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03/11/2011 | FRANCE | N°10/08571

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 03 novembre 2011, 10/08571


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 03 Novembre 2011

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/11511 et 10/08571- JS



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Novembre 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS section commerce RG n° 07/11091





APPELANTE

SNC LA CLOSERIE [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me François-marie

IORIO, avocat au barreau de PARIS, toque : D0649



INTIME

Monsieur [L] [X]

1, rue du 8 mai 1945

[Localité 4]

comparant en personne, assisté de Me Olivier BONGRAND, avocat au barreau ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 03 Novembre 2011

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/11511 et 10/08571- JS

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 10 Novembre 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS section commerce RG n° 07/11091

APPELANTE

SNC LA CLOSERIE [Localité 5]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me François-marie IORIO, avocat au barreau de PARIS, toque : D0649

INTIME

Monsieur [L] [X]

1, rue du 8 mai 1945

[Localité 4]

comparant en personne, assisté de Me Olivier BONGRAND, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136 substitué par Me Christelle DO CARMO, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 29 Septembre 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Catherine METADIEU, Présidente

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

M. Julien SENEL, Vice-Président placé sur ordonnance du Premier Président en date du 20 juillet 2011

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :

La SNC LA CLOSERIE [Localité 5] exploite un restaurant-bar au [Adresse 1].

[L] [X] a été engagé par la SNC LA CLOSERIE [Localité 5] en qualité de chef de partie niveau 2 échelon 1, par contrat à durée indéterminée en date du 11 avril 2002, pour une durée de 169 heures mensuelles. Sa rémunération moyenne s'établissait en dernier lieu à 2110€ par mois.

Le 3 janvier 2005, la SNC LA CLOSERIE [Localité 5] lui a adressé un avertissement en raison d'un «manque de respect flagrant» envers son supérieur hiérarchique, M.[F], lors de son service du 27 décembre 2004 et pour avoir fait «peu cas du matériel de la cuisine» en fin de service en jetant les casseroles à la plonge dans des «moments d'énervements».

Le 28 février 2006, elle lui a notifié une mise à pied disciplinaire pendant trois jours, du 13 mars 2006 au 15 mars 2006 pour des «insultes répétées et une bousculade envers son chef de service », et pour « perte de marchandises à la suite de son état d'énervement».

[L] [X] a contesté cette sanction par lettre recommandée datée du 20 mars 2006, après l'avoir exécutée, et a attiré l'attention du directeur de la société sur le harcèlement psychologique dont il disait être l'objet de la part de Monsieur [G], son chef de service.

Le 26 septembre 2007, [L] [X] a été convoqué à un entretien préalable à une sanction disciplinaire pour le 4 octobre 2007 au motif d'un abandon de poste et d'insolences envers son chef de service,M.[G].

Le 28 septembre 2007, cette convocation a été annulée par une seconde convocation, cette fois pour un entretien préalable à un licenciement fixé au 8 octobre 2007.

Par un second courrier daté du même jour, [L] [X] a été mis à pied à titre conservatoire.

Par lettre recommandée en date du 15 octobre 2007, [L] [X] la SNC LA CLOSERIE [Localité 5] a été licencié pour faute grave pour «insultes envers votre supérieur hiérarchique et abandon de poste » et « insubordination et refus de respecter les horaires contractuels».

Ayant vainement contesté son licenciement par lettre du 17 octobre 2007, en invoquant le harcèlement dont il affirmait être l'objet de la part de Monsieur [G], [L] [X] a saisi le Conseil de prud'hommes de Paris le 18 octobre 2007 aux fins notamment d'indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et harcèlement outre des rappels de salaires.

Par jugement du 10 novembre 2009, le Conseil de prud'hommes, statuant en départage, a notamment fait droit aux demandes relatives au défaut de cause réelle et sérieuse du licenciement, condamné la SNC LA CLOSERIE [Localité 5] aux sommes afférentes à cette rupture outre un rappel de salaire sur la période de juillet 2003 à octobre 2007, les congés payés afférents et la mise à pied conservatoire et sursis à statuer s'agissant des heures supplémentaires et des dépens.

La SNC LA CLOSERIE [Localité 5] a interjeté appel de cette décision.

Par jugement de départage en date du 18 août 2010, le conseil a notamment :

- rejeté la demande de Monsieur [X] relative aux heures supplémentaires ;

-constaté que les faits de travail dissimulé au sens du Code du Travail étaient établis, mais dit que le montant de l'indemnité forfaitaire à hauteur de 6 mois de salaire à laquelle avait droit Monsieur [X] était absorbée par le montant des condamnations prononcées par le jugement du 10 novembre 2009 ;

- condamné la SNC LA CLOSERIE [Localité 5] à régler à Maître Olivier BONGRAND une somme de 1200€ sur le fondement de l'article 37 de la Loi du 10 juillet 1991.

Monsieur [X] a interjeté appel du second jugement.

La relation de travail est soumise à la convention collective des cafés, bars, restaurants.

[L] [X] demande à la cour, au visa des articles L.1152-1, L.1235-3, L.8221-5 du Code du travail, statuant à nouveau, de dire qu'il était victime de harcèlement moral, de constater le défaut de paiement des salaires et heures supplémentaires pour les périodes concernées, dire que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et donc de condamner la SNC LA CLOSERIE [Localité 5] à lui verser:

- 30.000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-1.266 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de la mise à pied conservatoire du 28 septembre 2007 au 15 octobre 2007, outre 126 euros à titre de congés payés afférents,

- 4.220 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 422 euros à titre de congés payés afférents,

-1.161 euros à titre d'indemnité de licenciement,

-10.476 euros bruts à titre de rappels de salaires pour discrimination salariale sur la période du 15 octobre 2002 au 15 octobre 2007, outre 1.047 euros à titre de congés payés afférents,

- 22.758 euros bruts à titre de rappel au titre des heures supplémentaires pour la période d'octobre 2002 à octobre 2007, outre 2.275 euros à titre de congés payés afférents,

-12.660 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié,

- 7.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du harcèlement moral,

- 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

avec intérêts au taux légal, outre la remise des bulletins de salaires conformes d'octobre 2002 à octobre 2007, et de l'attestation ASSEDIC conforme, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document.

La SNC LA CLOSERIE [Localité 5] demande à la cour de la recevoir en son appel, débouter Monsieur [X] de ses demandes concernant ses rappels de salaire pour discrimination salariale et la mise à pied disciplinaire, confirmer la légitimité du licenciement pour faute grave dire qu'en tout état de cause le licenciement était justifié pour cause réelle et sérieuse, confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [X] de toute demande de règlement d'heures supplémentaires, ces heures lui ayant déjà été réglées sous forme de prime exceptionnelle, débouter Monsieur [X] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé et dire en cas de confirmation du principe de cette indemnité que son paiement serait conditionné au paiement d'une indemnisation concernant le licenciement.

Elle demande de condamner Monsieur [X] au versement d'une somme de 2000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

MOTIFS ET DECISION DE LA COUR :

Sur la rupture du contrat de travail :

Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

En l'espèce, la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée :

«Je vous ai reçu le 8 octobre 2007 à 10h30 dans nos bureaux, assisté d'un conseillé extérieur qui a écouté et pris note de toutes vos remarques.

J'ai pour ma part pris le temps de la réflexion après les divers événements qui se sont succédés depuis le 6 septembre dernier.

J'ai appris que ce jour-là, au service du dîner à 19h45, vous aviez abandonné votre poste après avoir insulté votre responsable de service, Monsieur [G], alors que le restaurant et la brasserie étaient au complet.

Alors que j'attendais le retour de toutes les personnes pouvant témoigner sur ce grave incident, j'ai constaté le 22 septembre dernier que vous aviez quitté votre poste à 23h35, sans en avertir votre responsable, alors que la fin de votre service était fixée à 23h45.

Comme je vous demandais de respecter vos horaires, vous m'aviez répondu que vous vous étiez arrangé avec vos collègues et que vous aviez l'habitude départir à cette heure.

Je vous ai indiqué que votre employeur n'était pas concerné par cet arrangement entre collègues et qu'il vous appartenait de respecter vos horaires.

Ayant eu confirmation de la teneur des graves incidents du 6 septembre dernier, je vous avais convoqué le 26 septembre dernier pour un entretien préalable qui devait se dérouler le 4 octobre 2007 en vue d'une éventuelle sanction disciplinaire.

Or, il se trouve que le 27 septembre 2007, vous avez à nouveau quitté votre poste à 23h35 ,alors que personne ne vous remplaçait, perturbant la fin d'un service très important au restaurant.

Dès le lendemain, soit le 28 septembre 2007, je vous ai signifié à votre prise de poste une mise à pied à titre conservatoire, mise à pied confirmée par lettre recommandée avec accusé de réception en date du même jour et vous convoquant pour le 8 octobre en vue cette fois-ci d'un éventuel licenciement.

Ce même jour, vous vous êtes rendu auprès de Monsieur [H], Inspecteur du Travail.

Ce dernier a convenu téléphoniquement avec moi-même l'annulation de votre première convocation pour le 4 octobre 2007 afin de ne retenir que la date du 8 octobre 2007pour un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement.

L'entretien que nous avons eu le 8 octobre dernier ne fait malheureusement que confirmer qu'il est impossible de pouvoir poursuivre normalement nos relations contractuelles, fut-ce pendant la durée d'un préavis.

J'ai donc le regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave.

Cette décision est motivée par les deux raisons suivantes :

- insultes envers votre supérieur hiérarchique et abandon de poste ;

- insubordination et refus de respecter les horaires contractuels.

1) Insultes envers votre supérieur hiérarchique et abandon de poste

Je vous rappelle que nous avions déjà eu à deux reprises à nous plaindre de votre comportement.

Le 3 janvier 2005, vous aviez reçu un avertissement pour manque de respect flagrant envers votre responsable, Monsieur [F], ce manque de respect étant accompagné de divers gestes d'énervement qui faisaient très peu de cas du matériel qui vous était confié.

Le 17 février 2006, vous aviez reçu une nouvelle convocation pour insultes et gestes d'énervement envers Monsieur [G], responsable de cuisine en l'absence du Chef, cette convocation ayant abouti à la notification d'une mise à pied disciplinaire en date des 13,14 et 15 mars 2006.

Malgré ces deux précédents, vous vous êtes cru autorisé le 6 septembre dernier à insulter de manière grossière le même Monsieur [G].

Devant témoins, vous l'avez traité de « Fils de pute », en prenant soin d'ajouter « Je vous emmerde».

Ces insultes ont été proférées en langue arabe à destination de Monsieur [G], langue que ce dernier comprend.

Dans le même temps, vous avez décidé d'abandonner votre poste sans fournir la moindre explication.

Nous ne pouvons naturellement tolérer un tel comportement au sein de notre établissement.

Nous ne pouvons plus faire preuve de patience et continuellement excuser vos débordements.

2) Insubordination et refus de respecter les horaires contractuels

A deux reprises, les 22 et 27 septembre 2007, vous avez quitté votre service avant l'heure.

Alors que nous vous demandions de vous expliquer, vous avez tout simplement répondu que vous vous étiez arrangé avec vos collègues.

Or, il n 'appartient pas à vos collègues d'organiser les horaires de l'établissement.

Il vous appartient de respecter les horaires de la cuisine afin de ne pas désorganiser le service.

Lors du premier incident, nous vous l'avons fait remarquer de manière très ferme.

Vous avez donc ostensiblement persisté le 27 septembre dernier, cette insubordination notoire s'accompagnant d'une attitude de défi qui ne trompait personne.

Vous comprendrez dans ces conditions que les divers événements qui viennent de se dérouler rendent impossible tout maintien de nos relations contractuelles, fut-ce pendant la durée d'un préavis.

Nous vous réitérons donc notre décision de vous licencier pour faute grave.

Votre licenciement prendra effet à réception de la présente et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date.

La période non travaillée du 28 septembre 2007 à la réception de la présente ayant fait l'objet d'une mise à pied conservatoire ne sera pas rémunérée.

Vous pourrez vous rendre au service du personnel pour percevoir les sommes qui vous restent dues au titre des salaires et d'indemnité de congés payés, et obtenir votre certificat de travail ainsi que votre attestation ASSEDIC. »

L'employeur reproche donc à son salarié d'une part d'avoir, le 6 septembre 2007, proféré des insultes envers son supérieur hiérarchique, Monsieur [G], devant des témoins, en langue arabe, alors que celui-ci lui avait fait une remarque sur la qualité de son travail et d'avoir abandonné par la suite son poste, en partant plus tôt que prévu ainsi que, d'autre part, son insubordination et le non respect de ses horaires contractuels.

Monsieur [X] rétorque qu'il est victime de sa hiérarchie et conteste avoir insulté son supérieur. Il affirme qu'il était convenu qu'il puisse partir à 23H30 ou à 23H35, car il devait prendre son train à minuit à la Gare [Localité 6].

S'il est exact que le salarié avait déjà été sanctionné par un premier avertissement le 3 janvier 2005 pour avoir manqué de respect le 27 décembre 2004 envers son précédent chef de service,M. [F] et par une mise à pied disciplinaire le 28 février 2006 pour avoir insulté et bousculé son chef de service et perdu des marchandises à la suite de son état d'énervement le 12 février 2006, force est de constater que:

- les propos reprochés dans la lettre de licenciement n'étaient pas connus de l'employeur lors de l'entretien préalable ayant donné lieu à une mise à pied de sorte que le salarié n'a pu les contester;

-l'employeur ne produit qu'un seul témoignage des insultes reprochées, celui de M.[G], lequel n'est certes plus placé sous son lien de subordination à la date dudit témoignage, à savoir le 14 décembre 2009, mais était en conflit ouvert avec le salarié depuis plusieurs années, ce que n'ignorait pas l'employeur puisque [L] [X] s'était plaint par courrier du 20 mars 2006 auprès de lui d'être harcelé psychologiquement par son supérieur hiérarchique, ce qui prive ce témoignage de force probante suffisante et laisse subsister un doute qui doit profiter au salarié ;

-une tolérance était en vigueur au sein du service depuis plusieurs années afin que le salarié, qui voulait prendre un train à la Gare [Localité 6] à minuit, puisse partir à 23H30 en cas de faiblesse d'activité et au plus tard à 23H40 en cas de forte activité;

- l'employeur ne démontre pas que le départ du salarié 5 minutes avant l'heure contractuelle, les 22 et 27 septembre 2007, au regard de l'usage en vigueur, perturbait le fonctionnement de l'établissement, étant par ailleurs observé que deux soirs par semaine, l'heure de départ du salarié était en toute hypothèse trop tardive au regard de son heure de reprise de service le lendemain, à savoir 8h, pour qu'il bénéficie de son temps de repos obligatoire.

Il en résulte que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

Cette situation ouvre droit, au regard notamment de l'ancienneté du salarié, du montant de sa rémunération lors de la rupture et de la convention collective applicable à l'octroi d'une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L1235- 3 du code du travail, d'un rappel de salaire pour la période de la mise à pied conservatoire du 28 septembre 2007 au 15 octobre 2007 et d'une indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents à ces deux indemnités, dont les montants ont été justement fixés par le juge départiteur dans le jugement du 10 novembre 2009, qu'il convient donc de confirmer sur ces chefs de demandes.

Il n'y a pas lieu d'accorder d'indemnité conventionnelle de licenciement pour les motifs développés ci-dessous.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, [L] [X] invoque le fait qu'il s'est plaint par courrier du 20 mars 2006 auprès de son employeur des agissements de M.[G], son supérieur hiérarchique, constitutifs d'un «abus de pouvoir hiérarchique» et d'un «manque de respect» envers son travail. Il affirme que ce courrier est resté sans effet, et il s'est plaint de nouveau de ce comportement dans sa lettre du 17 octobre 2007 contestant son licenciement, dans laquelle il dénonce «les menaces et harcèlement de M.[G]» et les insultes proférées à son encontre.

Pour étayer ses affirmations, [L] [X] ne produit aucun élément autre que ses propres courriers.

En l'état des explications du salarié et en l'absence de pièces objectives, la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral n'est pas démontrée. L'absence de réponse de l'employeur aux courriers du salarié ne saurait pallier cette carence.

La demande de dommages et intérêts relative au harcèlement moral doit par conséquent être rejetée.

Sur le rappel de salaire :

C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le juge départiteur, sur la base du principe « à travail égal, salaire égal », en comparant le salaire de [L] [X] et celui de M.[K], au niveau et à l'échelon identiques à compter de juillet 2003, a fait droit à la demande de rappel de salaire sur la période de juillet 2003, date de constat de la discrimination, à octobre 2007, date de saisine du conseil de prud'hommes, à hauteur de la somme de 9079,20 euros, congés payés inclus au regard de la prise en compte du différentiel sur la totalité de la période, étant observé que l'employeur ne justifie ni de la qualification de M.[K] au-delà du simple curriculum vitae produit, ni du fait que M.[K] exerçait d'autres fonctions, ce qui aurait justifié selon lui un traitement différent.

Force est de constater par ailleurs qu'aucune demande de remboursement n'est soutenue par le salarié en cause d'appel s'agissant de la mise à pied disciplinaire qui lui avait été notifiée le 28 février 2008 et pour laquelle l'employeur sollicite la confirmation du jugement du 10 novembre 2009 qui aurait rejeté ladite demande, ce qui n'est au demeurant pas le cas, le jugement ne faisant nullement référence à cette demande. Il convient d'en prendre acte.

Sur les heures supplémentaires :

La durée légale du travail effectif prévue à l'article L.3121-10 du code du travail constitue le seuil de déclenchement des heures supplémentaires payées à un taux majoré dans les conditions de l'article 3121-22 du même code.

Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

En l'espèce, [L] [X] expose qu'il a effectué de nombreuses heures supplémentaires depuis son embauche le 11 avril 2002 qui ne lui ont été qu'en partie rémunérées sous forme de primes exceptionnelles.

Pour étayer ses dires, [L] [X] produit notamment :

- l'attestation de M.[C], selon lequel « les heures supplémentaires travaillées à La Closerie [Localité 5] étaient déclarées sur les fiches de paye en tant que prime exceptionnelle et non en heures supplémentaires, ce qui aurait du être le cas « ;

- ses bulletins de salaire d'avril 2002 à octobre 2007, faisant état du versement régulier d'une prime exceptionnelle;

- un décompte mensuel des heures supplémentaires réclamées

Il s'ensuit que le salarié produit ainsi des éléments préalables qui peuvent être discutés par l'employeur et qui sont de nature à étayer sa demande.

L'employeur reconnaît que les heures supplémentaires étaient réglées sous forme de primes exceptionnelles et affirme que toutes les heures effectuées ont été réglées, majorations comprises, admettant toutefois une erreur de libellé sur les bulletins de paye.

Cependant, le versement de primes ne peut tenir lieu de règlement des heures supplémentaires, le montant versé en qualité de primes ne pouvant venir en déduction de la somme due au titre des heures supplémentaires.

