COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 15 NOVEMBRE 2011
(no 336, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/ 16944
Décision déférée à la Cour : jugement du 29 avril 2009- Tribunal de Grande Instance de PARIS-RG no 07/ 10573
APPELANTS
Monsieur Ronald Maurice X......75016 PARIS
Madame Maria Joséphine Z... épouse X......75016 PARIS
SARL CANAL 19 agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal 19 rue Lucien Sampaix 75010 PARISdont le siège social est actuellement domicilié chez ABC liv 5 rue de Douai 75009 PARIS
représentés par la SCP FISSELIER CHILOUX BOULAY, avoués à la Cour présente à l'audience
INTIME
Monsieur L'AGENT JUDICIAIRE DU TRESOR Direction des Affaires Juridiques 6 rue Louise WeissTeledoc 353- Bâtiment Condorcet 75703 PARIS CEDEX 13 représenté par Me Frédéric BURET, avoué à la Cour assisté de Me Carole PASCAREL de la SCP UETTWILLER GRELON GOUT CANAT et ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P 261
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 3 octobre 2011, en audience publique, le rapport entendu conformément à l'article 785 du code de procédure civile, devant la Cour composée de :
Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre Madame Brigitte HORBETTE, Conseiller Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Mme Noëlle KLEIN
MINISTÈRE PUBLIC Madame ARRIGHI de CASANOVA, avocat général, a fait connaître ses conclusions écrites
ARRET :
- contradictoire-rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, Président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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La Cour,
Considérant que, le 23 avril 2003, M. Ronald X..., gérant de la société Canal 19, et, le 7 mai 2004, la société Canal 19 ont déposé une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction au Tribunal de grande instance pour des faits d'escroquerie au jugement, de faux et d'usage de faux ; Qu'à l'appui de cette plainte, M. X...et la société Canal 19 exposaient que M. Jean-Michel Y..., M. B...et lui-même, M. X..., ont créé la société Canal 19 en vue d'acquérir un immeuble et que, le 9 mars 1995, avant l'acquisition du bien, ils ont conclu une convention portant sur l'exécution de travaux de restauration à réaliser et qu'en présentant de fausses factures de travaux qui, en réalité, n'ont jamais été effectués ni par M. Jean-Michel Y..., ni par M. B..., les sociétés S. I. C., venant aux droits de M. B..., et Arcad, venant aux droits M. Y..., ont obtenu la condamnation, prononcée le 5 février par le tribunal de commerce de Paris et confirmée par la Cour d'appel, de la société Canal 19 à payer à la société S. I. C. une somme de 467. 901, 36 francs (71. 331, 10 euros) et à la société Arcad la somme de 243. 698, 63 francs (37. 151, 62 euros) ; Que l'information ouverte sur cette plainte a été clôturée par un arrêt de non-lieu prononcé le 20 septembre 2006 par la chambre de l'instruction de la Cour au motif, selon M. X..., Mme Maria Z..., son épouse, et la société Canal 19, que les pièces du dossier d'instruction d'une précédente plainte qu'ils avaient déposée le 4 mars 1998 du chef de fausses factures avaient été égarées par le greffe alors qu'elles auraient permis d'établir la culpabilité des personnes que la deuxième plainte aurait permis d'identifier ; Que, déduisant de ces circonstances une faute lourde imputable au service de la justice et réclamant la réparation de leur préjudice, M. et Mme X...et la société Canal 19 ont saisi le Tribunal de grande instance de Paris qui, par jugement du 29 avril 2009, a :- déclaré irrecevable la demande présentée par Mme X...et irrecevable pour la période comprise entre le 16 janvier 2001 et le 7 mai 2004 la demande présentée par la société Canal 19,- déclaré dépourvue d'objet la fin de non-recevoir tirée de la prescription quadriennale et fondée sur les dispositions de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968,- débouté M. X...et la société Canal 19 de leurs demandes,- laissé les dépens à la charge de M. X...et de la société Canal 19 ;
Considérant qu'appelants de ce jugement, M. et Mme X...et la société Canal 19, qui en poursuivent l'infirmation, demandent que l'Agent judiciaire du Trésor soit condamné à leur verser la somme de 2. 932. 446 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice financier ; Qu'au soutien de leurs prétentions, les appelants font valoir que Mme X..., épouse commune en biens de M. X..., était présente à l'acquisition de l'immeuble ; Qu'au fond, et exposant que la convention du 9 mars 1995, était nulle et qu'elle doit être traitée « comme un crime de faux en écriture publique et authentique », les appelants font valoir que, pour rendre possible l'escroquerie, « ils escamotaient dans la transaction l'objet, c'est-à-dire la désignation des travaux, et tout le dossier de la première instruction diligentée » à la suite de la plainte du 4 mars 1998 ; qu'ils ajoutent qu'en l'absence du dossier de la première instruction, le jugement rendu le 12 novembre 2002 est, non seulement « discutable », mais également erroné et qu'en définitive, il constitue le résultat d'un fonctionnement défectueux de la justice ; qu'il en déduit que, compte tenu des fautes lourdes constatées, à savoir le refus d'informer et la perte du dossier de la première instruction, la responsabilité de l'Etat est établie « dans son administration de la justice civile, fiscale et judiciaire » ; Que M. et Mme X...et la société Canal 19 exposent enfin qu'en raison des fautes de l'Etat, M. X...a été contraint de vendre précipitamment l'équivalent de 6226 actions S. L. P. S. et que, compte tenu du cours de l'action, leur valeur s'élève à la somme de 3. 411. 840 euros de sorte que le préjudice de son épouse et de lui-même ne peut être inférieur à 500. 000 euros ; qu'ils font enfin valoir que le dommage subi par la société Canal 19 se monte à une somme qui ne saurait être inférieure à 500. 000 euros ;
Considérant que l'Agent judiciaire du Trésor conclut à la confirmation du jugement aux motifs que Mme X...ne justifie pas de la qualité d'usager du service de la justice qui la rendrait recevable à agir et que, pareillement, la société Canal 19 ne justifie pas de la qualité d'usager du service de la justice qui la rendrait recevable à agir et à invoquer des griefs au titre de la période comprise entre le 16 janvier 2001 et le 7 mai 2004, date de sa plainte ; Qu'au fond, l'intimé soutient que M. X...et la société Canal 19 ne démontrent aucunement que les juges consulaires et le juge d'instruction, chargé de la deuxième information, auraient statué différemment s'ils avaient eu en main le dossier de la première information alors surtout que, d'une part, il n'est pas démontré que ce dossier aurait été perdu, que, d'autre part, le refus de solliciter la production de ce dossier, opposé par le juge d'instruction, a été confirmé par la Cour et que, d'autre part enfin, le refus d'informer a été infirmé par une décision qui n'a pas été critiquée ; qu'il en déduit que les demandes présentées par les appelants sont également irrecevables comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée ; Qu'à titre subsidiaire, l'Agent judiciaire du Trésor fait valoir que M. X...ne rapporte pas la preuve d'un préjudice personnel et que la société Canal 19 n'administre pas la preuve d'un préjudice qui serait en lien direct avec les fautes alléguées ;
Considérant que M. le procureur général conclut à l'irrecevabilité de l'action engagée par Mme X...qui n'est pas usager du service de la justice et de la société Canal 19, qui ne l'est qu'à partir du 7 mai 2004 ; Qu'au fond, M. le procureur général conclut au rejet de la demande dès lors que, d'une part, le refus d'informer a été réparé par un arrêt renvoyant l'affaire en vue de la poursuite de l'instruction et que M. Poulpiquet du Halgouet n'a formé aucun pourvoi contre l'arrêt de non-lieu et que, d'autre part, la perte du dossier de la première instruction n'est pas démontrée ;
Sur l'incident de procédure :
Considérant que l'Agent judiciaire du Trésor demande que soient écartées des débats les pièces communiquées et les conclusions signifiées le 20 septembre 2011 par les appelants ; qu'à cette fin, il soutient qu'il n'est pas en mesure d'y répondre utilement ; Considérant que M. et Mme X...et la société Canal 19, qui soulignent que l'Agent judiciaire du Trésor a demandé le rejet des conclusions et des pièces avant le prononcé de l'ordonnance de clôture, font valoir que, seules, les pièces numérotées 2, 3, 42 et 44 à 47 sont nouvelles ; Considérant que l'Agent judiciaire du Trésor, à qui il était loisible de solliciter le report du prononcé de l'ordonnance de clôture, prévu pour le 27 septembre 2011, s'en est abstenu, et qu'il ne démontre pas en quoi les pièces communiquées le 20 septembre 2011 appelaient une réponse particulière alors surtout que les conclusions signifiées le même jour n'apportent aucune modification aux prétentions antérieurement émises par M. et Mme X...et la société Canal 19 ; Qu'en conséquence, il convient de débouter l'Agent judiciaire du Trésor de sa demande de rejet de conclusions et de pièces ;
Sur la fin de non-recevoir soulevée par l'Agent judiciaire du Trésor et tirée du défaut de qualité à agir :
Considérant que l'action en responsabilité prévue par l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire n'est ouverte qu'aux usagers du service de la justice définis comme étant les personnes directement concernées par la procédure relativement à laquelle elles dénoncent un mauvais fonctionnement du service ; Qu'en l'espèce, le Tribunal de grande instance de Paris a exactement énoncé que Mme X..., fût-elle commune en biens, n'avait pas la qualité de partie civile dans la procédure suivie devant la juridiction d'instruction ; Qu'il convient donc d'approuver les premiers juges qui ont décidé que Mme X...n'avait pas la qualité d'usager du service de la justice et qu'elle n'était pas recevable à agir sur le fondement des dispositions susvisées ;
Considérant que, comme l'ont encore énoncé les premiers juges, la société Canal 19 ne s'est constituée partie civile dans la procédure ouverte sur la plainte déposée le 5 avril 2003 par M. X...que le 7 mai 2004 de sorte que, par application des dispositions l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire, elle est irrecevable à agir au titre de faits qui se sont produits antérieurement à cette date ;
Considérant que, sur ces deux points, le jugement sera confirmé ;
Au fond :
Considérant que la fin de non-recevoir soulevée par l'Agent judiciaire du Trésor et tirée d'une prétendue autorité de la chose jugée constitue, en réalité, un moyen de défense au fond dès lors qu'est demandée l'application des dispositions l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire en vertu desquelles « l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service de la justice » et « sauf dispositions particulières, cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice » ; Considérant que, comme le soutient l'Agent judiciaire du Trésor, en vertu du principe constitutionnel qui garantit l'indépendance des magistrats du siège, leurs décisions juridictionnelles ne peuvent être critiquées, dans les motifs ou dans le dispositif qu'elles comportent, que par le seul exercice des voies de recours prévues par la loi ;
Considérant qu'en l'espèce, il n'est pas contesté qu'à la suite de l'ordonnance de refus d'informer opposée par le juge d'instruction saisi le 3 avril 2003 et sur l'appel de M. X..., la chambre de l'instruction a rendu un arrêt infirmatif de sorte la décision ne donnant pas satisfaction au susnommé a été réparée par l'exercice normal des voies de recours ; Que, s'agissant du rejet des deux demandes d'actes complémentaires d'information, M. X...n'a pas interjeté appel de la première décision qui ne satisfaisait pas et qu'ayant appelé de la deuxième, le Président de la chambre de l'instruction, dans l'exercice normal des attributions, a estimé qu'il n'y avait pas lieu à l'accomplissement de l'acte demandé ; Qu'à ce titre, M. X...n'est pas fondé à se plaindre d'un mauvais fonctionnement du service de la justice ;
Considérant que M. X...et la société Canal 19 ont interjeté appel de l'ordonnance de non-lieu rendue le 17 juin 2005 et que, par arrêt du 20 septembre 2006, la chambre de l'instruction a confirmé la décision ; que les parties civiles n'ont point formé de pourvoi en cassation contre cet arrêt de sorte que, n'ayant pas épuisé toutes les voies de recours, elles ne sont pas fondées à rechercher la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 141-1 du Code de l'organisation judiciaire ;
Considérant que, par de plus amples motifs qu'il échet d'adopter, les premiers juges ont énoncé que, d'une part, le refus de communication des pièces de la première procédure d'instruction, terminée par un arrêt de non-lieu en date du 27 avril 2000 et un arrêt de rejet du pourvoi en cassation du 16 janvier 2001, était motivé par la circonstance que la demande en était faite par M. X...et la société Canal 19 eux-mêmes alors que les dispositions de l'article 197 du Code de procédure pénale édicte que les copies de pièces ne sont délivrées qu'aux seuls avocats des parties et que, d'autre part et surtout, le conseil de M. X...et la société Canal 19 n'ont jamais formulé une telle demande ; qu'il s'ensuit que, si la juridiction consulaire, saisie du litige opposant les sociétés S. I. C. et Arcad à la société Canal 19, n'a pas eu connaissance des pièces de la première instruction, la faute n'en incombe pas à l'Etat ; Que, de plus, les premiers juges ont exactement énoncé que la réponse émanant du greffe central pénal selon laquelle ce service ne détenait pas le dossier de la première instruction, ne signifie nullement que le dossier dont il s'agit ait été adiré ;
Considérant que, de surcroît, il n'est pas démontré que la juridiction consulaire et le deuxième juge d'instruction auraient rendu des décisions différentes s'ils avaient eu connaissance des pièces du dossier de la première instruction ;
Considérant qu'il suit de tout ce qui précède que M. X...et la société Canal 19 ne rapportent pas la preuve qui leur incombe et que, partant, il convient d'approuver les premiers juges qui les ont déboutés de toutes leurs demandes ;
Sur l'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile :
Considérant que chacune des parties sollicite une indemnité en invoquant les dispositions susvisées ; que, succombant en leurs prétentions et supportant les dépens, M. et Mme X...et la société Canal 19 seront déboutés de leur réclamation ; qu'en revanche, ils seront condamnés à payer à l'Agent judiciaire du Trésor les frais qui, non compris dans les dépens d'appel, seront arrêtés, en équité, à la somme de 2. 000 euros ;
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Déboute l'Agent judiciaire du Trésor de sa demande de rejet de conclusions et de pièces ;
Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 29 avril 2009 par le Tribunal de grande instance de Paris au profit de l'Agent judiciaire du Trésor ;
Déboute M. Ronald X..., Mme Maria Z..., son épouse, et la société Canal 19 de leur demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et les condamne, par application de ce texte, à payer à l'Agent judiciaire du Trésor la somme de 2. 000 euros ;
Condamne M. et Mme X...et la société Canal 19 aux dépens d'appel qui seront recouvrés par Maître Buret, avoué de l'Agent judiciaire du Trésor, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT