Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 2
ARRET DU 28 OCTOBRE 2011
(n° 279, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/08544.
Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Février 2010 - Tribunal de Commerce de MEAUX - RG n° 200803299.
APPELANTE :
Madame [O] [J] épouse [E]
demeurant [Adresse 1],
représentée par la SCP MONIN ET D'AURIAC DE BRONS, avoués à la Cour,
assistée de Maître François PIRAS-MARCET plaidant pour le Cabinet BOETIE, avocat au barreau de PARIS, toque J 85.
INTIMÉE :
Société CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 3] [Localité 4]
prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège social [Adresse 2],
représentée par la SCP GRAPPOTTE BENETREAU et PELIT JUMEL, avoués à la Cour,
assistée de Maître Bertrand DURIEUX plaidant pour la SCP TOURAUT-DURIEUX-PERRET & ASSOCIES, avocats au barreau de MEAUX.
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 786 et 910 - 1er alinéa du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 septembre 2011, en audience publique, devant Madame REGNIEZ, conseiller chargé du rapport, les avocats ne s'y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur LACHACINSKI, président,
Madame NEROT, conseiller,
Madame REGNIEZ, conseiller.
Greffier lors des débats : Monsieur NGUYEN.
ARRET :
Contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Monsieur LACHACINSKI, président, et par Monsieur NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.
[O] [J] épouse [E] (ci-après [E]),gérante de la société VIASYS immatriculée le 24 mars 2000, s'est portée caution solidaire de cette société auprès de la société CAISSE DE CREDIT MUTUEL DE [Localité 3] [Localité 4], ci-après Crédit Mutuel, par acte du 3 septembre 2005 pour un montant de 72 000 euros en principal et intérêts (en définitive à hauteur de 50 %) et le 12 août 2006 pour un montant de 36 000 euros, en raison de deux prêts d'un montant chacun de 60 000 euros consenti à la société VIASYS. Cette société a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire le 4 mars 2008 convertie en liquidation judiciaire le 21 octobre 2008 par jugement du tribunal de commerce de Paris.
Le Crédit Mutuel a produit au passif pour les sommes restant dues au titre des deux prêts, soit les sommes de 26 874,72 euros (en réalité 26 274,72 euros) en capital dû au 4 mars 2008 et de 577,50 euros au titre des intérêts arrêtés au 4 septembre 2008 pour le prêt du 3 septembre 2005, celles de 46 329,47 euros en capital dû au 4 mars 2008 et de 1 167,80 euros au titre des intérêts arrêtés au 4 septembre 2008 pour le prêt du 12 août 2006 et a mis en demeure le 13 juin 2008 [O] [E] de se substituer à la société VIASYS pour le règlement des échéances de ces deux prêts, étant précisé qu'à défaut de règlement, l'intégralité des sommes restant dues deviendra immédiatement exigible. Cette mise en demeure est restée infructueuse.
C'est dans ces conditions que le Crédit Mutuel a assigné, devant le tribunal de commerce de Meaux, [O] [E] pour avoir paiement des sommes ci-dessus précisées à hauteur de 50 %.
Par jugement du 16 février 2010, le tribunal de commerce de Meaux a condamné [O] [E] à payer au Crédit Mutuel les sommes de 13 426,11 euros TTC en principal au titre du prêt du 5 septembre 2005, (somme comprenant les intérêts calculés au taux contractuel majoré de 3 points, soit 7,3 % arrêtés au 4 septembre 2008) et les intérêts calculés sur la somme de 13 137,36 euros à compter de cette date, et de 23 898,64 euros TTC en principal, au titre du prêt du 12 août 2006 comprenant les intérêts arrêtés au 4 septembre 2008, outre les intérêts au taux contractuel majoré de 3 points soit 7,9 % sur le capital soit 23 314,74 euros à compter du 4 septembre 2008, a ordonné l'exécution provisoire de la décision et a condamné [O] [E] au paiement de la somme de 1 000 euros TTC au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions du 9 août 2010, Madame [E] prie la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :
- à titre principal, de la décharger de ses obligations de caution sur le fondement de l'article L.313-22 du Code Monétaire et Financier en raison du caractère disproportionné du montant cautionné au regard de ses revenus, de débouter le Crédit Mutuel de l'intégralité de ses demandes,
- à titre subsidiaire, de la décharger du paiement des intérêts et accessoires en l'absence de respect par la banque des dispositions de l'article 47-II de la loi n°94-126 du 11 février 1994, et compte tenu de sa situation de demandeur d'emploi, de lui octroyer des délais de paiement en application des dispositions de l'article 1244-1 du Code civil,
- en tout état de cause, de condamner le Crédit Mutuel au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ses dernières écritures du 26 mai 2011, le Crédit Mutuel demande de confirmer le jugement, en tout état de cause, de dire que les intérêts échus à ce jour et ayant plus d'une année produiront eux-mêmes intérêts et seront capitalisés pour être ajoutés au principal des condamnations allouées en application de l'article 1154 du Code civil et de condamner [O] [E] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR :
Considérant que selon l'appelante, le tribunal a commis une erreur de qualification des faits en ne retenant pas l'existence d'une disproportion entre le montant cautionné et ses moyens financiers, tant au jour où elle a souscrit les actes de cautionnement qu'au jour où le paiement des sommes lui est réclamé ; qu'elle fait essentiellement valoir :
- qu'au jour de la signature de ses engagements en 2005 et 2006 ses revenus pour les années 2003 et 2004 n'avaient jamais excédé 2 733 euros nets mensuels, que les revenus de 2005 avaient été exceptionnellement élevés puisqu'elle a perçu la somme de 60 000 euros annuels et que la banque qui était parfaitement au courant de sa situation personnelle devait à tout le moins tenir compte des moyennes antérieures et non pas se baser sur les seuls revenus de 2005, pour apprécier ses capacités financières,
- que le patrimoine dont elle disposait lors de la signature successive des deux contrats n'était pas suffisant pour se porter caution pour un montant total de 108 000 euros,
- que les prêts concédés à la société VIASYS l'ont été tous deux pour financer des besoins en fonds de roulement, pour aider une société en difficulté alors que les découverts auprès du Crédit Mutuel se multipliaient,
- qu'au jour de la mise en 'uvre de la caution, elle était totalement incapable de faire face aux remboursements réclamés, qu'en effet, en 2007 elle n'a bénéficié d'aucun revenu et qu'en 2008, le salaire versé l'a été pour un montant annuel de 17 296,19 euros (net imposable), qu'elle est actuellement demandeur d'emploi, fait face à une échéance d'emprunt d'un montant de 1 087,12 euros (à hauteur de 50 %) pour sa résidence principale et à une échéance mensuelle de 585,36 euros au titre d'un emprunt souscrit auprès de la SOFINCO ;
Considérant cela exposé que l'article L.341-4 du Code de la consommation dispose 'qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à ses obligations' ;
Considérant qu'en l'espèce, contrairement à ce que soutient [O] [E], son engagement total ne portait pas sur la somme de 108 000 euros mais a été limité à la somme de 66 000 euros en principal (30 000 euros pour le premier acte et 36 000 euros pour le second) ;
Considérant qu'à la date de signature du contrat de cautionnement du 3 septembre 2005, [O] [E] bénéficiait d'un revenu mensuel d'environ 2 733 euros mensuels et avait dans son patrimoine un immeuble d'une valeur résiduelle de 34 758 euros compte tenu d'un emprunt qui devait être remboursé ; qu'ainsi, la garantie donnée portant sur la somme de 30 000 euros (et non pas sur la somme de 72 000 euros comme initialement indiquée) était calculée en proportion des revenus et du patrimoine de [O] [E] ; qu'elle ne peut être déchargée du paiement des sommes dues par le débiteur principal au titre de la garantie donnée en 2005 ;
Considérant que lors de la signature du second acte le 12 août 2006, soit moins d'un an après la signature du précédent, la situation patrimoniale de [O] [E] n'avait pas changé ; que certes, ses revenus relatifs à l'année 2005 étaient d'un montant bien supérieurs à ceux de l'année précédente puisqu'ils se sont élevés à la somme annuelle de 60 000 euros ;
Mais considérant que connaissant les revenus antérieures de [O] [E], la banque devait prendre en compte la moyenne de ses revenus sur plusieurs années, ce d'autant que ses ressources du 1er semestre 2006 ne se sont élevées qu'à la somme de 1 244 euros mensuels ; que dès lors, en l'absence de modification de la valeur du patrimoine de [O] [E], son nouvel engagement de caution portant sur la somme de 36 000 euros est manifestement disproportionné ; que [O] [E] sera déchargée du montant réclamé au titre du second acte de cautionnement soit de la somme de 23 898,64 euros ; que le jugement sera infirmé de ce chef ;
Considérant que l'appelante reproche à la banque de ne pas avoir respecté les dispositions de l'article 47-II de la loi n° 94-126 du 11 février 1994 qui fait obligation au banquier d'informer la caution du premier incident de paiement, dans la mesure où la banque a maintenu des lignes de découvert de 25 000 euros dont elle tolérait les dépassements constants ; qu'il est ainsi indiqué par courriel du 3 mai 2007 que la société VIASYS a une autorisation de découvert plafonnée à 25.000 euros et qu'à cette date, le compte de la société était débiteur de 29 078,14 euros ;
Mais considérant que [O] [E] s'est portée caution solidaire, non pas pour toutes sommes dues par la société VIASYS mais à hauteur de prêts qui ont été consentis à la société VIASYS; que les dépassements de découvert consentis à cette dernière n'ont de ce fait pas d'incidence à l'égard de la caution, n'étant pas contesté que les échéances des deux prêts ont été remboursées jusqu'à la date du prononcé du redressement judiciaire, le 4 mars 2008, date du premier incident de paiement ;
Considérant que [O] [E] n'a été avisée de cet incident que par lettre de mise en demeure du 13 juin 2008 ; qu'en conséquence, ne peuvent être réclamés que les intérêts à compter du 13 juin 2008 et non pas à compter du 4 mars 2008 ; que le jugement sera sur ce point infirmé ;
Considérant qu'il convient de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts échus depuis une année conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil ;
Considérant que [O] [E] qui a déjà, de fait, bénéficié de délais de paiement ne saurait s'en voir accorder de nouveaux ; que sa demande de délais sera rejetée ;
Considérant que des raisons d'équité commandent de laisser à la charge de chacune des parties les frais d'appel non compris dans les dépens ;
Considérant que les parties ayant succombé chacune dans leurs demandes, les dépens engagés par chacune d'elles resteront à leur charge ;
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement sauf sur la condamnation au titre de la somme de 23 898,64 euros et au titre des intérêts,
Statuant à nouveau de ces chefs,
Rejette la demande en paiement de la somme de 23 898,64 euros en principal et intérêts,
Dit que les intérêts sur la somme de 13 137,36 euros ne peuvent être réclamés pour la période du 4 mars 2008 au 13 juin 2008 ;
Dit que les intérêts contractuels majoré de 3 points soit 7,9% seront dûs à compter de cette date et seront capitalisés conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil ;
Rejette toutes autres demandes,
Dit n'y avoir lieu d'allouer d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
Laisse les dépens d'appel à la charge de chacune des parties.
Le greffier,Le Président,