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05/05/2011 | FRANCE | N°09/07953

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 05 mai 2011, 09/07953


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8



ARRET DU 05 Mai 2011

(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/07953 - MAC



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Mai 2009 par le conseil de prud'hommes de VILLENEUVE-SAINT-GEORGES section encadrement RG n° 07/00598



APPELANT



1° - Monsieur [R] [J]

[Adresse 2]

[Localité 3]

comparant en personne, assisté de Me Emmanuel MAUG

ER, avocat au barreau de PARIS, toque : E0706



INTIMEE



2° - SARL TORRASPAPEL

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Sophie LESIEUR CAZAVAN, avocat au barreau de PARIS...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRET DU 05 Mai 2011

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/07953 - MAC

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 18 Mai 2009 par le conseil de prud'hommes de VILLENEUVE-SAINT-GEORGES section encadrement RG n° 07/00598

APPELANT

1° - Monsieur [R] [J]

[Adresse 2]

[Localité 3]

comparant en personne, assisté de Me Emmanuel MAUGER, avocat au barreau de PARIS, toque : E0706

INTIMEE

2° - SARL TORRASPAPEL

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Sophie LESIEUR CAZAVAN, avocat au barreau de PARIS, toque : E 1092

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 22 Mars 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère, chargée d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente

Mme Irène LEBE, Conseillère

Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère

Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE, présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE :

M. [J] a été engagé suivant un contrat durée indéterminé du 24 mars 2003, par la SARL Torraspapel France en qualité de directeur de région, statut cadre, position III, classe A2 coefficient 400.

La convention collective applicable est la convention nationale de la distribution et du commerce de gros des papiers cartons.

Le contrat de travail prévoit une rémunération mensuelle brute composée d'une partie fixe, sur 13 mois et d'une partie variable, constituée par un intéressement dépendant de différents paramètres.

Il est également stipulé que compte tenu de son statut de cadre autonome, M. [J] est soumis à une convention de forfait annuel de 217 jours.

Le 19 décembre 2005, M. [J] a été élu suppléant pour le collège de la DUP de la société puis a été désigné quelques mois plus tard comme délégué syndical au titre de la confédération française de l'encadrement au sein de la société.

En décembre 2007, dans le cadre d'une réorganisation, la fonction de directeur de région a disparu pour être remplacée par une nouvelle fonction d'attaché de direction, avec de nouveaux déploiements territoriaux, de nouvelles missions de développement des ventes.

À défaut d'avoir obtenu des réponses aux questions qu'il a alors posées à son employeur, M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Villeneuve-Saint-Georges afin de se voir allouer un rappel de salaire sur l'exercice 2007, une indemnité pour discrimination syndicale à hauteur de 50 000 €, une indemnité pour harcèlement moral à hauteur de 40'000 € et une indemnité au titre des frais de procédure.

Par un jugement du 18 mai 2009, le conseil de prud'hommes de Villeneuve-Saint-Georges a condamné la SARL Torraspapel France à verser à M. [J] la somme de 1 € à titre d'indemnité pour harcèlement moral et une indemnité de 1500 € pour les frais exposés en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le conseil de prud'hommes a débouté les parties du surplus de leurs demandes.

M. [J] a relevé appel du jugement.

Dans des conclusions déposées et soutenues lors des débats, M. [J] demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société pour harcèlement moral mais de l'infirmer en ce qui concerne les demandes de rappel de salaires et de dommages-intérêts pour discrimination syndicale.

