RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRÊT DU 30 Juin 2011
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/09459 - IL
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 20 Octobre 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS RG n° 08/11596
APPELANT
Monsieur [R] [F]
[Adresse 2]
[Localité 4]
comparant en personne, assisté de Me Laurent TRASTOUR, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE
SA JOUVE
[Adresse 1]
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Jean-Pierre GRYSON, avocat au barreau de PARIS, toque : P 364
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 24 Mai 2011, en audience publique, les parties assistée et représentée ne s'y étant pas opposées, devant Mme Irène LEBÉ, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente
Mme Irène LEBE, Conseillère
Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère
Greffier : Mlle Christel DUPIN, lors des débats
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La Cour statue sur les appels régulièrement interjetés par M. [R] [F] et, à titre incident, par la SA Jouve, du jugement rendu le 20 octobre 2009 par le conseil de prud'hommes de Paris, section Encadrement, chambre 5, qui a débouté le salarié de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le conseil de prud'hommes, qui a fixé la moyenne des trois derniers mois de salaires de M. [F] à la somme de 12.771,54 Euros, a d'autre part donné acte à l'employeur de ce qu'il remettait à la barre au salarié un chèque d'un montant de 10.889,74 Euros, soit 8.349,50 Euros en net à titre de rappel de prime.
Le conseil de prud'hommes a en outre condamné la SA Jouve à verser à M. [F] les sommes suivantes, en déboutant ce dernier du surplus de ses demandes :
* 3.403 Euros à titre de rappel de prime sur objectifs 2007, et ce, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et jusqu'au paiement,
* 500 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un bref exposé des faits et de la procédure, il suffit de rappeler que M. [F] a été embauché le 19 décembre 1988 en qualité de directeur commercial 'composition-impression'par la SA Jouve, spécialisée dans l'impression et la composition ,notamment des codes juridiques et dans les systèmes d'information, comportant plusieurs sites et employant plus de 700 salariés.
Occupant en dernier lieu les fonctions de 'directeur d'activités Impression de l'Information', son dernier salaire mensuel brut s'élevait à 10.676,93 Euros, payable sur 13 mois, outre une prime d'objectifs annuels, ce qui l'a porté à la somme de 13.610 Euros en 2008, montant non utilement contesté par l'employeur.
Les relations contractuelles relevaient de la convention collective de l'Imprimerie de Labeur.
Les relations de travail se sont dégradées à compter du 22 février 2008, date à laquelle le directeur général de l'entreprise, M. [N] [K], nommé en 2005, a remis au salarié une note critique sur la qualité et les résultats de son travail , invoquant un courrier de mécontentement exprimé par l'actionnaire de la société sur les performances de l'activité Impression de l'Information dont M. [F] avait la charge, note que le salarié contestait.
Alors que l'évaluation annuelle du 26 mars 2008 était également critique sur les résultats de l'intéressé ainsi que sur sa gestion des personnels relevant de son département, M. [F] la contestait à nouveau en en demandant la révision, ce qui lui était refusée par lettre du 25 avril 2008.
Par ce même courrier du 25 avril 2008, le directeur général reprenait la proposition qu'il avait faite à M. [F] au terme de son évaluation, à savoir être affecté sur le poste de 'directeur des projets tranverse Groupe pour l'Edition ,depuis la signature des contrats jusqu'à leur réalisation complète...', en précisant que la création de ce poste avait été évoquée au sein du comité de direction ( Codir )de l'entreprise', son niveau hiérarchique et sa participation au Codir n'étant pas remises en cause.
L'employeur précisait que 'la politique de l'entreprise était par principe d'utiliser au mieux les compétences',et déclarait que les 'compétences de M. [F] s'exprimeraient pleinement au profit du groupe'dans l'exercice des fonctions proposées.
Il lui était donné un délai de deux mois pour accepter ou refuser cette proposition, en application des dispositions de l'article 507 de la convention collective applicable précitée.
Par courrier du 26 mai 2008, M. [F] contestait à nouveau les reproches qui lui avaient été adressés, estimant que la proposition susvisée n'était pas sérieuse car imprécise, notamment sur le contenu concret de ce poste ainsi que sur les objectifs et primes, déclarant y voir 'la volonté de l'employeur de ne plus le maintenir à son poste'.
L'employeur lui proposait le 4 juin 2008 de 'piloter un projet tranversal ' avec un autre responsable, puis lui demandait de se positionner, et ce, par courriel du 6 juin 2008.
Après avoir contesté le 10 juin suivant ce qu'il considérait comme une nouvelle remise en cause de son travail, M. [F] était en arrêt de travail du 11 juin au 15 juillet 2008, invoquant une dépression consécutive à sa situation professionnelle conflictuelle.
Alors qu'il avait été déclaré apte à sa reprise du travail par le médecin du travail, mais à revoir en septembre 2008, il était convoqué le 18 juillet 2008 à un entretien préalable à un éventuel licenciement.
Après entretien préalable tenu le 28 juillet 2008, M. [F] était en arrêt de travail du 28 juillet au 24 août 2008
C'est dans ces conditions qu'il a été licencié par lettre recommandée avec accusé de réception du 31 juillet 2008 pour cause réelle et sérieuse.
Contestant la légitimité de la rupture de son contrat de travail et réclamant des rappels de prime sur objectifs, M. [F] a saisi le 1er octobre 2008 le conseil de prud'hommes qui a rendu le jugement déféré.
En cause d'appel, M. [F] demande à la Cour :
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SA Jouve à lui verser la somme de 3403 Euros à titre de rappel de prime sur objectifs, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation et jusqu'au paiement,
- de l'infirmer sur la rupture de son contrat de travail et le rejet de ses demandes d'indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et harcèlement moral, et de condamner la SA Jouve à lui verser les sommes suivantes:
- 204.000 Euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 41.000 Euros à titre de dommages- intérêts pour harcèlement moral,
- 2.500 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La SA Jouve relève appel incident et demande à la Cour :
- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté M. [F] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de sa demande de dommages- intérêts pour harcèlement moral,
- de l'infirmer en ce qu'il l'a condamnée à verser au salarié un rappel de prime sur objectifs ,
- de le débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- de le condamner aux entiers dépens.
SUR CE, LA COUR,
Vu le jugement déféré ainsi que les conclusions des parties, régulièrement communiquées, auxquels il convient de se référer pour de plus amples développements.
Sur la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral :
Aux termes de l'article L.1152-2 du code du travail, anciennement L.122-49 du même code, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Conformément aux dispositions de l'article L.1154-1 du code du travail, interprété à la lumière de la directive CEE /2000/78 du conseil du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, il incombe au salarié d' établir des faits qui permettent de présumer l'existence du harcèlement allégué, et, au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que les agissements allégués ne sont pas constitutifs d'un harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
M. [F] fait grief à l'employeur de lui avoir fait des reproches injustifiés sur la qualité de son travail ainsi que sur ses résultats ,notamment par courriel du 21 février 2008 ainsi que dans son évaluation du 26 mars 2008.
Il expose que si le site de [Localité 6] connaissait des difficultés, celles ci ne lui étaient cependant pas imputables car les autres directions de l'entreprise en connaissaient de semblables dans la mesure où elles étaient inhérentes au marché de l'imprimerie, ce que démontrait en outre le fait que l'employeur lui ait assigné des objectifs négatifs, à savoir - 3,424 KE, ainsi que le rapport des commissaires aux comptes. Il souligne également que l'employeur n'a pas pris en compte le site d'[Localité 7] dont il était également responsable et qui ne rencontrait pas de difficultés.
Il soutient avoir rempli ses obligations contractuelles quant à la compétitivité de l'entreprise, en relevant qu'elle avait emporté la plupart des appels d'offres de l'OPOCE, et qu'il n'a connu aucun problème dans la gestion du personnel que ce soit de sa direction ou des autres directions de l'entreprise, ainsi qu'en attestent les témoignages qu'il verse aux débats.
Il fait valoir que le directeur général de l'entreprise était au courant des augmentations de prix pratiquées envers certains clients, comme il l' avait rappelé à ce dernier dans un courriel du 10 juin 2008, et ce, pour redresser la compétitivité de la SA Jouve.
Il en conclut que les problèmes de santé qu'il a alors connus, et qui l'ont amené à consulter le médecin du travail qui l'a adressé à son médecin traitant constatant un syndrome dépressif réactionnel à sa situation professionnelle, sont en lien direct avec les agissements fautifs du directeur général, qui caractérisent en conséquence selon lui un harcèlement moral dont il demande réparation.
Cependant, si l'employeur a émis des critiques envers le travail exécuté par M. [F] dans le cadre de ses responsabilités de directeur d' activités Impression de l'Information, en particulier dans son courriel précité du 21 février 2008 ainsi que dans son évaluation du 21 mars 2008, force est de constater que le principe même de la non atteinte des objectifs fixés au budget ainsi que de la dégradation de la productivité et de la compétitivité du secteur de l'impression, relevant du domaine de l'intéressé, et plus particulièrement du site de [Localité 6], ressortent du rapport d'expertise comptable établi le 1er juillet 2009, soit peu après le licenciement de M. [F].
Les problèmes d'impression et de routage ,qualifiés de 'récurrents' par l'employeur, sont de même établis par le courrier adressé le 15 janvier 2008 par le PDG de la SA Les Petites Affiches, qui, par sa qualité de responsable de la maison mère de la SA Jouve était à même de les signaler.
Or ces constatations négatives ne sont pas utilement contestées par le salarié, quand bien même le fait même de lui assigner des objectifs négatifs démontre que l'entreprise connaissait des difficultés sur ses marchés.
Mais si aucun élément probant n'établit la réalité du reproche d' 'insuffisances en matière de pilotage humain' du personnel de son département, adressé à M. [F] par l'employeur dans son courriel précité du 21 février 2008, que l'employeur relie à la performance insuffisante de ce département, ce reproche ne peut cependant être considéré comme manifestant à lui seul une mauvaise foi constitutive de harcèlement moral de la part de l'employeur alors que l'encadrement de la productivité du personnel confié à un responsable participe également du développement de l'activité dont il a la responsabilité.
Dans ces conditions, la seule évaluation négative de l'intéressé, effectuée en mars 2008, basée là encore sur les mêmes difficultés, ne saurait en soi caractériser des agissements de harcèlement moral au sens des textes précités.
De même, le fait d'avoir refusé la demande de congés payés présentée par le salarié le 17 juillet 2008 pour la période du 4 au 29 août 2008, ne saurait être considérée en soi comme une brimade pour le salarié alors qu'il lui revenait de la présenter en temps utile pour une telle période de congés d'été pour permettre à l'employeur d'organiser les plannings des présences du personnel dirigeant de l'entreprise.
Enfin, dans la mesure où, à la date de son licenciement, M. [F] avait été déclaré apte à reprendre son poste au terme de son arrêt de travail, quand bien même le médecin du travail avait mentionné 'à revoir en septembre 2008", aucun élément probant n'établit que les problèmes de santé qu'il a connus étaient imputables à l'employeur à la date de la rupture ni même liés à une exécution fautive par ce dernier de ses obligations contractuelles envers l'intéressé.
Dès lors, s'il ressort des pièces communiquées par le salarié, notamment le signalement fait par le CHSCT en février 2008 auprès de la direction de l'entreprise sur les conditions de travail des salariés, ainsi que le courrier de rappel de ses obligations légales à l'employeur par l'Inspection du Travail le 5 mai 2008, que l'entreprise connaissait des tensions, se traduisant par une grève, aucun élément probant n'établit que M. [F] ait fait personnellement l'objet d'agissements caractérisant le harcèlement moral allégué.
Il convient de relever à ce égard que les nombreuses attestations qu'il verse aux débats, n'établissent pas plus la réalité des agissements de harcèlement moral qu'il allègue dans la mesure où ces témoignages soit se bornent à décrire les bonnes relations professionnelles que leurs auteurs entretenaient avec l'intéressé soit critiquent de façon générale et vague le management exercé par le directeur général mais sans donner de précisions sur ce qu'il aurait eu de critiquable.
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. [F] de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral.
Sur la rupture du contrat de travail :
Pour prétendre que le licenciement de M. [F] est fondé sur une cause réelle et sérieuse, la SA Jouve fait valoir que l'opposition manifestée par le salarié à la nécessaire évolution de la société, par le refus de la proposition de la nouvelle affectation qui lui avait été faite, sans modification de son contrat de travail, rendait impossible son maintien dans l'entreprise alors qu'il s'agissait d'un cadre supérieur, relevant de la plus haute qualification conventionnelle, membre du comité de direction de l'entreprise.
L'employeur expose que l'activité 'Impression' de l'entreprise dont le salarié avait la responsabilité connaissait des dysfonctionnements dont le président de la société mère des 'Petites Affiches'lui avait fait part le 15 janvier 2008 et qui avaient été confirmées par le rapport de l'expert comptable de la société, en 2009, pointant dans ce secteur l'origine des difficultés de l'entreprise.
Il fait valoir que le poste proposé à M. [F], à savoir l'édition, était un secteur transversal d'activité, concernant l'impression de l'information, la dégitalisation de l'information, ainsi que les systèmes d'information qui correspondaient aux compétences de l'intéressé qui avait déjà l'édition dans son domaine d'activité et avait en outre déjà exercé ce rôle transversal avec le créneau 'hébergement et édition juridique', relevant de l'activité 'systèmes de l'information'.
L'employeur souligne que la connaissance générale de l'édition et des clients était un point fort du salarié et que celui-ci s'en était d'ailleurs prévalu sur le site internet d'un réseau social, et ainsi que le montrent les attestations favorables de responsables de maisons d'édition que M. [F] communique.
Il fait valoir que la proposition faite au salarié relevait en tout état de cause de son pouvoir de direction et d'organisation de l'entreprise, en l'absence de toute modification du contrat de travail de M. [F], dont la qualification, la rémunération et le niveau hiérarchique, notamment sa participation au comité de direction de la SA Jouve, restaient inchangés, étant précisé par l'employeur que le contrat de travail de l'intéressé prévoyait que sa fonction pouvait évoluer.
L'employeur souligne que la proposition litigieuse a été faite dans le respect des dispositions conventionnelles, en particulier après un délai de réflexion de deux mois et que le salarié avait déjà exercé de telles responsabilités.
Enfin, il précise que le poste proposé à M. [F] n'a en définitive pas été pourvu s'agissant d'une création de poste particulièrement adapté au profil de l'intéressé.
Cependant, s'il relève du pouvoir de direction de l'employeur de réorganiser l'entreprise et de proposer des affectations nouvelles aux salariés, et si aucun agissement constitutif de harcèlement moral n'est établi envers l'intéressé, il revenait à la SA Jouve de donner rapidement à M. [F] toute précision sur les contours exacts de ce nouveau poste et sur les responsabilités qui seraient les siennes, afin de lui permettre de vérifier qu'elles n'étaient pas réduites dans les faits, quand bien même il lui était alors promis aucun changement de niveau de qualification ni de rémunération.
C'est à cet égard en vain que l'employeur prétend que son contrat de travail ne précisait pas ses fonctions exactes alors qu'aux termes de son contrat de travail initial et en l'absence de tout avenant ultérieur, M. [F] s'était vu confier les fonctions de ' directeur commercial 'composition et impression'.
Mais si ses fonctions avaient évolué vers celles de directeur d'activités Impression de l'Information', la circonstance que son contrat de travail prévoyait que ses fonctions pouvaient évoluer n'autorisait pas pour autant l'employeur à modifier unilatéralement ses responsabilités.