L'employeur produit un tableau récapitulatif des primes exceptionnelles pour les années 2003 à 2007 dont il ressort un total de 12573€ versé à ce titre et plusieurs attestations de salariés, dont le chef et sous-chef de cuisine, sur la pratique de l'employeur en la matière.

Il en résulte qu' au vu des éléments produits de part et d'autre, et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la cour a la conviction au sens du texte précité que [L] [X] a bien effectué des heures supplémentaires, majorations comprises, non rémunérées à hauteur de 12573€ pour la période 2003-2007, à laquelle il convient d'ajouter la somme de 157€ perçue à titre de primes exceptionnelles depuis le mois d'octobre 2002, jusqu'au 31 décembre 2002, au titre de l'année 2002, soit un total de 12730€, outre 1273€ à titre de congés payés afférents.

Sur le travail dissimulé :

Aux termes de l'article L.8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.

En l'espèce, l'élément intentionnel est caractérisé par le fait que l'employeur a sciemment omis de mentionner le terme «heures supplémentaires» sur les bulletins de salaire en usant du terme «primes exceptionnelles» à la place.

Dès lors que cette indemnité, égale en l'espèce à 12660 euros, est supérieure à celle conventionnelle de licenciement, il convient de faire droit à la demande et en revanche de ne pas accorder celle de licenciement, moins favorable.

Sur les autres demandes

Sans qu'il y ait lieu d'ordonner d'astreinte, il convient d'ordonner la remise de bulletins de salaires d'octobre 2002 à octobre 2007, et de l'attestation Pôle emploi conformes à la présente décision.

La SNC LA CLOSERIE [Localité 5] versera à [L] [X] la somme de 2000€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et supportera les entiers dépens.

PAR CES MOTIFS,

Ordonne la jonction des dossiers enrôlés sous les numéros de répertoire général suivants: 09/11511 et 10/08571,

Confirme le jugement du 10 novembre 2009 en ce qu'il a condamné la SNC LA CLOSERIE [Localité 5] à verser à [L] [X] les sommes suivantes :

- 15000 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1266 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de la mise à pied conservatoire du 28 septembre 2007 au 15 octobre 2007, outre 126 euros bruts à titre de congés payés afférents,

- 4220 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 422 euros bruts à titre de congés payés afférents,

- 9079,20 euros bruts à titre de rappels de salaires sur la période de juillet 2003 à octobre 2007, congés payés inclus,

Statuant de nouveau sur le surplus,

Rejette la demande d'indemnité de licenciement,

Infirme le jugement du 18 août 2010, sauf en ce qu'il a condamné la SNC LA CLOSERIE [Localité 5] à verser à [L] [X] la somme de 1200€ à Me [N] sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991

Statuant de nouveau:

Condamne la SNC LA CLOSERIE [Localité 5] à verser à [L] [X] les sommes suivantes :

- 12730 euros bruts à titre de rappel au titre des heures supplémentaires pour la période d'octobre 2002 à octobre 2007, outre 1273 euros à titre de congés payés afférents,

- 12660 euros d'indemnité pour travail dissimulé,

- 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

Dit que les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal :

-à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour l'indemnité compensatrice de préavis, le rappel de salaire et ses accessoires et d'une façon générale pour toutes sommes de nature salariale,

-à compter du jugement pour les sommes de nature indemnitaire confirmées,

-à compter de la présente décision pour les autres sommes de nature indemnitaire;

Ordonne le remboursement par la SNC LA CLOSERIE [Localité 5] à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à [L] [X] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois ;

Déboute [L] [X] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

Ordonne la remise des bulletins de salaires conformes d'octobre 2002 à octobre 2007, et de l'attestation Pôle emploi conforme,

Condamne la SNC LA CLOSERIE [Localité 5] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 10/08571
Date de la décision : 03/11/2011

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°10/08571 : Prononce la jonction entre plusieurs instances


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-11-03;10.08571 ?
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