Il demande à voir fixer sa rémunération mensuelle à la somme de 3690 € et la condamnation de la SARL Torraspapel France à lui verser les sommes suivantes :

- 34'489 € au titre d'un rappel de salaire de 2003 à 2010,

- 3448,90 € au titre des congés payés afférents,

- 1805 € au titre du rappel de salaires sur l'exercice 2004,

- 180,50 € au titre des congés payés afférents,

- 1805 € au titre d'un rappel de salaires sur l'exercice 2005,

- 180,50 € au titre des congés payés sur appel de salaires,

- 1805 € à titre de rappel de salaire sur l'exercice 2006,

- 180,50 € au titre des congés payés afférents,

- 2575,60 € au titre d'un rappel de salaires sur l'exercice 2007,

- 257,56 € au titre des congés payés afférents,

- 50'000 € à titre d'indemnité pour discrimination syndicale,

- 16'043,10 € au titre d'un rappel de salaire pour 45 jours de forfait jours 2009,

- 1604,61 € au titre des congés payés afférents,

- 19'567,53 € au titre d'un rappel de salaire pour 57 jours forfait jours 2010

- 1956,75 € au titre des congés payés afférents,

- 2800,59 € au titre d'un rappel de salaire sur part variable,

- 280 € au titre des congés payés afférents,

- 22'865,19 € au titre d'un rappel de primes de 14ème mois,

- 11'177,12 € au titre de l'indemnité pour occupation professionnelle du domicile privé,

- 2000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Aux termes d'écritures reprises et développées lors de l'audience, la SARL Torraspapel France demande à titre préliminaire que soient déclarées irrecevables les prétentions nouvelles formulées par M. [J] conformément aux dispositions de l'article 564 du code de procédure civile.

En tout état de cause, la société conclut au débouté de M. [J] de l'intégralité de ses demandes et réclame une indemnité de 1500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est expressément renvoyé au jugement, aux conclusions respectives des parties visées par le greffier lors de l'audience pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens développés.

MOTIFS :

Sur le moyen tiré de l'irrecevabilité des demandes nouvelles :

Se fondant sur les dispositions de l'article 564 du code de procédure civile selon lesquelles les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait, la SARL Torraspapel France soulève l'irrecevabilité de toutes les demandes nouvelles, dès lors qu'elles n'avaient pas été formulées devant le conseil de prud'hommes.

Toutefois, l'article R.1452-7 du code du travail dispose que les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel.

Il en résulte que les demandes nouvelles formulées par le salarié découlant toutes du contrat de travail, sont recevables.

Le moyen tiré de l'irrecevabilité des demandes nouvelles est inopérant.

Sur le rappel des salaires et des congés payés afférents :

D'après les écritures et les explications fournies à l'audience, M. [J] formule des demandes de rappels de salaire sur deux bases distinctes.

En premier lieu, il fait valoir que l'employeur lui avait garanti un revenu annuel de 71'000 € lors de son embauche en 2003, constitué d'un revenu de 3000 € par mois sur 13 mois et d'un intéressement garanti de 2667 € sur 12 mois soit 32'000 €, que par les propositions formulées aux termes de l'avenant pour l'année 2004, qu'il n'a pas signé, sa rémunération devait être constituée d'un revenu brut mensuel de 3295 € sur 13 mois et d'un intéressement de l'ordre de 2197 € soit 26'360 €. Sa rémunération totale devait donc, malgré l'augmentation de la rémunération fixe, diminuer de 2,54% ce qui correspondait à un manque à gagner de 1805 €, somme qu'il demande donc pour chacune des années 2004, 2005, 2006 , majorée des congés payés afférents.

Pour l'année 2007, il réclame la somme de 2575,60 € après avoir fait observer que les augmentations de salaires pour les autres cadres avaient été de l'ordre de 2,3% alors que lui-même a vu l'augmentation qui lui a été appliquée limitée à 0,5%.

Il sera fait observer que la demande correspond à une perte théorique au regard de la garantie de salaire dont M [J] entend se prévaloir et n'est pas en relation directe avec les rémunérations effectivement perçues par lui au cours de cette période. En effet, les rémunérations effectives ont été les suivantes :

- 65'220 € pour 2004,

- 63'558 € pour 2005,

- 68'809 €pour 2006,

- 62'809 € pour 2007.

Toutefois, selon le contrat de travail signé le 24 mars 2003 par les deux parties et par M [J] en particulier, il est stipulé aux termes de l'article 6 que la rémunération que percevra M [J] sera indépendante du nombre d'heures réellement effectuées, qu'il recevra un salaire mensuel fixe de 3000 € sur treize mois... pour une durée annuelle de travail de 217 jours, et un intéressement dont les modalités figurent en annexe III du contrat, revu tous les ans, au plus tard le 30 mars.

Il est précisé qu'un intéressement de 2667 € par mois lui sera garanti pendant les 12 premiers mois d'exécution du contrat de travail....

Un avenant en date du 16 février 2004 lui a été proposé. Il était prévu que la base de l'intéressement 2004 serait de 26 360 € et que le salaire mensuel brut s'élèverait à 3295 € au 1 avril 2004.

En toute hypothèse, M [J] a accepté contractuellement que l'intéressement correspondant à 2667 € par mois n'était garanti que pendant les 12 premiers mois d'exécution du contrat de travail.

Il ne peut en conséquence se prévaloir de cette disposition pour formuler une demande de rappel de salaire sur cette base étant relevé qu'aucune demande n'est formulée au titre des sommes qu'il a effectivement perçues sur la base de l'annexe III qui fixait les paramètres de l'intéressement.

M [J] sollicite également un rappel de salaire, en application du principe 'à travail égal, salaire égal', par comparaison avec la rémunération de M. [H], directeur de région, embauché comme lui en 2003 au niveau III coefficient 400 exerçant les mêmes fonctions, mais disposant d'une rémunération fixe de 3690 € par mois, alors que sa propre rémunération s'élève à 3311 € brut, soit une différence de 379 € par mois.

Il évalue sur ce fondement le rappel de salaire à la somme de 34'489 € correspondant à la différence de traitement de 379 € sur 13 mois , soit 4427 € pendant sept ans soit de 2003 à 2010.

Tout employeur est tenu d'assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération.

Sont considérés comme ayant une valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.

En application de l'article 1315 du Code civil, s'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe 'à travail égal, salaire égal' de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence.

La SARL Torraspapel France comptait quatre directeurs de régions, deux d'entre eux présentant des positions comparables à celle de M [J]. En effet M. [H] avait été embauché en 2003, au niveau III coefficient 400, M. [S] avait aussi été embauché en 2003, au même niveau III , au même coefficient 400 et à l'indice A2. Or les deux autres directeurs ont bénéficié d'augmentations de rémunération de 2,3% en 2007, alors que M [J] a vu l'augmentation de sa rémunération limitée à 0,5%.

Après avoir fait observer que la fiche de paie ne fait pas ressortir les indemnités journalières de sécurité sociale perçues et que les frais professionnels viennent en déduction du montant brut annuel et ne sont pas comptabilisés dans le montant brut annuel de la fiche de paie, l'employeur soutient que la rémunération totale des directeurs de région diffère compte-tenu de la configuration des régions qui n'ont pas la même valeur commerciale, que la rémunération fixe de M. [J], entre 2003 et 2008 a augmenté de façon sensible alors que sa région détient la plus faible performance en matière de tonnage, que la base de l'intéressement n'a pas diminué mais a été redéfinie annuellement au niveau de chaque paramètre de sorte que la rémunération variable de chacun des directeurs pouvait être amenée à évoluer avec une amplitude différente selon les performances de chacun.

S'agissant du salaire fixe, selon les chiffres produits, il apparaît que les rémunérations de M. [H], directeur de région ouest, de M. [S] et de M. [J], tous trois embauchés en 2003 ont évolué de la manière suivante :

M. [H]

M. [S]

M.[J]

janvier 2003

3000 €

juillet 2003

3295 €

3000 €

janvier 2004

3427,23 €

3295 €

3000 €

janvier 2005

3512 €

3377,38 €

3295 €

janvier 2006

3600,73 €

3377,38 €

3295 €

Janvier 2007

3690,75 €

3462,15 €

3311,48 €

Il est constant qu'au regard des différences entre les régions et les résultats de chacun des directeurs, la part variable de la rémunération peut être différente.

En revanche, s'agissant de la rémunération fixe, attribuée à des directeurs de régions exerçant des travaux d'égale valeur, les comparaisons ressortant du tableau ci dessus reproduit, confirment la réalité d'une différence de rémunération fixe entre ces trois directeurs de régions, tous les trois embauchés en 2003, au même niveau et au même échelon.

Compte tenu de ces disparités, la rémunération brute de M [J] à compter de 2007 sera fixée par référence à celle de M [S] en raison de la similitude de leur situation professionnelle, étant précisé que pour l'année 2004, à compter du 1 avril 2004 leur rémunération était identique.

Le salaire brut de M [J] sera en conséquence arrêté à la somme de 3462,15 € par mois à compter du 1 janvier 2007.

Un rappel de salaire lui est dû et sera arrêté à la somme suivante :

(3377,38 - 3295 = 82,38 x 13) x 2 + (3462,17 - 3311,48 = 150,67 x 13) x 4 = 9976,72 €.

Dans ces conditions pour la période antérieure jusqu' à fin 2010 le rappel de salaire au titre de la rémunération brute dû est fixé à la somme de 9976,72 €.

Sur le harcèlement moral et sur la discrimination syndicale :

M. [J] soutient avoir été victime tout à la fois de harcèlement moral et d'une discrimination syndicale, ce que conteste l'employeur qui estime que la démarche de M. [J] consiste à soutenir : 'je suis harcelé moralement car je suis délégué syndical' ou 'je suis délégué syndical donc je suis harcelé'.

Sur la demande relative à un harcèlement;

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1154-1 du même code, en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [J] soutient que la société, par l'action concertée de Messieurs [M] et [U] son supérieur hiérarchique direct, n'a eu de cesse le harceler.

Il communique un courriel aux termes duquel il lui a été reproché de n'avoir pas formulé de demande d'absence à une réunion mensuelle prévue le 10 février 2006, alors que bénéficiant d'un forfait jours, il n'avait pas à formuler de demande d'autorisation pour se rendre à un rendez-vous indépendant de l'entreprise.

Il verse également une lettre du 9 mars 2006 que son employeur lui a adressée en recommandé, faisant état de l'organisation d'une vente de bouteilles de vin au cours des mois de janvier et mars 2006 via le site Internet de la société, à l'intention des salariés de l'entreprise, le sommant de s'expliquer par écrit sur les faits faisant état des risques pour la société d'une vente de vin sans que des taxes aient été préalablement réglées.

Cette lettre a été adressée en copie au comité d'entreprise.

Dans une lettre du 28 avril 2006, répondant ainsi à la sommation qui lui avait été faite, M. [J] expliquait avoir poursuivi en toute bonne foi une pratique mise en place par M. [E] sans aucune désapprobation de la direction.

Le 9 mai 2006, l'employeur répondait qu'il n'était pas dans son intention d'empêcher le comité d'entreprise de faire bénéficier le personnel d'avantages mais qu'il était de son devoir de réagir lorsque la mise à disposition de ces avantages comportait un risque pour la société, ce à quoi M. [J] rétorquait le 22 mai 2006 que le seul débiteur des taxes sur le vin était l'exploitant, que par suite son employeur ne pouvait être inquiété.

Pour établir encore des faits laissant présumer l'existence d'un harcèlement à son égard M. [J] communique aux débats une nouvelle lettre recommandée que lui a adressée son employeur le 22 novembre 2006 lui reprochant l'organisation de vols en avion, les 4 et 28 septembre 2006 alors qu'une note à l'attention du personnel en date du 13 septembre 2006 subordonnait l'utilisation à titre exceptionnel du mode de transport en avion à l'accord express du directeur des ventes. Dans cette lettre, l'employeur exigeait le remboursement de ces deux débits et relevait une insubordination caractérisée de M [J].

Dans une réponse détaillée du 1er décembre 2006, M. [J] exposait avoir informé son supérieur hiérarchique M. [U] de l'utilisation de ce mode de transport sans que celui-ci eut exprimé une réserve, qu'au surplus ce mode de transport s'avérait d'un coût inférieur à celui de la SNCF.

Dans une lettre du 8 décembre 2006, l'employeur faisait remarquer à M. [J] que tout déplacement en avion était subordonné à un accord express donc préalable de sa part, qu'il maintenait que la conduite du salarié s'apparentait à de l'insubordination caractérisée.

M. [J] communique également une lettre du 23 août 2007, adressée en recommandé aux termes de laquelle l'employeur faisait état de ce que l'article 7 du contrat de travail prévoyait un remboursement sur les frais de restauration limité à 13 € par repas sur justificatifs, ensuite porté à 15 €. Il était demandé au salarié de s'expliquer sur les achats du 31 mai 2007 d'un montant de 13,37 € réglés avec une carte affaire dans le magasin LIDL et comptabilisée en déjeuner dont les produits divers notamment une bouteille de vin 'Margaux' avaient coûté 8,99 €.

Ces divers éléments sont de nature à étayer l'existence d'agissements répétés de la part de l'employeur s'apparentant à du harcèlement moral.

L'employeur ne peut utilement soutenir qu'il n'a par ses divers courriers que rappelé à son salarié les instructions s'imposant à tous.

En effet, le caractère mesquin de certains de ces rappels et l'insistance avec laquelle était invoquée une insubordination caractérisée de la part de M. [J] alors qu'il ressortait des explications fournies que l'entreprise n'avait pas eu à pâtir des évènements relevés caractérisent les agissements répétés de nature à avoir un retentissement sur l'état psychologique du salarié. Des certificats médicaux du 6 avril 2007 du 1er juillet 2008 font notamment état de troubles anxieux dépressifs, de souffrances mentales.

C'est donc par une juste appréciation des éléments qui lui étaient soumis que le conseil des prud'hommes a considéré que M. [J] était fondé à évoquer un harcèlement moral à son égard.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la discrimination syndicale :

Aux termes de l'article L.1132-1du Code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou, sauf inaptitude constatée par le médecin du travail, en raison de son état de santé ou de son handicap.

Selon l'article L.1134-1 du Code du travail, en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Au soutien de sa demande de dommages-intérêts pour discrimination syndicale, M. [J] considère que ses activités syndicales ont déterminé l'employeur à ne pas lui octroyer le même salaire fixe qu'à M. [H], ainsi que cela a été précédemment relevé.

Il fait également état de ce qu' à l'origine de la difficulté relationnelle existante entre lui-même et son employeur se trouve être le problème des négociations annuelles obligatoires auxquelles la société doit se soumettre et dont elle s'exonérait délibérément jusqu'à ce qu'il soit nommé délégué syndical et contraigne la société à respecter la loi.

Il fait état de plusieurs faits caractérisant selon lui une discrimination syndicale.

Certains de ces faits de nature à étayer l'existence d'une telle discrimination sont établis par les pièces communiquées.

Ainsi, le 14 avril 2008 à l'issue de la réunion DUP, M. [M] a t il indiqué dans le procès-verbal de réunion obligatoirement rendu public que 'les différentes conjonctures économiques font que les salaires connaissent des baisses importantes dans les mauvais mois, le directeur général prévoit un lissage des salaires sur chaque trimestre afin de niveler ces fluctuations. Toutes ces réformes seront l'objet de réunions entre le directeur général et le délégué syndical (M [Z]) pour l'élaboration des nouveaux contrats'.

Par ce procès verbal , M. [J] retient avec pertinence qu'il était exclu de cette négociation, l'employeur n'ayant cité que le seul M. [Z].

M [J] constate également que la société a tenté de le mettre en cause lors de la négociation du paiement d'une prime de 14e mois au bénéfice des commerciaux de terrain, dès lors que la direction l'a présenté comme étant le responsable de l'absence d'augmentation générale et en particulier de la dénonciation de l'usage sur la prime de fin d'année, l'amenant à devoir se justifier auprès de son électorat, ce qui est justifié par les échanges de courriels produits et dans lesquels la direction met en cause M [J].

Par ailleurs, il résulte des termes mêmes d'une lettre que la société a adressée à M [J] en réponse à des demandes précises de sa part qu'il n'était pas question d'adapter ses objectifs à ses mandats, dès lors qu'une telle adaptation aurait selon l'employeur créé les conditions d'une discrimination au détriment des autres salariés.

Il est établi aussi qu'une société détenue par les mêmes dirigeants a pu proposer aux clients de M [J], des produits identiques à des prix inférieurs à ceux qu'il avait le droit de pratiquer ce qui pouvait impacter sa rémunération variable.

Enfin, M [J] relève avoir été le seul à ne pas se voir appliquer la réglementation interne de renouvellement du véhicule, celui-ci étant intervenu avec 15 mois de retard, ainsi que cela ressort des documents produits alors même que l'employeur avait été informé que, souffrant d'une lombosciatique, un véhicule équipé d'un régulateur de vitesse était recommandé pour lui.

Il est vain pour l'employeur de soutenir notamment qu'adapter les objectifs demandés au salarié investi d'un mandat syndical reviendrait à créer une discrimination au détriment des autres salariés alors que l'exercice de mandats de représentants du personnel et syndicaux s'impose à l'entreprise elle-même qui doit consentir au salarié des heures de délégation prévues par la loi et impacte nécessairement l'activité strictement professionnelle du détenteur de mandat. Ce faisant, en ne tenant pas compte du temps qu'un tel salarié doit consacrer à ses activités syndicales ou de représentant du personnel, l'employeur entrave cette action et contrevient aux exigences légales pré-citées.

La réalité de la discrimination syndicale est amplement établie par les éléments communiqués et sans que l'employeur ne justifie par des observations pertinentes et objectives les agissements discriminatoires relevés. Le principe de l'indemnisation du préjudice en résultant est acquis.

La cour fixe à la somme de 30 000 € le montant de l'indemnisation à revenir au salarié à ce titre.

Sur la demande de rappel de prime variable :

Pour le calcul de sa prime variable, M [J] considère que les objectifs assignés devaient être déterminés par l'employeur en tenant compte de ses mandats de représentation du personnel afin de n'avoir aucune incidence défavorable sur la rémunération variable.

Il communique un document dans lequel il évalue à la somme de 2 800,59 € le rappel de salaire dû sur la part variable de sa rémunération pour l'année 2010 au regard des incidences sur la réalisation des objectifs de l'exécution de ses mandats.

Toutefois, il résulte des écritures mêmes de M [J] qu'il demande aussi un rappel de salaires qui sera analysé ultérieurement pour dépassement du forfait jours pour l'année 2010 notamment au motif que pour réaliser les objectifs qui lui avaient été assignés, il avait travaillé au delà du forfait jours.

Ses demandes portent en elles mêmes des contradictions et les documents qu'il produit au soutien de sa prétention à cet égard ne permettent pas à la cour de retenir une perte de prime pour objectifs irréalisables en 2010.

Sur la demande relative au rappel de salaire pour dépassement d'une convention de forfait jours pour les années 2009 et 2010 :

L'article L3121-45 du code du travail précise que le salarié, soumis à une convention de forfait-jours, peut, s'il le souhaite, en accord avec son employeur, renoncer à une partie de ses jours de repos en contrepartie d'une majoration de son salaire. L'accord entre le salarié et l'employeur est établi par écrit.

Le nombre de jours travaillés dans l'année ne peut excéder un nombre maximal fixé par l'accord (collectif) prévu à l'article L.3121-39 du code du travail. À défaut d'accord collectif sur ce point, ce nombre maximal est de 235 jours.

En l'espèce, aucun accord contractuel entre le salarié et l'employeur sur le principe même d' un dépassement du forfait jours n'a été établi par écrit.

M [J] ne peut en conséquence voir prospérer une demande de rappel de salaires pour dépassement du forfait jours.

Par ailleurs, l'article L.3121-47 du même code précise que lorsqu'un salarié ayant conclu une convention de forfait en jours perçoit une rémunération manifestement sans rapport avec les sujétions qui lui sont imposées, il peut, nonobstant toute clause contraire, conventionnelle, contractuelle, saisir le juge afin que lui soit allouée une indemnité calculée en fonction du préjudice subi, eu égard notamment au niveau du salaire pratiqué correspondant à sa qualification.

Il en ressort qu'en cas de dépassement de la convention de forfait jours, sans l'accord écrit de principe de l'employeur, le salarié ne peut prétendre à un rappel de salaires et aux congés payés afférents pour les journées au cours desquelles il aurait travaillé au delà du forfait-jours ainsi que le demande M [J] mais à une indemnisation pour le préjudice en résultant.

Compte tenu du fondement invoqué, M [J] est irrecevable en sa demande de rappel de salaire et de congés payés.

Sur la demande de rappel de prime de 14ème mois :

M [J] fait observer qu'une prime 'dite de 14ème mois' est versée à tous les salariés cadres et non cadres saufs aux commerciaux de terrain.

Considérant que la seule différence de catégorie professionnelle ne saurait en elle-même justifier pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre salariés placés dans une situation identique au regard dudit avantage, M. [J] réclame un rappel de salaire correspondant à 22'865,19 € à ce titre

L'employeur conclut au rejet de cette demande estimant être autorisé à verser une prime ou une gratification particulière à une seule catégorie de salariés se trouvant dans une situation identique, exerçant une même fonction, ayant les mêmes capacités pour les accomplir. Il confirme que la prime en cause est versée à une catégorie de salariés exerçant une activité bien particulière dans la société c'est-à-dire occupant des postes sédentaires de secrétariat, de technicien informatique... et cela pour compenser, pour ces catégories de salariés, une inégalité de traitement par rapport aux commerciaux bénéficiant d'une rémunération variable et par suite de la possibilité d'augmenter leur rémunération sur la part des intéressements versés sur les ventes réalisées.

L'employeur fait observer que depuis la fusion-absorption du groupe, cette prime a été incluse dans les salaires, pour les personnels concernés, qu'elle ne peut en aucun cas être allouée pour l'année 2010, et en tant que de besoin, invoque la prescription quinquennale.

La différence de catégorie professionnelle ne saurait en effet en elle-même justifier, pour l'attribution d'un avantage, une différence de traitement entre les salariés placés dans une situation identique au regard du dit avantage, cette différence devant reposer sur des raisons objectives dont le juge contrôle la réalité et la pertinence.

Il ressort des pièces produites que cet avantage a été effectivement réservé aux personnels sédentaires de l'entreprise dès lors que ceux-ci ne peuvent voir leur rémunération évoluer à raison des intéressements en lien avec l'importance des ventes réalisées. Fondée dès lors sur un critère objectif, cet avantage était licite.

Il convient dans ces conditions de débouter M. [J] de sa demande à ce titre.

Sur la demande d'indemnité pour occupation professionnelle du domicile privé :

Considérant que l'employeur doit l'indemniser de la sujétion particulière et des frais engendrés par l'occupation à titre professionnel de son domicile dès lors qu'il est tenu de travailler à son domicile, d'y installer ses dossiers et ses instruments de travail, M. [J] réclame une indemnité de 11'177,12 € à ce titre.

Il fait notamment valoir qu'il ne dispose d'aucun bureau, qu'il avait installé chez lui le matériel et les moyens de communication destinés à l'exécution de ses missions, à savoir, ordinateur, imprimante, ligne téléphonique spéciale, télécopieur, documentation, stockage des dossiers et de documentation client, mobilier de bureau... qu'il travaille chez lui chacun lundi et chaque vendredi ainsi que tous les soirs au minimum à raison d'une heure pour actualiser les données de l'ordinateur, lire ses courriels, y répondre, modifier les prix des clients, faire remonter des informations aux différents services du siège... Il évalue à trois jours par semaine l'utilisation d'une partie de son domicile à des fins purement professionnelles.

Il ressort d'un compte rendu de réunion des délégués du personnel du 11 juin 2010 que la direction avait proposé de mettre à disposition des commerciaux exerçant hors Île-de-France, un local loué avec ligne téléphonique et accès Internet. Au cours de cette même réunion, la direction a tenu à rappeler qu'elle n'avait jamais imposé l'installation d'une ligne téléphonique au domicile des commerciaux et leur avait proposé de leur mettre à disposition et dans ce cas de prendre en charge les frais d'installation et de fonctionnement d'une telle ligne. Elle précise qu'à compter du 31 juillet 2010, ces lignes téléphoniques spécifiques devaient être supprimées dès lors que des moyens modernes permettaient de garantir l'accès à l'information nécessaire à l'activité commerciale sans passer par de telles lignes.

L'employeur verse également les courriels de M. [H] et de M. [F] qui tous deux refusent de s'associer à la revendication du délégué du personnel concernant la 'demande d'indemnisation de bureau à domicile'.

L'occupation à la demande de l'employeur de domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée de celui-ci contraire aux dispositions de l'article 1121-1 du Code du travail et n'entre pas dans l'économie générale du contrat de travail. Dans ces conditions, si le salarié, qui n'est tenu ni d'accepter de travailler à son domicile, ni d'y installer ses dossiers, ses instruments de travail, accède à la demande de l'employeur, ce dernier doit l'indemniser de cette sujétion particulière ainsi que des frais engendrés par l'occupation à titre professionnel du domicile.

Il n'est pas sérieusement contesté par l'employeur que les commerciaux exerçant en dehors de l'Île-de-France ne disposent pas de bureau pour gérer et stocker leurs dossiers clients, pour se connecter aux données et aux informations fournies par l'entreprise, lire les courriels, y répondre...

Une indemnisation pour l'occupation du domicile personnel à des fins professionnelles s'impose donc.

M. [J] propose un mode d'évaluation de cette indemnité prenant en compte une part du loyer, la prise en charge du coût des meubles, du matériel informatique, du chauffage, de l'électricité, des taxes et considère que cette indemnité doit correspondre à 116,43 € par mois.

Toutefois, M. [J] soutient devoir travailler à son bureau trois jours par semaine alors que son travail est essentiellement commercial ainsi que le rappelle à juste titre l'employeur.

L'occupation effective du bureau pour un commercial doit pouvoir correspondre à une journée de travail par semaine ce qui minore d' autant les coûts relatifs au chauffage, à l'électricité.

Par ailleurs M. [J] ne prend en compte ni l'amortissement du mobilier, ni de l'utilisation à titre personnel des matériels de bureau.

Dans ces conditions, en l'état de production des pièces, la cour fixera la somme de 80 € par mois le montant de l'indemnité et des frais à régler au salarié soit à 960 € par an ou encore à la somme de 7680 € le montant de l'indemnité due par l'employeur à ce titre.

Sur la demande d'indemnité en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :

L'équité commande tout à la fois de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes ayant accordé à M. [J] une indemnité de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et de lui allouer une nouvelle indemnité de 2 000 € qu'il réclame, sur le même fondement pour les frais qu'il a dû exposer en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

Statuant contradictoirement et publiquement,

Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande formulée au titre de la discrimination syndicale,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que les demandes nouvelles sont recevables,

Condamne la société Torraspapel France à verser à M [J] les sommes suivantes :

- 9 976,72 € à titre de rappel de salaire pour la part fixe de celui-ci,

- 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour discrimination syndicale,

- 7 680 € à titre d'indemnité pour occupation du domicile personnel,

- 2 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société Torraspapel France aux entiers dépens.

LE GREFFIER, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 8
Numéro d'arrêt : 09/07953
Date de la décision : 05/05/2011

Références :

Cour d'appel de Paris K8, arrêt n°09/07953 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2011-05-05;09.07953 ?
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