Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 2
ARRET DU 11 FEVRIER 2011
(n° 047, 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 10/06356.
Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Mars 2010 - Tribunal de Grande Instance de PARIS 3ème Chambre 1ère Section - RG n° 07/17165.
APPELANTS :
- Monsieur [Y] [V]
demeurant [Adresse 1],
- S.A.R.L. IDEES & PATENTES
prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège social [Adresse 2],
représentés par la SCP BLIN, avoués à la Cour,
assistés de Maître Gaby COHEN-BACRI plaidant pour la SELARL CBS, avocat au barreau de PARIS, toque C 152.
INTIMÉ :
INSTITUT NATIONAL DE PROPRIETE INDUSTRIELLE
pris en la personne de son Directeur général,
ayant son siège [Adresse 3],
représenté par Maître Louis-Charles HUYGHE, avoué à la Cour,
assisté de Maître Jean MARTIN et de Maître Guillaume PRIGENT, avocats au barreau de PARIS, toque : B 584.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 7 janvier 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur GIRARDET, président,
Madame REGNIEZ, conseillère,
Madame NEROT, conseillère.
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Monsieur NGUYEN.
ARRET :
Contradictoire,
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.
- signé par Monsieur GIRARDET, président, et par Monsieur NGUYEN, greffier présent lors du prononcé.
Par décret du 10 mars 1914 et selon divers textes réglementaires postérieurs, l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) s'est vu confier un service permettant aux usagers, créateurs de dessins ou modèles, d'établir la preuve de l'existence d'un document à une date certaine ; pour ce faire, elle a recours au procédé, objet d'un brevet déposé en 1910 par [M] [F], désigné sous le terme d'enveloppe-[F] permettant, notamment, un enregistrement au moyen d'un timbrage par perforation du pli fermé tout entier qui indique en particulier la date et l'heure de réception du pli, la partie intérieure de l'enveloppe double étant ensuite renvoyée au déposant.
Poursuivant l'objectif de proposer des dépôts sous forme électronique et des 'services [F] électroniques', l'INPI a conclu avec une société de droit anglais Idéas & Patents Limited, le 10 décembre 2001, un 'contrat de communication confidentielle' destiné à examiner l'opportunité d'un partenariat ; leurs relations contractuelles ont été rompues à la fin de l'année 2003.
Le 10 novembre 2004, Monsieur [Y] [V] a déposé à l'INPI la marque 'e-[F]' enregistrée sous le n° 3323121 pour les produits et services des classes 09, 35, 38 et 42.
Ayant découvert qu'une société de droit français Idées et Patentes (dont Monsieur [V] est le gérant), titulaire des noms de domaine et depuis les 18, 17 et 17 janvier et 07 avril 2006, offrait un service de dépôt présenté comme équivalent à l'enveloppe [F] sous la dénomination 'e.[F]' avec l'indication 'version améliorative du cahier des charges créée par I&P Ltd sélectionné et approuvé par l'INPI aux fins d'établir la preuve électronique officielle de la date de création et de votre propriété (enveloppe [F] électronique). Moyen de preuve indépendant de l'INPI. Offres gérées par I&P France en partenariat CDC Arkhineo / groupe Caisse des dépôts et consignations', et que cette société se présentait, en outre, comme titulaire d'une licence d'exploitation de la marque 'e-[F]' déposée par Monsieur [V], l'INPI , par lettre du 09 novembre 2007, a vainement mis en demeure la société de droit français I&P et Monsieur [V] de cesser ces diverses utilisations et toute référence à l'INPI pour la commercialisation de ces services puis les a assignés devant la juridiction de fond aux fins d'annulation de l'enregistrement de la marque 'e.[F]' ou de transfert à son profit de l'enregistrement de cette marque et, en tout état de cause, des noms de domaine litigieux.
Par jugement rendu le 02 mars 2010, le tribunal de grande instance de Paris a, avec exécution provisoire, sauf pour les dispositions relatives à l'annulation de la marque et à la mesure de publication sur les sites internet :
- dit sans objet la demande de jonction présentée par Monsieur [V] et la société I&P avec une instance non enregistrée les opposant à Monsieur [K] [H], à la société KTM Advance, au cabinet [H] [G] [R] et à la Compagne nationale des conseils en propriété 'intellectuelle',
- rejeté l'ensemble des fins de non-recevoir soulevées en défense,
- dit que la marque 'e-[F]' déposée à l'INPI par Monsieur [V], enregistrée sous le n° 3323121 pour les produits et services des classes 09, 35, 38 et 42, porte atteinte aux droits de l'INPI sur la marque notoire 'enveloppe [F]',
- prononcé, en conséquence, la nullité de cette marque en application de l'article L 714-4 du code de la propriété intellectuelle et dit que cette décision sera notifiée par la partie la plus diligente pour être transcrite au RNM tenu par l'INPI, une fois le jugement devenu définitif,
- condamné la société I&P et Monsieur [V] :
* à accomplir toutes formalités afin de faire transférer les noms de domaine , , , et au nom de l'INPI sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard et par nom de domaine passé un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement, l'astreinte courant pendant un délai de 3 mois,
* à notifier à l'INPI, par voie d'huissier, les justificatifs de ces démarches dans les 24 heures de leur réalisation, sous même astreinte,
- dit que Monsieur [V], en déposant cette marque, et la société I&P en l'exploitant, ainsi que ces noms de domaine, ont causé un préjudice à l'INPI et les a condamnés in solidum à lui verser, en réparation, la somme de 10.000 euros,
- ordonné à la société I&P de procéder ou de faire procéder à la suppression de toute référence à 'enveloppe [F]' dans tous ses documents administratifs et commerciaux, sites internet et référencements, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement, l'astreinte courant pendant un délai de 3 mois,
- ordonné à titre de dommages-intérêts complémentaires à la société I&P de faire paraître un bandeau en tête de ses sites internet comportant la mention suivante : ' ce service n'est pas une enveloppe [F]. Cette insertion a été ordonnée par décision du tribunal du grande instance de Paris du 02 mars 2010 à la demande de l'INPI' avec apparition fixe dans la police 'times' capitales, en taille 12, en lettres noires sur fond jaune, pendant une durée de trois mois à compter de la date de la première insertion, laquelle devra être constatée et notifiée à l'INPI dans les 24 heures par voie d'huissier,
- dit que cette publication devra être réalisée passé un délai de 15 jours, une fois le jugement devenu définitif, et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé ce délai, ladite astreinte courant pendant trois mois,
- dit se réserver la liquidation de l'astreinte,
- dit sans objet la demande subsidiaire de l'INPI relative au dépôt frauduleux de la marque,
- condamné in solidum Monsieur [V] et la société I&P à verser à l'INPI la somme de 20.000 euros au titre de ses frais non répétibles et à supporter les dépens.
Par dernières conclusions au fond signifiées le 16 décembre 2010, Monsieur [Y] [V] et la société à responsabilité limitée IDEES & PATENTES (I&P), appelants, demandent à la cour :
¿ in limine litis et au visa de l'article 122 du code de procédure civile, de déclarer l'INPI irrecevable en ses demandes à leur encontre et de le condamner à lui verser à titre principal la somme de 1.200.000 euros pour procédure abusive et, à titre secondaire, la somme de 700.000 euros pour atteinte à son image,
¿ au fond, au visa des articles L 714-4, L 712-6, L 713-5, L714-3, L 711-1 à L 711-4 du code de la propriété intellectuelle, 11, 138, 139, 142 du code de procédure civile et 6bis de la convention de l'Union,
à titre principal, d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et :
- de débouter l'INPI de toutes demandes 'au motif des dispositions de l'article 6bis de la convention d'Union' et, notamment, sur le caractère notoire de la marque '[F]',
- d'ordonner la jonction à la présente procédure des assignations en intervention forcée délivrées à l'encontre de Monsieur [K] [H], de la société Advance in Knowledge KTM, du cabinet [H] [G] [R] fusionné avec le cabinet Novagraaf IP, et de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle,
- d'ordonner la production de tous échanges entre l'INPI et les professionnels ayant déposé ou détenu, conseillé ou communiqué avec l'INPI sur la marque 'e.[F]' déposée, sous toutes formes et, spécifiquement, les échanges, directs ou non, entre l'INPI et Monsieur [H] et ses partenaires au projet de dématérialisation (le Ministère des Finances, l'Agence Nationale de Valorisation de la Recherche, le cabinet [H] [G] [R], le cabinet Novagraaf IP, la Compagne nationale des conseils en propriété industrielle, la Poste) de mêmes que toutes notes internes de l'INPI se rapportant auxdits échanges ou projets,
- de 'confirmer' la marque 'e-[F]' enregistrée le 10 novembre 2004, sous le n° 3323121 à la demande de Monsieur [V], la titularité de ce dernier sur la marque et l'accord d'exploitation exclusive concédée à la SARL I&P,
- de condamner l'INPI 'à étendre les droits sur la marque 'e-[F]', enregistrée le 10 novembre 2004, sous le n° 3323121 à la demande de Monsieur [V], 'à titre de marque niveau européenne' et 'sous la titularité de ce dernier',
- de juger l'accord de non-divulgation et de non-concurrence signé le 10 décembre 2001 entre l'INPI et I&P Ltd ainsi que les clauses de non-concurrence y visées comme étant étendu de manière définitive à la durée la plus large en matière de droit de la propriété intellectuelle,
- de dire que l'enregistrement du nom de domaine a été fait par l'INPI en violation aggravée dudit accord , de condamner l'intimé, pour la contrefaçon aggravée de la marque e-[F] n° FR 043323121 par l'enregistrement du nom de domaine , à les dédommager à hauteur de 1.750.000 euros et d'ordonner le transfert immédiat de tous droits sur ledit nom de domaine au bénéfice de la SARL I&P, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard,
- d'ordonner la restitution des noms de domaine à la SARL I&P et à Monsieur [V] tel que transférés par le jugement,
- de constater 'le caractère déchu' de toute protection privative ou publique sur les appellations 'enveloppe [F]' et '[F]' au bénéfice de l'INPI et de déclarer définitive la déchéance de tous droits de l'INPI sur ces appellations,
- d'ordonner la publication aux frais de l'intimé en bandeau sur toutes les pages de son site internet et durant trois années ainsi que sur le site de toutes organisations dont elle est membre ou correspondant, en français et dans la ou les langues de ladite organisation, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par publication internet devant être mise en ligne,
- à titre subsidiaire, de juger que l'enregistrement du nom de domaine a été déposé par l'INPI en toute connaissance de leurs droits et dans l'intention de nuire et qu'il est frauduleux, de transférer l'enregistrement litigieux du nom de domaine litigieux au profit de la SARL I&P, de condamner l'INPI à accomplir toutes formalités afin de faire transférer à cette fin sous astreinte de 10.000 euros par infraction constatée passé un délai de 72 heures après la signification de l'arrêt,
- au titre de mesure d'expertise du caractère notoire tel que défini par l'intimé, d'ordonner un sondage par échantillonnage aux fins de déterminer la connaissance et la portée de l'appellation '[F]' invoquée et, d'autre part, une expertise aux mêmes fins (selon mission précisée dans les conclusions auxquelles il est renvoyé),
- de condamner l'INPI à leur verser la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Par dernières conclusions au fond signifiées le 04 janvier 2011, l'INSTITUT NATIONAL de la PROPRIETE INDUSTRIELLE (INPI) demande à la cour :
- principalement de confirmer le jugement déféré en ses dispositions qui lui sont favorables et de le modifier en condamnant in solidum Monsieur [V] et la SARL I&P à lui verser la somme de 150.000 euros en réparation de son préjudice et en réservant la liquidation de l'astreinte au TGI de Paris, 3ème chambre, 1ère section,
- subsidiairement, à défaut de reconnaissance par la cour du caractère notoire de la marque 'enveloppe [F]', de prononcer l'annulation du dépôt litigieux de la marque 'e.[F]' par Monsieur [V] enregistrée sous le n° 3323121 pour fraude et d'ordonner et de prononcer, en conséquence, les mêmes mesures que précédemment,
- à titre plus subsidiaire sur l'action en revendication, de transférer l'enregistrement n° 3323121 du 10 novembre 2004 au profit de l'INPI, libre de toutes charges et obligations susceptibles de résulter des droits consentis au profit de tiers, Monsieur [V] en faisant son affaire personnelle et en supportant toutes les charges, par application de l'article L 712-6 du code de la propriété intellectuelle,
- en tout état de cause, de juger mal fondés les moyens de défense et les demandes reconventionnelles des appelants, de les en débouter en les condamnant in solidum à lui verser une somme complémentaire de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
SUR CE,
Sur la procédure :
Considérant que par conclusions de procédure signifiées le 07 janvier 2011, l'INPI sollicite le rejet des conclusions qui lui ont été signifiées le 06 janvier 2011, ainsi que des 31 nouvelles pièces adverses alors communiquées, du fait que ces conclusions contiennent des arguments et éléments nouveaux qui n'ont pas fait l'objet de débats, que les appelants ne peuvent s'opposer à cette demande de rejet à raison de la signification de ses propres conclusions du '03" janvier 2011 et que la signification tardive de conclusions par les appelants (déjà observée en première instance) est systématique et dilatoire ;
Considérant, ceci exposé, que l'audience de plaidoiries a été fixée au 07 janvier 2011 et la date de la clôture reportée au 06 janvier 2011 ;
Que les appelants ont conclu le 16 décembre 2010 ;
Que l'INPI leur a fait sommation de communiquer les pièces étayant leurs conclusions le 21 décembre 2010 puis, itérativement, le 27 décembre 2010 ; qu'il les a reçues le 28 décembre 2010 et a signifié de nouvelles conclusions cinq jours ouvrés plus tard, le 04 janvier 2011, ajoutant à ses précédentes écritures un paragraphe de trois lignes sur la jonction et un paragraphe sur la distinctivité de la marque enveloppe [F] ;
Que les conclusions des appelants signifiées le jour de la clôture et la veille de l'audience, contiennent, quant à elles, quinze nouveaux paragraphes et douze pages supplémentaires développant des arguments et moyens nouveaux portant, notamment, sur la dégénérescence de la marque revendiquée par l'INPI, sur l'absence d'enregistrement, par l'INPI, du contrat de concession consenti par Monsieur [V] au registre des marques, sur la 'désuétude' de la marque '[F]' ou encore sur la critique de la consultation qu'il produit ;
Que ces conclusions, prises en méconnaissance des dispositions de l'article 15 du code de procédure civile dès lors qu'elles n'ont pas été portées à la connaissance de l'adversaire en temps utile afin de lui permettre d'organiser sa défense, doivent être écartées des débats, les conclusions signifiées par les appelants le 16 décembre 2010 devant, en conséquence, être considérées comme leurs dernières conclusions ;
Que les 31 pièces également produites le 06 janvier 2011 (pièces 194 à 224 des appelants) seront, par mêmes motifs, écartées des débats ;
Qu'enfin, à la suite d'un appel enregistré le 19 mars 2010 et d'une procédure de mise en état qui a, notamment, permis aux appelants, dans le principe du contradictoire, de conclure par trois fois, il n'y a pas lieu d'ordonner, comme ils le sollicitent, la réouverture des débats ;
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir à l'encontre de la société I&P :
Considérant qu'au visa de l'article 122 du code de procédure civile, la SARL Idées & Patentes soutient que l'INPI - qui n'ignore pas, depuis une procédure qui les a opposés devant l'OMPI, que seul Monsieur [V] est titulaire de la marque 'e-[F]' et, qu'eu égard à l'absence d'enregistrement d'une licence à son bénéfice, elle ne peut prétendre à aucun droit sur la marque - n'a aucun intérêt à agir à son encontre, ajoutant que cette action, selon elle, abusive lui est préjudiciable puisqu'il paralyse des projets commerciaux et divers financements ;
Mais considérant que par motifs pertinents que la cour fait siens, le tribunal a considéré que l'INPI qui ne poursuit pas seulement l'annulation de la marque mais également la sanction de l'exploitation illicite des noms de domaine que cette société a enregistrés et utilise, a intérêt à agir à son encontre ;
Qu'il y sera ajouté que l'argumentation relative au préjudice présenté comme induit de cette action est sans incidence sur sa recevabilité ;
Qu'il suit que le jugement doit être confirmé de ce chef ;
Sur les fins de non-recevoir opposées à l'INPI :
