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10/11/2011 | FRANCE | N°08/09238

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 10 novembre 2011, 08/09238


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 10 Novembre 2011

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/09238 - JS



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Juin 2008 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY section commerce RG n° 06/03838



APPELANT

Monsieur [D] [B]

[Adresse 3]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Florence BONA, avocat au barreau d

e PARIS, toque : R100



INTIMEE

SA AIR FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Karine MUZEAU-COUTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : T03 substitué par Me Isa...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 10 Novembre 2011

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/09238 - JS

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Juin 2008 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY section commerce RG n° 06/03838

APPELANT

Monsieur [D] [B]

[Adresse 3]

[Localité 2]

comparant en personne, assisté de Me Florence BONA, avocat au barreau de PARIS, toque : R100

INTIMEE

SA AIR FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Karine MUZEAU-COUTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : T03 substitué par Me Isabelle MINARD, avocat au barreau de PARIS,

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 06 Octobre 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Catherine METADIEU, Présidente

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

M. Julien SENEL, Vice-Président placé sur ordonnance du Premier Président en date du 20 juillet 2011

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :

Monsieur [D] [B] a été engagé par la société AIR FRANCE en date du 27 avril 1973 en tant que personnel navigant commercial.

II a successivement occupé les postes suivants :

- Steward du 27 avril 1973 au 31 octobre 1989,

- Chef de cabine du 1er novembre 1989 au 31 octobre 1998,

- Chef de cabine principal du 1er novembre 1998 au 30 juin 2006.

En sa qualité de personnel navigant commercial, Monsieur [B] était soumis au code de l'aviation civile et à la convention d'entreprise du personnel navigant commercial.

Au titre des douze dernier mois, sa rémunération moyenne s'est élevée à 4.434.89 € brut.

Par lettre du 17 mai 2006, la société AIR FRANCE a informé Monsieur [B] qu'il cesserait d'exercer son activité en qualité de personnel navigant commercial le 5 juin 2006 en application de l'article L 421-9 du Code de l'aviation civile puisqu'il atteignait l'âge de 55 ans, qu'il pourrait bénéficier d'un reclassement dans un emploi au sol, sauf impossibilité pour l'entreprise de lui proposer un tel emploi et qu'il était donc convié à un entretien.

Au cours de l'entretien qui s'est déroulé le 1er juin 2006, il a notamment indiqué avoir déjà écrit à la DPGU pour bénéficier d'une reclassement au sol.

Par courrier en date du 3 juillet 2006, la société AIR France l'a informé que sa recherche d'emplois au sol s'était révélée infructueuse et qu'elle n'avait d'autre choix que d'envisager la rupture de son contrat de travail sur le fondement de l'article L 421-9 du Code de l'aviation civile.

Monsieur [B] a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle mesure de licenciement fixée au 12 juillet 2006, auquel il ne s'est pas présenté.

Par lettre recommandée du 19 juillet 2006, la société AIR France lui a notifié la rupture de son contrat de travail pour le motif suivant :

«Nous vous informons par la présente que nous sommes contraints de vous notifier la rupture de votre contrat de travail en application des dispositions des articles L421-9 et suivants et D421-10 du Code de l'Aviation Civile (CAC), pour les motifs ci-après développés :

Les articles L421 -9 et D 421 -10 du CAC disposent que :

« Le personnel navigant de l'aéronautique civile de la section D du registre prévu à l'article L.421-3 ne peut exercer aucune activité en qualité de personnel de cabine dans le transport aérien public au-delà de l'âge de 55 ans. Toutefois, le contrat de travail du navigant n'est pas rompu du seul fait que cette limite d'âge est atteinte sauf impossibilité pour l'entreprise de proposer un reclassement dans un emploi au sol ».

Vous avez atteint la limite d'âge prévue par les articles susvisés le 05 juin dernier.

Depuis cette date, vous ne pouvez donc plus exercer vos fonctions de personnel de cabine au sein de la Compagnie.

Nous avons recherché dans l'Entreprise, mais aussi au sein du Groupe Air France, les emplois au soi éventuellement disponibles et compatibles avec votre formation, vos compétences et votre expérience professionnelle.

Malheureusement nos recherches se sont révélées infructueuses.

Dès lors, c'est compte tenu de l'impossibilité légale de vous maintenir dans vos fonctions de personnel de cabine au regard de votre atteinte de la limite d'âge prévue par le CAC, et de l'absence de toute possibilité de reclassement au sol que nous sommes aujourd'hui contraints de vous notifier la rupture de votre contrat de travail, en application des dispositions des articles L 421 -9 et suivants du dit Code.

Cette rupture deviendra effective le 30 septembre 2006 après un préavis de 2 mois qui débutera le 1er août 2006».

Monsieur [B] a été dispensé de l'exécution de son préavis.

Par courrier du 18 septembre 2006, il a contesté cette décision en raison de :

- l'iniquité de l'article L421-9 du code de l'aviation civile puisque l'âge de cessation d'activité d'un personnel navigant au sol différait au sein du groupe AIR France, entre salarié AIR France ou KLM,

- l'absence de volonté de reclassement de la part du groupe AIR France, la rupture de son contrat ayant été notifiée avant d'avoir pris connaissance de son curriculum vitae, alors que plusieurs offres d'emplois étaient proposées aux PNC féminins enceintes et aux PNC en perte de licence ou en attente de perte de licence.

Par jugement du 10 juin 2008, le Conseil de Prud'hommes de Bobigny l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, a débouté la société AIR France de sa demande reconventionnelle et a condamné Monsieur [B] aux dépens.

Régulièrement appelant, Monsieur [B] demande à la cour d' infirmer le jugement déféré, de dire son licenciement, fondé sur la limite d'âge, discriminatoire et donc nul, et au surplus dénué de motif réel et sérieux puisque l'impossibilité de reclassement n'est pas démontrée, et donc de condamner la société AIR FRANCE à lui verser les sommes de 221.745€à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse, et de 30.000€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral particulier, avec intérêts légaux à compter de la date de convocation devant le bureau de conciliation, outre la somme de 3.500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Air France demande à la cour de dire que les dispositions de l'article L.421- 9 du code de l'aviation civile ne constituent pas une discrimination, qu'elle a régulièrement appliqué les dispositions du code de l'aviation civile relatives à la cessation d'activité en raison de 1'âge, et donc de débouter Monsieur [B] de ses demandes, et de le condamner au paiement d'une indemnité de 3000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, développées lors de l'audience des débats.

MOTIFS ET DECISION :

Sur la rupture du contrat de travail :

La société AIR France a licencié Monsieur [B] en application de l'article L421-9 du Code de l'aviation civile, au motif :

- qu'il avait atteint l'âge limite de 55 ans,

- que son reclassement sur un emploi au sol s'était avéré impossible.

Monsieur [B] soutient que la rupture de son contrat de travail prononcée sur le fondement des dispositions de l'article L.421-9 du code de l'aviation civile serait nulle, ce texte instituant une discrimination prohibée au regard de dispositions européennes et nationales, à savoir l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) et l'article L.1132-1 du code du travail.

Subsidiairement, Monsieur [B] prétend que la rupture de son contrat de travail constitue un licenciement sans cause réelle et sérieuse au motif que la société Air France a méconnu les dispositions de l'article L 421-9 du code de l'aviation civile en s'abstenant de le reclasser dans un emploi au sol.

Il n'est pas contesté qu'à la date de la rupture du contrat de travail, les articles L.421-9 et D.421-10 du code de l'aviation civile interdisaient l'exercice de fonctions de navigant commercial après 55 ans.

Aux termes de l'article 14 de la CEDH, « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».

S'il est exact que la CEDH est directement applicable en droit interne français, l'article invoqué par l'appelant n'a pas d'existence indépendante et ne peut donc être invoqué qu'à l'appui d'un autre article de ladite convention.

Il en résulte que l'article 14 de la CEDH ne peut être invoqué à l'encontre de l'article L 421-9 du code de l'aviation civile, étant observé que l'article 14 de la CEDH ne mentionne pas l'âge au nombre des facteurs de discrimination.

L'article L.1132-1 du code du travail pose un principe général d'interdiction des discriminations dans les relations de travail, en interdisant des différences de traitement en raison de l' origine, du sexe, des m'urs, de l'orientation sexuelle, de l'âge, de la situation de famille ou grossesse, des caractéristiques génétiques, de l'appartenance ou non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, des opinions politiques, activités syndicales ou mutualistes, convictions religieuses, de l' apparence physique, du nom de famille, de l'état de santé ou du handicap.

Toutefois, l'article L.1133-1 du code du travail précise que les différences de traitement sont autorisées lorsqu'elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée.

Il est ainsi possible de pratiquer des différences de traitement en fonction de l'âge dès lors qu'elles sont "objectivement et raisonnablement justifiées", ce qui était en l'espèce le cas, puisque la fixation d'une limite d'âge à l'exercice des fonctions de personnel navigant commercial a pour objectif légitime le bon fonctionnement de la navigation aérienne et la sécurité de ses utilisateurs comme de ceux qui y travaillent, et que les mesures prévues par l'article L 421-9 du code de l'aviation civile sont proportionnées au but à atteindre, au regard notamment d'une part de la spécificité des tâches du personnel naviguant commercial lorsqu'il travaille en cabine ainsi que des sujétions particulières auxquelles il est soumis du fait de ses fonctions et d'autre part de l'organisation de la carrière du personnel navigant.

