Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 9 MARS 2012
(n° 2012- , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/15860
Sur renvoi après un arrêt de la Cour de Cassation en date 26 mai 2010, arrêt n°560F-P+B, emportant cassation d' un arrêt de la Cour d'Appel de PARIS (1ère Chambre-Section A) en date du 17 février 2009, RG 08/04742 sur appel d'un jugement du Tribunal de grande Instance de Paris en date du 27 juillet 2006 ( 1ère Chambre- 1ère Section)- RG 05/05426
DEMANDERESSE:
S.A. LE GROUPEMENT POUR LE FINANCEMENT DES OUVRAGES DE BÂTIMENT TRAVAUX PUBLICS ET ACTIVITÉS ANNEXES (GOBTP)
agissant en la personne des ses représentants légaux
ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par la SCP MIREILLE GARNIER, avoués à la Cour
assistée de Maître Gilbert MANCEAU, avocat au barreau de PARIS, toque A627
DEFENDEUR:
Maître Olivier [R]
désigné en qualité de liquidateur judiciaire de la SOCIÉTÉ FONCIÈRE AUBERFI
demeurant [Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par la SCP ARNAUDY ET BAECHLIN, avoués à la Cour
assisté de Maître Philippe HERVE, avocat au barreau de PARIS, toque R44, plaidant pour l'Association FABRE-GUEUGNOT et substituant Maître Jean-Pierre FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque R44
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 06 Décembre 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Marguerite-Marie MARION, Conseiller faisant fonction de Président
Marie-Hélène GUILGUET-PAUTHE, Conseillère
Dominique LEFEBVRE LIGNEUL, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Camille RENOUX
ARRÊT :
-contradictoire
-rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Marguerite-Marie MARION, Conseiller faisant fonction de Président, pour le Président empêché et par Guénaelle PRIGENT, Greffier.
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La société Groupement pour le financement des ouvrages de bâtiment travaux publics et activités annexes (la société GOBTP) a consenti, le 27 décembre 1990, à la société Fideux aux droits de laquelle vient la société Foncière Auberfi, en vue de l'acquisition d'un bien immobilier sis à [Adresse 5], un prêt, lequel a été remboursé le 28 février 1992 par un second prêt intervenu entre les mêmes parties aux mêmes conditions.
La société GOBTP a obtenu en garantie, notamment, la cession des loyers dus à la société propriétaire .
La société GOBTP a signifié la cession des loyers à l'un des locataires, la société Olivetti puis à la société Ruff Gestion, cessionnaire du bail de la société Olivetti qui lui a versé les loyers jusqu'à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, le 30 septembre 1999, à l'encontre de la société Auberfi, convertie en liquidation judiciaire le 22 juin 2000, Maître [R] ayant été désigné représentant des créanciers puis liquidateur.
Reprochant à Maître [R] de ne pas lui avoir reversé les loyers afférents au 4ème trimestre 1999, la société GOBTP l'a assigné en responsabilité et paiement de la somme de 458.787,79 euros ;
Par jugement du 27 juillet 2006 le tribunal de grande instance de Paris a débouté la société GOBTP de toutes ses demandes, l'a condamné aux dépens et à payer à Maître [R] la somme de 6.000 euros à titre d'indemnité de procédure.
La société GOBTP a interjeté appel de cette décision et, par arrêt rendu le 17 février 2009, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement et condamné la société GOBTP aux dépens d'appel ;
Sur le pourvoi formé par la société GOBTP , la Cour de cassation a, par arrêt du 26 mai 2010, cassé l'arrêt précité en toutes ses dispositions et a renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris autrement composée.
***
Vu la déclaration de saisine de la cour de renvoi le 14 juin 2010 par la société GOBTP ;
Vu les dernières conclusions déposées au greffe le 23 novembre 2011 par la société GOBTP qui demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de Maître [R] et l'a condamnée au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-constater que Maître [R] a commis une faute engageant sa responsabilité civile professionnelle, en ne lui restituant pas des sommes lui revenant en sa qualité de créancier nanti titulaire d'un droit de rétention sur la créance de loyers de la sarl Foncière Auberfi,
-subsidiairement, constater que Maître [R] a commis une faute engageant sa responsabilité civile professionnelle en s'abstenant de la désintéresser par le produit du loyer du quatrième trimestre 1999 selon son rang de créancier privilégié,
-en tout état de cause, constater qu'elle a subi un préjudice en relation directe avec cette faute correspondant au montant du loyer non perçu outre intérêts,
-en conséquence, condamner Maître [R] à lui payer la somme de 458.789,79 euros assortie des intérêts au taux légal avec anatocisme à compter du 28 mars 2002,
-confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Maître [R] de sa demande de paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,
-le débouter de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-débouter Maître [R] de ses fins, moyens et conclusions,
-condamner Maître [R] à lui payer la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
-le condamner aux entiers dépens ;
Vu les dernières conclusions déposées au greffe le 16 novembre 2011 par Maître [R] qui demande à la cour de :
-confirmer le jugement,
-juger que la mise en oeuvre de sa responsabilité civile par la société GOBTP constitue un détournement de procédure,
-constater l'absence de faute de sa part,
-constater que la société GOBTP ne justifie pas d'un préjudice et d'un lien de causalité,
-en conséquence, débouter la société GOBTP de ses demandes,
-condamner la société GOBTP à lui verser la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et vexatoire,
-condamner la société GOBTP à lui verser la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ,
-la condamner aux dépens ;
SUR CE, LA COUR :
Considérant qu'au soutien de l'appel, la société GOBTP fait valoir que Maître [R] a commis une faute dans l'exercice de son activité professionnelle pour avoir encaissé à tort des sommes correspondant à des loyers qui lui avaient été cédés antérieurement à l'ouverture de la procédure collective de la société foncière Auberfi et d'avoir refusé de les lui restituer, la privant ainsi d'une part de l'exercice de son droit de rétention, d'autre part de son privilège sur ces sommes ; qu'elle fait encore valoir qu'en tout état de cause, elle est fondée à agir en dommages et intérêts pour ne pas avoir été payée sur le loyer nanti à son profit par préférence aux autres créanciers ;
Considérant que Maître [R] objecte en premier lieu qu'il ne lui appartenait pas de trancher lui-même une difficulté sérieuse sur le paiement d'une créance de loyers et de se dessaisir des fonds et que si la société GOBTP estimait que les loyers devaient lui revenir, il lui appartenait d'exercer la voie de recours prévue par l'article L.621-115 ancien du code de commerce, que la société GOBTP n'a pas usé de la seule voie de droit mise à sa disposition par la loi et qu'il n'a pas à en supporter les conséquences ;
Mais considérant que la demande de la société GOBTP tendant à la restitution de fonds, l'article L.621-115 précité n'était pas applicable ;
Considérant que Maître [R] soutient également que la cession de créance dont se prévaut la société GOBTP était inopposable à la procédure collective, ce qui exclut toute faute de sa part ;
Considérant que les actes par lesquels la société GOBTP a fait signifier à la société Olivetti le 7 mars 1996 puis à la société Ruff Gestion le 20 avril 1999 la cession des loyers mentionnent non la société Auberfi mais la société Fideux qui seule s'était engagée à la cession ; que toutefois les locataires ont réglé les loyers entre les mains de la société GOBTP jusqu'à l'ouverture de la procédure collective de la société Auberfi, avec l'accord de celle-ci tel que cela ressort de diverses correspondances entre cette société et/ou son mandataire, la société [B], et la société GOBTP ; qu'en l'état de ces éléments, le moyen tiré de l'inopposabilité de la cession doit être écarté ;
Considérant enfin que Maître [R], qui rappelle qu'il n'a pas encaissé les loyers, lesquels ont été versés directement par le locataire entre les mains de l'administrateur judiciaire qui les a déposés sur le compte de la société Auberfi dans les livres de la caisse des dépôts et consignations et que lors de la reddition des comptes consécutive au prononcé de la liquidation judiciaire, il a reçu de l'administrateur judiciaire un "solde de tous comptes"unique, soit une somme globale dont il ne pouvait disposer que pour désintéresser les créanciers suivant leur rang, selon les dispositions d'ordre public de la loi du 25 janvier 1985, fait enfin valoir que la position qu'il a adoptée était tout à fait justifiée et prudente, que l'état de la jurisprudence au jour de son intervention montre qu'il n'a pas commis d'erreur grossière sur l'interprétation des questions juridiques en cause ;
Considérant qu'il est acquis qu'à l'occasion de la reddition des comptes, Maître [J], administrateur, a versé à Maître [R] une somme de 5.553.344,44 francs, soit 846.601,90 euros ; que la fiche de compte établie par l'administrateur mentionne, à la date du 26 novembre 1999, un versement de 2.386.627,62 francs sous l'intitulé "3/11 de Cabinet [B] solde compte" et à la date du 21 décembre 1999, un versement de 2.630.966,24 francs sous l'intitulé "de Cab. [B] solde cptes immeubles" ; que comme le fait remarquer Maître [R], le montant des loyers afférents au 4ème trimestre 1999, s'élevant à la somme de 3.009.463 francs, n'est pas individualisé ; que dès lors les règlements effectués par le liquidateur antérieurement au 2 avril 2002, date à laquelle il a réceptionné la lettre par laquelle la société GOBTP lui rappelait qu'elle bénéficiait d'une cession de loyers antérieure à l'ouverture de la procédure et lui réclamait le versement de la somme de 458.789,79 euros à ce titre, ne peuvent lui être imputés à faute ; qu'en revanche, en effectuant après cette date des règlements au profit de divers créanciers, alors qu'il reconnaît lui-même qu'il existait en l'espèce "un point litigieux en suspens sur la validité de la cession de créance et ses conséquences", il a commis une faute ;
Considérant que Maître [R] a produit aux débats une fiche comptable mentionnant les sommes portées au crédit et au débit du compte de la liquidation judiciaire mais sans s'expliquer plus avant sur celles-ci ; que néanmoins il ne prétend pas que les fonds qu'il détenait au 2 avril 2002 n'aurait pas permis de régler la créance de la société GOBTP au titre des loyers du 4ème trimestre 1999 ;
Considérant qu'après la vente de l'immeuble, la société GOBTP a perçu une somme de 5.950.000 euros alors que sa créance avait été admise pour la somme de 16.448.824,11 euros ; qu'en raison de la faute commise par Maître [R] elle n'a pu percevoir en sus la somme de 458.789,79 euros précitée ; qu'en réparation de son préjudice, Maître [R] sera condamné à lui payer ladite somme de 458.789,79 euros qui portera intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2006, date du jugement ; que les intérêts seront capitalisés dans les conditions fixés par l'article 1154 du code civil ;
Considérant que la demande de la société GOBTP étant accueillie, la procédure qu'elle a engagée ne peut être qualifiée d'abusive ; que Maître [R] sera dès lors débouté de sa demande de dommages et intérêts ;
Considérant, vu l'article 700 du code de procédure civile, que les dispositions du jugement à ce titre seront infirmées, que Maître [R] sera débouté de sa demande sur ce fondement et condamné à payer à la société GOBTP la somme de 12.000 euros pour les frais irrépétibles qu'elle a exposés ;
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement,
Statuant à nouveau,
Condamne Maître [R] à payer à la société GOBTP, à titre de dommages et intérêts, la somme de 458.789,79 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 27 juillet 2006,
Dit que les intérêts seront capitalisés dans les conditions fixées par l'article 1154 du code civil,
Condamne Maître [R] à payer à la société GOBTP la somme de 12.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toutes autres demandes,
Condamne Maître [R] aux dépens de première instance et d'appel comprenant ceux de l'arrêt cassé et dit que les dépens d'appel pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE CONSEILLER FAISANT
FONCTION DE PRÉSIDENT
P/LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