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16/06/2011 | FRANCE | N°08/11066

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 16 juin 2011, 08/11066


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 16 Juin 2011

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/11066 - MAC



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 Avril 2008 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 06/05444





APPELANTE

SA LES JOLIES CERAMIQUES SANS KAOLIN

[Adresse 4]

[Localité 8]

représentée par Me Ghislaine ROUSSEL, avoc

at au barreau de PARIS, toque : C1575





INTIME

Monsieur [S] [X]

[Adresse 1]

[Adresse 6]

[Localité 2]

représenté par Me Eve DREYFUS, avocat au barreau de PARIS, toque : E 1814


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RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 16 Juin 2011

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 08/11066 - MAC

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 23 Avril 2008 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 06/05444

APPELANTE

SA LES JOLIES CERAMIQUES SANS KAOLIN

[Adresse 4]

[Localité 8]

représentée par Me Ghislaine ROUSSEL, avocat au barreau de PARIS, toque : C1575

INTIME

Monsieur [S] [X]

[Adresse 1]

[Adresse 6]

[Localité 2]

représenté par Me Eve DREYFUS, avocat au barreau de PARIS, toque : E 1814

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Mai 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente

Mme Irène LEBE, Conseillère

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [X] a été engagé d'abord par la société les Emaux de Briare suivant un contrat à durée indéterminée du 10 avril 1991. Il occupait alors le poste de conseiller prescription, cadre, position 2 A, coefficient 100.

Cette société a été reprise par la SA Jolies Céramiques sans Kaolin, qui a aussi souscrit un contrat de travail avec M. [X] devenu 'Export Area manager', avec la même qualification et la même classification. Le nouveau contrat à durée indéterminée a été signé le 2 avril 1997.

Estimant subir une dégradation de ses relations contractuelles, en lien avec de nombreuses difficultés rencontrées sur le secteur Asie dans un contexte international difficile affectant son chiffre d'affaires, M. [X] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, le 3 mai 2006, d'une demande de résolution judiciaire du contrat de travail, aux torts de l'employeur, de condamnation de la SA Jolies Céramiques sans Kaolin à lui verser outre les indemnités de rupture, un rappel de salaire, des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que des dommages-intérêts pour le préjudice moral distinct. M. [X] avait formulé des demandes à titre subsidiaire afin de voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse avec les conséquences financières afférentes.

Le 23 juin 2006, M. [X] a été convoqué à un entretien préalable.

Consécutivement à cet entretien, M. [X] s'est vu notifier son licenciement pour faute lourde par lettre recommandée du 30 juin 2006. M. [X] a contesté cette lettre de rupture par un courrier.

Dans ce contexte, M. [X] a fait valoir ses droits à la retraite en septembre 2006.

Par un jugement du 23 avril 2008, le conseil de prud'hommes de Paris a condamné la SA Jolies Céramiques sans Kaolin à verser à M. [X] les sommes suivantes :

- 2880 € à titre de rappel de salaire du mois de juin 2006,

- 8640 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 864 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

- 13'464 € à titre d'indemnité de licenciement,

avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation,

- 6000 € à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,

- 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le conseil de prud'hommes a aussi ordonné à M. [X] de mettre l'ensemble des échantillons laissés à son domicile à la disposition de la SA Jolies Céramiques sans Kaolin.

La SA Jolies Céramiques sans Kaolin a relevé appel de ce jugement.

Dans des conclusions soutenues oralement lors des débats, la SA Jolies Céramiques sans Kaolin demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de déclarer M. [X] mal fondé en ses demandes et à titre reconventionnel, de le condamner à lui rembourser la somme de 1143,37 € correspondant à l'avance sur frais de déplacement lui ayant été adressée le 6 janvier 1992 avec intérêts au taux légal à compter de la rupture de son contrat de travail dès lors qu'il était convenu que cette avance serait restituée en cas de départ de la société, ainsi qu'une indemnité de 4000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [X] a formé un appel incident.

