Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2- Chambre 1
ARRET DU 24 MAI 2011
(no 177, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 08/ 01605
Décision déférée à la Cour :
jugement du 6 novembre 2007- Tribunal de Grande Instance de CRETEIL-RG no 05/ 07882
APPELANTES
Association CAISSE DE CREDIT MUTUEL BARR ET ENVIRONS agissant en la personne de ses représentants
55 rue de la Kirneck
BP 55
67142 BARR CEDEX
représentée par la SCP MENARD SCELLE MILLET, avoués à la Cour
assistée de Maître Serge PAULUS, avocat au barreau de STRASBOURG
Selarl ORION, avocats au barreau de STRASBOURG
Association CAISSE DE CREDIT MUTUEL SELESTAT-SCHERWILLER agissant en la personne de ses représentants légaux
6 place d'Armes
67600 SELESTAT
représentée par la SCP MENARD SCELLE MILLET, avoués à la Cour
assistée de Maître Serge PAULUS, avocat au barreau de STRASBOURG
Selarl ORION, avocats au barreau de STRASBOURG
INTIME
Maître Albert Y...
...
...
94440 VILLECRESNES
représenté par la SCP ARNAUDY ET BAECHLIN, avoués à la Cour
assisté de Me Barthélemy LACAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E 435
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 785, 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Mars 2011, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposé, devant Monsieur François GRANDPIERRE, Président de chambre, chargé du rapport en présence de Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur François GRANDPIERRE, Président
Madame Brigitte HORBETTE, Conseiller
Madame Dominique GUEGUEN, Conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Noëlle KLEIN
ARRET :
- contradictoire
-rendu publiquement par Monsieur François GRANDPIERRE, président de chambre
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur François GRANDPIERRE, président et par Madame Noëlle KLEIN, greffier à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.
**********
La Cour,
Considérant que, reprochant à M. Albert Y..., notaire, d'avoir omis de procéder à des inscriptions d'hypothèques, la Caisse de crédit mutuel de Barr et environs et la Caisse de crédit mutuel de Sélestat-Scherwiller, prêteurs de deniers, ont saisi le Tribunal de grande instance de Créteil qui, par jugement du 6 novembre 2007, a :
- constaté que M. Y... a commis une faute en omettant d'inscrire l'hypothèque constituée sur le bail emphytéotique conclu entre la société civile immobilière Accès Tov et la ville de Paris,
- constaté le caractère prématuré de la demande d'indemnisation et, par voie de conséquence, rejeté les demandes d'indemnisation présentées par la Caisse de crédit mutuel de Barr et environs et par la Caisse de crédit mutuel de Sélestat-Scherwiller tendant à voir condamner M. Y... à leur payer chacune la somme de 1. 335. 270, 42 euros, non compris les intérêts au taux de 3, 14 % l'an, outre la capitalisation de ces intérêts,
- rejeté les demandes de dommages et intérêts complémentaires,
- débouté les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné M. Y... aux dépens ;
Considérant qu'appelantes de ce jugement, la Caisse de crédit mutuel de Barr et environs et la Caisse de crédit mutuel de Sélestat-Scherwiller, qui approuvent les premiers juges d'avoir retenu la faute du notaire, demandent que M. Y... soit condamné à leur verser chacune la somme de 1. 607. 130, 03 euros, non compris les intérêts au taux de 3, 14 % l'an courant à compter du 15 avril 2010, outre la capitalisation annuelle de ces intérêts ; qu'elles demandent également une somme de 15. 000 euros en réparation du préjudice complémentaire ;
Qu'à l'appui de leur recours et après rappelé les circonstances dans lesquelles M. Y... devait inscrire une hypothèque sur un bail emphytéotique, les appelantes soutiennent que ce notaire a commis une double faute ; que, d'une part, il a manqué à son devoir de conseil en leur demandant deux fois et de façon pressante de débloquer les fonds sans les informer des difficultés rencontrées pour la signature du bail emphytéotique qui conditionnait l'efficacité de l'hypothèque sur le bien financé et en leur adressant un projet d'acte comportant deux modifications substantielles par rapport au projet élaboré par elles, à savoir l'inscription d'hypothèque sur une partie du bail seulement et la mise à disposition des fonds avant l'inscription du bail emphytéotique, cette faute n'ayant pas été retenue par le Tribunal ; que, d'autre part, il a omis de procéder à la publication de l'affectation hypothécaire sur le bail emphytéotique consenti à la S. C. I. Accès Tov par la ville de Paris, leur faisant ainsi perdre, à elles, caisses de crédit mutuel, toutes chances de recouvrer leurs créances sur la S. C. I. Accès Tov ;
Que les deux caisses de crédit mutuel font également valoir qu'il existe un lien causal entre les fautes du notaire et le préjudice qu'elles invoquent dès lors que, malgré leurs diligences et, notamment, leurs déclarations de créances au passif de la S. C. I., qui a été mise en redressement judiciaire, les sommes qu'elles réclament demeurent irrécouvrables de sorte qu'au vu du certificat délivré par M A..., représentant des créanciers, leur préjudice est certain et déterminé ;
Considérant que M. Y... conclut à la confirmation du jugement aux motifs qu'il n'a commis aucune faute à l'occasion du déblocage des fonds dès lors que c'est au su des caisses de crédit mutuel et sans opposition de leur part que le bail emphytéotique a été conclu et que le droit qui en est issu, hypothéqué postérieurement au déblocage des fonds, que le préjudice dont il est demandé réparation ne peut être que celui qui serait consécutif à l'absence d'inscription de l'hypothèque constituée sur le droit d'emphytéose de la S. C. I. Accès Tov et que les caisses de crédit mutuel ne font la preuve, ni du caractère certain de ce préjudice, ni de l'étendue du préjudice allégué puisque sont inconnues les sommes devant revenir aux appelantes sur la réalisation de leur gage hypothécaire pris sur l'immeuble sis rue Ménilmontant et, plus généralement, sur la réalisation des immeubles ;
Qu'à titre subsidiaire, M. Y..., qui ne nie pas la faute consécutive à l'absence d'inscription hypothécaire, fait valoir que le préjudice des deux caisses de crédit mutuel ne saurait excéder, pour chacune d'elles, la somme de 169. 428, 24 euros correspondant seulement à la valeur du droit d'emphytéose ;
En fait :
Considérant que la S. C. I. Accès Tov a été créée pour porter une opération immobilière consistant notamment à construire une école et un centre socio-éducatif sur un terrain appartenant à la ville de Paris, et situé 9, rue Jacques Ibert à Paris, 17ème arrondissement ;
Que, détentrice de 97 % des parts de la S. C. I. Accès Tov, l'association Accès était également majoritaire au sein de la S. C. I. Accès Immobilier et de la S. C. I. Accès Sud-est Immobilier, précédemment créées pour porter des projets de même nature ;
Que la Caisse de crédit mutuel de Barr et environs et la Caisse de crédit mutuel de Sélestat-Scherwiller sont intervenues pour financer l'opération en accordant à la S. C. I. Accès Tov deux prêts de 1. 400. 000 euros chacun en vertu de deux actes reçus le 7 juin 2002 par M. Albert Y..., notaire ;
Que ces deux prêts étaient l'un et l'autre garantis par le nantissement de la totalité des parts sociales de la S. C. I. Accès Tov, le cautionnement solidaire de l'association Accès, le cautionnement solidaire et hypothécaire de la S. C. I. Accès Sud-est Immobilier en deuxième rang sur l'immeuble sis rue Ménilmontant, où elle avait son siège social, et une hypothèque sur un bail emphytéotique conclu entre la S. C. I. Accès Tov et la ville de Paris sur une durée de 99 ans, en premier rang, 9, rue Jacques Ibert à Paris, 17ème arrondissement, avec la précision suivante : « de convention expresse, l'hypothèque devra être constituée en premier rang et sera formalisée dès que les conditions de réalisation du bail seront réunies, en un acte postérieur aux présentes » ;
Que les deux actes d'affectation hypothécaire sur le bail emphytéotique, dressé par acte du 10 décembre 2002, ont été reçus le 29 juillet 2003 par M. Y... ;
Que, par jugement du 9 juillet 2004, le Tribunal de grande instance de Paris a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement de la S. C. I. Accès Tov, de la S. C. I. Accès Immobilier et de la S. C. I. Accès Sud-est Immobilier et de l'association Accès ;
Que, le 6 janvier 2005, M. A..., représentant des créanciers, a contesté le caractère privilégié des créances déclarées par la Caisse de crédit mutuel de Barr et environs et la Caisse de crédit mutuel de Sélestat-Scherwiller à hauteur de 1. 266. 745, 02 euros chacune, en invoquant l'absence d'inscription d'hypothèque sur le bail emphytéotique ;
Que, par lettre du 7 février 2005, M. Y... a reconnu que les inscriptions d'hypothèques sur le bail emphytéotique n'avaient pas été formalisées et qu'il le déclarait à son assureur ;
Que, dans ces circonstances, les deux caisses de crédit mutuel ont saisi le Tribunal de grande instance de Créteil qui, par jugement du 6 novembre 2007, a statué comme il est dit en tête du présent arrêt ;
Sur les fautes reprochées au notaire :
Considérant que, sur le premier grief, les lettres, rédigées en termes identiques et adressées le 23 mai 2002 par M. Y... aux caisses de crédit mutuel, sont conçues ainsi qu'il suit : « Vous voudrez bien me confirmer votre accord pour que l'affectation hypothécaire du bail emphytéotique portant sur le bien sis à Paris, 17ème, 9, rue Jacques Ibert, fasse l'objet d'un acte complémentaire qui sera établi par mes soins dès que les conditions seront réunies pour la signature dudit bail et qu'il aura été effectivement signé » ; que le projet d'acte annexé aux lettres dont il s'agit contient une clause selon laquelle « dans tous les cas, les concours ne seront mis à la disposition de l'emprunteur qu'après la signature du contrat de prêt par les parties, et après matérialisation et prise d'effet des garanties prévues au présent contrat, à l'exception du bail emphytéotique » ; qu'ensuite, un échange de correspondance entre le notaire et les caisses a précisé les dispositions à prendre au sujet des hypothèques à inscrire ;
Qu'au moment du déblocage des fonds, toutes les garanties qui devaient être constituées l'avaient été dans les conditions contractuellement stipulées et ce, alors qu'en toute connaissance de la situation, les caisses ont donné leur accord pour que l'acte d'affectation hypothécaire portant sur le bail emphytéotique fût dressé à une date ultérieure ;
Que le bail emphytéotique a effectivement été conclu le 10 décembre 2002 de sorte que, comme l'ont décidé les premiers juges en de plus amples motifs qu'il échet d'approuver, il ne saurait être reproché au notaire d'avoir précipité le déblocage des fonds et que la seule difficulté survenue en l'espèce est née de l'absence d'inscription d'hypothèque sur le droit d'emphytéose ;
Considérant qu'en cause d'appel, comme en première instance, M. Y... reconnaît le grief qui lui est fait de n'avoir pas inscrit en temps utile les hypothèques constituées sur le bail emphytéotique de sorte que ces sûretés étaient inefficaces à la suite de la procédure collective ouverte à l'égard de la S. C. I. Accès Tov, étant précisé que les hypothèques étaient constituées, non pas sur la totalité de l'assiette du bail, mais sur une fraction de celle-ci ;
Qu'en conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce que le Tribunal a constaté que M. Y... a commis une faute en omettant d'inscrire l'hypothèque constituée sur le bail emphytéotique conclu entre la société civile immobilière Accès Tov et la ville de Paris ;
Sur la réparation du préjudice :
Considérant que, comme le soutient M. Y..., les caisses de crédit mutuel ne démontrent pas que, si les inscriptions avaient été constituées à leur profit, elles auraient, de façon certaine, été payées de la totalité de leurs créances dès lors que, même si les dispositions de l'article L. 621-96 du Code de commerce prévoient que la charge des sûretés est transmise au cessionnaire, rien n'établit qu'en l'espèce, la S. C. I. Renouveau aurait repris les actifs de la S. C. I. Accès Tov aux conditions qu'elle a offertes ;
Qu'il suit de là que les caisses de crédit mutuel sont fondées à se plaindre, non pas d'un préjudice financier égal aux sommes qui ne leur ont pas été remboursées, mais d'une perte de chance ;
Considérant que, dans le dernier état de leurs écritures, les appelantes ont reconnu avoir perçu, chacune la somme de 165. 019, 76 euros ; que, toutefois, rien n'établit qu'aucune autre somme ne leur reviendra ;
Que, même si la responsabilité du notaire n'est pas subsidiaire, il importe de connaître les sommes versées ou à verser aux deux caisses de crédit mutuel avant d'évaluer la perte de chance subie ;
Qu'en conséquence, il convient d'inviter les caisses de crédit mutuel de Barr et environs et de Sélestat-Scherwiller à produire un état de collocation et tous autres documents faisant apparaître les sommes qu'elles ont perçues ;
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu le par le Tribunal de grande instance de Créteil en ce qu'il a constaté que M. Albert Y... a commis une faute en omettant d'inscrire l'hypothèque constituée sur le bail emphytéotique conclu entre la société civile immobilière Accès Tov et la ville de Paris ;
L'infirme pour le surplus et faisant droit à nouveau :
Avant dire droit sur la réparation du préjudice subi par la Caisse de crédit mutuel de Barr et environs et par la Caisse de crédit mutuel de Sélestat-Scherwiller :
Invite les caisses de crédit mutuel de Barr et environs et de Sélestat-Scherwiller à produire un état de collocation et tous autres documents faisant apparaître les sommes qu'elles ont perçues à la suite de la procédure collective ouverte à l'égard de la S. C. I. Accès Tov ;
Ordonne qu'elles devront produire ces pièces et, le cas échéant, conclure avant le 13 septembre 2011 ;
Dit que M. Y... pourra répliquer avant le 15 novembre 2011 ;
Renvoie l'affaire à l'audience du 6 décembre 2011 ;
Réserve les dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT