RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 26 Mai 2011
(n° 5 , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/07692 - MPDL
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 19 Juin 2009 par le conseil de prud'hommes de PARIS section encadrement RG n° 07/12971
APPELANTE
Madame [Y] [P]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Me Savine BERNARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2002
INTIMEE
SA CAISSE NATIONALE DES CAISSES D'EPARGNE ET DE PRÉVOYANCE (CNCE)
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Catherine BROUSSOT-MORIN, avocat au barreau de PARIS, toque : K 30
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 08 Avril 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente
Mme Irène LEBE, Conseillère
Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LES FAITS :
Mme [Y] [P] a été engagée le 1er janvier 1995 en qualité d'assistante études financière, suivant contrat à durée indéterminée , par la Caisse nationale des caisses d'épargne et de prévoyance (CNCE).
Elle a été promue le 1er novembre 1997 comme chargée d'études au sein du département Analyse, Prévisions et Ingénierie financières, service gestion de bilan.
Mme [Y] [P] a démissionné de la CNCE le 10 décembre 2001 pour être embauchée au sein du Crédit foncier, sous contrat à durée indéterminée en qualité de contrôleurs de gestion senior à compter de janvier 2002.
Elle a démissionné de son poste et a été ré-embauchée par la CNCE à compter du 9 février 2004, en qualité de contrôleur de gestion senior, au sein de la Direction contrôle de gestion Groupe, classification CM7, statut cadre, avec reprise d'ancienneté au 1er janvier 1995.
À compter du mois d'avril 2006, elle est devenue chef de service «Monaco-Normes et pilotage analytique des coûts», avec une classification CM8.
Le 29 mai 2007, les élus du comité d'entreprise étaient informés qu'une réorganisation allait être mise en place au sein de la CNCE.
Elle avait pour objectif de doter la CNCE d'une organisation plus performante en réduisant notamment le nombre de lignes hiérarchiques.
Le projet de réorganisation a fait l'objet d'une procédure d'information/consultation du comité d'entreprise lors de plusieurs séances en date des 18 et 26 juin, 25 septembre, 30 octobre et 14 novembre 2007.
Lors de la première réunion du 18 juin 2007 la direction a précisé que son projet consistait à renforcer le niveau hiérarchique n-1, à réduire le nombre de lignes hiérarchiques et dissocier le profil de managers qui encadreraient des équipes importantes et le profil des experts tout en renforçant la transversalité.
Les élus ont considéré que les informations qui leur étaient données était insuffisantes et insisté pour qu'une définition claire soit donnée notamment en ce qui concerne les fonctions de managers et d'experts. Ils ont réitéré cette position lors de la réunion du 26 juin 2007, s'inquiétant notamment des salariés dont les attributions managériales seraient modifiées en mission d'expertise, refusant de donner leur avis à l'issue de cette réunion.
Le 25 septembre 2007, le comité d'entreprise rendait un avis favorable à l'unanimité concernant la réorganisation de la Direction du contrôle de gestion Groupe à laquelle appartenait Mme [Y] [P] estimant que «le problème des managers devenant experts ne se pose pas dans cette direction» et constatant que «le nombre de niveaux intermédiaires demeure identique dans la nouvelle organisation de cette direction» l'organigramme présenté au comité d'entreprise montre le rattachement de quatre postes à la fonction occupée par Mme [Y] [P].
Pendant cette même période, Mme [Y] [P], inquiète du devenir de son poste était reçue à sa demande le 24 juillet par le responsable des ressources humaines auquel elle transmettait son curriculum vitae le 7 septembre.
Elle était ensuite reçue par son n+2 le 17 septembre.
Pensant que ses fonctions managériales lui étaient retirées, elle adressait ensuite plusieurs courriers et mails à sa hiérarchie.
Elle était ensuite en arrêt maladie du 2 octobre au 5 novembre 2007.
Le 25 octobre 2007 elle adressait un courrier recommandé à son employeur dans lequel elle faisait état d'une réunion qui avait eu lieu le 27 septembre entre son supérieur hiérarchique immédiat et ses propres collaborateurs, ce qui lui avait été confirmé le 28 septembre par son n+1.
Elle demandait que lui soit transmis un descriptif du poste d'expert qui devait être le sien ainsi qu'un projet d'avenant à son contrat de travail.
Le 5 novembre elle reprenait ses fonctions. Cependant, par mail du 9 novembre à son n+1 avec copie à son n+2, elle indiquait qu'elle «ressentait un profond malaise dans son travail quotidien et sur les missions qui lui incombaient».
Le 19 novembre Mme [Y] [P] était à nouveau arrêtée par certificat médical et le même jour elle prenait acte de la rupture de son contrat de travail indiquant qu'elle se sentait mise à l'écart, privée de ses responsabilités, et se trouvait dans une situation humiliante et éprouvante vis-à-vis de son équipe, ses lettres et mails restant sans réponse.
Elle indiquait qu'elle considérait que les modifications apportées à son contrat de travail correspondaient aux souhaits de la société de la pousser au départ.
Le 23 novembre 2007, la CNCE lui répondait en lui rappelant que sa responsabilité de manager opérationnel ne lui avait pas été retirée conformément à ce qui avait été présenté au comité d'entreprise.
Le 29 novembre la salariée confirmait sa prise d'acte.
Le 7 décembre 2007 Mme [Y] [P] saisissait alors le conseil de prud'hommes de Paris, demandant que sa prise d'acte de rupture soit requalifiée en licenciement sans cause réelle ni sérieuse et invoquait un harcèlement moral dont elle demandait réparation.
Ce conseil de prud'hommes, par jugement du 19 juin 2009, section encadrement chambre 4, déboutait la salariée de l'ensemble de ses demandes au motif que celle-ci n'apportait pas de preuves à l'appui de sa demande, ni sur la modification de son contrat, ni sur le fait que le comité d'entreprise aurait reçu des informations erronées et qu'elle n'apportait pas de preuves non plus sur le fait que ses responsabilités managériales lui auraient été retirées ni que sa classification aurait été modifiée. Les premiers juges relevaient qu'il n'était pas démontré que la fonction, la rémunération, ni la qualification de la salariée auraient été modifiées.
Les premiers juges écartaient également le harcèlement moral invoqué disant que la salariée n'apportait pas de preuves de l'exécution déloyale de son contrat de travail par son employeur, ni de sa mise à l'écart de son équipe.
Mme [Y] [P] a régulièrement formé le présent appel contre cette décision.
Elle demande à la cour de :
- condamner la CNCE à lui payer la somme de 25'000 € sur le fondement de l'article L.4121-1 du code du travail et celle de 50'000 € sur le fondement de l'article L.1222-1 du code du travail.
- requalifier sa prise d'acte en licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
- condamner en conséquence la CNCE à lui payer :
* 16'153,86 € d'indemnité compensatrice de préavis, congés payés de 10% en sus ;
* 49'204 € d'indemnité conventionnelle de licenciement ;
* 129'230 €correspondant à 24 mois de salaire pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
- ordonner la remise d'un certificat de travail et d'une attestation pour l'emploi rectifiés sous astreinte de 100 € par jour de retard ;
- condamner la CNCE à lui payer 5'000 € pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile,
toutes sommes avec intérêts légaux et capitalisation.
La CNCE a formé appel incident.
Elle demande à titre principal à la cour de dire que la prise d'acte de rupture du contrat de travail produit les effets d'une démission et qu'elle a respecté ses obligations relatives à l'organisation de la visite médicale de reprise.
Elle sollicite en conséquence le débouter de la salariée de l'intégralité de ses demandes.
À titre subsidiaire, elle demande à la cour :
- de constater que la demande de dommages et intérêts pour rupture du contrat de travail formulée par la salariée est injustifiée celle-ci ayant retrouvé un travail immédiatement et de l'en débouter;
- de constater que la demande de dommages et intérêts pour l'exécution déloyale du contrat de travail harcèlement est injustifiée ;
-de constater que la demande de dommages et intérêts fondée sur les articles L.4121-1 et R 4624-21 du code du travail est injustifiée,
et donc de débouter la salariée de celles-ci.
En tout état de cause elle demande que Mme [Y] [P] soit déboutée du surplus de ses demandes mais sollicite sa condamnation à lui verser les sommes suivantes :
- 16'153,86 € pour procédure abusive ;
- 9'627,82 €correspondant à un trop-perçu de salaire ;
- 1000 € pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'entreprise compte plus de 11 salariés.
Le salaire brut moyen mensuel de Mme [Y] [P] est de 5'395,62 ~, complété d'une part variable.
Les relations de travail sont régies par les dispositions des accords collectifs nationaux des caisses d'épargne.
LES MOTIFS DE LA COUR :
Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.
Sur la rupture du contrat de travail de Mme [Y] [P] :
La lettre de prise d'acte de rupture de son contrat de travail adressée par Mme [Y] [P] à son employeur le 19 novembre 2007 était rédigée en ces termes :
«je me permets de revenir vers vous car ma situation ne s'est pas clarifiée en dépit de mes nombreuses demandes orales et écrites. En effet tant ma lettre recommandée que mes nombreux mails sont restés sans réponse. Or je dénonçais ma mise à l'écart et le retrait de mes responsabilités en même temps que je demandais que mes responsabilités et mes fonctions managériales me soient immédiatement restituées puisque mon équipe m'a été retirée. Or ces fonctions ne m'ont pas été restituées, je continue être mise à l'écart. Je vous avais expliqué que cette situation était très humiliante et me mettait dans une situation éprouvante et délicate vis-à-vis de mon ancienne équipe. J'avais dénoncé les incidences que cela avait sur mon état de santé et les inquiétudes que cela générait, ce d'autant plus qu'aucune explication ne m'était fournie. Aucune réponse n'est pas plus apportée à ce jour et je ne peux continuer ainsi. M. [S] continue de ne pas m'adresser de dossiers, et les seuls dossiers qui m'ont été adressés l'ont été par des personnes extérieures à la direction du contrôle de gestion Groupe. Les autres dossiers ont été confiés à d'autres membres de l'équipe. Mon agenda est désespérément vide et je n'ai d'ailleurs aucune réunion à venir ni plus aucun sujet à traiter aujourd'hui. J'analyse ce comportement de la société à mon égard et les modifications apportées à mon contrat comme le souhait manifeste de la société de me pousser au départ. J'ai tenté de mettre fin à cette situation en cherchant à discuter avec vous pour comprendre ce que vous vouliez et il m'a été répondu par le silence. Je suppose d'ailleurs que ce silence de la société à mes écrits doit être interprété à la hauteur de l'embarras que vous éprouvez en sachant que vous n'adoptez pas une attitude légale à mon égard, ni même simplement une attitude correcte. Dans ces conditions et alors que mon état de santé se détériore... et que je suis forcée de constater que vous ne souhaitez pas me restituer mes fonctions ni mon équipe, je prends acte à ce jour de la rupture de mon contrat de travail. J'avoue qu'il est très éprouvant d'en arriver à cette extrémité après avoir travaillé près de 13 ans pour la société et m'y être autant investie et ce d'autant plus que je suis seule avec deux enfants à charge...».
La salariée confirmait sa prise d'acte de rupture par courrier du 29 novembre 2007.
Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit dans le cas contraire d'une démission.
L'écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à l'employeur ne fixe pas les limites du litige. Dès lors le juge est tenu d'examiner les manquements de l'employeur invoqué devant lui par le salarié, même si celui-ci ne les a pas mentionnés dans cet écrit.
Le juge du fond peut, pour trancher la question de l'imputabilité de la rupture, se fonder sur des présomptions. La rupture prend effet à la date à laquelle elle a été notifiée.
Devant la cour, la salariée justifie sa prise d'acte de rupture par les griefs invoqués dans cette lettre mais y ajoute le fait que son employeur n'a pas organisé, comme il y était légalement tenu, de visite médicale de reprise lorsqu'elle a rejoint l'entreprise le 5 novembre 2007 après plus de 21 jours d'arrêt maladie.
L'entreprise répond à la salariée qu'ayant décidé de mener à bien une réorganisation elle avait régulièrement informé et consulté le comité d'entreprise au fur et à mesure de l'avancée de son projet, mais avait aussi répondu aux différentes demandes d'entretien de Mme [Y] [P], qui exerçant préalablement une fonction mixte, managériale et d'expertise, devait garder les mêmes compétences à l'issue de cette réorganisation, la dimension managériale de ses fonctions étant précisée comme «opérationnelle» vis-à-vis de l'équipe de quatre personnes qui lui restait rattachée, alors que le management général de la direction était confié à une équipe resserrée de 6 personnes.
Le procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise du 25 septembre 2007 indique, en effet, et de manière éclairante, que selon M. [V], directeur du contrôle de gestion Groupe, seul le directeur, les responsables des quatre pôles, ainsi que le responsable de l'entité «contrôle de gestion des systèmes d'information» relèvent d'une posture de management. Les autres entités mentionnées dans l'organigramme sont des responsables de pôles d'experts.
Or, il n'est pas sérieusement discuté que préalablement à cette réorganisation, Mme [Y] [P] en sa qualité de chef de service, assumait les fonctions de caractère mixte, managérial essentiellement tâches de 'coordination' et d'expertise, animant une équipe de quatre personnes.
Il n'est toutefois pas établi par la salariée que ses fonctions 'managériales' allaient au-delà de l'animation de cette équipe et de l'évaluation de ses membres. Rien ne dit qu'elle avait la maîtrise de la composition de cette équipe, qu'elle procédait elle-même aux recrutements, fixait les niveaux de rémunération, établissait son propre programme de travail, disposait d'un budget etc. Intégré dans une direction, son service dépendait bien évidemment avant tout des objectifs et du programme de travail de cette direction.
En conséquence, il n'est pas non plus établi que la nouvelle organisation qui distinguait plus précisément les fonctions clairement managériales notamment au sens RH du terme, réservées en l'espèce à six personnes au sein de la direction, des fonctions de ' responsables de pôle d'experts', ce qu'était la salariée, avant et après la réorganisation, aient changé de manière substantielle les responsabilités et missions et donc le contrat de travail de Mme [Y] [P].
En conséquence, la rencontre entre M. [S] et les membres de l'équipe de Mme [Y] [P], le 27 septembre au cours de laquelle celui-ci aurait, ce qui n'est d'ailleurs pas clairement établi, re-précisé sa position hiérarchique au plan du management vis-à-vis de ces salariés, n'apparaît pas comme matérialisant une modification substantielle du contrat de travail de Mme [Y] [P].
Le fait que M. [S] ait indiqué ensuite à Mme [Y] [P] qu'il entendait ainsi stimuler une plus grande transversalité et un meilleur partage des réflexions et des travaux, ce, qui précisément ne pouvait être qu'une préoccupation permanente du chef de service qu'elle était à la tête de son équipe, était logique et n'avait pas le caractère humiliant.
Cette situation explique la phrase relevée dans le procès-verbal du comité d'entreprise du 25 septembre 2007 selon laquelle le problème des managers devenant experts ne se posait pas dans la Direction du contrôle de gestion à laquelle appartenait Mme [Y] [P], puisque celle-ci ne passait pas d'une fonction purement managériale à une fonction de seule expertise mais gardait une fonction mixte, comme précédemment, et ceci même si la ligne de partage entre fonctions managériales 'opérationnelles', comme les qualifie l'employeur, et d'expertise pouvait être légèrement modifiée par la nouvelle organisation, les demandes de validation de congés des membres de l'équipe étant par exemple à l'avenir traitées directement par M. [S] n+1 (courrier de la DRH du 7 novembre 2007).
Les allégations de la salariée selon lesquelles son poste était transformé en un simple poste d'expert, sans équipe et donc sans service, elle-même se retrouvant au même niveau que les membres de son équipe, ne sont confortées par aucun élément de preuve.
Au-delà, il n'est pas utilement contesté que les changements décidés ne remettaient pas en cause la qualification, la classification ou la rémunération de Mme [Y] [P]
Il résulte de ces circonstances que, s'il est compréhensible que Mme [Y] [P], dans cette période de réorganisation, et comme certainement de nombreux autres salariés de l'entreprise, ait pu être inquiète du devenir de son poste, pour autant, compte tenu des éléments d'information qui avaient été fournis au comité d'entreprise ainsi qu'à l'intéressée elle-même, rien n'établit que les modifications que cette réorganisation pouvait entraîner vis-à-vis de la salariée dépassaient la seule modification de ses conditions de travail, légitime au regard du pouvoir de direction de l'employeur, et pouvaient en conséquence justifier une prise d'acte de rupture, qui apparaît en réalité précipitée.
Quant au motif invoqué tardivement à l'appui de la prise d'acte de rupture, l'absence d'organisation d'une visite médicale de reprise, après le retour de Mme [Y] [P] le 5 novembre 2007, s'il est exact que cette carence est fautive de la part de l'employeur, la salariée ayant été absente, comme l'établissent les bulletins de salaire et les indemnités journalières versées, plus de 21 jours d'affilée, -carence ouvrant droit, par principe, pour la salariée à l'allocation de dommages et intérêts- pour autant, aucun préjudice immédiat en termes de mise en danger n'étant établi comme en ayant résulté pour la salariée et cet élément n'ayant jamais été invoqué par la salariée avant les débats devant la cour d'appel, ce motif, rattaché artificiellement et tardivement à la prise d'acte de rupture est insuffisant à lui seul pour la légitimer.
