RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 26 Janvier 2012
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/04382 - JS
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Mai 2010 par le conseil de prud'hommes de LONGJUMEAU section encadrement RG n° 08/01089
APPELANTE
Madame [W] [D]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
comparant en personne, assistée de Me Philippe RENAUD, avocat au barreau de l'ESSONNE
INTIMEES
Me [Z] [U] - Mandataire liquidateur de la SA ARES
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Jérôme HALPHEN, avocat au barreau de PARIS, toque : R 250
UNEDIC AGS-CGEA IDF EST
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Pascal GOURDAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D 1205 substitué par Me Maria-Christina GOURDAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : D1205
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Décembre 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Julien SENEL, Vice-Président placé, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Catherine METADIEU, Présidente
Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère
M. Julien SENEL, Vice-Président placé sur ordonnance du Premier Président en date du 20 juillet 2011
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
Madame [D] a été engagée par la société SERETI en qualité de comptable par contrat à durée indéterminée à effet du 5 octobre 1998. Par avenant du 11 janvier 1999, une part variable était rajoutée à la rémunération fixe.
Le contrat de travail a été transféré à la société ARES, société de services informatiques, le 1er juillet 1999, en application de l'article L1224-1 du code du travail.
Par avenant du 1er mai 2003, la rémunération mensuelle a été portée à 2691,96€, versée 13 fois l'an. La partie variable a été supprimée du fait de son intégration au salaire fixe.
Au dernier état, [W] [D] occupait les fonctions de consultant, rattachée à la cellule qualité ARCOLE sous la direction du directeur de la R-D ARCOLE (Business Unit Arcole) et percevait une rémunération brute mensuelle de 3066€.
Les relations de travail étaient soumises à la convention collective dite SYNTEC.
Après envoi de courriers à son employeur en date des 30 octobre, 12 et 17 novembre 2008, dénonçant notamment un manque d'activité depuis plusieurs mois, en l'absence de réponse de son employeur, elle a cessé de venir travailler à compter du 17 novembre et a saisi le 21 novembre 2008 le Conseil de Prud'hommes de Longjumeau aux fins, en dernier lieu, notamment, de dire que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail intervenue le 17 novembre 2008 à l'initiative de son employeur était justifiée par le comportement fautif de ce dernier et donc de dire qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et d'indemnisation.
Le 29 décembre 2008, l'employeur lui a notifié son licenciement pour faute grave en ces termes :
« Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 05 décembre 2008, nous vous informions que nous étions sans nouvelle depuis la fin de votre arrêt maladie le 16 Novembre 2008 au soir.
Vous n'avez pas justifié votre absence et ne vous êtes pas présenté à votre travail depuis cette date. Aussi, par courrier du 16 décembre 2008 nous vous adressions une convocation à entretien préalable à licenciement pour le Mardi 23 décembre 2008.
Vous ne vous êtes pas présentée à l'entretien aussi, nous vous informons des raisons qui nous ont conduit à cette convocation :
Vous n'avez pas justifié vos absences depuis le 16 Novembre 2008 au soir et n'avez pas repris votre travail.
En conséquence, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave en raison de votre abandon de poste.
Le licenciement pour faute grave étant privatif de l'indemnité de préavis, c 'est à la date du 31 Décembre 2008 que sera arrêté votre solde de tout compte étant entendu que vous serez en absence injustifiée depuis le 17 Novembre au 31 décembre 2008 au soir ».
Par jugement du 6 mai 2010, le Conseil de Prud'hommes a débouté Madame [D] de l'ensemble de ses demandes, l'a condamnée aux dépens et a débouté la société ARES de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Régulièrement appelante, Madame [D] demande à la cour de la déclarer recevable et bien fondée en son appel, juger que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail intervenue le 17 novembre 2008 à son initiative est justifiée par le comportement fautif de l'employeur, juger non avenu le licenciement qui lui a été notifié postérieurement à la rupture du contrat de travail par cette prise d'acte et donc que la prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, fixer sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la société comme suit :
- indemnité compensatrice de préavis : 9.198€
- congés payés afférents : 919,80€
- indemnité conventionnelle de licenciement : 10.347,75€
- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :36000€.
Elle demande d'ordonner à Me [U] es qualité de mandataire liquidateur de la société ARES de lui remettre une attestation POLE EMPLOI, un certificat de travail et un bulletin de paie conformes au « Jugement » à venir, de juger que l'AGS CGEA IDF garantira le paiement des condamnations prononcées dans les limites légales, les sommes allouées produisant intérêts de droit avec capitalisation des intérêts par année entière sur le fondement des dispositions de l'article 1154 du Code civil, à compter du 18 novembre 2008, de condamner Me [U] es qualité de mandataire liquidateur de la société 3CP à lui verser une indemnité de 3.500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
La société ARES et Me [U], en qualité de liquidateur judiciaire, demandent à la cour de constater que Madame [D] n'a pas pris la décision de rompre son contrat; que son licenciement pour faute grave est justifié et donc de la débouter de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture de son contrat. Subsidiairement, ils demandent de qualifier la prise d'acte de démission et donc de condamner Madame [D] à verser à Ares la somme de 9.198€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis.
Reconventionnellement, ils demandent de la condamner à verser à Ares la somme de 2.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'AGS CGEA IDF Est demande à la cour de confirmer le jugement et subsidiairement de limiter les montants demandés au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive à une somme correspondant à 6 mois de salaire ; juger que l'AGS ne devra procéder à l'avance des éventuelles créances visées aux articles L3253-8 et suivants du code de travail que dans les termes et conditions résultant des positions des articles L 3253-15 à L 3253-21 du code de travail et notamment dans la limite du plafond 6 et que si une condamnation devait être prononcée, le cours des intérêts légaux devrait être arrêté au jour de l'ouverture de la procédure collective, à savoir le 19 juillet 2010 ; constater au visa des articles L3253-6 et suivants du Code de travail, que la somme sollicitée au titre de l'article 700 de code de procédure civile n'entre pas dans le champ d'application de sa garantie ; juger que toute condamnation éventuellement prononcée à ce titre lui sera inopposable et statuer ce que de droit quant aux dépens sans qu'ils puissent être mis à sa charge.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS ET DECISION
Sur la société ARES
A la demande de la cour, les parties ont fait parvenir un extrait -bis récent de la société en cours de délibéré dont il ressort que, si la résolution du plan de redressement judiciaire et la liquidation judiciaire de la société ARES a été prononcée par le tribunal de commerce d'Evry le 29 novembre 2010, elle n'est au 5 décembre 2011 pas radiée du registre du commerce et des sociétés, le tribunal de commerce d'Evry ayant par jugement du 14 février 2011 arrêté un plan de cession au profit de la société GFI Informatique.
Me [U], liquidateur judiciaire, ayant seul qualité et intérêt à agir, ses conclusions sont recevables.
Sur le fond :
Il convient au préalable de qualifier la rupture du contrat de travail, les parties étant en désaccord sur ce point.
A l'appui de sa demande de prise d'acte, [W] [D] invoque principalement les lettres datées du 30 octobre 2008 et du 17 novembre 2008 qu'elle a envoyées à son employeur, restées sans réponse.
La lettre datée du 30 octobre 2008 est notamment rédigée en ces termes :
« je constate que depuis trois mois l'entreprise ARES n'est plus en mesure de me fournir du travail en raison des bouleversements intervenus. En mars 2008, vous avez décidé de vendre à la société 2 GAMMA une petite partie des offres ARCOLLE(....) en raison de cette cession partielle, je me trouve confrontée à une situation telle que mon contrat de travail n'a finalement plus aucun sens, et je déprime ('). depuis la fin du mois de juillet, et cela dure depuis trois mois, ma hiérarchie ne me donne strictement rien à faire(...)cette situation est devenue pour moi insupportable et me pousse à la dépression(.. .)on continue à me laisser « au placard » sans aucune considération pour ma personne, ma hiérarchie refusant d'admettre que venir tous les matins pour ne rien faire dans la journée est pour moi très pénible (...)on me laisse dans un coin comme une plante d'appartement ('). certains responsables s'expriment (') en me faisant comprendre que l'on attend ma « démission » avec impatience (...)je m'adresse à vous, puisque vous êtes le patron, pour vous demander officiellement de me fournir un travail à effectuer car franchement cela devient insupportable psychologiquement de subir cette situation au jour le jour à la vue de tout le personnel, dans les locaux d'ARES. »
Il en résulte que tout en faisant des reproches à son employeur, [W] [D] y réfute toute démission et n'invoque pas de prise d'acte, souhaitant au contraire poursuivre la relation de travail.
La lettre datée du 17 novembre 2008 est rédigée en ces termes :
« L'attitude de M. [R] [Y], et cette manière qu'il a de nier effrontément la réalité quand cela l'arrange, sont inadmissibles pour qui, comme moi, fait l'effort de venir tous les jours depuis avril (7 mois !), pour attendre dans un bureau qu'on lui donne enfin un travail durable à réaliser et qui corresponde, pour ce qui me concerne, à mes compétences.
Ce que cela me coûte nerveusement devient trop important pour que je continue à supporter cette mise à l'écart. M. [Y] se moque délibérément de moi et d'une manière ouverte depuis vendredi dernier, fabriquant (avant de me recevoir) un compte rendu d'entretien (complété en deux petites minutes !) qui ne correspond à rien de vrai, mais je comprends que vous ne trouviez pas le temps, en raison des circonstances, de mettre un terme à ce que je supporte au fil des jours comme une agression morale permanente dans le but de provoquer une séparation que ma hiérarchie espère profitable pour l'entreprise .
A l'inspection du travail, ils disent que cela est de la compétence des juges du prud'homme ou de la médecine du travail, et je veux bien le croire. Il est vrai que l'on voit mal comment vous pourriez désavouer M. [Y] publiquement, ni créer un « travail » à me donner à faire ; mais d'un autre côté, je ne tiens pas à risquer plus gravement ma santé. En tout cas, votre silence depuis que je vous ai fait part des méthodes de M. [Y] m'incite à prendre acte des choix de l'entreprise en ce qui me concerne, mais contrairement aux v'ux exprimés par ma hiérarchie, il ne saurait être question de « démission », le choix qui m'est imposé étant le fait de la société ARES qui ne veut pas respecter ses engagements à mon égard et qui persiste dans cette entreprise de déstabilisation.
Je suis désolée de devoir en arriver là, mais j'ai une famille et deux enfants à charge, et il n'y a aucune raison pour que je continue à supporter dans ma vie privée les contrecoups de cette situation que l'on m'impose alors même que je ne l'ai pas méritée. »
Il est avéré et non contesté que [W] [D] ne s'est plus présentée postérieurement à l'envoi de cette seconde lettre. Il ressort des termes de cette lettre qu'elle ne peut être qualifiée de démission, claire et non équivoque, puisque [W] [D] relate plusieurs manquements de son employeur, ressentis comme une agression morale permanente dans le but de provoquer une séparation, et en prend acte.
Il s'agit donc d'une lettre de prise d'acte de la rupture nonobstant l'objection de l'employeur, la saisine postérieure du Conseil de Prud'hommes ayant implicitement mais nécessairement pour objet de demander à la juridiction de voir dire que la prise d'acte de la rupture aura les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse avec toutes les conséquences en résultant.
En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.
Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.
L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige; le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqués devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.
En l'espèce, Madame [D] affirme que les griefs invoqués au soutien de sa prise d'acte sont suffisamment graves pour justifier que la rupture de la relation contractuelle soit imputée à l'employeur et produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'employeur n'ayant pas respecté son obligation de fournir un travail, ce que contestent la société ARES, son liquidateur judiciaire et l'AGS.
Elle explique que la cession de l'activité ARCOLE 3 G RH à une autre entreprise fin mars 2008 l'a privée de l'essentiel de ses fonctions de Consultante au sein de la cellule qualité ARCOLE et avoir fait l'effort de se présenter chaque jour sur son lieu de travail, alors que la situation lui était plus que pénible puisqu' elle n'avait strictement rien à faire.
Elle soutient en outre que malgré ses avertissements, lors d'un entretien du 23 octobre puis dans sa lettre 30 octobre 2008, la société ARES n'a rien fait pour améliorer la situation, allant jusqu'à organiser un entretien le 7 novembre 2008, à l'issue duquel il lui a été demandé de signer un compte rendu pré-établi comportant des contre vérités manifestes.
Elle produit une ordonnance du Dr [C], médecin généraliste, en date du 7 novembre 2008 et un certificat médical attestant qu'elle « présente une dépression réactionnelle latente depuis 6 mois avec exacerbation clinique depuis 3 mois » .
[W] [D] soutient en outre que l'employeur ne lui a fait aucune proposition réelle après l'avoir reçue à deux reprises, les 23 octobre et 7 novembre 2008.
Indépendamment du contenu du compte rendu de l'entretien du 7 novembre, qu'elle remet en cause, et au terme duquel l'employeur exposait clairement ne pas souhaiter entrer dans une « logique de conflit », force est de constater qu'à l'issue de cet entretien, terminé à 11h10, l'employeur lui a fait une proposition par courriel du même jour, à 12h47, en ces termes :
« suite à notre conversation, j'ai échangé avec [G] [E] (DMA) qui recherche un profil qualité pour effectuer les plans de qualification/tests de l'APHP. Cette mission est très intéressante et répondrait parfaitement à tes attentes. Merci de prendre contact avec lui et me faire un retour rapidement ».
Or, [W] [D] n'a pas donné suite à cette demande de prise de contact.
Dès lors, la prise d'acte intervenue par la suite était pour le moins prématurée.
Il en résulte qu'elle produit les effets d'une démission, privant la salariée des indemnités qu'elle réclame et ouvrant droit au versement de l'indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 9198€, non contesté, résultant de l'application de l'article L 1237-1 du code du travail.
Le licenciement prononcé postérieurement est par nature sans objet.
L'examen des demandes subsidiaires de l'AGS est dès lors également sans objet.
Il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement,
Requalifie la prise d'acte de la rupture du contrat de travail de [W] [D] en démission,
Déboute [W] [D] de ses demandes,
Condamne [W] [D] à verser à Me [U] es qualité de liquidateur judiciaire de la société ARES la somme de 9198€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
Déboute Me [U] es qualité de liquidateur judiciaire de la société ARES de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne [W] [D] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,