Il relève que le conseil de prud'hommes a omis de statuer sur les demandes d'annulation des sanctions disciplinaires qui lui avaient été infligées.

Il sollicite la condamnation de la société à lui verser les sommes retenues sur ses salaires au cours des deux mises à pied du 6 avril 2004 et du 13 avril 2006 soit la somme de 604,03 €.

Lors des débats, il relève avoir fait valoir ses droits à la retraite en septembre 2006 et s' en rapporte sur le mérite de sa demande de résolution judiciaire du contrat de travail.

Si la cour devait faire droit à sa demande de résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de son employeur, il réclame paiement des sommes suivantes :

- 80'000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 30'000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral.

A titre subsidiaire, il conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a considéré le licenciement abusif.

Il sollicite la confirmation du jugement s'agissant des indemnités de rupture et de rappels de salaires du mois de juin 2006 mais réclame 69'000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'une indemnité de 30'000 € en réparation du préjudice lié aux conditions vexatoires du licenciement.

Il réclame outre une somme de 3000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et l'allocation d'une somme de 1500 € pour les frais d'avocats exposés dans le cadre de la saisie attribution et des suites données par la société lors de l'engagement d'une action devant le juge de l'exécution.

La rémunération brute mensuelle de M. [X] s'élevait à la somme de 2880 €.

La convention collective applicable est celle des industries céramiques de France

Il est expressément envoyé au jugement, aux conclusions respectives des parties visées par le greffier lors de l'audience, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés.

MOTIFS :

Sur la demande de résolution judiciaire du contrat de travail :

Dans le cas d'espèce, M. [X] a saisi le conseil de prud'hommes d'une demande de résolution judiciaire du contrat de travail le 3 mai 2006, l'employeur lui a notifié son licenciement pour faute lourde le 23 juin 2006. Enfin, lui-même a fait valoir ses droits à la retraite en septembre 2006.

Il s'ensuit que la rupture de contrat est intervenue le 23 juin 2006, par la notification du licenciement. La rupture du contrat ne résulte donc pas de la mise à la retraite du salarié.

Il appartient dans ces conditions à la juridiction saisie d'une demande de résolution judiciaire avant que l'employeur ait notifié le licenciement d'analyser la demande antérieure formée par le salarié.

Si la demande de résolution judiciaire est fondée, la juridiction devra en fixer la date de prise d'effet à la date à laquelle le licenciement a été notifié.

Si la demande de résolution judiciaire n'est pas fondée, la juridiction analysera alors le licenciement.

M. [X] fait valoir, qu'ayant la responsabilité du secteur Moyen-Orient, il n'a rencontré aucune difficulté avec son premier employeur pendant plus de six années, qu'il a reçu au début de l'année 1998 des félicitations pour ses remarquables performances au cours de l'année précédente.

Confronté de plein fouet à la concurrence asiatique ainsi qu'à la contrefaçon des produits, il a constaté que la commercialisation des produits est devenue de plus en plus difficile. Il déplore qu'en dépit de ses demandes auprès de son employeur pour trouver une solution et envisager une stratégie nouvelle, aucune réunion, discussion ou concertation, n'ait eu lieu, qu'aucune mesure tarifaire, d'amélioration des livraisons, de création de nouveaux produits, n'ait été prise.

Il considère que dans le contexte de l'exercice de ses missions dans un secteur géographique sinistré, les nombreux reproches reçus étaient injustifiés et les sanctions infondées.

M. [X] relève également avoir subi des brimades, des humiliations, des vexations, une absence de considération, des représailles infondées, la confiscation du véhicule, l'absence d'augmentation de salaire pendant huit ans. Il fait état d'un véritable harcèlement.

Il considère enfin qu'après avoir accepté qu'il travaille à son domicile, pendant plus de douze années, son employeur a refusé de lui fournir un nouveau matériel informatique et lui a imposé de venir travailler dans les bureaux soit quai de [Localité 9] à [Localité 8], à 130 kms de chez lui.

Selon la SA les Jolies Céramiques sans kaolin, M. [X] a adopté un comportement fautif ayant perduré malgré les rappels à l'ordre. Elle soutient avoir utilisé son pouvoir disciplinaire de manière justifiée et raisonnable, faisant même preuve de patience en face d'un salarié qui déniait à son employeur toute autorité et tout pouvoir de décision et de direction.

Elle estime que l'exercice de son devoir de direction et de sanction ne peut constituer un harcèlement.

Il est avéré que la garantie de la bonne marche de l'entreprise repose sur le pouvoir de direction reconnu à l'employeur. Dans ce cadre, l'employeur dispose d'un pouvoir disciplinaire qui lui permet de sanctionner le comportement fautif d'un salarié. En toute hypothèse, la sanction prononcée par l'employeur doit être justifiée et fondée sur des éléments objectifs sous peine d'être annulée et de caractériser une exécution déloyale du contrat de travail voire un des agissements visés par l'article L.1152-1 du code du travail constitutifs d'un harcèlement.

Il est admis par les parties que M. [X] a fait l'objet de trois sanctions disciplinaires.

Aux termes de la lettre du 6 avril 2004 notifiant à M. [X] une mise à pied disciplinaire d'une journée, l'employeur entendait sanctionner ses mauvais résultats depuis cinq ans, le non-respect des procédures, le non-respect du matériel confié, le non-respect des personnes.

La cour ne dispose pas des moyens suffisants pour apprécier la pertinence de la sanction pour les mauvais résultats enregistrés par le salarié au cours des années précédentes, au regard du contexte économique alors existant, sauf à constater que dans l'une des correspondances échangées, l'employeur admet que le secteur géographique était difficile.

Au surplus, M. [X] communique aux débats les nombreux documents qu'il a lui-même adressés à l'employeur pour attirer son attention sur les difficultés qu'il a rencontrées et ses demandes réitérées de mesures particulières pour prendre en compte la situation particulière de la zone géographique dans laquelle il intervenait.

Dans ce contexte, au-delà des éléments de comparaison avec les autres commerciaux, l'employeur n'apporte pas les éléments susceptibles de permettre de constater que ses produits étaient effectivement compétitifs dans la zone incriminée, que les mauvais résultats enregistrés étaient imputables au salarié qui jusqu'alors avait satisfait aux attentes de l'employeur.

À défaut de démontrer une réelle insuffisance de la part de M. [X] qui jusque-là avait connu des performances dûment relevées, le caractère justifié de la sanction n'est pas établi.

Par ailleurs, il résulte des pièces produites par l'employeur que des consignes précises avaient été données aux salariés le 20 février 1997 et le 21 septembre 2000 pour la remise hebdomadaire des imprimés intitulés 'frais de déplacement'et des rapports d'activité attendus par la direction, que des rappels ont effectivement été adressés à M. [X], notamment le 22 septembre 1999.

Même si Mme [V] [B] chargée du contrôle des frais de déplacement des commerciaux atteste que M. [X] n'adressait jamais ses notes de frais en temps voulu, qu'au contraire, il les adressait par paquets de 2, 3 voire 4 mois c'est-à-dire très en retard malgré de multiples rappels, qu'elle a pu constater entre 2002 et 2007, lors de chacun de ses passages au mois de février que les retards de M. [X] perduraient, qu'il fallait toujours le rappeler à l'ordre, force est de relever qu'aucun rappel effectif écrit n'a été adressé à M. [X] entre 1999 et 2004 à ce sujet, il s'ensuit qu'une mise à pied à titre disciplinaire d'une journée est une sanction disproportionnée en l'absence d'un avertissement solennel préalable.

Pour justifier du mauvais entretien du véhicule confié au salarié, l'employeur verse aux débats une déclaration d'accident du 19 avril 2006, soit postérieure à l'avertissement, un excès de vitesse du 13 mars 2006, une note de M. [X] évoquant un accident de la circulation de février 2004 et sa recherche vaine d'un animal à l'origine de l'accident, ainsi qu'une note adressée à M. [X] au sujet d'un contrôle technique qu'il aurait omis de réaliser.

Ces notes et documents ne sont pas de nature à caractériser un prétendu non-respect du matériel confié dès lors que l'employeur n'apporte aucun élément pour combattre le constat que le salarié posait lui-même dans la note de février 2004 selon lequel le véhicule fourni comptait 266'000 km, avait des sièges défoncés, des amortisseurs hors d'usage etc...

De même, l' employeur ne produit aucun élément de nature à justifier le prétendu non-respect des personnes par M. [X] qui au contraire communique au dossier des témoignages nombreux pour établir la réalité de sa courtoisie, de son amabilité.

Dans ces conditions, la première sanction notifiée à M. [X] n'était pas justifiée.

Sur la mise à pied disciplinaire du 13 avril 2006 pour une durée de trois jours :

Dans la lettre de notification de cette sanction, l'employeur relève les mauvais résultats commerciaux de M. [X] mais lui fait spécifiquement grief de ne pas respecter les hommes, les directives et de menacer de travailler pour la société Mridul.

S'agissant du non-respect des hommes, l'employeur évoque les critiques publiques faites par M. [X] lors d'une réunion commerciale du 30 et 31 janvier 2006, et le refus réitéré de joindre l'employeur, voire de le rencontrer à l'occasion d'un départ en retraite d'une collaboratrice importante pour évoquer les négociations tendues avec un client.

Employeur et salarié communiquent des témoignages contradictoires sur l'imputabilité de la tension ayant existé au cours de la réunion commerciale des 30 et 31 janvier 2006.

Ainsi M. [N] [R] écrit-il dans le compte rendu de la réunion que M. [S] [X] n'a formé aucune proposition concrète et n'a donc effectué aucun travail, qu'il s'est bornée à critiquer en règle la politique de la société, en particulier son dirigeant... que la négativité de M. [X] est telle qu'il ne se rend pas compte qu'il a eu certainement une influence décisive sur le départ prématuré de notre nouveau commercial M. [E] [W].

Or, ce M. [W] atteste que M. [X] est très peu intervenu durant la réunion commerciale des 30 et 31 janvier 2006, que les suggestions faites par lui comme les autres commerciaux étaient positives et constructives et n'ont pas eu pour conséquence de le faire partir de la société. Ce témoin précise que les raisons de son départ ont pour origine l'attitude négative et agressive de M. [I], la mauvaise ambiance dans l'entreprise, les collègues supportant mal l'attitude des méthodes du PDG, le manque de moyens pour travailler et la mise à la disposition d'une chambre insalubre lors de son séjour à [Localité 8].

Plusieurs témoins tels M. [P], M [F], Mme [Z] [M] attestent n'avoir jamais entendu M. [X] dénigrer qui que ce soit et notamment leur employeur. Le second témoin évoque la mauvaise ambiance de travail entretenue par les dirigeants de la société ainsi que leur mépris à l'égard des salariés.

L'employeur ne communique aucun élément sur la difficulté rencontrée avec M. [X] à propos de la négociation engagée avec la société Bouygues.

Ce grief n'est pas fondé.

S'agissant du refus de respecter les directives, l'employeur reproche au salarié d'avoir, mi-février, délibérément violé les règles économiques et les mises en garde en descendant dans un hôtel 4 étoiles lors d' un voyage.

Il communique aux débats une facture France Telecom du 19 avril 2004 pour un montant de 701,78 euros. Il est curieux que cette facture postérieure à la notification de la sanction soit invoquée pour justifier la descente du salarié dans un hôtel 4 étoiles lors d'un voyage.

