RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 06 Octobre 2011
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/10131 - MAC
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 06 Novembre 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS section industrie RG n° 04/12225
APPELANTE
SAS ISS ABILIS FRANCE
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Catherine LAUSSUCQ, avocat au barreau de PARIS, toque : D 223 substitué par Me Elisabeth GAUTIER HUGON, avocat au barreau de PARIS, toque : G0396
INTIMEE
Madame [S] [H]
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Norbert GOUTMANN, avocat au barreau de VAL DE MARNE, toque : PC 02
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Août 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Catherine METADIEU, présidente
Mme Marie-Antoinette COLAS, conseillère
M. Julien SENEL, Vice-Président placé sur ordonnance du Premier Président en date du 18 mars 2011
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Catherine METADIEU, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Mme [H] a été engagée par la SAS ISS Abilis France suivant un contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 1990.
Elle assure présentement des fonctions de chef de service, statut agent de maîtrise.
Ses horaires de travail sont répartis du lundi au vendredi de 6h à 10h et de 17h30 à 20h30.
Mme [H], adhérente du syndicat Segic CFTC a disposé de plusieurs mandats de représentation.
Elle a été élue membre du comité d'entreprise de 1999 à 2002, ainsi que membre du CH SCT pendant la même période. Elle ne dispose plus de mandat élu depuis cette date.
La SAS ISS Abilis France a aussi été informée de la désignation de Mme [H] :
- en tant que représentante syndicale comité d'entreprise, par une lettre du 25 octobre 2001,
- en qualité de délégué syndical central, par une lettre du 7 janvier 2002,
- en qualité de représentant syndical de CH SCT, par une lettre du 1er mars 2002.
Alléguant qu'elle a été amenée à effectuer ses heures de délégation pour ses différents mandats en dehors de ses heures de travail effectif, soit pendant sa coupure quotidienne de 10h00 à 17h30, que la SAS ISS Abilis France a réglé l'intégralité des heures de délégation réalisées à échéance normale, en sus du paiement des 151,67 heures effectuées dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail, mais sans appliquer les majorations pour heures supplémentaires, et sans la faire bénéficier des repos compensateurs en découlant, Mme [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris aux fins d'obtenir des majorations pour heures supplémentaires, les congés payés afférents, un rappel sur repos compensateur et les congés payés incidents ainsi que des dommages-intérêts.
Par un jugement du 6 novembre 2009, le conseil de prud'hommes de Paris, statuant en départage, a considéré que Mme [H] était fondée en sa demande en paiement de ses heures de délégation au taux majoré pour la période allant du mois de janvier 2000 au mois de décembre 2006 inclus ainsi qu'en paiement d'une indemnité au titre des repos compensateurs acquis.
Avant dire droit sur le montant des sommes à revenir à la salariée, le conseil de prud'hommes a renvoyé Mme [H] à établir un décompte de ses heures supplémentaires, semaine par semaine.
Il a parallèlement condamné la SAS ISS Abilis France à verser à Mme [H], à titre provisionnel une somme de 15'000 € au titre des majorations dues pour les heures supplémentaires et une somme de 30'000 € à valoir sur l'indemnité due au titre des repos compensateurs.
Le conseil de prud'hommes a débouté la SAS ISS Abilis France de sa demande reconventionnelle en remboursement des heures de délégation de janvier 2000 à décembre 2004.
La SAS ISS Abilis France a relevé appel de ce jugement.
Dans des conclusions déposées et soutenues lors des débats, la SAS ISS Abilis France demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, statuant à nouveau, de dire que Mme [H] est irrecevable et mal fondée en ses demandes et de l'en débouter. À titre reconventionnel, la SAS ISS Abilis France sollicite la condamnation de Mme [H] à lui régler la somme de 81'590,73 € ou, subsidiairement, la somme de 32'683,77 € en remboursement des sommes indûment versées de janvier 2001 décembre 2004, outre une indemnité de 2500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes d'écritures reprises et développées lors de l'audience, Mme [H] demande à la cour de confirmer le jugement déféré, de fixer à 30'743,72 € le rappel de salaire au titre de la majoration pour les heures supplémentaires, à 184'966,80 € la somme à lui revenir au titre des repos compensateurs, somme à laquelle devra être ajoutée celle de 18'096,68 € au titre des congés payés afférents.
Elle réclame en sus une indemnité de 2500 €au titre de l'article 700 du code de procédure civile et s'oppose aux demandes formulées par la SAS ISS Abilis France.
Le salaire brut de base de Mme [H] s'élève à 2177,98 €.
La SAS ISS Abilis France est soumise à la convention collective nationale des entreprises de propreté et emploie plus de 30'000 salariés.
Il est expressément renvoyé au jugement, aux conclusions respectives des parties, visées par le greffier lors de l'audience, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés.
