La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/06/2011 | FRANCE | N°09/28597

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 8, 07 juin 2011, 09/28597


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 8



ARRÊT DU 07 JUIN 2011



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 09/28597



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Novembre 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 08/10558





APPELANTE



S.A.S. JANCARTHIER

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son s

iège [Adresse 2]

[Adresse 2]



représentée par la SCP BERNABE-CHARDIN-CHEVILLER, avoués à la Cour

assistée de Me Justine BRAULT, avocat au barreau de PARIS, toque R201







INTIME



Maître [P]...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 8

ARRÊT DU 07 JUIN 2011

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 09/28597

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Novembre 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 08/10558

APPELANTE

S.A.S. JANCARTHIER

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège [Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par la SCP BERNABE-CHARDIN-CHEVILLER, avoués à la Cour

assistée de Me Justine BRAULT, avocat au barreau de PARIS, toque R201

INTIME

Maître [P] [V]

demeurant [Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par la SCP ARNAUDY ET BAECHLIN, avoués à la Cour

assisté de Me Ivan MATHIS, avocat au barreau de PARIS, toque R44

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 3 Mai 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Nicole MAESTRACCI, Présidente

Madame Marie-Paule MORACCHINI, Conseillère

Madame Evelyne DELBES, Conseillère

qui en ont délibéré

Un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues à l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Marie-Claude HOUDIN

ARRÊT :

- contradictoire

- rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Nicole MAESTRACCI, présidente et par Mme Marie-Claude HOUDIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour est saisie de l'appel interjeté le 22 décembre 2009 par la société Jancarthier à l'encontre du jugement rendu le 30 novembre 2009 par le tribunal de grande instance de Paris qui l'a déboutée de toutes les demandes qu'elle a formées dans le cadre de l'action en responsabilité par elle engagée à l'encontre de Maître [V], auquel elle fait grief de manquements dans l'accomplissement de ses fonctions d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de cession de la société GFAD Blanc Bleu.

Par arrêt du 18 janvier 2011, la cour a rouvert les débats et invité Maître [V] à donner toutes explications sur l'intitulé et la nature des créances suivantes, figurant sur son état de répartitions au 12 octobre 2009 : 'Règlement CRP', Honoraires réglés s/divers contentieux' et 'Remboursement cpte prorata cessionnaire' et à fournir tous justificatifs les concernant ainsi qu'un état complet des créances de l'ancien article L 621-32 du code de commerce.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 19 avril 2011, la société Jancarthier demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et de condamner Maître [V] à lui payer la somme de 74 465,64 euros, à titre de dommages et intérêts, décompte arrêté au 1er juin 2008, et la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières écritures signifiées le 27 avril 2011, Maître [V] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et, ce faisant, de constater que la société Jancarthier ne rapporte la preuve d'aucune faute de sa part et d'aucun préjudice pouvant être en relation avec les fautes qui lui sont imputées, de constater que l'appelante est directement à l'origine du dommage dont elle se prévaut, en conséquence, de la débouter de toutes ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

SUR CE

Considérant que les administrateurs judiciaires engagent leur responsabilité civile délictuelle pour les fautes commises dans l'exercice de leurs fonctions sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil ; que le demandeur à l'action doit établir la faute, le préjudice et le lien de causalité entre la faute et le préjudice ;

Considérant que la société Jancarthier fait grief à Maître [V] de manquements dans l'accomplissement de ses fonctions d'administrateur judiciaire de la société GFAD Blanc Bleu ayant consisté à laisser celle-ci passer des commandes de voyages, dont il connaissait l'existence, sans se préoccuper de la possibilité pour l'intéressée de les payer, et à lui avoir fait croire le contraire par le contreseing de chèques de règlement ; qu'elle ajoute que Maître [V] a manqué également à ses obligations dans le cadre de ses fonctions de commissaire à l'exécution du plan de cession de la débitrice en ne réglant pas sa créance prioritaire, au regard des dispositions de l'article L 621-32 du code de commerce, et pour laquelle elle avait obtenu, aux termes d'un jugement du 31 janvier 2007, un titre exécutoire, et ce alors que le prix de cession permettait son paiement ; qu'elle estime que son préjudice s'élève à 74 465,64 euros, correspondant au montant de ses factures impayées du 2 août au 13 décembre 2005, soit 67 516,54 euros, et des intérêts légaux arrêtés au 1er juin 2008 ;

Considérant que Maître [V] soutient qu'il n'a commis aucune faute, faisant valoir que, chargé, comme administrateur, d'une simple mission d'assistance, il n'avait pas à vérifier les commandes passées par la société GFAD Blanc Bleu, actes de gestion courante que le gérant de l'intéressée pouvait accomplir seul et qui ne nécessitait pas son intervention ; qu'il précise qu'il n'a pas contresigné le moindre bon de commande, préalablement à la fourniture des prestations de la société Jancarthier ; qu'il n'a pu garantir le paiement de prestations dont il ignorait la commande ; qu'il appartenait à la société Jancarthier, qui connaissait l'existence de la procédure collective touchant sa cliente, dont elle avait été désignée contrôleur par une ordonnance du 20 septembre 2004, d'interroger l'administrateur judiciaire avant de fournir ses prestations ; que l'appelante ne l'a informé de l'existence des impayés que le 26 mai 2006 ; qu'il ajoute que l'inexécution du jugement du 31 janvier 2007 ne peut lui être imputée, le commissaire à l'exécution du plan de cession n'étant tenu de payer que dans la limite des fonds disponibles et du respect du rang des différents créanciers, et soutient que la créance de la société Jancarthier ne venait pas en rang utile et était primée par celle du Trésor public qui a absorbé le solde disponible du prix de cession, soit 357 500 euros ;

Considérant qu'il est constant que toutes les factures impayées constituant la créance de la société Jancarthier sont relatives à des prestations commandées et fournies durant la période d'observation de la société GFAD Blanc Bleu ;

Considérant que Maître [V] connaissait nécessairement les commandes passées auprès de la société Jancarthier par son administrée ; qu'il reconnaît, dans ses écritures, que compte tenu de l'implantation des boutiques de celle-ci et de sa production réalisée en Asie, ses cadres étaient contraints à de fréquents déplacements et au 'recours assidu' à une agence de voyages ; qu'il est établi qu'il a contresigné, au moins, un chèque de règlement des prestations de la société Jancarthier, d'un montant de 29 258,45 euros, établi par la société GFAD Blanc Bleu le 31 août 2005 ; qu'en apposant ainsi sa signature sur un règlement, il a laissé croire à la société Jancarthier que les commandes passées par son administrée étaient dorénavant contrôlées par lui; qu'il a donné une confiance injustifiée à ce fournisseur, fondé à croire qu'il s'était assuré que les commandes suivantes, qu'il savait indispensables au maintien de l'activité de la débitrice, pourraient être payées, et incité ainsi à poursuivre ses relations commerciales avec celle-ci ; que son paraphe constitue une immixtion volontaire dans les opérations de gestion courante de la débitrice qui l'obligeait à s'assurer que l'intéressée était en mesure de payer ; qu'en n'opérant pas ce contrôle et en induisant la société Jancarthier à croire qu'il l'avait fait, il a engagé sa responsabilité à l'égard de celle-ci ;

Considérant que la créance de la société Jancarthier relève du traitement préférentiel de l'article L 621-32 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi de sauvegarde, qui énonce que le paiement des créances postérieures au jugement d'ouverture s'opère dans l'ordre suivant : les créances de salaires, les frais de justice, les prêts consentis par les établissements de crédit et les créances résultant de l'exécution des contrats poursuivies conformément aux dispositions de l'article L 621-28 et dont le cocontractant accepte de recevoir un paiement différé et, au cinquième rang, les autres créances ; que parmi celles-ci, il s'opère, enfin, un classement entre celles qui bénéficient de privilèges généraux, telles les créances du fisc et de l'Urssaf, celles qui bénéficient de sûretés spéciales et les autres créances ;

Considérant que la créance de la société Jancarthier fait partie des créances du dernier rang prévu par l'article L 621-32 ; qu'elle ne pouvait être payée que dans la mesure des fonds disponibles et dans le respect du rang des différents créanciers de la société GFAD Blanc Bleu ;

Considérant qu'il est constant que le prix de cession du fonds de commerce de la société GFAD Blanc Bleu s'est élevé à 2 220 000 euros ; que la somme à répartir entre les créanciers a été augmentée d'encaissements d'un montant de 270 000 euros et d'intérêts pour un montant total de 70 000 euros ;

Considérant que Maître [V] produit l'état 'succinct' des créances de l'article L 621-32 du code commerce au 8 juillet 2009 faisant état des déclarations de créance du Trésor public (contributions directes et taxes assimilées et contributions indirectes) d'un montant total de 477 364 euros, d'une déclarations de créance des bailleurs (sociétés Concept et Distribution, Foncière du Village et Bonaparte Jacob) d'un montant total de 53 823,62 euros, d'une déclaration de créance des organismes sociaux d'un montant total de 245 286,86 euros et d'une déclaration de créance du Garp pour 17 345,90 euros ;

Considérant qu'il verse aux débats un état des répartitions au 12 octobre 2009 mentionnant des règlements de 753 500 euros au titre du superprivilège des AGS, de 42 000 euros au titre des salaires, de 700 000 euros au titre des clauses de réserve de propriété, de 161 500 euros au titre des honoraires versés dans divers contentieux, de 195 000 euros au titre des frais de justice et de 350 000 euros au titre du compte prorata cessionnaire ; qu'il justifie du superprivilège par la production d'une lettre du CGEA de l'Ile de France en date du 25 mars 2008 ; qu'il établit l'existence des règlements effectués au titre des clauses de réserve de propriété par la production de la lettre de réclamation de la société Quality Source Limited en date du 15 décembre et de la copie des chèques tirés sur la Caisse des Dépôts et Consignations pour un montant total de 700 000 euros qu'il a émis pour régler l'intéressée les 12 et 23 janvier et le 6 février 2006 et des lettres d'accompagnement de leur envoi à la débitrice ; qu'il justifie de l'existence et du montant des honoraires réglés dans divers contentieux par la production de l'extrait du compte ouvert pour la procédure collective à la Caisse des Dépôts et Consignation ; qu'il produit enfin l'état de suivi du compte prorata entre la débitrice et la société SODIF comptabilisant les règlements encaissés par la cédante pour le compte de la cessionnaire, entre le jugement autorisant la cession et la signature de l'acte de cession, lequel fait apparaître un solde en faveur de la société SODIF de 383 782,27 euros et l'état actualisé au 16 novembre 2006 du compte prorata faisant apparaître un solde de 287 192,54 euros en faveur de la cédante ;

Considérant qu'au vu de ces éléments, il apparaît que l'actif a été intégralement absorbé par des créanciers venant à un rang plus utile que celui occupé par la société Jancarthier ; que la mise en doute par celle-ci de la réalité des créances primant la sienne et de leur paiement, tels qu'invoqués par Maître [V] et détaillés dans l'état des répartitions au 12 octobre 2009, au motif que ces créances et ces paiements n'apparaissent pas dans un état des répartitions établi au 18 juin 2009, date à laquelle s'ils existaient, ils auraient dû, selon elle, être déjà comptabilisés, cède devant les pièces justificatives de l'existence de ces créances et de leur paiement produites par Maître [V], dont la valeur probante n'est pas affectée par les quelques ajouts manuscrits présents dans certaines d'entre elles ;

Considérant qu'aucune faute n'est, dès lors, caractérisée à la charge de Maître [V], dans l'accomplissement de ses fonctions de commissaire à l'exécution du plan de cession ; que le non paiement de la créance de la société Jancarthier procède, non pas de son omission par Maître [V] de l'état des créances de l'article L 621-32 et de la répartition du prix de cession, mais de l'impécuniosité de la procédure collective, qui n'a pu procéder au paiement d'aucun des fournisseurs dont la créance est née pendant la poursuite de l'exploitation ;

Considérant que reste donc la faute commise par Maître [V] dans l'accomplissement de ses fonctions d'administrateur judiciaire ; que le préjudice résultant, pour la société Jancarthier, qui connaissait l'existence de la procédure collective de sa cliente dont elle avait été désignée contrôleur dès le 20 septembre 2004, ne peut consister qu'en la perte d'une chance de cesser ses relations commerciales avec l'intéressée, au moins à compter du 31 août 2005, date à laquelle l'intimé, en signant un chèque de règlement de ses prestations, l'a incitée à poursuivre celles-ci ; que compte tenu de ces éléments, la cour fixera ce préjudice à la somme de 35 000 euros ;

Considérant que les intérêts au taux légal ne peuvent courir sur cette créance indemnitaire qu'à compter du présent arrêt qui en fixe tant le principe que le montant;

Considérant que Maître [V], qui succombe et sera condamné aux dépens, ne peut prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile; que l'équité commande de le condamner à verser, à ce titre, à la société Jancarthier, la somme de 2 000 euros ;

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement déféré,

Statuant à nouveau,

Condamne M. [P] [V] à payer à la société Jancarthier la somme de 35.000 euros avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, à titre de dommages et intérêts, et celle de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande,

Condamne M. [V] aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE

M.C HOUDIN N. MAESTRACCI


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 09/28597
Date de la décision : 07/06/2011

Références :

Cour d'appel de Paris I8, arrêt n°09/28597 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-06-07;09.28597 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award