RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 27 Octobre 2011
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 10/01130 - JS
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 Octobre 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 08/13908
APPELANT
Monsieur [B] [S]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparant en personne, assisté de Me Olivier BONGRAND, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136 substitué par Me Jouba WALKADI, avocat au barreau de PARIS, toque : K0136
INTIMEE
SAS DEVEA CONSEIL
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 3]
représentée par Me Nicole LAFFUE, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Julie LAMADON, avocat au barreau de PARIS, toque : L0097
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 27 Septembre 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Julien SENEL, Vice-Président placé, chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Catherine METADIEU, présidente
Mme Marie-Antoinette COLAS, conseillère
M. Julien SENEL, Vice-Président placé sur ordonnance du Premier Président en date du 20 juillet 2011
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCEDURE :
La Société DEVEA CONSEIL est une société de conseil en Ingénierie informatique dont le siège social est basé à [Localité 3] ; elle accompagne les entreprises dans leurs systèmes d'information en leur proposant des consultants pour répondre à leurs projets.
L'effectif de l'entreprise est supérieur à 10 salariés.
Monsieur [B] [S] a été embauché le 10 avril 2007 par la Société DEVEA CONSEIL en qualité de consultant - Statut cadre - exerçant les fonctions d'administrateur Windows et Siebel, pour un salaire mensuel brut forfaitaire de 2800 euros.
Le contrat prévoyait en outre que les fonctions étaient susceptibles d'évolution, qu'elles feraient l'objet d'une définition précisée lors de la signature de chaque ordre de mission et que la modification des fonctions entraînée par l'ordre de mission ne constituaient pas une modification contractuelle dès lors que celles-ci étaient maintenues dans le domaine de compétence du salarié.
Monsieur [S] était assujetti à une clause de mobilité recouvrant l'ensemble du territoire national prévoyant également qu'il devait adapter ses disponibilités aux besoins exprimés par les clients de la société.
Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, dite «syntec».
Monsieur [S] travaillait pour le client Moët et Chandon (MHIS). A l'issue de la mission dévolue à DEVEA CONSEIL, la Société Moët et Chandon a changé de prestataire au profit de LOGICA.
Le 22 août 2008, Monsieur [S] a refusé une mission chez LOGICA pour la même société Moët et Chandon.
Le 17 septembre 2008, la Société DEVEA CONSEIL lui a proposé une mission sur [Localité 4], auprès des ASF pour administrer et réaliser une montée de version du progiciel SAP. La société lui a proposé de lui assurer les formations adéquates.
Après différents échanges par mail et un entretien du 1er octobre 2008, Monsieur [S], qui estimait que sa nouvelle mission nécessitait une modification de son contrat de travail, n'avait toujours pas donné sa réponse.
Par courrier du 3 octobre 2008, la Société l'a mis en demeure de donner sa réponse.
Monsieur [S] a refusé cette mission et a sollicité une affectation sur des missions entrant dans son champ de compétences.
Par courrier du 8 octobre 2008, la Société DEVEA CONSEIL a convoqué Monsieur [S] à un entretien préalable à son licenciement.
Par courrier du 9 octobre 2008, Monsieur [S] a informé la Société DEVEA CONSEIL qu'il serait assisté lors de cet entretien.
La Société DEVEA CONSEIL a notifié à Monsieur [S], le 22 octobre 2008, son licenciement pour faute grave.
Contestant son licenciement, Monsieur [S] a saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris, le 26 novembre 2008 aux fins de nullité de la clause de mobilité, d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis et de dommages et intérêts pour rupture abusive outre l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement en date du 28 octobre 2009, le Conseil de Prud'hommes de Paris a requalifié la faute grave en cause réelle et sérieuse et condamné la SAS DEVEA CONSEIL à payer à [B] [S] les sommes suivantes :
- 8400€ à titre de préavis
- 840€ à titre de congés payés afférents
- 840€ à titre d'indemnité de licenciement.
Le Conseil l'a débouté du surplus de ses demandes.
Régulièrement appelant de la décision, Monsieur [S] demande à la Cour d'infirmer partiellement le jugement, de prononcer la nullité de la clause de mobilité, de confirmer les condamnations suivantes :
- 8400€ au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 840€ de congés payés afférents,
- 840€ au titre de l'indemnité de licenciement,
et de condamner la SAS DEVEA CONSEIL à lui verser les sommes suivantes :
- 16800€ à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,
- 3500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civil,
- avec intérêts au taux légal.
La SAS DEVEA CONSEIL demande à la cour de confirmer le jugement, dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et la clause de mobilité licite, donc de débouter Monsieur [S] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que de ses autres demandes et de le condamner au paiement de la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Pour plus ample exposé de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffier, développées lors de l'audience des débats.
MOTIFS ET DECISION DE LA COUR :
Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
En l'espèce, la lettre de licenciement est ainsi rédigée :
«REFUS REITERE D'UNE MISSION en infraction avec la clause de mobilité mentionnée comme substantielle dans votre contrat de travail.
Nous vous avons rappelé lors de notre entretien :
Que vous avez été embauché le 10/04/2007 pour une mission chez MHIS à Epemay, mission à durée déterminée, comme toutes les missions signées par DEVEA Conseil et assumées par notre personnel en C.D.I. avec clause de mobilité.
Que nous avons eu confirmation en août 2008 de la fin de la mission chez MHIS ( Moët & Chandon) au 30/09/2008, du fait qu'une autre société de service, la société LOGICA, avait obtenu le contrat qui jusqu'alors nous était dévolu sur la plateforme technique du client (Siebel/Windows/Oracle).
Que le 22 août 2008 vous nous avez Informé par mail de votre refus de travailler pour LOGICA, sur le môme projet, alors que nous avions été contacté par eux pour une collaboration technique en ce sens, en motivant votre refus par une volonté de «tourner la page» «...Il vaut mieux viser des projets plus stable dans le temps».
Que le 17 septembre 2008, suite à votre premier refus de la poursuite de votre mission pour MHIS via LOGICA, nous vous avons proposé la seule mission disponible chez DEVEA Conseil : un projet sur SAP/Windows/Oracle aux ASF en [Localité 4] avec un encadrement technique par un de nos experts SAP pour vous permettre de monter en compétences. Lors de l'entretien nous vous avons rappelé que cette mission était toujours la seule disponible au sein de notre société.
Que cette nouvelle mission, a semblé dans un premier temps vous intéresser à la fois pour des raisons personnelles mais aussi professionnelles puisque vous connaissiez le collaborateur en place aux ASF (Collaborateur croisé plusieurs fois chez MHIS).
Que finalement après plusieurs jours de réflexion vous nous avez informé par courrier recommandé du 2 octobre 2008 de votre refus, considérant que la mission proposée n'entrait pas dans vos fonctions.
Lors de notre entretien nous vous avons rappelé que la mission proposée nécessitait des interventions sur un environnement technique identique à celui de votre précédent client Moët et Chandon, à savoir Windows et Oracle.
Que, pour la partie SAP (qui n'est qu'une partie de la mission proposée) que vous ne maîtrisez pas encore, nous vous avons proposé un accompagnement de 2 mois afin d'être le plus autonome et opérationnel possible.
Nous avons également souligné, toujours lors de notre entretien, que notre convention collective nous incite à proposer à nos collaborateurs des formations internes et externes leur permettant d'accroître leurs compétences, et qu'en vous proposant cette mission en [Localité 4] nous l'avons fait dans le respect de notre obligation de formation et dans les moyens actuels de DEVEA Conseil.
Nous n'avons donc pas pu retenir votre objection concernant votre absence de compétence comme motif valable de votre refus d'accepter la mission proposée.
Qu'en conséquence votre refus réitéré de respecter la clause de mobilité existant dans le contrat de travail qui nous lie, ce que vous nous avez une nouvelle fois exprimé lors de l'entretien préalable, ne peut être considéré que comme une faute grave, et ce du fait du caractère substantiel attaché à ladite clause de mobilité.
Vous êtes donc licencié pour faute grave privative de préavis et d'indemnité de licenciement».
Il ressort des pièces versées au débat que :
-la mission proposée à Monsieur [S] entrait dans le cadre de ses fonctions contractuelles ;
- la clause de mobilité contractuelle, visant «l'ensemble du territoire national», était claire, précise et licite au regard notamment de la convention collective applicable et de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'Homme des libertés fondamentales puisque sa mise en oeuvre n'impliquait pas de facto un déménagement, qui du reste aurait été pris en charge par l'employeur en cas de besoin;
- la mise en oeuvre de cette clause a respecté un délai de prévenance suffisant au regard de la durée limitée de la mission, qui n'impliquait pas forcément un déménagement puisque les frais de déplacement et d'hébergement étaient pris en charge par l'employeur;
- la Société DEVEA CONSEIL, basée à [Localité 3], assurant des prestations pour IBM à [Localité 6], ASF à [Localité 4] et Moët et Chandon (MHIS) à [Localité 5], Monsieur [S] n'ignorait pas qu'il serait amené, de par ses fonctions et compte tenu du secteur d'activité dans lequel il travaillait, à s'éloigner de son domicile;
-la formation proposée et programmée par la Société DEVEA CONSEIL, de courte durée, était destinée à adapter les compétences de Monsieur [S] au marché et à la clientèle de la Société DEVEA CONSEIL, ce qui était à sa portée au vu de son expérience professionnelle, SAP et SIEBEL étant tous deux des progiciels de gestion d'entreprise.
Il en résulte qu'en refusant la mission proposée par son employeur, qui n'a fait qu'appliquer son pouvoir de direction dans le cadre contractuel liant les parties et n'avait pas à en justifier, Monsieur [S] a commis une faute rendant son maintien dans l'entreprise impossible.
Cependant, en application de l'article 61 de la convention collective applicable, le salarié licencié pour non respect de la clause de mobilité a droit aux indemnités légales de licenciement.
Dès lors, comme demandé par l'intimée, il convient de confirmer le jugement, qui a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse et alloué les indemnités en résultant.
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement rendu le 28 octobre 2009 par le Conseil de prud'hommes de Paris,
Déboute Monsieur [S] de ses demandes de dommages pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de nullité de la clause de mobilité,
Condamne Monsieur [S] au paiement de la somme de 2000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Monsieur [S] aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,