Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 2
ARRÊT DU 29 AVRIL 2011
(n° , 11 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 08/16047
Sur renvoi après un arrêt de la Cour de cassation du 22 mai 2008 emportant cassation d'un arrêt de la Cour d'Appel de Versailles (3ème Chambre) en date du 17 mars 2006, RG n° 04/08435 sur appel d'un jugement du Tribunal de Grande Instance de Nanterre (1ère Chambre B) en date du 8 octobre 2004, RG n° 01/04733
DEMANDERESSE:
S.A.S. LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE
agissant en la personne de son représentant légal
[Adresse 2]
[Localité 12]
représentée par la SCP Anne-Marie OUDINOT et Pascale FLAURAUD, avoués à la Cour
assistée de Maître Jacques-Antoine ROBERT , avocat au barreau de PARIS, toque J 031, plaidant pour la SCP SIMMONS & SIMMONS LLP
DÉFENDEURS:
Monsieur [D] [R]
pris tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentant légal de sa fille [C] née le [Date naissance 5]/1994
[Adresse 1]
[Localité 13]
Madame [Y] [U] [H] [Z] épouse [R]
[Adresse 1]
[Localité 13]
Monsieur [B] [R]
[Adresse 8]
[Localité 10]
Monsieur [F] [R]
[Adresse 7]
[Localité 11]
représentés par la SCP CALARN-DELAUNAY, avoués à la Cour
assistés de Maître Gisèle MOR, avocat au barreau de VAL D'OISE plaidant pour le CABINET MOR SELARL
SOCIÉTÉ NATIONALE DES CHEMINS DE FER FRANÇAIS-S.N.C.F es-qualités d'employeur de Monsieur [D] [R]
prise en la personne de son Président Directeur Général
[Adresse 6]
[Localité 9]
représentée par la SCP ALAIN RIBAUT ET VINCENT RIBAUT, avoués à la Cour
assistée de Maître Arnaud LEFAURE, avocat au barreau NANTERRE, plaidant pour BLST et substituant Maître Frédérique LEPOUTRE, avocat au barreau de NANTERRE
PARTIE INTERVENANTE VOLONTAIRE:
CAISSE DE PREVOYANCE ET DE RETRAITE DU PERSONNEL
DE LA SNCF -C.P.R.P.
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par la SCP ALAIN RIBAUT ET VINCENT RIBAUT, avoués à la Cour
assistée de Maître Arnaud LEFAURE, avocat au barreau NANTERRE, plaidant pour BLST et substituant Maître Frédérique LEPOUTRE, avocat au barreau de NANTERRE
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 27 Janvier 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Jacques BICHARD, Président
Marguerite-Marie MARION, Conseiller
Marie-Hélène GUILGUET-PAUTHE, Conseillère
qui en ont délibéré
Greffier, lors des débats : Guénaëlle PRIGENT
ARRÊT :
- contradictoire
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Jacques BICHARD, Président et par Guénaëlle PRIGENT, Greffier.
***
Vu l'action en responsabilité intentée par les Consorts [R] après l'administration sur Monsieur [D] [R] du vaccin contre l'hépatite Engerix B, à l'encontre de la société SMITHKLINE BEECHAM aux droits de laquelle se trouve actuellement la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE S.A.S. ;
Vu le jugement rendu contradictoirement le 8 octobre 2004 par le Tribunal de grande instance de Nanterre qui a :
- pris acte du changement de dénomination de la société SMITHKLINE BEECHAM devenue LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE,
- dit la S.N.C.F. recevable en ses interventions à la procédure, d'une part aux lieu et place de la Caisse de Prévoyance S.N.C.F. comme organisme gestionnaire de sécurité sociale, et d'autre part comme employeur de Monsieur [R],
-déclaré la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE entièrement responsable des manifestations de SEP (sclérose en plaques) subies par Monsieur [D] [R] dans les suites de sa vaccination contre l'hépatite B par le vaccin Engerix B dans une première série de trois injections des 18 mai, 18 juin et 23 juillet 1993, avec injection de rappel le 3 juin 1994,
- fixé le préjudice corporel consécutif de [D] [R] à la somme de 402 199,72 euros pour la part soumise au recours de la sécurité sociale, et à 49 675 euros pour la part personnelle,
- condamné en réparation la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE à payer à Monsieur [D] [R] la somme globale de 338 332,89 euros, déduction faite de la créance de l'organisme de sécurité sociale,
- 'l'a condamnée' à payer de plus à Monsieur [D] [R] en réparation de son préjudice matériel sa somme de 2 500 euros,
- condamné par ailleurs la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE à payer pour indemnisation par ricochet à Madame [U] [H] [Z] les sommes de 35 000 euros et 17 550 euros, à [B] [R] la somme de 11 500 euros, à [F] [R] la somme de 11 500 euros et à Monsieur [D] [R] ès-qualités de représentant légal de sa fille mineure [C] [R] la somme de 11 500 euros,
- 'condamné encore' la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE à payer à la S.N.C.F. comme organisme gestionnaire de sécurité sociale la somme de 113 541,83 euros, et comme employeur la somme de 4 626,47 euros, ainsi que les dépenses futures afférentes aux mêmes causes sur présentation d'états y relatifs,
- dit que chacune de ces condamnations produira intérêts de droit à compter du présent jugement avec application des dispositions de l'article 1154 du Code civil au profit de la S.N.C.F.,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement au profit de Monsieur [D] [R] pour moitié des sommes allouées au titre du préjudice corporel,
- rejeté toutes demandes plus amples et contraires,
- condamné la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE à payer au titre de l'article 700 du 'Nouveau' code de procédure civile aux Consorts [R] ensemble la somme de 12 500 euros et à la S.N.C.F. en sa double qualité, la somme de 1524,49 euros,
- condamné la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE aux entiers dépens qui comprendront ceux de référé et d'expertise ;
Vu l'ordonnance rendue le 14 janvier 2005 par le Premier Président de la Cour d'appel de Versailles qui, à la demande de la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE, a suspendu l'exécution provisoire du jugement au motif que celui-ci avait été signé par un magistrat qui n'avait pas participé au délibéré ;
Vu l'arrêt rendu contradictoirement le 17 mars 2006 par la Cour d'appel de VERSAILLES (3ème Chambre), sur l'appel de la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE S.A.S., et qui a :
- annulé le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
- écarté la demande de rejet des débats des conclusions tardives de la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE,
- débouté les Consorts [R] de leurs demandes,
- rejeté toute autre demande,
- dit que la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE supportera la moitié des frais d'expertise judiciaire,
- condamné les Consorts [R] aux dépens de première instance et d'appel incluant les frais d'expertise dans la proportion de la moitié ;
Vu l'arrêt rendu, sur le pourvoi des Consorts [R], le 22 mai 2008 par la Cour de Cassation, 1ère Chambre Civile, qui, au visa de l'article 1382 du Code civil interprété à la lumière de la directive CEE 85-374 du 25 juillet 1985, a cassé cet arrêt dans toutes ses dispositions et renvoyé l'affaire devant la Cour d'appel de Paris, au motif 'que pour débouter les consorts [R] de leurs demandes, l'arrêt, après avoir reconnu l'imputabilité du vaccin Engerix B dans l'aggravation de la maladie de M. [R], retient que ce vaccin n'était pas défectueux et présentait la sécurité légitimement attendue du grand public au moment de sa mise en circulation au regard de sa présentation, dès lors qu'à cette époque, il n'existait aucune preuve épidémiologique d'une association causale significative entre la vaccination contre l'hépatite B et la pathologie de la sclérose en plaques, de sorte que les conditions de mise en jeu de la responsabilité de la société Laboratoire Glaxosmithkline n'étaient pas réunies au regard de la directive européenne ;', alors 'qu'en se déterminant ainsi en relevant que l'édition pour 1994 du dictionnaire Vidal mentionnait au titre des effets indésirables la survenue exceptionnelle de sclérose en plaques, de sorte qu'il lui incombait d'apprécier la relation causale prétendue entre le vaccin et l'aggravation de la maladie à l'époque du dernier rappel de vaccination, en recherchant si, à cette époque, la présentation du vaccin mentionnait l'existence de ce risque, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;'
Vu l'acte du 19 juin 2008 par lequel la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE S.A.S. a saisi la Cour de renvoi ;
Vu l'ordonnance du Conseiller de la mise en état en date du 5 novembre 2009 qui a :
- rejeté en l'état la demande de complément d'expertise des Consorts [R],
- réservé les dépens et dit qu'ils suivront le sort de l'instance au fond,
- renvoyé l'affaire à la mise en état des causes pour fixation ;
***
Dans ses dernières conclusions déposées le 18 janvier 2011, la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE S.A.S. demande à la Cour de :
- dire la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE recevable et fondée en son appel,
- infirmer le jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre intervenu le 8 octobre 2004,
Statuant à nouveau,
A titre principal,
-décharger la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE de toute condamnation lui faisant grief,
- débouter [D] [R], Madame [Y] [R], [B] et [D] [R], ainsi que la S.N.C.F. (agissant en ses qualités, tant d'employeur, que de gestionnaire du régime de sécurité sociale de Monsieur [R]) de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre du LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE,
A titre subsidiaire,
- ordonner un complément d'expertise qui sera confié aux Experts initialement désignés, avec pour mission de :
1 - prendre connaissance du présent arrêt dans son intégralité,
2 - convoquer toutes les parties figurant dans la procédure par lettre recommandée avec accusé de réception et leur conseil respectif par lettre simple,
3 - procéder à l'audition contradictoire des parties et consigner leurs déclarations respectives,
4 - dire, de manière explicite et circonstanciée, si, au regard du temps écoulé, la teneur et les conclusions de leur précédent rapport d'expertise doivent être précisées, complétées ou modifiées, notamment concernant les points 4 et 5 de la mission qui leur avait été confiée dans le cadre de la précédente expertise, à savoir :
- sur la littérature médicale parue tant en France qu'à l'étranger relative aux rapprochements signalés entre l'apparition de la maladie dont est atteint Monsieur [R] et les vaccins de l'hépatite B ;
- sur l'existence ou non d'un lien de causalité certain entre la survenue de la pathologie dont souffre Monsieur [R] et l'administration des vaccins en cause ;
compte tenu notamment,
- de l'évolution des recherches et des connaissances scientifiques depuis le dépôt de leur précédent rapport,
- des pièces produites aux débats, dont ils n'avaient pas connaissance lors des précédentes opérations d'expertise.
5 - dire, de la même manière, si la teneur et les conclusions de leur précédent rapport d'expertise doivent être précisées, complétées ou modifiées concernant l'évaluation du préjudice subi par Monsieur [R] (points 6 à 14 de la mission).
Dit que les Experts, qui seront saisis et effectueront leur mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du Code de procédure civile, adresseront un pré-rapport aux seuls conseils des parties, qui disposeront d'un délai de quatre semaines, à compter du jour de réception, pour faire valoir, sous forme de dires, leurs questions et observations.
En tout état de cause,
- condamner les Consorts [R] à payer au LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner les Consorts [R] aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Dans leurs dernières conclusions déposées le 13 janvier 2011, Monsieur [D] [R], agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de représentant légal de sa fille mineure [C] [R], Madame [U] [H] [Z] épouse [R], Monsieur [B] [R] et Monsieur [F] [R] demandent à la Cour, au visa des articles 1147 et 1382 du Code civil et des dispositions de la directive Européenne du 25 juillet 1985 sur la responsabilité des produits, de :
' confirmer le jugement déféré en ce qu'il a déclaré la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE entièrement responsable du développement par Monsieur [R] d'une sclérose en plaques consécutivement à la vaccination contre l'hépatite B qui lui a été administré,
En conséquence,
' condamner la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE à réparer l'entier préjudice de Monsieur [R], de son épouse et de ses enfants,
Avant dire droit sur l'évaluation du préjudice,
' ordonner une expertise confiée à tel expert qu'il plaira à la Cour de désigner avec mission de se prononcer sur les postes de préjudices suivants :
1 - Préjudices patrimoniaux
a) Préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)
- dépenses de santé actuelles
- frais divers - compris tierce personne temporaire
- pertes de gains professionnels actuels
b) Préjudices patrimoniaux permanents (après consolidation)
- dépenses de santé futures
- frais de logement adapté
- frais de véhicule adapté
- assistance par tierce personne
- perte de gains professionnels futurs
- incidence professionnelle
- préjudice scolaire, universitaire ou de formation
2 - Préjudices extra-patrimoniaux
a) Préjudices extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation)
- Déficit fonctionnel temporaire
- Souffrances endurées
- Préjudice esthétique temporaire
b) Préjudices extra-patrimoniaux permanents (après consolidation)
- Déficit fonctionnel permanent
- Préjudice d'agrément
- Préjudice esthétique permanent
- Préjudice sexuel
- Préjudice d'établissement
- Préjudice permanent exceptionnel
c) Préjudices extra-patrimoniaux évolutifs (hors consolidation)
- Préjudices liés à des pathologies évolutives
- Dire que l'expert pourra se faire communiquer, tant par la Caisse de sécurité sociale que par les établissements hospitaliers concernés, tous les documents médicaux qu'il jugerait utiles aux opérations d'expertise,
- Dire que l'expert devra préalablement au dépôt de son rapport soumettre aux parties un pré-rapport et recueillir leurs observations,
' d'ores et déjà condamner la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE à payer à Monsieur [D] [R] à titre de provision à valoir sur ses préjudices patrimoniaux la somme de 2 178 092,10 € et la somme de 300 000 € à valoir sur ses préjudices extra patrimoniaux,
' condamner la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE à payer à Madame [R] la somme de 139 255 € à valoir sur ses préjudices patrimoniaux et la somme de 50 000 € à valoir sur ses préjudices extra patrimoniaux,
' condamner la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE à payer à [L] [R], [F] [R], Monsieur [R] ès-qualités de représentant légal de sa fille mineure [C] [R], la somme de 35 000 € chacun au titre de leur préjudice d'affection,
' débouter la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
' condamner en outre la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE à payer la somme de 25 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
' condamner la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE aux dépens de première instance et d'appel qui comprendront les frais d'expertise ;
Dans leurs dernières conclusions déposées le 16 décembre 2010, la S.N.C.F. et la CAISSE DE PRÉVOYANCE ET DE RETRAITE DU PERSONNEL DE LA S.N.C.F., intervenante volontaire en appel, demandent à la Cour de :
- déclarer la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE mal fondée en son appel,
- la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf à actualiser le montant de la créance de la CPRPSNCF,
En conséquence,
- condamner la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE à payer à titre de provision, à la CPRPSNCF les sommes de :
¿ dépenses de santé : 243 432,45 euros
¿ maintien de salaire : 134 351,02 euros
¿ charges patronales : 64 048,68 euros
- dire que ces sommes porteront intérêts légaux à compter du jour où ces frais ont été acquittés par la S.N.C.F. ou la CPRPSNCF et capitalisés sur le fondement de l'article 1154 du Code civil,
- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE à assurer le règlement à la CPRPSNCF, sur présentation des relevés de prestations, les dépense futures afférentes aux mêmes causes et dire qu'il en sera de même après l'arrêt à intervenir,
Y ajoutant,
- condamner la SAS LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE à payer à la CPRPSNCF la somme complémentaire de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la SAS LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE aux entiers dépens d'appel ;
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 janvier 2011 ;
CELA ETANT EXPOSE, LA COUR,
Considérant que Monsieur [D] [R] (Monsieur [R]), alors âgé de 42 ans et cadre administratif à la Direction des opérations financières de la S.N.C.F., s'est fait vacciner contre l'hépatite B par une série de trois injections (18 mai, 18 juin et 23 juillet 1993) du vaccin Engerix B produit par la société SMITHKLINE BEECHAM aux droits de laquelle se trouve actuellement la société LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE S.A.S. (LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE) ;
Qu'il n'est pas contesté qu'il a ressenti progressivement des épisodes inhabituels de grande fatigue, de perte d'équilibre, de paresthésies de la main gauche et des impériosités mictionnelles à partir des trois dernières semaines d'août 1993 ce qui, selon le rapport d'expertise, l'a conduit à consulter le médecin de la S.N.C.F. qui, relevant des plaintes depuis 3 ans de paresthésie de la main gauche, l'a orienté vers le Docteur [M] du Centre de Rééducation Fonctionnelle de la [Adresse 14], lequel a identifié en janvier 1994 des dysesthésies dans le territoire C8-D1 depuis 2 ans ; que devant la persistance des troubles et l'apparition d'épisodes d'instabilité et d'accrochages de la point du pied, ce médecin a sollicité le professeur [P], neurologue consultant à la S.N.C.F. lequel a évoqué le 17 mai 1994 une sclérose en plaques confirmée par une I.R.M. ; que cependant, le 3 juin 1994, Monsieur [R] a subi un rappel du vaccin contre l'hépatite B qui a été suivi de nouveaux troubles similaires voire aggravés s'agissant des troubles urinaires ;
Que Monsieur [R] a ensuite fait l'objet de flashes de cortisone sous le régime de l'hospitalisation en juin 1994, a subi une nouvelle I.R.M. le 27 juin de la même année, un nouveau traitement par cortisone sous le régime de l'hospitalisation en avril 1995, 3 injections de 1 gr. de cortisone flash en mai 1995 puis une injection mensuelle, outre divers traitements au fur et à mesure de l'évolution de sa maladie ;
Que Monsieur [R] a alors sollicité et obtenu du juge des référés du Tribunal de grande instance de Nanterre la désignation d'un collège d'experts, par ordonnance du 2 juillet 1999, à savoir : les Docteurs [J] [O], [K] [G] et [N] [A] [E] ;
Que, sur les conclusions du rapport d'expertises clôturé le 30 mai 2000, Monsieur [D] [R], agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de représentant légal de ses enfants mineurs [F] et [C] [R], Madame [U] [H] [Z] épouse [R] et Monsieur [B] [R], enfant majeur (désignés les Consorts [R]), arguant de la défectuosité du vaccin Engerix B, ont fait assigner la société SMITHKLINE BEECHAM devenue en cours d'instance LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE devant le Tribunal de grande instance de Nanterre aux fins de la voir déclarer responsable de la survenue de la sclérose en plaques et condamnée à réparer le préjudice en découlant, la CAISSE DE PRÉVOYANCE ET DE RETRAITE DU PERSONNEL DE LA S.N.C.F. (CPRPSNCF) étant appelée en la cause et la S.N.C.F. intervenant volontairement en sa qualité d'employeur ;
Que par jugement du 14 novembre 2003, le Tribunal de grande instance a ordonné la réouverture des débats pour recueillir les observations des parties sur une décision de la Cour de cassation rendue le 23 septembre 2003 dans une affaire de même nature ; qu'à cette occasion, Monsieur [F] [R] étant devenu majeur, a repris l'instance en son nom ;
Que c'est dans ce contexte que le jugement du 8 octobre 2004 déféré à la Cour en suite de l'arrêt de cassation du 22 mai 2008 a été rendu ;
Que les premiers juges, sur la relation entre la maladie et la vaccination, estimant constant que l'apparition des symptômes dommageables de la sclérose en plaques est survenue dans un délai suffisamment proche de la vaccination pour pouvoir chronologiquement être située dans un rapport de causalité directe, relevant qu'il est permis de retenir a posteriori que Monsieur [R] avait présenté antérieurement à la vaccination litigieuse, trois ans auparavant, des troubles de même étiologie de sorte qu'il doit être raisonné en terme d'aggravation d'une sclérose en plaques préexistante, ont retenu que la vaccination contre l'hépatite B a pu constituer chez Monsieur [R] un facteur aggravant au même titre que nombre d'autres vaccinations sur un tel terrain et ont conclu que ce constat scientifique est suffisant pour affirmer en droit la possibilité d'un lien direct de causalité entre la vaccination litigieuse et la réalisation du dommage spécifiquement invoqué par Monsieur [R] ; que s'agissant du caractère défectueux du produit, ils ont estimés que celui-ci se déduit du fait que Monsieur [R] n'entrait dans aucune des populations cible de la vaccination contre l'hépatite B, ni par son mode de vie, ni par ses activités professionnelles ou de loisir et s'est ainsi 'trouvé exposé à un risque identifié d'une particulière gravité dans sa réalisation en vue d'une projection d'un risque de maladie pour lui totalement incertain, voire improbable, par un produit de santé normalement destiné à le prémunir et le protéger ;' ;
SUR CE,
Considérant que, dans ses dernières conclusions en cause d'appel auxquelles il convient de se référer pour le détail de son argumentation, le LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE, s'appuyant sur les conclusions des experts qui, notamment, relèvent que Monsieur [R] présentait des troubles 3 ans avant la vaccination et qu'il est impossible de savoir d'une part, si la sclérose en plaques serait apparue spontanément dans un temps proche de la vaccination ou plus tard, d'autre part si la 4ème injection a eu un effet sur l'évolution de cette maladie, estime que Monsieur [R] ne rapporte pas la preuve du lien de causalité entre la vaccination et la sclérose en plaques dont il est atteint, ni celle du défaut du produit dont le rapport 'bénéfice/risque' reste positif selon les autorités sanitaires nationales et internationales, enfin, souligne avoir rempli son devoir d'information d'autant qu'il a signalé par précaution des cas rapportés dès 1994 dans un contexte de 'premières interrogations' insuffisamment étayées et qui ne l'ont jamais été par la suite ;
Considérant que, dans leurs dernières conclusions en cause d'appel auxquelles il convient de se référer pour le détail de leur argumentation, les Consorts [R] estiment qu'en exigeant que soit rapportée, outre celle du dommage, du défaut du produit, de la relation entre dommage et défaut, la preuve de l'imputabilité au moins partielle du dommage au produit, la cour ajoute des exigences contraires aux textes, que la causalité juridique ne peut faire corps avec la causalité scientifique, que le rôle causal du produit peut résulter d'un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes sans être soumis à une certitude scientifique et que dès lors, il y a lieu d'examiner d'abord le défaut du produit, ensuite le dommage causé, enfin le lien de causalité entre le défaut et le dommage ; qu'en l'espèce le dommage est incontestable, l'état antérieur de Monsieur [R] étant sans le moindre rapport avec l'évolution de la maladie développée postérieurement à la vaccination ; que s'agissant du défaut, celui-ci résulte de l'existence du risque indiqué dans le RCP et le Vidal qui font état, au titre des effets indésirables, de la possible survenance de sclérose en plaques ou de poussées de celle-ci, ce qui démontre, au regard de la gravité du risque, que le produit n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitiment s'attendre, peu important que celui-ci ait bénéficié d'une autorisation de mise sur le marché, enfin, qu'au moment de la première série de vaccination aucune information n'était disponible alors que le risque était connu ; que s'agissant du lien de causalité entre le défaut et le dommage, les experts commis estiment que l'injection peut être le révélateur de la maladie ou être un facteur favorisant son éclosion plus précoce, relèvent que cette dernière est apparue dans les deux mois suivant la 3ème injection et a été réactivée lors de la 4ème, ne rattachent pas expressément les manifestations antérieures à sa pathologie, enfin, qu'il ne présentait aucun antécédent personnel ou familial ;
Considérant que, dans leurs dernières conclusions en cause d'appel auxquelles il convient de se référer pour le détail de leur argumentation, la CPRPSNCF et la S.N.C.F. s'associent à l'argumentation des Consorts [R] quant à la réalité du dommage subi par Monsieur [R], et au lien de causalité fondée sur des présomptions tirées des éléments de l'espèce, notamment les conclusions des experts et l'indication d'effets indésirables relatifs à la sclérose en plaques dans le RCP de l'Engerix B ;
***
Considérant en application des articles 1147 comme 1382 du Code civil interprétés à la lumière de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, que la responsabilité du producteur est soumise à la condition que le demandeur prouve, outre le dommage, le défaut du produit et le lien de causalité entre le défaut et le dommage et qu'un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre compte-tenu de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage du produit qui peut être raisonnablement attendu et du moment de la mise en circulation du produit ;
Que l'existence d'une autorisation administrative ne constitue pas une cause exonératoire de la responsabilité du producteur ;
Que si la directive a prévu que le producteur pouvait s'exonérer de sa responsabilité en prouvant que l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment où il a mis le produit en circulation ne lui a pas permis de déceler l'existence du défaut, elle a laissé aux Etats membres la faculté d'introduire ou non dans leur législation interne cette exonération pour risque de développement ; que dès lors le droit interne ne peut, en l'absence de transposition et d'option alors prise par le législateur français, être interprété à la lumière de la disposition prévoyant ce cas d'exonération de sorte que celui-ci ne peut être invoqué par le producteur d'un médicament défectueux ;
Que la responsabilité de ce dernier suppose nécessairement au préalable et non à titre supplémentaire que le demandeur apporte la preuve que le produit lui a été effectivement administré et que son dommage est en liaison, au moins pour partie, avec ce produit ;