Il en résulte que la société Air France pouvait légitimement invoquer les dispositions de l'article L. 421-9 du code de l'aviation civile pour rompre le contrat de travail de Monsieur [B] et qu'il convient de débouter celui-ci de sa demande de nullité étant observé que la rupture de son contrat de travail n'est ni un licenciement, ni une mise à la retraite mais une cause spécifique de rupture du contrat de travail.

Sur l'obligation de proposer un reclassement :

L'obligation de reclassement prévue par l'article L 421-9 du code de l'aviation civile est une obligation de moyen. Elle concerne uniquement des emplois au sol.

Le reclassement au sol est effectué selon les possibilités d'emploi et subordonné à l'existence de postes vacants ainsi qu'aux aptitudes et capacités de l'intéressé.

Les possibilités de reclassement doivent être recherchées dans le cadre du groupe auquel appartient l'entreprise, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.

La date limite de respect de cette obligation est la date de notification de la rupture du contrat de travail et non la date d'expiration du préavis.

Le groupe AIR France réunissant plus de 71.000 emplois, dont 53.000 non navigants, la nécessaire exécution de bonne foi des obligations de l'employeur conduit à exiger que cette recherche soit menée avec sérieux et exhaustivité parmi l'ensemble des emplois des sociétés du groupe auquel il appartient qui permettent la permutabilité du personnel .

En l'espèce la lettre adressée le 19 juillet 2006 à Monsieur [B] par son employeur était ainsi rédigée :

«Nous avons recherché dans l'Entreprise, mais aussi au sein du Groupe Air France, les emplois au sol éventuellement disponibles et compatibles avec votre formation, vos compétences et votre expérience professionnelle.

Malheureusement nos recherches se sont révélées infructueuses».

La société Air France soutient ainsi qu'elle a mis en 'uvre une recherche effective et personnalisée de reclassement au sein du groupe Air France au bénéfice de Monsieur [B], ce qu'il conteste, en invoquant notamment l'existence de quatre offres d'emploi.

Trois offres d'emplois sont postérieures à la notification de la rupture du licenciement donc ne peuvent être retenues pour illustrer ses prétentions.

Il n'est pas contesté que l'offre d'emploi publiée le27 juin 2006, donc avant la notification de la rupture du contrat de travail de Monsieur [B], ne lui a pas été proposée.

Il s'agissait d' un poste d' «assistant qualité» chez Air France, dont Monsieur [B] affirme qu'il était compatible avec ses compétences professionnelles et qu'il aurait du en bénéficier.

Or, la société AIR France fait observer à juste titre d'une part que ce poste supposait des connaissances informatiques, consistant à « savoir utiliser E-QUID » et « maîtriser les concepts de la modélisation des processus » , et d'autre part que Monsieur [B] avait déclaré dans le formulaire destiné à répertorier ses expériences et ses compétences ainsi que ses souhaits qu'il ne maîtrisait pas l'outil bureautique et ne pas avoir exercé d'autres métiers que ceux de personnel naviguant commercial durant sa carrière professionnelle.

C'est donc à tort que Monsieur [B] soutient que cette offre aurait dû lui être proposée.

En revanche, force est de constater que la société AIR France ne démontre pas de tentative sérieuse de reclassement, le document de reclassement produit par la société AIR France n'ayant été rempli que le 22 juin 2006, soit après l'envoi des recherches de reclassement auprès de ses filiales, le 19 mai 2006, étant par ailleurs observé que la société AIR France est pourtant dotée depuis 1997 d'un observatoire des métiers, outil de gestion prévisionnel des emplois et des compétences, qui aurait pu lui permettre d'exécuter loyalement son obligation de proposer un reclassement au sol.

Dès lors, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le surplus des moyens invoqués, la rupture du contrat de travail s'analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le préjudice professionnel, financier et moral de Monsieur [B] :

Compte tenu notamment de sa rémunération lors de la rupture du contrat de travail, des conséquences financières de cette rupture et de son ancienneté, et du préjudice moral indéniablement subi du fait de l'absence de proposition sérieuse de reclassement après 33 ans de services ayant donné entière satisfaction à son employeur, Monsieur [B] est fondé à obtenir les sommes suivantes :

- 160000€ à titre de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 7500€ à titre de préjudice moral,

lesquelles, de nature indemnitaire, porteront intérêts au taux légal, conformément aux dispositions des articles 1153 et 1153-1 du code civil, à compter de la présente décision.

PAR CES MOTIFS,

Condamne la société AIR FRANCE à verser à Monsieur [B] les sommes de :

- 160000€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 7500€ à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral particulier,

Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

Condamne la société AIR FRANCE à verser à Monsieur [D] [B] la somme de 3000€au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société AIR FRANCE aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 08/09238
Date de la décision : 10/11/2011

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°08/09238 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-11-10;08.09238 ?
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