Motifs :
Sur la demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et de repos compensateur :
La réalité des mandats de Mme [H] et le principe même des heures de délégation dont elle pouvait disposer pour l'exercice de chacun de ceux-ci n'est pas contestée.
Ainsi, conformément à ses écritures mêmes, elle pouvait disposer de :
- 25 heures de délégation par mois depuis 2000 pour la représentation syndicale au comité d'entreprise,
- 20 heures par mois en tant qu'élue au CH SCT en 2000 et 2001,
- 20 heures par mois en tant que déléguée syndicale depuis 2002,
- 60 heures par mois en tant que déléguée syndicale central depuis 2002.
Le contingent d'heures libres ne constitue pas un crédit forfaitaire, il est mensuel, le report d'un mois sur l'autre n'étant pas autorisé.
Dans ces conditions, au vu des écritures mêmes de Mme [H] pour les années 2000 et 2001, les contingents d'heures de délégation étaient de 45 heures et à compter de 2002, ils étaient de 105 heures.
Dans le cadre même des contingents d'heures, les bénéficiaires des mandats en cause utilisent librement les crédits d'heures de délégation dont ils disposent, conformément aux rôles et aux missions qui leur sont dévolues, aussi bien pendant qu'en dehors de leurs horaires de travail, dans l'enceinte comme en dehors de l'entreprise.
Les heures de délégation utilisées dans la limite des contingents sont de plein droit assimilées à du temps de travail effectif et bénéficient en conséquence d'une présomption d'utilisation conforme aux mandats détenus. Elles doivent être payées à l'échéance normale, en fonction de la périodicité de la paie.
Au delà, dans la mesure où les contingents d'heures de délégation ne peuvent être dépassés qu'en cas de circonstances exceptionnelles, en l'absence de toute évocation et de justification de circonstances exceptionnelles, les mandataires qui ont épuisé leur contingent ne peuvent continuer à prendre des heures de délégation à la charge de l'employeur.
Il résulte de l'examen des bulletins de salaire communiqués pour la période considérée que la SAS ISS Abilis France a réglé à Mme [H] des heures de délégation pour la période de janvier 2000 au taux horaire normal et à compter de janvier 2005 jusqu'en décembre 2006, à des taux majorés.
Dès lors que les heures de délégation ont été effectivement réglées, compte tenu de la présomption d'utilisation conforme de ses heures de délégation par le salarié détenteur de mandats, c'est à l'employeur de rapporter la preuve de la non-conformité de ces heures à l'objet des mandats, le salarié étant simplement tenu d'indiquer à l'employeur, à sa demande, la façon dont il a utilisé ses heures de délégation sans jamais être obligé de justifier que l'utilisation ainsi faite est conforme à l'objet des mandats.
Dans le cas présent, les premiers juges ont exactement relevé que l'examen des bulletins de salaire allant de janvier 2000 au 31 décembre 2004 ainsi que de la feuille ajoutée en annexe des dits bulletins concernant les heures de délégation montre que les heures ont été payées au taux horaire non majoré ou insuffisamment majoré jusqu'au mois de janvier 2004, que leur montant est ajouté à celui du salaire de base calculée pour un horaire à temps plein, qu'à compter du mois de février 2004, le montant total des heures de délégation est toujours ajouté au montant du salaire brut mensuel de la salariée pour un temps plein, qu'un certain nombre d'heures de délégation a été rémunéré à un taux majoré de 25%, d'autres étant majoré un taux inférieur, qu'il en est de même jusqu'au 28 février 2006, moment à partir duquel les heures de délégation ont été rémunérées à un taux supérieur à 25% mais inférieur à 50%.
C'est de façon pertinente que les premiers juges ont aussi observé que l'employeur n'a jamais demandé à la salariée, avant le présent débat de judiciaire, de lui fournir l'indication des activités pour lesquelles les heures de délégation, réglées par lui ont été utilisées afin d'une part, d'en combattre l'utilisation et d'autre part, de relever que les mandats ont été assurés pendant le temps de travail.
Dès lors que la SAS ISS Abilis France a systématiquement réglé des heures de délégation en sus de la rémunération du salaire mensuel de la salariée pour un temps complet, les heures de délégation prises en dehors du temps normal de travail constituent des heures supplémentaires devant faire l'objet de majorations.
Le jugement du conseil de prud'hommes sera en conséquence confirmé en ce qu'il a dit que Mme [H] était fondée à réclamer paiement de ses heures de délégation au taux majoré pour la période allant du mois de janvier 2000 au mois de décembre 2006 inclus ainsi que les repos compensateurs en découlant.
A ce stade et dans la mesure où le conseil de prud'hommes avait rouvert les débats pour inviter les parties à présenter des pièces et un décompte, la cour estime de bonne justice, en application des dispositions de l'article 568 du code de procédure civile, d'évoquer les points non jugés afin de donner à cette affaire une solution définitive.
Dans ces conditions, dans les limites des contingents d'heures de délégation telles que précédemment relevées, (45 heures pour 2000 et 2001, 105 heures depuis 2002), à la faveur des indications fournies par la salariée sur les activités pour lesquelles les heures ont été utilisées, (compte-rendus de réunions diverses, indications portées sur les fiches hebdomadaires communiquées pour 2005 et 2006, sans objection pertinente et justifiée de la part de l'employeur sur la non conformité des activités ou sur des demandes erronées de la part de la salariée à cet égard, et le tout, dans les limites du plafond), conformément aux dispositions légales sur la durée du travail entrées en vigueur au 1er juillet 2002, et eu égard aux majorations déjà appliquées effectivement, notamment à compter de Février 2004, la cour est en mesure de fixer à la somme de 25 000 € les majorations dues à Mme [H] au titre des heures de délégation devant être rémunérées comme des heures supplémentaires, somme à laquelle il convient d'ajouter celle de 2 500 € au titre des congés payés afférents.
S'agissant des repos compensateurs, compte tenu de la taille de l'entreprise comptant plus de 20 salariés, le droit à cet égard correspond à 50% au-delà de la 41ème heure hebdomadaire, dans la limite du contingent, et une fois franchi le contingent, ce droit est fixé 100% à partir de la 36ème.
En application de l'article 11 de la convention collective applicable, le contingent d'heures supplémentaires s'élève à 130.
Sur les bulletins des années 2005 et 2006 des repos compensateurs ont été pris ce que ne conteste pas sérieusement la salariée. Ainsi sont mentionnées:
- 56 heures de repos compensateurs en Avril 2005,
- 7 heures en mai 2005,
- 35 heures en Juin 2005
- 70 heures en Septembre 2005,
- 63 heures en Octobre 2005,
- 42 heures en Novembre 2005,
soit 273 heures établies au cours de l'année 2005.
Compte tenu de ces éléments, la cour est en mesure, après décompte des horaires retenus dans la limite des crédits d'heures légales de délégation, de fixer à la somme de 75 414 € la somme à revenir à la salariée au titre des repos compensateurs à laquelle s'ajoute les congés payés afférents soit 7 541 €.
Sur la demande de dommages et intérêts pour défaut d'information :
Ce préjudice spécifique et distinct du rappel dû au titre des repos compensateurs sera équitablement réparé par l'allocation d'une somme de 6 000 € étant observé que la salariée réclame 10 000 € à ce titre.
Sur la demande reconventionnelle :
Dès lors que la salariée a été réglée pour des heures de délégation dépassant le crédit d'heures fixé par les textes en vigueur sans justifier, y compris dans le présent débat, de la nécessité pour elle d'opérer un tel dépassant en raison de circonstances exceptionnelles, la charge de la preuve lui incombant à cet égard, l'employeur est partiellement fondé en sa demande de remboursement des sommes versées à la salariée à ce titre.
En effet, l'examen des bulletins de salaire montre qu'elle a dépassé à de nombreuses reprises les crédits horaires fixés ainsi à titre d'exemples les dépassements systématiques au cours des années 2000 et 2001 mais aussi 170 heures en Mai 2002, 147 heures en septembre 2002, 149 heures en mars 2003 (au lieu de 105 heures invoquées par elle même)... et sans évocation, a fortiori sans justification de circonstances exceptionnelles.
Le jugement sera en conséquence infirmé en ce qu'il a débouté l'employeur de toute demande de ce chef.
Compte tenu des éléments produits et au regard des éléments de droit et de fait précédemment énoncés, la cour retient que Mme [H] est redevable de la somme de 18 824 € au titre des horaires réglés et dépassant le crédit légal des heures de délégation pour assurer ses mandats.
Sur les demandes d'indemnités en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :
L'équité commande d'allouer à Mme [H] une indemnité de 2 500 € pour les frais engagés par elle dans la présente instance, en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour les mêmes motifs d'équité, la SAS ISS Abilis France sera déboutée de sa demande sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que Mme [H] était fondée à réclamer le paiement des heures de délégation aux taux majorés pour la période allant du mois de Janvier 2000 au mois de Décembre 2006 ainsi que paiement des repos compensateur,
L'infirme en ce qu'il a débouté la SAS ISS Abilis France de toute demande de remboursement des heures de délégation indûes,
Statuant à nouveau, évoquant et y ajoutant,
Condamne la SAS ISS Abilis France à verser à Mme [H] les sommes suivantes :
- 25 000 € au titre de la majoration des heures supplémentaires,
- 2 500 € au titre des congés payés afférents,
- 75 414 € au titre des repos compensateurs,
- 7 541, 40 € au titre des congés payés afférents,
- 6 000 € à titre de dommages et intérêts,
- 2 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [H] à verser à la SAS ISS Abilis France la somme de 18 824 € en remboursement des sommes indûment versées au titre des dépassements des crédits d'heures de délégation,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne la SAS ISS Abilis France aux entiers dépens.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,