Que les preuves mises à la charge du demandeur peuvent être apportées par tous moyens et notamment par présomptions pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes ; que cependant les différents éléments conditionnant la responsabilité du producteur ne peuvent être présumés ; qu'ainsi cette causalité comme le défaut du produit ne se déduisent pas de l'absence de certitude scientifique sur l'innocuité du produit ;
Que tout produit de santé comportant nécessairement une part de risque, la survenance d'effets indésirables ne suffit pas non plus à établir l'existence d'un défaut ; que le défaut peut être caractérisé par une inversion du rapport bénéfices-risques ou encore par des lacunes dans la présentation et donc l'information sur le produit ; que la mention d'effets indésirables non démontrés dans le résumé des caractéristiques du produit et la notice ne permet donc pas de mettre en évidence un défaut ;
Que l'existence d'une prédisposition de la victime n'est pas en elle-même exclusive d'un défaut du produit ;
Que ce régime de responsabilité, certes très exigeant à l'égard de la victime, ne peut être assoupli quant aux règles posées en matière de preuve dès lors qu'il est issu d'une directive européenne d'harmonisation, ce qui rend sans objet l'argumentation des Consorts [R] qui se trouve en contradiction avec les dispositions de l'article 1386-9 du Code civil qui opère, sur ce point, la transcription de la Directive précitée, en affirmant la nécessité d'examiner en premier lieu le dommage, puis le défaut du produit, enfin le lien de causalité ; qu'en outre, ce régime est distinct des régimes applicables en matière d'accident du travail ou de vaccination obligatoire n'impliquant pas le producteur et ne conditionnant pas l'indemnisation du dommage à la preuve par le demandeur d'un lien de causalité certain entre le produit et le dommage et d'un défaut du produit en relation de causalité avec ce dommage ; que la victime ne peut donc s'en prévaloir à l'encontre du producteur ;
***
Considérant que l'administration du produit en cause n'est pas contestée ;
Considérant qu'il résulte des constatations des experts que Monsieur [R] se plaignait depuis 3 ans de paresthésies de la main gauche, au niveau dorsal de plusieurs doigts, du 5ème avec irradiation cubitale vers l'épitrochlée (hypoesthésie du 5ème doigt et du rebord du 4ème) sans signe de Tinel mais avec diminution de la force musculaire (p. 6 de l'expertise mentionnant le certificat du 17 août 1993 du médecin de la S.N.C.F.) ;
Que par ailleurs, les experts notent que les premiers documents faisant état des difficultés des membres inférieurs, semble-t-il encore suffisamment modérés pour ne pas être pris en compte, datent d'avril 1994, que le Professeur [P], dans son certificat du 17 mai 1994 qui pose le diagnostic de sclérose en plaques, parle de maladresse de la main gauche et considère qu'il s'agit de la même étiologie que les troubles touchant les membres inférieurs (p.19, idem) ;
Qu'enfin, ces experts émettent deux hypothèses : soit l'ensemble des manifestations sont dues à la même pathologie et la maladie aurait donc débutée avant la vaccination qui n'aurait eu aucun rôle ou seulement un rôle aggravant, soit ces manifestations ne sont pas dues à la même pathologie, ce qui paraît peu probable puisque l'enquête diagnostique à la recherche d'une atteinte périphérique s'est avérée négative, et alors la maladie serait apparue dans les 6 semaines suivant la 3ème injection du vaccin (p. 19) et concluent que dans la première hypothèse, il faut admettre que la sclérose en plaques pré-existait à la vaccination contre l'hépatite B qui a pu, au même titre que nombre d'autres vaccinations sur un tel terrain, constituer un facteur aggravant de la pathologie démyélinisante préexistante (p. 20) ;
Qu'ainsi le seul fait de la survenance ou de la révélation de la sclérose en plaques dans les 6 semaines suivant l'injection du 18 juillet 1993 qui pourrait conduire à envisager l'éventualité d'un lien avec la vaccination, ne peut être constitutif à lui seul et, en l'état, de présomptions graves, précises et concordantes permettant de retenir non plus l'éventualité de ce lien de causalité mais son existence en l'absence de consensus scientifique en faveur d'un tel lien alors que l'ignorance de l'étiologie de la sclérose en plaques empêche d'écarter les éventuelles autres causes de la maladie ;
Que de plus et alors que de nombreuses études nationales et internationales et des expertises dans des affaires similaires réalisées depuis l'expertise à laquelle a été soumis Monsieur [R], versées aux débats, et que des mesures d'enquête et de surveillance renforcées ont été mises en oeuvre par les autorités sanitaires, il n'existe pas à ce jour de consensus scientifique national et international en faveur d'un lien de causalité entre la vaccination contre l'hépatite B et les affections démyélinisantes ni d'association statistique significative permettant de déduire un tel lien même si un lien de causalité ne peut être exclu et si l'existence d'une faible augmentation du risque de sclérose en plaques associée à la vaccination est envisagée par quelques études et experts ;
Que dès lors, l'existence d'une corrélation entre l'affection de Monsieur [R] et la vaccination subie n'est pas établie ;
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Considérant que même dans l'hypothèse où une telle corrélation pourrait, en l'absence d'autre cause possible, être retenue, il incomberait encore à Monsieur [R] de prouver le défaut du vaccin et le lien de causalité entre ce défaut et le dommage ;
Qu'en l'absence d'éléments suffisants sur l'étiologie de la sclérose en plaques et l'implication de la vaccination dans le processus de survenue de cette maladie, une inversion du rapport bénéfice-risque du vaccin ne peut être retenue ; qu'en effet le seul fait que Monsieur [R] et d'autres personnes ont présenté après une vaccination contre l'hépatite B une grave affection reliée, en l'absence d'autre explication pour certaines d'entre elles, à cette vaccination ne permet pas de mettre en évidence l'existence d'un risque disproportionné par rapport au bénéfice de la vaccination et de retenir que le vaccin est défectueux ;
Que par ailleurs, la présentation du produit et donc l'information donnée à l'utilisateur lors de la vaccination doivent également être prises en compte dans l'appréciation du défaut ; qu'il y a lieu d'observer que la photocopie produite par le LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE pour justifier de l'information dans le Vidal de 1994 n'a aucune date certaine ; que si la même observation peut être faite pour la production de Monsieur [R], il ressort néanmoins de l'expertise que cette publication n'est intervenue dans la nouvelle RCP et le Vidal qu'en 1996 ;
Que cependant, le fait que la mention : 'Très rarement...atteintes démyélinisantes du système nerveux central (poussées de sclérose en plaques) survenant dans les semaines suivant la vaccination sans qu'un lien de causalité n'ait actuellement pu être établi' n'ait été inscrite qu'à cette date et n'est pas été alors accessible à l'utilisateur du vaccin ne permet pas davantage de retenir la défectuosité du produit ;
Que de surcroît, l'absence en 1993 et 1994 tant dans le Vidal que dans la notice de cette mention ne peut être utilement invoquée par Monsieur [R] ; qu'en effet, il n'est pas établi que les premières interrogations à cette date sur l'éventualité d'un lien entre la vaccination et les affections démyélinisantes étaient suffisamment étayées et auraient donc dû être portées à la connaissance de l'utilisateur ;
Que dès lors, en l'état, l'existence d'un défaut du vaccin comme d'un lien de causalité entre celui-ci et le dommage subi par Monsieur [R] en raison d'une absence d'information sur les risques encourus n'est donc pas établie ;
Que par voie de conséquence, la responsabilité du LABORATOIRE GLAXOSMITHKLINE ne peut être engagée et la demande subsidiaire de complément d'expertise devient sans objet ;
Que le jugement sera donc infirmé ;
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Considérant que l'équité ne commande pas l'application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS,
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement déféré,
STATUANT À NOUVEAU,
DÉBOUTE Monsieur [D] [R], agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de représentant légal de sa fille mineure [C] [R], Madame [U] [H] [Z] épouse [R], Monsieur [B] [R] et Monsieur [F] [R] de toutes leurs demandes,
REJETTE toutes autres demandes des parties ;
CONDAMNE Monsieur [D] [R], agissant tant en son nom personnel qu'ès-qualités de représentant légal de sa fille mineure [C] [R], Madame [U] [H] [Z] épouse [R], Monsieur [B] [R] et Monsieur [F] [R] au paiement des entiers dépens de première instance, d'appel et de l'arrêt cassé, avec admission, pour ceux d'appel, de l'Avoué concerné au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT