Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 2 - Chambre 7
ARRET DU 02 MARS 2011
(n° 8, 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 09/15583
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Mai 2009 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 08/01332
APPELANT
Monsieur [Z] [T]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par la SCP GUIZARD, avoués à la Cour
assisté de Me Roger DOUMITH de la SCP BARSI DOUMITH & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P 289
INTIMEE
Société BAC Société en dissolution ayant pour liquidateur amiable Monsieur [L] [U]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par la SCP DUBOSCQ et PELLERIN, avoués à la Cour
assistée de Me Jacques MANSEAU de la SELARL MANSEAU ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : A 627
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 05 Janvier 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Alain VERLEENE, Président
Gilles CROISSANT, Conseiller
François REYGROBELLET, Conseiller
qui en ont délibéré
Greffier, Valène JOLLY lors des débats :
MINISTERE PUBLIC :
représenté lors des débats par Jean-François CORMAILLE DE VALBRAY, qui a fait connaître son avis.
Monsieur Gilles CROISSANT, a été entendu en son rapport.
ARRET :
- contradictoirement
- prononcé publiquement par Alain VERLEENE, Président
- signé par Alain VERLEENE , président et par Valène JOLLY, greffier présent lors du prononcé.
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Vu l'assignation délivrée à la requête de [Z] [T] le 24 janvier 2008 à la BANQUE D'ARBITRAGE ET DE CRÉDIT devenue la société BAC aux fins de la voir condamner, au visa de l'article 1382 du Code civil, outre aux dépens recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, au paiement des sommes de 5 330 000 € en réparation de son préjudice professionnel, 12 090 000 euros pour le préjudice économique, 500 000 € pour le préjudice moral et de 100 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à la suite de dénonciations qualifiées de calomnieuses et d'abusives effectuées par la banque devant le juge instruction de Paris, le 7 mai 1992 par une constitution de partie civile et le 27 juin 1994 en portant à la connaissance du magistrat des faits susceptibles de caractériser un abus de biens sociaux et des faux en écritures privées ;
Vu le jugement rendu le 18 mai 2009 par la 17e chambre civile du tribunal de grande instance de Paris auquel il est référé pour l'exposé détaillé des faits et des prétentions initiales des parties qui a écarté des débats des conclusions et pièces signifiées par la société BAC les 5 et 6 mars 2009, rejeté les fins de non-recevoir tirées de l'acquisition des prescriptions prévues par les articles 2270-1 du Code civil et 225-254 du code de commerce, débouté [Z] [T] de toutes ses demandes, débouté la société BAC de ses demandes de dommages-intérêts pour procédure abusive et d'application de l'article 700 du code de procédure civile et condamné le demandeur aux dépens recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du même code ;
Vu l'appel régulièrement interjeté par [Z] [T] de ce jugement ;
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Vu les conclusions, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens des parties, au terme desquelles :
[Z] [T] demande :
-la confirmation du jugement sur le rejet des fins de non-recevoir, son infirmation pour le surplus et en conséquence la condamnation de l'intimée, outre aux dépens recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile au paiement des sommes de :
-5 330 000 euros au titre du préjudice économique, subsidiairement de 2 870 000 euros, sollicitant une expertise pour déterminer le montant de la perte de ses droits à retraite,
-500 000 € en réparation du préjudice moral,
-30 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
La BAC demande :
- l'infirmation du jugement sur le rejet de la fin de non-recevoir tirée de la prescription et subsidiairement sa confirmation,
-la condamnation de l'appelant, outre aux dépens recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, au paiement d'une somme de 20 000 € sur le fondement de l'article 700 du même code ;
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Sur les faits
Considérant que le tribunal a complètement et exactement rapporté les faits et le contexte de l'affaire dans un exposé auquel la cour se réfère expressément ;
Qu'il suffit de rappeler que :
La BANQUE D'ARBITRAGE ET DE CRÉDIT, contrôlée par la BANQUE NATIONALE DE PARIS est née en 1985 de la fusion de la compagnie européenne de placement animée par [Z] [T] et de la banque arabe privée. Dirigée par [Z] [T] qui possédait environ 14 % du capital , elle a fait l'objet d'un contrôle de la commission bancaire ayant donné lieu à un rapport critique déposé le 18 septembre 1991, transmis au procureur de la république de Paris le 29 janvier 1992.
Lors d'une réunion du conseil d'administration de la banque le 23 octobre 1991, les fonctions de directeur général de [Z] [T] lui ont été retirées et il a démissionné de la présidence le 31 octobre suivant, à la demande de plusieurs administrateurs.
Contestant le comportement de la banque, [Z] [T] a par la suite attrait celle-ci devant le conseil des prud'hommes de Paris qui s'est déclaré incompétent puis devant le tribunal de commerce, cette instance étant atteinte par la péremption.
La commission bancaire a déposé plainte pour transmission de renseignements sciemment inexacts et a dénoncé notamment les « graves anomalies » ayant « affecté le fonctionnement de la banque dont la gestion... dépendait, dans les faits, de M. [Z] [T] » lequel avait « une large autonomie d'action au sein des diverses entités et la haute main sur l'ensemble des opérations », « a utilisé les lacunes du système informatique et a été à l'origine d'un certain nombre d'opérations qui paraissent anormales », précisant qu'il « était parfaitement au courant de ces manipulations et qu'il participait personnellement à leur mise en oeuvre » et a relevé que « l'enregistrement d'écritures rétroactives a eu pour conséquence d'entraver l'exercice par la commission bancaire de sa mission de surveillance ».
Une information judiciaire a été ouverte contre X le 5 mars 1992 des chefs de communication de renseignements sciemment inexacts à la commission bancaire et infraction à la législation sur les sociétés anonymes et les sociétés à responsabilité limitée.
Le 7 mai 1992 la BANQUE D'ARBITRAGE ET DE CRÉDIT s'est constituée partie civile devant le juge d'instruction, précisant qu'elle était susceptible d'avoir souffert des agissements de son ancien président, M. [Z] [T]. Ce dernier a été inculpé le 18 novembre 1992.
Par courrier du 27 juin 1994, la BANQUE D'ARBITRAGE ET DE CRÉDIT a porté à la connaissance du juge d'instruction des « faits nouveaux connexes et complémentaires » :
- la conclusion le 26 juin 1991 d'un bail pour deux caves et des locaux en sous-sol consenti pour un loyer annuel de 7 500 francs par la S. C. I. CEP filiale à 99,9 % de la BAC à la société financière de placement dont [Z] [T] était associé majoritaire et gérant, susceptible de constituer un abus de biens sociaux,
-des factures non causées pour un montant de 4 400 000 francs susceptibles de constituer des faux en écritures privées.
Elle sollicitait un réquisitoire supplétif pris le 31 août 1994. [Z] [T] n'ayant pas été mis en examen pour ces faits complémentaires.
Le 7 juillet 2003 le juge instruction a rendu une ordonnance de non-lieu, confirmée sur appel de la commission bancaire et de la BAC par un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris du 19 novembre 2003. Les pourvois formés contre cet arrêt par les parties civiles ont été rejetés par arrêt de la chambre criminelle de la cour de cassation du 26 janvier 2005.
Sur les fins de non-recevoir
Considérant que la BAC soulève deux prescriptions prévues tant par l'article 2270-1 du Code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 que par l'article L. 225-254 du code de commerce ;
Considérant que l'appelant fonde son action sur l'article 1382 du Code civil en réparation des faits précités (constitution de partie civile du 7 mai 1992, courrier du 27 juin 1994, maintien de la constitution de partie civile par le liquidateur amiable le 24 mai 2002) qualifiés à la fois de dénonciations calomnieuses et de dénonciations abusives ou téméraires ;
Considérant qu'aux termes de l'article 2270-1 du code civil : « Les actions en responsabilité civile extra- contractuelle se prescrivent par 10 ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation. » ;
Considérant que les parties s'opposent sur le point de départ de la prescription :
- l'inculpation de [Z] [T] soit le 18 novembre 1992 pour l'intimée,
- le jour où la décision de non-lieu est devenue définitive selon l'appelant qui soutient qu'il n'a pu agir valablement avant la notification de l'arrêt de rejet rendu par la chambre criminelle de la cour de cassation le 26 janvier 2005 ;
Considérant qu'à la date à laquelle la décision de non-lieu rendue en faveur de [Z] [T] est devenue définitive celui-ci disposait de la faculté d'engager cumulativement :
-dans les trois mois, devant le tribunal correctionnel, une action civile en dommages-intérêts dans les conditions de l'article 91 du code de procédure pénale ;
-dans les trois ans, devant le tribunal correctionnel, une action pénale sur le fondement de l'article 226-10 du code pénal, la prescription du délit étant suspendue tant que la fausseté du fait dénoncé n'a pas été légalement déclarée ;
Considérant que la loi du 23 décembre 1980 a modifié les dispositions de l'article 10 du code de procédure pénale et mis fin au principe de la solidarité des prescriptions pénales et civiles, que le régime de la prescription civile est exclusivement fixé par le Code civil ; que la prescription n'a pas été suspendue ; que l'appelant qui ne justifie pas de l'existence d'une force majeure , bénéficiait de possibilités d'actions en vue d'obtenir la réparation du préjudice allégué ; que le choix d'une procédure civile fondée sur l'article 1382 du Code civil entraîne l'application de l'article 2270-1 du même code ;
Considérant qu'il y a lieu de retenir, comme point de départ de la prescription de la présente action civile, pour la réparation des dénonciations qualifiées tant de calomnieuses que d'abusives ou téméraires, la manifestation du dommage, soit la date à laquelle [Z] [T] s'est trouvé en situation de s'expliquer sur la portée des accusations dont il faisait l'objet au sens de l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme, à savoir en l'espèce son inculpation le 18 novembre 1992 ;
Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, sans qu'il soit nécessaire d'examiner l'autre fin de non-recevoir, de réformer le jugement et de déclarer prescrite l'action engagée par [Z] [T] par l'assignation du 24 janvier 2008 ;
Considérant que l'équité ne commande pas en l'espèce l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Considérant que [Z] [T], qui succombe, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Réformant le jugement,
Déclare prescrite par application de l'article 2270-1 du Code civil l'action engagée par [Z] [T],
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne l'appelant aux dépens de première instance et d'appel,
Admet la S. C. P. DUBOSQ-PELLERIN au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
LE PRÉSIDENT LA GREFFIÈRE