Considérant qu'il ressort des pièces de la procédure que Monsieur [V] a déposé la marque 'e -[F]' le 10 novembre 2004 à l'INPI et que cet Institut l'a assigné plus de trois ans après ce dépôt, soit le 19 décembre 2007 ;
Considérant qu'en premier lieu, les appelants soutiennent que l'INPI, qui ne dispose d'aucun droit privatif sur le signe, est irrecevable à agir en revendication, évoquant le délai de prescription de trois ans prévu à l'article L 712-6 du code de la propriété intellectuelle ;
Mais considérant qu'à juste titre l'INPI lui oppose le fait que son action principale, soumise aux dispositions de l'article L 714-4 de ce même code qui prévoit un délai de prescription de 5 ans non acquis en l'espèce, tend à l'annulation de l'enregistrement effectué en violation d'une marque notoirement connue, en sorte que le moyen est inopérant ;
Considérant qu'en second lieu, les appelants font valoir que l'action en nullité d'une marque notoire engagée sur le fondement de l'article L 714-3 du code de la propriété intellectuelle n'est pas recevable si la marque a été déposée de bonne foi et s'il en a toléré l'usage pendant cinq ans ;
Qu'ils s'estiment fondés à prétendre que l'action de l'INPI est forclose dès lors qu'une version identique de la marque litigieuse (soit : 'e.[F]') a fait l'objet d'un précédent dépôt, en 1998, et que l'INPI en a toléré l'usage de 1998 à 2007 ;
Mais considérant qu'il ne s'agit pas de la même marque que celle ici incriminée, fût-elle identique au signe litigieux et, qu'en outre, Monsieur [V] n'est pas titulaire de cette marque déposée par un tiers, Monsieur [H], en 1998, en sorte qu'il ne peut se prévaloir de ce qu'il qualifie de tolérance de l'INPI ;
Que le jugement sera, par conséquent, confirmé en ce qu'il a rejeté ces fins de non recevoir et les appelants déboutés de leurs demandes indemnitaires subséquentes ;
Sur la demande de jonction :
Considérant qu'alors que le tribunal a rejeté la demande de jonction formée par Monsieur [V] et la SARL I & P au motif que la procédure invoquée les opposant à Monsieur [K] [H], la société KTM Advance, le cabinet [H] Majerowcz [R] et la Compagne nationale des conseils en propriété industrielle ne résulte que d'une assignation délivrée le 17 décembre 2009, et qu'à la date des plaidoiries (le 05 janvier 2010) elle n'était pas même enrôlée, les appelants, reprenant leur demande, se bornent à en souligner (en page 41/56 de leurs conclusions) la légitimité en faisant valoir que ces derniers disposent d'éléments d'appréciation utiles sur le caractère notoire de la marque litigieuse et possèdent une expertise propre les ayant conduits à considérer qu'ils pouvaient déposer la marque 'e.[F]' en 1998 ;
Mais considérant que l'INPI produit une ordonnance de radiation rendue dans cette seconde procédure, le 07 juillet 2010, par le juge de la mise en état et que les appelants n'établissent ni même n'affirment qu'elle a fait l'objet d'un rétablissement, d'un jugement puis d'un appel qui serait pendant devant la présente cour ;
Que cette demande de jonction présentée sans qu'il soit justifié qu'est satisfaite la condition posée par les dispositions des articles 367 du code de procédure civile, à savoir l'existence de plusieurs instances pendantes devant le même juge, doit, dans ces conditions, être rejetée et le jugement confirmé sur ce point ;
Que la demande subséquente tendant à obtenir la production d''échanges' entre les parties à cette procédure distincte et l'INPI devient dès lors sans objet ;
Sur la demande d'annulation de l'enregistrement fondée sur le caractère notoire de la marque 'enveloppe [F]' de l'INPI :
Considérant que les appelants font grief au tribunal d'avoir considéré que cette marque présentait un caractère notoire au sens du dernier alinéa de l'article L 711-4 du code de la propriété intellectuelle, que la marque contestée 'e-[F]' en était la reproduction quasi-servile, que l'enregistrement visait des services similaires à ceux de l'INPI et de l'avoir annulée par application de l'article L 714-3 de ce code ;
Qu'ils opposent à l'INPI son absence de droit privatif sur le terme '[F]' (en pages 3, 7 et 19 de leurs conclusions) pour éclairer, notamment, le fait que l'INPI s'est abstenu d'intervenir dans le processus administratif de dépôt et de contestation de la marque en cause en adoptant semblable attitude, en dépit de ses prérogatives, depuis 1998 à l'égard d'autres déposants de marques analogues ;
Qu'ils relèvent, par ailleurs, que l'Institut ne peut se retrancher derrière une nécessaire réserve puisqu'il a exercé lesdites prérogatives en adressant un relevé d'irrégularités le 05 janvier 2005 à Monsieur [V] pour lui demander de préciser les produits et services protégés ;
Qu'ils font, en outre, valoir que la consultation du professeur [T] dont l'intimé s'inspire pour conclure à la notoriété de sa marque '[F]' étaye leur propre argumentation en ce qu'il indique que la notoriété s'apprécie au regard d'un public concerné par un mode de dépôt permettant de lui donner date certaine, et qu'ils établissent que l'appellation '[F]'n'est pas, auprès de ce public, notoirement connue, eu égard au caractère désuet et limité de son usage ainsi qu'à l'importance numérique de modes de preuve concurrents ;
Que l'INPI rétorque que la marque déposée par Monsieur [V] reproduit sa marque 'enveloppe [F]' et que l'enregistrement porte sur des services similaires, à l'instar de l'exploitation qui en est faite, dès lors que la dématérialisation n'en modifie pas l'objet et la fonction et que l'électronique ne constitue qu'une modalité technique de la fourniture d'enveloppes [F], historiquement mise en place et gérée par l'INPI en exécution de ses missions légales de service public ;
Considérant, ceci exposé, que selon les dispositions combinées des articles L 711-4 a) et L 714-3 du code de la propriété intellectuelle 'ne peu(ven)t être adopté(s) comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs et, notamment, à une marque antérieure enregistrée ou notoirement connue au sens de l'article 6bis de la convention de Paris (...)' et que 'seul le titulaire d'un droit antérieur peut agir en nullité sur le fondement de l'article L 711-4 du code de la propriété intellectuelle.' ;
Que pour démontrer que la fourniture d'enveloppes [F] relève des missions de service public dévolues à l'INPI, ce dernier produit le décret du 10 mars 1914 pris en application de l'article 4 de la loi du 14 juillet 1909, destiné à prescrire les mesures nécessaires pour permettre aux industriels de faire constater la priorité d'emploi d'un dessin ou modèle ;
Qu'il y a toutefois lieu de relever que si ce décret prévoit la tenue de registres visés et estampillés avant usage par l'INPI permettant de recevoir des documents copiés ou reproduits et permet, par ailleurs, aux intéressés, pour compléter cette preuve, d'adresser à l'INPI, en double exemplaire, leur dessin ou modèle en précisant que l'INPI, 'après inscription et perforation de la date d'arrivée, retourne l'un d'eux à l'envoyeur et place l'autre dans ses archives' , il ne prévoit pas précisément, à l'instar de l'arrêté ministériel pris le 13 mars 1914, la mise en place et la gestion du système particulier des enveloppes [F] que revendique l'INPI ;
Qu'en outre, bien que le décret du 25 mars 1937 fixant le montant des taxes pour l'enregistrement et le gardiennage dues à l'INPI emploie le terme 'système [F]' et bien que les documents internes de l'INPI ou des décisions judiciaires associent ce service de l'INPI et le terme 'enveloppe [F]', force est de constater que l'usage de ces enveloppes [F] n'est pas propre à l'INPI, l'article 6 de l'arrangement de la Haye du 06 novembre 1925 concernant l'enregistrement international des dessins et modèles prévoyant, notamment, un dépôt au bureau international de la propriété industrielle par l'envoi sous pli cacheté d''enveloppes doubles avec numéro de contrôle perforées (système [F])' ;
Qu'il s'ensuit que l'INPI qui ne peut se prévaloir d'une atteinte à des droits antérieurs sur le terme 'enveloppe [F]' doit être déclaré irrecevable en son action fondée sur les dispositions sus-visées ;
Que le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de la marque 'e-[F]' litigieuse au visa de l'article L 711-4 du code de la propriété intellectuelle sera donc infirmé ;
Sur la demande d'annulation, pour fraude, du dépôt de la marque 'e-[F]' enregistrée :
Considérant qu'au soutien de cette demande subsidiaire, l'INPI fait état des termes du contrat conclu avec la société I&P en décembre 2001 et, en particulier, de la dénomination 'les services [F] électroniques' visant les services de l'INPI , objet du contrat ;
Qu'il fait valoir qu'après qu'il a mis fin à ce contrat, la société I&P, à qui il avait révélé son projet, et Monsieur [V], son gérant, ont délibérément tenté de le gêner et de lui nuire en prétendant, en particulier, s'approprier le nom 'enveloppe [F]' sous lequel il exploite, depuis des décennies, le service officiel de certification de dépôt, allant même jusqu'à réserver des noms de domaine comportant la dénomination 'enveloppe [F]' ou 'enveloppe [F] électronique' ;
Qu'en réplique, se défendant de tout agissement frauduleux, stigmatisant le comportement de l'INPI dont ils considèrent qu'il a méconnu les termes du contrat et estimant avoir légitimement agi, les appelants opposent à l'INPI, contractant avec la société de droit anglais I&P le 10 décembre 2001, le fait qu'il a reconnu leurs droits sur 'le marché de l'enveloppe [F] électronique' avant de rompre leurs accords de partenariat et de non-concurrence, fin 2003 ;
Qu'ils exposent que le fondateur de ladite société, détenteur d'un savoir-faire en matière de dématérialisation ayant, en particulier, permis à la société I&P de conclure un accord technique avec une société Colombus dès le mois de mai 2001, a pu déposer, sans opposition, à l'INPI, depuis 2001, cinq brevets et certificats d'utilité ;
Qu'ils font, en outre, état d'une plainte pénale visant l'INPI déposée le 11 septembre 2006 et de l'instruction en cours portant, notamment, sur des faits d'abus de confiance, d'abus d'autorité, d'entrave à la liberté du commerce et de contrefaçon ;
Considérant, ceci exposé, qu'il résulte des termes du contrat de 2001 dont l'objet portait sur l'examen de l'opportunité d'un partenariat dans le cadre d'un programme de recherche commun entre l'INPI et la société de droit britannique Ideas & Patents (I&P) - dont le dirigeant indique, par courrier du 30 novembre 2006, qu'il a pour 'opérateur français' I&P SARL, partie au litige -, que l'INPI souhaitait 'proposer au plan national des services de dépôt en ligne .... (ci-après dénommés 'Services [F] Electroniques')' et qu'I&P acceptait de lui communiquer, dans ce cadre, une partie de son savoir-faire ;
Qu'il ressort des pièces versées aux débats que les relations contractuelles portant sur le projet dénommé 'ESE' (soit : 'Enveloppe [F] Electronique') par les co-contractants, ont été rompues à l'initiative de l'INPI en décembre 2003 et que l'Institut s'est, par ailleurs, refusé à toute rétribution d'[5] en indiquant qu'elle n'était pas prévue au contrat ;
Que ces pièces permettent d'établir que la société I&P, qui estime avoir été évincée de ses marchés au profit d'un concurrent avec détournement de ses droits et de son savoir-faire dès la fin de l'année 2003 (pièce 31, plainte du 11 septembre 2006), a multiplié courriers, plaintes et initiatives pour dénoncer le comportement de l'INPI à son égard et porter atteinte à ses activités ;
Que, notamment, se présentant en qualité de titulaire exclusif de la concession de la marque 'e-[F]', la société I&P a adressé un courrier au ministre de tutelle de l'INPI, le 15 février 2007, pour qu'il soit fait injonction à cet Institut, qui venait de déposer le nom de domaine '[04].org', de cesser de contrefaire la marque ;
Que, le 28 novembre 2007, elle a déposé plainte devant la commission administrative du centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI afin d'obtenir, par semblables motifs, le transfert de ce nom de domaine à son profit sans, toutefois, obtenir gain de cause (pièce 95, décision du 28 février 2008) ;
Que par courrier du 14 avril 2005 adressé à l'INPI (pièce 18 de l'intimé) la société I&P, après mises en garde comminatoires, lui indiquait : 'je vous confirme qu'I&P exploitera donc son cahier des charges ESE dont le site est déjà disponible en ligne sous son appellation originaire 'version améliorative de l'enveloppe [F] électronique dont le cahier des charges a été approuvé par l'INPI' ;
Que la page d'accueil du site [04]/enveloppe [F] électronique/www.[04].fr sur lequel la société I&P présente 'l'enveloppe [F] électronique' (pièce 25) comporte effectivement cette mention, ci-avant reproduite in extenso ;
Qu'il en résulte que l'INPI est fondé à soutenir que les appelants avaient une parfaite connaissance de l'existence du service 'enveloppe [F]' qu'il fournit, de sa dénomination, de son projet de dématérialiser ce service, de la dénomination qu'il projetait d'adopter pour son futur service et qu'en déposant, sans qu'en soit précisée la nécessité, la marque 'e-[F]' le 10 novembre 2004, soit peu de temps après qu'a été écarté le projet de collaboration initié 3 ans plus tôt, puis en réservant les noms de domaine litigieux, à compter de janvier 2006, pour développer une activité identique à la sienne, les appelants ont agi avec l'intention de le priver de l'usage d'un terme nécessaire au développement de son activité et de nuire à ses intérêts ;
Qu'il sera, par conséquent, fait droit à la demande de nullité de la marque 'e-[F]' déposée par Monsieur [Y] [V] le 10 novembre 2004 formée par l'INPI en raison du caractère frauduleux de ce dépôt ;
Qu'en outre, le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives au transfert, au nom de l'INPI, des noms de domaine litigieux, à savoir : et dont la validité ne fait pas l'objet de débats devant la cour ;
Sur les mesures réparatrices :
Considérant que, formant appel incident, l'INPI sollicite la réformation du jugement en son évaluation de son préjudice et la fixation du montant des dommages-intérêts alloués à la somme de 150.000 euros en exposant qu'elle devra engager des dépenses pour corriger, dans l'opinion publique, son préjudice d'image et l'atteinte portée au bon fonctionnement de son service du fait de la confusion volontairement entretenue et développée par les appelants ;
Mais considérant que les termes du présent arrêt conduisent à confirmer le montant des dommages et intérêts alloués par les premiers juges mais à infirmer la mesure relative à la publication d'un bandeau sur les sites de la Société J & P et la mesure de suppression du terme '[F]' ;
Que le jugement sera, par conséquent, confirmé de ce chef ;
Sur les demandes complémentaires :
Considérant que les appelants demandent à la cour d'étendre les clauses de non divulgation et de non concurrence stipulées dans la convention signée le 10 décembre 2001 'de manière définitive à la durée la plus large en matière de droit de la propriété intellectuelle' ;
Qu'à supposer que cette demande, nouvelle en cause d'appel, portant sur un contrat auquel les appelants ne sont pas parties, se rattache par un lien suffisant à l'objet du litige, elle ne saurait prospérer, sauf à dénaturer les termes clairs et précis de ce contrat, dès lors que ses articles 2.4 et 2.5 prévoient les durées d'application de ces clauses, en sorte que les appelants doivent voir leur demande rejetée ;
Considérant que si les appelants formulent également plusieurs demandes relatives au nom de domaine tendant à voir juger que son enregistrement par l'INPI constitue une violation 'aggravée' du contrat, que leur préjudice résultant de cette 'contrefaçon aggravée' doit être réparé par l'allocation de la somme de 1.750.000 euros, qu'il est frauduleux et doit leur être transféré sous astreinte, l'accueil partiel des prétentions de l'INPI conduit la cour à les rejeter ;
Considérant, enfin, que l'équité conduit à allouer à l'INPI, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme complémentaire de 5.000 euros ;
Que, déboutés de ce dernier chef de prétentions, les appelants supporteront les dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS,
Ecarte des débats les conclusions signifiées le 06 janvier 2011 par Monsieur [Y] [V] et la société à responsabilité limitée Idées & Patentes ainsi que les 31 pièces par eux communiquées le même jour (n° 194 à 224) ;
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé l'annulation de la marque 'e-[F]' sur le fondement de l'article 'L 714-4" du code de la propriété intellectuelle et, en ce qu'il a fait droit à la demande de publication sur les sites de l'appelante et à la mesure de suppression ;
Statuant à nouveau dans ces limites en y ajoutant ;
Prononce la nullité de la marque 'e-[F]' frauduleusement déposée à l'INPI par Monsieur [V], enregistrée sous le n° 3323121 pour les produits et services des classes 09, 35, 38 et 42 ;
Dit que le présent arrêt sera transmis, par les soins du greffier, à l'Institut national de la propriété industrielle aux fins d'inscription au Registre National des Marques ;
Déboute Monsieur [Y] [V] et la société à responsabilité limitée Idées & Patentes de leurs demandes complémentaires ainsi que de leurs prétentions au titre de leurs frais non répétibles ;
Condamne in solidum Monsieur [V] et la SARL Idées & Patentes à verser à l'Institut national de la propriété industrielle la somme complémentaire de 5.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum Monsieur [V] et la SARL Idées & Patentes aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier,Le Président,