Enfin, même s'il a fallu attendre quatre jours après la lettre de prise d'acte de rupture soit le 23 novembre pour que l'employeur écrive clairement à la salariée que sa responsabilité de manager opérationnel ne lui était pas retirée, cette clarification n'a manifestement pas fait changer Mme [Y] [P] de position quant à la rupture de son contrat de travail, en dépit du fait que dans sa lettre du 23 novembre l'employeur écrivait «il n'est aucunement dans notre intention de rompre votre contrat de travail et nous ne comprenons pas votre position. Sachez que nous attendons que vous vous rétablissiez afin de vous rencontrer et vous présenter votre définition de fonction et les missions qui sont attachées. Cette définition vous permettra d'apprécier ce que nous attendons d'un manager opérationnel tant vis-à-vis de ses collaborateurs que de sa hiérarchie».
Au contraire, par courrier du 29 novembre, celle-ci confirme sa prise d'acte.
En conséquence, la cour, rappelant en outre que Mme [Y] [P] a pris ses fonctions pour un nouvel emploi, chez un autre employeur, dès le 1er janvier 2008, dira que la prise d'acte de rupture de la salariée s'analyse comme une démission.
Le licenciement pour faute grave intervenue le 16 janvier 2008 au motif d'abandon de poste depuis le 4 décembre était donc inopérant.
Compte tenu de cette démission, la cour déboutera Mme [Y] [P] de ses demandes consécutives à sa demande de requalification en rupture aux torts de l'employeur.
La démission n'ouvre pas droit au versement de l'indemnité de préavis, ni à l'indemnité conventionnelle de licenciement.
Il n'y a pas lieu d'ordonner la remise d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi rectifiés.
En revanche, il sera accordé à Mme [Y] [P] une somme de 5000 € en réparation du préjudice qui résulte nécessairement d'une absence de visite médicale de reprise, prévue par l'article R.4624-21 du code du travail.
Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral :
L'article L.1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi. Par ailleurs l'article L.1152-1 du même code précise qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.
Le juge doit appréhender les faits dans leur ensemble et rechercher s'ils permettent de présumer l'existence du harcèlement allégué.
Dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, les éléments invoqués par la salariée à l'appui du harcèlement moral qu'elle soutient sont tous rattachés à la modification d'organisation contestée par Mme [Y] [P] et qui ont fondé sa prise d'acte et se sont déroulés dans un laps de temps relativement bref recoupant intégralement la période de mise en oeuvre de la réorganisation de l'entreprise.
Ainsi par exemple la mise à l'écart progressive invoquée par la salariée n'est fondée sur aucun élément objectif, et le fait que son agenda soit vide à partir du 1er octobre 2007, lui est, de manière évidente, tout autant imputable qu'à son employeur, compte tenu de l'autonomie dont elle ne conteste pas qu'elle était la sienne dans le cadre de l'exercice de ses fonctions de chef de service.
D'autre part, l'employeur, même si la salariée a considéré que les réponses qui lui étaient apportées n'étaient pas suffisamment «rassurantes» ou rapides , a répondu aux différentes demandes d'entretien formulées par Mme [Y] [P].
Les tensions ou les désaccords qui ont pu exister à ce moment entre les responsables de la CNCE, qui voulaient mener à bien une réorganisation s'inscrivant dans leur pouvoir de direction, et Mme [Y] [P], qui craignait d'en voir ses fonctions modifiées, ne sauraient dans ce contexte être assimilés à des agissements répétés de harcèlement moral , et ceci, quand bien même, certainement perturbée par cette situation, la salariée s'est trouvée placée, pendant quelques semaines en arrêt de travail.
L'attitude de l'employeur ne caractérise pas une déloyauté dans l'exécution du contrat de travail et ne permet pas de présumer l'existence du harcèlement allégué.
Mme [Y] [P] sera donc également déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur la demande reconventionnelle formulée par la CNCE en remboursement d'un trop-perçu de salaire :
La CNCE, qui a continué à régler les salaires de Mme [Y] [P] jusqu'au18 janvier 2800 réclame à la salariée un trop-perçu , correspondant selon elle :
-au salaire du 20 novembre au 30 novembre 2007, soit 1424,83 €,
- au salaire de décembre 2007, soit 7'348,65 €,
- au salaire du 1er au 18 janvier 2800 soit 3160,06 €,
soit un total de 12'033,54 € dont elle déduit un remboursement de trop-perçu réglé par la salariée de 2405,72 €.
L'employeur indique qu'il avait estimé que la prise d'acte de rupture du 19 novembre 2007 n'avait produit aucun effet dans la mesure où la CNCE n'avait commis aucun manquement susceptible de la justifier.
Il soutient que le salaire du mois de janvier n'était pas dû dans la mesure où celle-ci l'a travaillé pour un nouvel employeur, AXA, à partir du 1er janvier.
La salariée relève toutefois à juste titre, que ce n'est que par courrier recommandé du 13 mars 2008 que l'employeur lui a adressé une lettre antidatée au 18 janvier 2008 comportant son certificat de travail, l'attestation ASSEDIC et le bulletin de paie et de janvier 2008.
Or, dans ce courrier la société indiquait « votre bulletin de solde de tout compte fait apparaître un solde négatif de 2405,72 €. Ce montant s'explique par le paiement à tort sur décembre 2007 d'absences injustifiées non payées . Nous avons donc régularisé ces absences injustifiées non payées sur paie de janvier 2008. Il vous appartient d'établir un chèque de 2405,72 € à l'ordre de la CNCE à réception de ce courrier et de nous retourner le reçu pour solde de tout compte».
Il est constant que Mme [Y] [P] a réglé cette somme par chèque encaissé en date du 29 mai 2008, et que l'employeur n'a formulé cette nouvelle demande de 9'627,28 € qu'à la veille de l'audience devant le conseil de prud'hommes le 18 novembre 2008.
Or la cour considère qu'en janvier 2008 l'employeur ne pouvait avoir de doute sur la rupture du contrat de travail à la suite de la prise d'acte de rupture du 19 novembre 2007, confirmée par la salariée le 29 novembre, Mme [Y] [P] n'étant pas venue reprendre son travail depuis lors.
En conséquence, c'est en toute connaissance de cause que l'employeur a dressé puis expédié à la salariée, par lettre datée du 18 janvier 2008, mais envoyée seulement le 13 mars 2008, un solde de tout compte limitant le trop-perçu par Mme [Y] [P] à la somme de 2405,72 €, qu'elle justifie avoir réglée.
Les pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande de trop-perçu devant la cour ne justifient pas du montant de la somme réclamée, les bulletins de paie et l'attestation ASSEDIC ne faisant pas apparaître de salaires pour la période postérieure à la prise d'acte, à l'exception du paiement du 13e mois et de l'indemnité de congés payés dus à la salariée.
En tout état de cause, la cour considère que toute somme versée par l'employeur et non reprise dans le solde de tout compte établi par ses soins doit être considérée comme une libéralité.
La CNCE sera donc déboutée de sa demande.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive :
La demande de qualification par la salariée de sa prise d'acte de rupture imputable à l'employeur, dans ce contexte, indéniable, de réorganisation de l'entreprise ne correspond qu'à l'exercice normal de son droit d'ester en justice et ne saurait être assimilée à une procédure abusive.
La CNCE sera déboutée de sa demande.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :
La Cour considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il apparaît inéquitable de faire supporter par Mme [Y] [P] la totalité des frais de procédure qu'elle a été contrainte d'exposer. Il sera donc alloué une somme de 2000 €, pour l'ensemble de la procédure .
PAR CES MOTIFS,
En conséquence, la Cour,
Confirme la décision du Conseil de prud'hommes en ce qu'il a dit que la prise d'acte de rupture s'analysait comme une démission et débouté la salariée des demandes consécutives à sa demande de requalification de cette prise d'acte en rupture aux torts de l'employeur,
Constate que l'employeur n'a pas organisé de visite médicale de reprise, en infraction à l'article R.4624-21 du code du travail,
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Condamne la CNCE à payer à Mme [Y] [P] :
- 5000€ de dommages et intérêts pour absence de visite médicale de reprise
somme avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
Déboute les parties de leurs demandes complémentaires ou contraires.
Condamne la CNCE à régler à Mme [Y] [P] la somme de 2000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure
Condamne la CNCE aux dépens de l'instance.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,