RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 8
ARRET DU 03 Mars 2011
(n° , pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S 09/03862 - MPDL
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 12 Mars 2009 par le conseil de prud'hommes de CRETEIL section commerce RG n° 07/01663
APPELANTE
1° - Madame [W] [M]
[Adresse 1]
[Localité 3]
comparant en personne, assistée de Me Edmond SMADJA, avocat au barreau de PARIS, toque : E1486
INTIMEE
2° - SA BELAMBRA CLUBS anciennement dénommée SA VVF VACANCES
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Sébastien LEROY, avocat au barreau de PARIS, toque : K 168
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Février 2011, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente, chargée d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Marie-Pierre DE LIEGE, Présidente
Mme Irène LEBE, Conseillère
Mme Marie-Antoinette COLAS, Conseillère
Greffier : Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Mme Marie-Pierre DE LIEGE présidente et par Mme Anne-Marie CHEVTZOFF, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LES FAITS :
Mme [W] [M] a été engagée le 28 mai 2001, tout d'abord sous contrat à durée déterminée, puis suivant contrat à durée indéterminée à compter du 1er décembre 2002, par la SA Belambra Clubs, anciennement dénommée SA VVF Vacances.
Elle occupait en dernier lieu les fonctions de rédactrice au sein de la direction commerciale.
Le 31 mars 2006 Mme [W] [M] était convoquée par le directeur des ressources humaines qui lui notifiait une mise à pied conservatoire avec effet immédiat et lui fixait un entretien préalable au 11 avril 2006.
Le 26 avril 2006 elle a été licenciée pour faute grave, l'employeur affirmant avoir été conduit à constater à trois reprises qu'elle avait déchiré et jeté dans sa poubelle des courriers de clients alors qu'elle avait pour mission de traiter les courriers faisant part d'insatisfaction ou de réclamations et d'y apporter des réponses appropriées..
Contestant son licenciement Mme [W] [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil le 29 juillet 2006.
Par décision de départition du 12 mars 2009, ce conseil de prud'hommes, section commerce, a retenu la faute grave alléguée et débouté la salariée de l'ensemble de ses demandes.
Mme [W] [M] a régulièrement fait appel de cette décision.
Elle demande à la cour de dire son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et sollicite en conséquence :
- 934,17 € de rappel de salaires pour la période de mise à pied du 31 mars 2006 au 14 avril 2006, indemnité de congés payés de 10% en sus.
- 3736,68 € d'indemnité compensatrice de préavis (deux mois) et 10% de congés payés en sus ;
- 21'600 € pour indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse
Elle sollicite également la remise d'une attestation ASSEDIC et des bulletins de salaire des mois de mars et avril 2006 modifiés, sous astreinte de 100 € par jour de retard et 1500 € pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
La SA Belambra Clubs demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter Mme [W] [M] de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui verser 2000 € pour frais irrépétibles en application de l'article 700 du code de procédure civile.
L'entreprise compte plus de 11 salariés.
Le salaire brut moyen mensuel de Mme [W] [M] était de 1868,34 € sur les trois derniers mois.
La convention collective applicable est celle du tourisme social et familial.
LES MOTIFS DE LA COUR :
Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, soutenues oralement à l'audience, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.
Sur la rupture du contrat de travail de Mme [W] [M] :
La lettre de licenciement adressée à Mme [W] [M] le 14 avril 2006 est rédigée comme suit : ' nous sommes amenés, par la présente, à vous notifier votre licenciement pour faute grave... Il est rappelé que vous exercez les fonctions de rédactrice au sein du service relations clientèle et qu'à ce titre vous avez pour mission de traiter le courrier des clients faisant part d'insatisfaction ou de réclamations et d'y apporter les réponses appropriées. Or nous avons été conduits à constater à trois reprises que vous avez déchiré et jeté dans votre poubelle des courriers de clients :
- le 20 mars 2006 trois courriers de réclamations (suivent les noms des intéressés)
- le 24 mars 2006 : trois courriers de réclamations (suivent les noms des intéressés)
- le 29 mars 2006: deux courriers de réclamations (suivent les noms des deux clients).
Tous ces courriers de clients comportaient une mention de date d'enregistrement et /ou un numéro d'enregistrement effectué par vous-même, manuellement, au feutre vert, sans qu'il nous soit, pour autant possible de retrouver la trace d'une quelconque action de votre part sur notre système informatique.
Force est donc de constater que si ces courriers ont fait l'objet d'un enregistrement informatique par vous-même, vous êtes par la suite, intervenue pour procéder à son effacement. Vous avez donc ainsi détruit des demandes/réclamations clients, sans leur répondre, alors que ceci correspond exactement à la mission contractuelle qui est la vôtre. De tels agissements sont inacceptables et de plus, sont de nature à nuire fortement à l'image de l'entreprise...'.
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits constituant une violation des obligations du contrat de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien dans l'entreprise, même pendant la durée du préavis. La preuve doit en être rapportée par l'employeur ; la lettre de licenciement circonscrit les limites du litige.
Mme [W] [M] travaillait comme rédactrice avec deux autres collègues au sein du service relations clientèle, placé sous l'autorité de Mme [F].
Les faits reprochés dans la lettre de licenciement à Mme [W] [M] sont précisés de manière satisfaisante pour permettre à la cour d'exercer son contrôle.
Le 15 juin 2006, Mme [W] [M] adressait un courrier au président de la société par lequel elle disait contester formellement le bien-fondé de ses allégations en ces termes : « ces dernières en effet, ne correspondent pas à la réalité des faits car comme je l'ai déjà indiqué lors de mon entretien préalable... je n'ai pas eu à traiter le courrier des personnes mises plus haut (ayant cependant reconnu avoir à faire à monsieur et madame [H] pour d'autres réclamations) aussi je ne peux que confirmer le fait que je ne suis pas à l'origine du «non traitement» desdites réclamations que l'on a retrouvées déchirées et jetées dans ma poubelle, selon les dires de Mme [F]. De ce fait je m'interroge encore à ce sujet des circonstances dans lesquelles ces courriers ont été retrouvés dans ma poubelle. J'espère que cela n'a aucun lien avec le différent que j'ai eu avec Mme [F] le 20 mars 2006.
D'ailleurs, lors de ce même entretien, cette dernière et M. [Z] ne nous ont pas produit copies de ces fameux courriers, dont la déléguée du personnel Mme [U] demandait la communication ; cela aurait permis de faire, en partie, la lumière sur les griefs qui me sont reprochés.
En outre, je vous avais indiqué dans quelles conditions certains courriers ne font pas l'objet systématiquement d'un suivi informatique... cela selon la pratique établie par le service. Je me permets de vous rappeler que cela fait cinq années que je travaille de cette manière au vu et au su de ma supérieure hiérarchique avec conscience professionnelle et responsabilité et que je n'ai jamais eu de remarques et de reproches, étant néanmoins précisé que les courriers non traités informatiquement le sont par téléphone».
La cour relève qu'il n'a pas été contesté par l'employeur, que les noms des auteurs de courriers qu'il reproche à la salariée d'avoir déchirés et jetés dans sa poubelle sans les traiter, ne lui avaient pas été précisés, malgré sa demande, lors de l'entretien préalable, comme en atteste le procès-verbal dressé par le délégué du personnel qui accompagnait Mme [W] [M] ce jour là et que copies de ces courriers, n'ont été transmis à la salariée que trois jours avant l'audience devant les premiers juges.
Dans ces conditions il est évident que la salariée pouvait difficilement, pendant l'entretien préalable, s'expliquer sur le fait de savoir si elle avait ou non elle-même traité ces courriers et de quelle manière.
Dans ses conclusions, l'employeur soutient que «ce jour là l'enregistrement incombait à Mme [M]». Il n'en rapporte nullement la preuve ne produisant aucun planning de répartition du travail entre les trois rédacteurs du service.
Au-delà, l'employeur ne produit d'ailleurs aucune note de service établissant le système de gestion du courrier de son arrivée à son traitement par les différents agents.
Rien ne confirme en particulier que la personne qui enregistrait le courrier était celle qui le traitait, ce que contredit la salariée qui affirme que Mme [F] regardait le courrier, apposait un post-it sur les plus urgents et placçait les autres dans des chemises où les trois rédactrices allaient les chercher, indistinctement, au fur et à mesure de leur disponibilité respective.
Les reproches formulés à l'encontre de Mme [W] [M] pour fonder le licenciement pour faute grave ne sont en réalité établis que par trois témoignages
- trois attestations de Mme [F] elle-même datées du 30 mars, le 11 avril et 27 juin 2006.
- une attestation de Mme [G] et une attestation de M. [Z] [B], tous deux employés d'un autre service, le service réservations, qui dans des termes fort proches mais relativement imprécis attestent avoir été en présence de Mme [F] lorsque celle-ci avait récupéré le courrier litigieux dans la poubelle de sa collaboratrice Mme [W] [M].
M. [Z] [B] ne précise nullement quel jour les faits se sont passés ni les circonstances dans lesquelles il se trouvait aux côtés de Mme [F] pour faire cette découverte.
Mme [G] précise le jour où elle se trouvait aux côtés de Mme [F], en l'espèce le 24 mars, mais n'explique pas davantage pourquoi elle se trouvait là et quels courriers ont alors été trouvés dans la poubelle de [W] [M].
Outre leurs imprécisions, ces attestations tout comme celle de Mme [F], ont une valeur probante fort limitée comme émanant toutes trois de salariés de l'entreprise et pour l'une de la supérieure hiérarchique directe de l'intéressée.
En outre, rien n'établit que ces courriers ont effectivement été enregistrés dans le système informatique par Mme [W] [M], ni que celle-ci soit ensuite intervenue pour procéder à leur effacement.
L'employeur n'apporte aucun élément pour contredire Mme [W] [M] quand elle affirme que n'importe quel agent peut entrer indifféremment dans le système informatique pour apporter des modifications dans l'enregistrement des courriers.
D'ailleurs, il convient de relever que les collègues directs de Mme [W] [M] n'ont pas été sollicités pour témoigner sur le système d'organisation et de répartition du travail entre les trois rédacteurs.
En revanche, la cour relève, que l'employeur n'a pas davantage discuté le fait allégué par Mme [W] [M] dans un long mail adressé par cette salariée à Mme [U], déléguée du personnel le 27 mars 2006, mail faisant référence à une entrevue entre les deux mêmes le 22 mars 2006 selon lequel, les 17 puis 20 mars 2006, un différend aurait eu lieu entre Mme [F] et Mme [W] [M], au sujet du système mis en place entre les trois rédactrices et la responsable pour assurer la permanence de fin de journée.
Aussi, considérant ce climat tendu depuis plusieurs jours entre Mmes [F] et [M], considérant également que Mme [M] n'avait jamais fait auparavant l'objet du moindre reproche rapporté dans le cadre de la procédure, et en dépit des longues explications fournies par Mme [F] pour expliquer les raisons qui l'ont soudain amenée à découvrir, par hasard, un soir à 19 heures alors que tout le monde était parti, puis à deux autres reprises dans les jours qui ont suivi, dans la poubelle de Mme [W] [M] des lettres que celle-ci aurait déchirées, la cour considère que ces faits, dont la preuve s'agissant d'une faute grave incombe à l'employeur, ne sont pas établis.
En conséquence, la cour infirmera la décision des premiers juges et dira le licenciement de Mme [W] [M] dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur les demandes en indemnisation de Mme [W] [M] :
Compte tenu des circonstances de l'espèce, de l'ancienneté dans son emploi du salarié et du préjudice qu'elle établit avoir subi à la suite de celui-ci la cour fixe à 16'000 € la somme due en application de l'article L.1235-3 du code du travail.
Le licenciement étant déclaré sans fondement l'employeur devra verser à Mlle [M] le paiement de son salaire pendant la période de mise à pied, du 31 mars au 14 avril 2006, soit 931,17 €avec congés payés afférents
La salariée pouvant prétendre à une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois il lui sera accordé à ce titre une somme de 3736,68 €ainsi que des congés payés pour un montant de 373,67 €.
L'employeur devra remettre à la salariée une attestation ASSEDIC et des bulletins de salaire pour le mois d'avril et mai 2006 rectifiés conformément à la présente demande.
Aucune astreinte ne sera toutefois ordonnée dès lors que la salariée est susceptible de pouvoir saisir le juge de l'exécution compétent en cas d'inexécution par l'employeur des obligations mises à sa charge par le présent arrêt.
Pôle Emploi :
Conformément à l'article L.1235-4 du code du travail la cour ordonnera le remboursement par la SA Belambra Clubs aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à Mme [W] [M] depuis le jour de son licenciement et dans la limite de trois mois.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :
La Cour considère que, compte tenu des circonstances de l'espèce, il apparaît inéquitable de faire supporter par Mme [W] [M] la totalité des frais de procédure qu'elle a été contrainte d'exposer. Il sera donc alloué une somme de 1500 €, à ce titre pour l'ensemble de la procédure.
PAR CES MOTIFS,
En conséquence, la Cour,
Infirme la décision du Conseil de prud'hommes dans toutes ses dispositions,
et statuant à nouveau :
Dit le licenciement de Mme [W] [M] dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Condamne la SA Belambra Clubs à payer à Mme [W] [M] :
- 16'000€ à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse en application de l'article L.1235-3 du code du travail,
somme avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision.
- 3736,68 à titre de préavis et 373,67 € pour congés payés afférents,
- 934,17 € à titre de rappel de salaire et 93,42 € pour congés payés s'y rapportant,
ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes,
Ordonne à l'employeur de remettre à Mme [W] [M] une attestation ASSEDIC, des bulletins de salaire du mois d'avril et mai 2006, rectifiés conformément à la présente décision,
Lui ordonne de rembourser aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à Mme [W] [M] depuis le jour de son licenciement et dans la limite de trois mois,
Déboute les parties de leurs demandes complémentaires ou contraires,
Condamne la SA Belambra Clubs à régler à Mme [W] [M] la somme de 1500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure,
La condamne aux entiers dépens de l'instance.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,