En effet, d'une part, la procédure prévue par l'article 507 de la convention collective applicable prévoit que 'tout changement dans le classement ou les attributions de l'intéressé fera l'objet dans le délai d'un mois à compter de cette modification, d'une confirmation écrite, le salarié disposant d'un délai de deux mois pour faire connaître sa réponse', ce texte précisant 'qu' en cas de refus, son cas sera assimilé à un licenciement du fait de l'employeur et réglé comme tel', ce dont il résulte que le refus du salarié ne présente pas de caractère fautif en soi.
D'autre part, c'est à bon droit que le salarié fait valoir que les responsabilités qui lui étaient promises concernaient alors un poste au périmètre d'autant plus incertain que la SA Jouve n'a pas estimé utile de maintenir sa création à la suite du licenciement de M. [F], estimant ce poste 'particulièrement adapté au profil de ce dernier' tout en affirmant de façon contradictoire dans la lettre de licenciement que ce poste était nécessaire à l'évolution de l'entreprise ,ce qui supposait que cette création s'imposait dans l'intérêt de l'entreprise, quelque soit son titulaire.
L'absence de toute affectation d'un responsable au poste proposé postérieurement au licenciement de l'intéressé alors même que l'employeur le présentait comme 'nécessaire à l'évolution de l'entreprise ' conduit en outre à mettre en doute l'intérêt donné par l'entreprise elle - même à ce nouveau poste, et, partant, la motivation du licenciement de l'intéressé, telle qu'elle est exprimée par l'employeur dans la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige.
En effet, l'employeur a fondé expressément le licenciement du salarié sur son refus d'un poste essentiel au développement du groupe, en déduisant son opposition à l'évolution de celui-ci alors qu'il ressort des constations de fait de la Cour et des écritures de l'employeur, que ce dernier liait sa proposition ,non à l'évolution de l'entreprise mais à des carences de M. [F] dans l'exécution de son travail.
En effet, la proposition litigieuse a été précédée d'une évaluation négative du salarié le 26 mars 2008, aux termes de laquelle l'employeur indiquait 'que les difficultés de M. [F] de décisions sur les organisations et les hommes se sont accentuées en 2007, [R] ne réalise pas assez l'importance des responsabilités du poste et des impacts sur la SA Jouve. Décalage entre les connaissances marketing, commerciales et industrielles de [R] avec les nouvelles exigences du marché. Il doit savoir écouter les inquiétudes du comité de direction sur son cas...'.
Dans ces conditions, la méfiance exprimée par le salarié quant aux intentions exactes de l'employeur en ce qui le concernait n'apparaît en conséquence pas fautive, ni comme une marque d'opposition à l'employeur alors que son niveau hiérarchique dans l'entreprise, de même que son ancienneté et la qualité de son travail jusque là appréciée ,justifiaient que l'employeur lui donne, dès la proposition elle-même, toute précision sur les motifs exacts de cette proposition et toute assurance sur le contour exact du poste proposé et ses responsabilités, de façon à lui permettre d'en évaluer les conséquences sur une éventuelle modification de son contrat de travail.
Dès lors la réserve exprimée par le salarié dans son courrier du 26 mai 2008 envers cette proposition imprécise ne pouvait constituer à cette date une cause réelle et sérieuse de licenciement de M. [F] qui a revêtu en conséquence un caractère précipité et ce, d'autant plus qu'à la date du 22 juillet 2008, soit avant même son entretien préalable, tenu le 28 juillet suivant, l'employeur avait annoncé l'arrivée de son remplaçant, M. [W], ainsi qu'il ressort des témoignages, non utilement contredits, versés par le salarié.
Le jugement déféré sera infirmé de ce chef.
En considération du préjudice subi par M. [F], compte tenu notamment de sa grande ancienneté, de son salaire , du fait qu'il n'a pas retrouvé du travail avant mai 2009, avec en outre une longue période d'essai de six mois, la SA Jouve sera condamnée à lui verser la somme de 180.000 Euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application des dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail dont les conditions sont réunies en l'espèce.
Sur la demande de rappel de primes sur objectifs 2007 :
La SA Jouve ne remet pas en cause le jugement déféré en ce qu'il lui a donné acte de la remise au salarié, à la barre, d'un chèque d'un montant de 10.889,74 Euros, soit 8.349,50 Euros en net à titre de rappel de prime.
Le jugement déféré sera en conséquence confirmé de ce chef.
L'employeur demande cependant à la Cour d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamné à verser la somme de 3.403 Euros à titre de rappel de prime d'objectifs individuels pour l'année.
Il n'est pas utilement contesté que l'attribution de prime d'objectifs est basée sur l'attribution de points, chacun d'eux valant 389 Euros brut, étant précisé qu'une atteinte d'objectifs à 100% donne lieu à l'attribution de 5 points, constituant un coefficient dit 'pondérateur'.
L'employeur ne lui a attribué que 1,25 points au titre du 'pilotage humain' dans son département, en lui imputant l'absence de 'développement' d'un salarié, M. [V] à son poste ainsi que le départ de M. [Z] de son poste.
Or, le salarié fait valoir que ce dernier a quitté l'entreprise pour des raisons personnelles, M. [V] ayant été quant à lui licencié pour un motif économique , circonstances ne lui étant pas imputables.
Dans la mesure où l'employeur ne contredit pas utilement le salarié sur ce point, il y a lieu de faire droit à sa demande de réévaluation des points qui lui étaient dus au titre du 'pilotage humain' ,soit 5 points au lieu de 1,25 points, ce qui correspond à un solde de 1458,25 Euros.
Dans l'évaluation litigieuse du salarié, en date du mois de mars 2008, l'employeur lui reprochait également de n'avoir pas mis en place des 'indicateurs de qualité' et de n'avoir pas réduit les problèmes de qualité en le notant 'zéro' sur ce point.
Mais si l'employeur ne contredit pas utilement le salarié qui affirme lui avoir adressé les indicateurs en question le 13 avril 2007 pour avis, sans réponse de sa part, force est de constater que le salarié verse lui-même aux débats un compte rendu de réunion, tenue le 23 janvier 2008, qui avait pour objectif de 'recenser et apporter des solutions aux dysfonctionnements rapportés', ce qui confirme donc les reproches que lui adressait l'employeur, notamment quant à la surconsommation de papier, la livraison des justificatifs entraînant des retards de livraison et le problème de routage, qui ont d'ailleurs fait l'objet du signalement du PDG de la SA Jouve auprès de M. [F] le 21 février 2008.
Dans ces conditions, si M. [F] verse des attestations aux débats, justifiant de la satisfaction de plusieurs clients importants, il ressort cependant des constatations susvisées que cet objectif n'a pas été atteint de sa part ce qui ne permet pas de lui attribuer les 5 points qu'il réclame.
Il a en conséquence droit à un solde de prime de 1.458,75 Euros. Le jugement déféré sera confirmé dans son principe mais infirmé dans le montant de la prime d'objectifs attribuée au salarié.
Les circonstances de la cause et l'équité justifient l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de M. [F]. La SA Jouve sera en conséquence condamnée à verser à M. [F] la somme de 2.000 Euros à ce titre en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement déféré sur la rupture du contrat de travail de M. [F], ainsi que sur le montant de la prime d'objectifs 2007 allouée par le conseil de prud'hommes,
Le confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant ,
Dit que le licenciement de M. [F] est sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la SA Jouve à lui verser les sommes suivantes:
-180.000 Euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1.458 ,75 Euros à titre de rappel de prime d'objectifs 2007,
- 2.000 Euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Déboute les parties de toute demande plus ample ou contraire,
Condamne la SA Jouve aux entiers dépens.
LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,