La SA les Jolies Céramiques sans kaolin communique également les récapitulatifs mensuels des frais de déplacement de M. [X] pour le mois de mai 2005 et le mois de mars 2006. Sur ces deux documents, sont renseignées les rubriques 'kilomètres, carburant, péage parking, forfait'. Sur le récapitulatif de mars 2006 est également renseignée la rubrique 'divers' pour un montant de 142,65 €. Il n'est pas ainsi établi que le salarié est descendu dans un hôtel 4 étoiles ni qu'il a ce faisant enfreint des consignes précises.

Au surplus, M. [X] communique aux débats des demandes d'autorisation de dépenses visées par l'employeur avec une mention telle que 'O.K. pour voyage' ou bon pour accord.

Ce grief n'est pas établi et par suite infondé.

S'agissant du dernier grief relatif aux menaces de travailler pour une société Mridul, condamnée par le tribunal de commerce de [Adresse 7] le 4 avril 2008 pour concurrence déloyale et contrefaçon à l'égard de la la SA les Jolies Céramiques sans kaolin, l'employeur n'apporte aucun élément pour établir que M. [X] aurait à plusieurs reprises insinué qu'il était susceptible de travailler pour cette société.

L'employeur s'appuie juste sur la lettre que lui a adressée le salarié le 13 mai 2006 qui a écrit 'je ne vous ai jamais menacé de travailler pour Mridul, les contrefacteurs indiens. Je vous ai seulement indiqué que, compte tenu de votre attitude, j'étais bien mal récompensé de ma loyauté à votre égard alors qu'ils m'aurait été très facile de travailler pour eux. Cela fait une nuance, je constate que vous vous me menacez...; il est très étrange de constater que sur n'importe quel sujet, même les plus simples vous vous arrangez toujours pour les déformer de façon à induire une suspicion à mon égard...'.

Cette réponse ne permet pas de retenir l'existence d'une menace du salarié de rejoindre la concurrence.

Ces griefs n'étant pas établis, la mesure disciplinaire en résultant est infondée.

Quelques jours après cette mise à pied disciplinaire du 13 avril 2006, l'employeur a adressé à M. [X] une lettre, le 18 avril 2006.

Aux termes de celle-ci, l'employeur précise plusieurs points :

- pour éviter toute polémique inutile a posteriori, il explique avoir décidé que tous les voyages de M. [X] seraient organisés par une personne désignée qui serait chargée de sélectionner de réserver les hôtels et l'avion en fonction des destinations que le salarié aura indiquées ;

- s'agissant de l'avance sur un frais, l'employeur estime que la demande du salarié est déplacée compte tenu des retards pris par lui pour les remettre, que la carte de SA Crédit Industriel et Commercial international 'payée à vos frais , quel drame! '(sic,) offre un débit différé... ; ce qui laisse à la charge temporaire du salarié quelques taxis et restaurants dont le salarié aurait peine à faire croire qu'il ne pourrait plus en supporter l'avance,

- après avoir relevé les plaintes du salarié s'agissant des consignes de brièveté des conversations téléphoniques (15 minutes), de la qualité de l'ordinateur portable mis à disposition, de la connexion Internet, de la difficulté à joindre l'employeur, du manque de réactivité de la comptabilité, l'employeur écrit ' j'ai trouvé un remède à l'ensemble de ces problèmes : à compter du 1er juin 2006, vous prendrez toutes dispositions pour venir travailler dans nos bureaux [Adresse 3]. Vous rapatrierez à cette occasion l'ensemble de la documentation et les correspondances avec vos clients qui, je vous le rappelle au passage, appartiennent à l'entreprise et non à vous même.... bref vous aurez tout le matériel que vous regrettez de ne pas avoir chez vous..... Cela permettra d'éviter la suspicion - déplacée selon vous- que vous ne consacrez peut-être pas l'intégralité de votre temps de travail théorique au profit de l'entreprise.

J'attire votre attention sur le fait que ce retour dans nos bureaux constitue un simple aménagement de vos conditions de travail et non une modification de votre contrat de travail, que ce dernier prévoyait d'ailleurs que vous deviez travailler au siège et non de chez vous. Certes, j'ai temporairement accepté que vous restiez chez vous afin de vous être agréable, mais le fait que vous ayez osé me réclamer de payer un loyer pour votre bureau à domicile n'était certes pas de nature à me conforter dans cette voie. En conséquence, je vous informe que le fait pour vous de ne pas obtempérer à cette demande dans les délais que j'ai prévus volontairement larges, constituerait une faute professionnelle avec toutes les conséquences attachées'.

Il ressort des termes de cette lettre comme des éléments produits par le salarié qu'il a été convenu par les deux parties que M. [X] travaillerait à partir de son domicile à [Adresse 5], qu'il a dans les faits effectivement travaillé à partir de son domicile pendant douze années, que du matériel tel un ordinateur, un fax avait été mis à sa disposition, qu'au bout de 12 années d'utilisation, ce matériel était de manière évidente obsolète.

La décision de l'employeur notifiée par cette lettre avait pour conséquence de remettre en cause l'accord donné en 1994 et d'imposer au salarié un temps de trajet quotidien de plusieurs heures dès lors que M. [X] résidait à 130 km de [Localité 8].

Le salarié n'est pas utilement contredit quand il soutient qu'aucun commercial ne travaille au siège que même le commercial responsable de la région parisienne n'a pas de bureau au siège.

Il s'ensuit qu'imposer à M. [X] un tel changement des modalités d'organisation de sa vie professionnelle acceptées par les deux parties pendant douze années, et alors qu'il était âgé de 64 ans, caractérise une mesure de rétorsion, voire de discrimination, ses collègues commerciaux n'ayant pas l'obligation de travailler au siège et s'apparente en réalité à une modification du contrat de travail lui même.

Dans ces conditions au regard des sanctions injustifiées et des modifications de l'organisation des conditions de travail aux conséquences importantes pour le salarié, la demande de résolution judiciaire du contrat de travail était lors de la saisine du conseil de prud'hommes le 3 mai 2006, justifiée par les manquements graves et dûment établis de l'employeur.

Le jugement sera réformé en ce qu'il n'a pas statué sur la demande de résolution judiciaire, se limitant à analyser le licenciement prononcé ultérieurement.

La résiliation judiciaire du contrat de travail prend effet à la date de licenciement prononcé soit à la date du 30 juin 2006.

Sur la demande d'annulation des sanctions

Il a été précédemment relevé que les mises à pied du 6 avril 2004 et du 13 mars 2006 étaient injustifiées. Elles doivent donc être annulées, ainsi que le demande le salarié.

Par ailleurs, un nouvel avertissement a été notifié à M. [X] le 5 mai 2006 soit moins d'un mois après avoir fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire et alors qu'il était en arrêt de travail, depuis le 2 mai 2006.

L'avertissement vise l'absence de remise de rapports hebdomadaires, l'absence d'organisation de voyages depuis six mois, l'utilisation du papier à en-tête de M. [X], le manque de soins apportés au véhicule.

Or, dans cette même lettre, l'employeur expose 'au final, j'ai pourtant bien compris que vous ne voulez apparemment plus vous fatiguer... ou gagner honnêtement votre vie en percevant des commissions sur vente, vous préférez négocier un pactole ou... espérer en gagner un devant les tribunaux en montant un dossier contentieux. Dans ce but, vous multipliez les provocations et les insubordinations de façon à m'acculer à un licenciement en tentant de me pousser à bout. Croyez bien que malgré toute votre science consommée de la polémique, je resterai maître de moi et de la procédure que j'engagerai'.

Il s'ensuit qu'au regard de la dégradation des relations professionnelles découlant notamment des sanctions précédemment infligées, de l'exigence posée de modifier les modalités d'organisation de vie du salarié, de la saisine du conseil de prud'hommes en date du 3 mai 2006 pour résiliation judiciaire du contrat de travail, toute sanction ultérieure doit être annulée dès lors qu'à la date de la saisine, les manquements graves de l'employeur justifiaient la résolution judiciaire du contrat de travail.

Le jugement du conseil de prud'hommes sera confirmé en ce qu'il accordait à M. [X] un rappel de salaire pour le mois de juin 2006, une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents ainsi que l'indemnité de licenciement.

Par ailleurs, compte tenu de l'annulation des mises à pied, M. [X] est fondé à réclamer un rappel de salaire dont le montant n'est pas contesté, à savoir la somme de 604,03 €.

Sur la demande de dommages et intérêts par suite de la résolution judiciaire :

La résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur a les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et permet au salarié de réclamer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi dès lors que l'entreprise comptait moins de 10 salariés.

Il est avéré que M. [X] a fait valoir ses droits à la retraite et a perçu celle-ci à compter de septembre 2006.

Compte tenu de l'ancienneté du salarié (15 ans), des circonstances de la rupture, ainsi que cela résulte des éléments précédemment évoqués, la cour est en mesure de fixer à la somme de 50'000 € le montant des dommages-intérêts pour le licenciement sans cause réelle sérieuse.

Sur la demande de dommages et intérêts pour préjudice moral :

Il est avéré que quelque semaines après la saisine du conseil de prud'hommes, l'employeur a initié une procédure de licenciement pour faute lourde en reprenant pour l'essentiel les motifs pour lesquels les sanctions avaient déjà été notifiées au salarié.

Force est également de constater que le ton des lettres adressées à M. [X] au cours des dernières semaines, les sanctions infligées à tort, le retrait de son véhicule, la fermeture de sa ligne téléphonique, la suspicion formulée selon laquelle M. [X] ne consacrait plus le temps théorique à son activité professionnelle, sont à l'origine d'un préjudice moral distinct qui sera équitablement réparé par l' allocation d'une somme de 15'000 €.

Sur la demande de remboursement d'une avance de frais :

Il ressort des deux documents produits à savoir d'une lettre du 6 janvier 1992 et de l' extrait du grand livre général du 1er janvier 1997 au 31 décembre 1998 qu'une avance permanente de 7500 frs a été versée à M. [X], cette somme n'étant retenue qu'en cas de départ de la société.

M. [X] ne formule aucune remarque particulière à cet égard.

Dès lors que l'employeur a réglé l'intégralité des frais professionnels effectivement engagés par le salarié dans le cadre de son activité, cette avance est désormais dépourvue de cause.

Elle doit être restituée.

Il sera fait droit à la demande de la la SA les Jolies Céramiques sans kaolin à ce titre.

Sur la demande de paiement des frais engagés dans le cadre de la saisie attribution et des suites données par l'employeur par l'engagement d'une action devant le juge de l'exécution :

Cette demande tendant à faire prendre en charge par l'employeur les frais afférents à une saisie attribution et à une procédure engagée devant le juge de l'exécution sera rejetée dès lors qu'il appartient à M. [X] de soumettre à cette juridiction l'analyse de cette prétention.

Sur la demande d'indemnité en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :

L'équité commande tout à la fois de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a alloué à M. [X] une somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et de lui accorder une nouvelle indemnité de 2500 € sur le même fondement pour les frais exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a accordé à M. [X] un rappel de salaire pour le mois de juin 2006, une indemnité de licenciement, une indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents, et une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Annule les sanctions prononcées,

Prononce la résolution judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur à la date du licenciement, soit à la date du 30 juin 2006,

Condamne la SA les Jolies Céramiques sans kaolin à verser à M. [X] les sommes suivantes :

- 604,03 € au titre de rappel de salaire pour les deux mises à pied,

- 50'000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle sérieuse,

- 15'000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral distinct,

- 2500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [X] à verser à la SA les Jolies Céramiques sans kaolin la somme de 1143,37 euros à compter du 23 avril 2008 date de présentation de la demande devant le conseil de prud'hommes ,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la SA les Jolies Céramiques sans kaolin aux entiers dépens.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 08/11066
Date de la décision : 16/06/2011

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°08/11066 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-06-16;08.11066 ?
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