire les incitant à rechercher la responsabilité des sociétés du Groupe LE CONSERVATEUR ;

Qu'elle ne démontre pas davantage que la somme de 5 500 euros que [L] [L] a reçue de Monsieur [I] en juin 2004 avant son arrestation correspondrait à un remboursement de fonds détournés, [L] [L] ayant déclaré lors de son audition par les enquêteurs qu'il s'agissait du solde du prix de vente d'un fusil de collection qu'il avait remis en dépôt-vente à Monsieur [I], lequel, parallèlement à son activité de mandataire d'assurance, dirigeait un magasin d'armurerie à [Localité 6] ;

Que [L] [L], qui n'avait aucune compétence particulière en matière d'assurance-vie et de gestion de patrimoine, a pu légitiment croire au vu des documents remis ou adressés par Monsieur [I], même si ceux-ci comportaient certaines anomalies pouvant échapper à un non-professionnel, qu'il souscrivait régulièrement un contrat Multivalor auprès de la société LE CONSERVATEUR, ses règlements ayant d'ailleurs tous été effectués par chèques libellés à l'ordre du 'CONSERVATEUR' ou 'CONSERVATEUR FINANCE', auquel Monsieur [I] a apparemment ajouté son nom afin de pouvoir les encaisser, ou par reçu délivré par Monsieur [I] au travers de son Cabinet dénommé 'LE CONSERVATEUR FINANCE', à l'exclusion du chèque de 40 000 francs remis 'en blanc' concomitamment à la souscription du contrat à Monsieur [I], qui l'a complété à son ordre, ce qui s'explique par la relation de confiance que ce dernier avait su instaurer avec ses victimes ;

Que de même, si le taux de rendement annuel net de 9 % prévu dans la proposition de souscription apparaît très élevé au regard de ceux appliqués à l'époque, il n'était pas en lui-même de nature à éveiller les soupçons du profane qu'était [L] [L] ;

Considérant, en conséquence, que la responsabilité de la société LE CONSERVATEUR est engagée à l'égard de [L] [L] du fait des agissements fautifs de son mandataire, le préjudice subi par la victime correspondant au montant total des versements justifiés, soit la somme de 76 354,92 euros ;

Qu'il y a lieu dès lors de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société LE CONSERVATEUR à payer cette somme aux ayants droit de [L] [L] ;

Considérant que les consorts [L] ne justifiant pas d'un préjudice non réparé par les intérêts moratoires de l'indemnité allouée à titre principal non plus que d'un abus commis par la société LE CONSERVATEUR, le jugement doit être également confirmé en ce qu'il les a déboutés de leur demande de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

Sur les demandes de la société LE CONSERVATEUR et des consorts [L] à l'encontre du CREDIT LYONNAIS

Considérant que la société LE CONSERVATEUR soutient que l'agence de [Localité 6] du CREDIT LYONNAIS a commis des fautes engageant sa responsabilité en encaissant des chèques établis à l'ordre de la société LE CONSERVATEUR et portant deux intitulés, 'CONSERVATEUR' et '[I]. [I]', sur le compte ouvert au nom de 'Monsieur [I] - AGF' alors notamment que Monsieur [I] n'était plus mandataire des AGF depuis 1987, qu'aucun compte n'était ouvert au sein de cette agence au nom du CONSERVATEUR et que l'agence ne détenait aucune autorisation permettant à Monsieur [I] d'encaisser sur son compte personnel des sommes dont le destinataire était la société LE CONSERVATEUR ; qu'elle ajoute que les manquements du CREDIT LYONNAIS constituent la cause déterminante et principale du préjudice invoqué par les consorts [L] ;

Considérant que les consorts [L] reprochent au CREDIT LYONNAIS d'avoir manqué à son devoir de vigilance et à ses obligations de vérification des chèques déposés par Monsieur [I], sur un compte qui n'était pas celui de la société LE CONSERVATEUR et qui étaient falsifiés par ajout dans la désignation du bénéficiaire d'un autre souscripteur, manquements qui ont permis l'encaissement des chèques et sont donc en lien de causalité avec le préjudice subi ;

Considérant que la société CREDIT LYONNAIS dénie toute faute dans l'exécution de ses obligations de banquier et en tout état de cause, tout lien de causalité entre sa prétendue faute et le préjudice subi par [L] [L] ainsi que l'obligation de la société LE CONSERVATEUR à l'égard de ses ayants droit, l'absence de surveillance et de contrôle de l'assureur sur les activités de son mandataire étant la cause exclusive, et à tout le moins prépondérante, des détournements massifs commis par Monsieur [I] ;

Considérant qu'il ressort des pièces produites que courant 1989, Monsieur [I] a ouvert un compte à l'agence de [Localité 6] du CREDIT LYONNAIS portant le n° [XXXXXXXXXX01] sous l'intitulé 'Monsieur [I] [I] AGF' ; que s'agissant d'un compte individuel ouvert par une personne physique, à usage professionnel, la banque n'avait pas d'autre obligation que celle de vérifier l'identité et le domicile du postulant, et notamment n'avait pas à vérifier les liens unissant celui-ci à la société UAP, qui n'était pas cotitulaire du compte ;

Considérant que les quatre chèques émis par [L] [L] en règlement des cotisations qu'il entendait verser sur son contrat MultiValor ont été encaissés sur ce compte ;

Qu'à l'exception du premier chèque de 40 000 francs remis sans ordre à Monsieur [I] qui s'y est mentionné comme bénéficiaire, ces chèques étaient libellés à l'ordre du 'CONSERVATEUR' ou 'CONSERVATEUR FINANCE', auquel le nom de Monsieur [I] était accolé, sans indication d'une quelconque forme sociale - société, compagnie, association, groupe .....- susceptible de désigner la société LE CONSERVATEUR, personne morale qui n'était titulaire d'aucun compte ouvert à son nom à l'agence de [Localité 6] du CREDIT LYONNAIS ;

Or considérant que depuis de nombreuses années, Monsieur [I] exerçait son activité à [Localité 6] sous la dénomination et enseigne commerciale 'LE CONSERVATEUR FINANCE [I]. [I] Consultant Financier', ainsi qu'établi par le tampon apposé sur un certain nombre de documents remis ou adressés à [L] [L] ;

Que le CREDIT LYONNAIS qui, dès lors que le compte en litige n'était pas ouvert au nom de la société LE CONSERVATEUR, n'avait pas à vérifier si dans le cadre de son activité de mandataire non salarié de cette société, Monsieur [I] avait ou non le pouvoir d'encaisser les cotisations versées par les clients, a donc pu, sans faute de sa part, créditer le compte professionnel de celui-ci du montant de ces chèques, qui ne présentaient aucune anomalie apparente telle rature, grattage ou surcharge, l'ajout du nom de [I] à celui de CONSERVATEUR écrit de la main du tireur des chèques n'étant pas suffisamment perceptible pour attirer l'attention d'un employé de banque normalement diligent lors d'un examen nécessairement superficiel du chèque à l'occasion d'une opération courante d'encaissement ;

Qu'en l'absence d'anomalie matérielle ou intellectuelle de nature à l'alerter, le CREDIT LYONNAIS n'avait pas à s'immiscer dans le fonctionnement du compte de Monsieur [I], qui n'avait pas donné lieu à incident depuis son ouverture une quinzaine d'années auparavant, la banque pouvant légitimement penser que les chèques libellés à l'enseigne de son Cabinet était destinés à être encaissés par Monsieur [I] dans le cadre de son activité professionnelle, d'autant que l'intéressé émettait lui-même régulièrement des chèques à l'ordre des sociétés LE CONSERVATEUR - 11 entre le 7 mars 1997 et le 9 avril 2002 - dont la banque ne pouvait connaître l'objet exact mais qui contribuaient à conférer aux opérations enregistrées sur un compte professionnel une apparence de normalité ;

Considérant, au surplus, que la société LE CONSERVATEUR et les consorts [L] ne démontrent pas que la faute imputée au CREDIT LYONNAIS est la cause déterminante et principale du préjudice subi par [L] [L] dont l'assureur est responsable en vertu de l'article L. 511-1 III. - du Code des assurances, alors que ce préjudice s'inscrit dans des détournements de plusieurs millions de francs commis par Monsieur [I] pendant plus d'une dizaine d'années et qui ont fait une centaine de victimes, traduisant nécessairement un manquement caractérisé de la société LE CONSERVATEUR à son devoir de surveillance et de contrôle des activités de son mandataire ;

Considérant, en conséquence, qu'il convient de réformer le jugement entrepris en ce qu'il est entré en voie de condamnation à l'encontre du CREDIT LYONNAIS et de débouter la société LE CONSERVATEUR et les consorts [L] de toutes demandes dirigées contre lui ;

Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens

Considérant que la solution du litige conduit à réformer le jugement entrepris du chef des dépens et de la condamnation du CREDIT LYONNAIS au paiement d'une indemnité fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile aux consorts [L] et à condamner la société LE CONSERVATEUR aux dépens de première instance et d'appel et à payer, au titre de leurs frais irrépétibles d'appel, la somme de 1 000 euros à chacun des consorts [L] et celle de 2 000 euros au CREDIT LYONNAIS, sa demande fondée sur l'article 700 du Code de procédure civile étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

Déclare l'appel recevable,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il est entré en voir de condamnation à l'encontre de la société CREDIT LYONNAIS et sur les dépens,

Infirmant de ces chefs et statuant à nouveau,

Déboute la société ASSURANCES MUTUELLES LE CONSERVATEUR et les consorts [L], [L] et [L] [L] de leurs demandes à l'encontre de la société CREDIT LYONNAIS,

Condamne la société ASSURANCES MUTUELLES LE CONSERVATEUR à payer, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, la somme de 1 000 euros chacun à Monsieur [L] [L], Madame [L] [L] et Monsieur [L] [L] et celle de 2 000 euros à la société CREDIT LYONNAIS,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne la société ASSURANCES MUTUELLES LE CONSERVATEUR aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 2 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 09/09254
Date de la décision : 20/03/2012

Références :

Cour d'appel de Paris C5, arrêt n°09/09254 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-03-20;09.09254 ?
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